5° PARTIE - TOME 2
LE DETENU

Etre exact

I- LA DETENTION A PARIS

A-. LE CALVAIRE DE L'AVENUE FOCH

1°- Les Détenus après les arrestations.

a-Transferés avenue Foch.

De même que la plupart des hommes interpellés par une police, Charles DELESTRAINT se juge stupide de s'être fait prendre ainsi, de n'avoir pas flairé le piège, d'avoir cru ce que lui racontait cet homme, MOOG, parlant si bien le français et jouant si bien le Résistant qui voulait l'entrainer vers un nouveau lieu de rendez-vous où Didot, soit-disant, l'attendait. Mais, comment aurait-il pu se douter que les Allemands étaient au courant de tout, du lieu et de l'heure du rendez-vous, de son nom -Vidal, de son grade, du pseudonyme de celui qu'il doit rencontrer ?
Il se fait en lui-même mille reproches d'avoir parlé à cet homme du rendez-vous du métro de la Muette.
Emmené au poste de garde du S.D. de la rue des Saussaies (1), il attend anxieusement, sans grand espoir que GASTALDO et THEOBALD n'évitent les policiers allemands. Ils sont nombreux, comment leur échapper ?
Devant lui, un Allemand a téléphoné au 84 Avenue Foch au siège de la section IV-E-5 du B.D.S. de Paris. (Le service N°5 s'occupe plus particulièrement des questions concernant la Résistance). Ce seront donc les services du "Hauptsturmführer" KIEFFER qui prendront en main les interrogatoires. Le général comprend la conversation. On l'y transfert sans qu'il ait vu ses deux amis.
Les Allemands de l'Abwehr arrivent, ils amènent GASTALDO (Galibier, Garin) et THEOBALD (Terrier).
Car ce sont eux qui ont procédé aux arrestations de la station "Rue de la Pompe" accompagnés seulement de deux agents du S.D. Les prisonniers bien encadrés sont remis aux policiers du Sipo-S.D. de la rue des Saussaies. MOOG va rester. Le Capitaine KRAMER, SAUMANDE ainsi que le Capitaine SCHMITT et ses hommes de l'Ast-Paris repartent bientôt. Ils ont effectué l'enquête, les arrestations. Ils laissent leurs collègues du Sipo-S.D. procéder aux interrogatoires. Leur rôle est terminé. S'apercevront-ils qu'ils ont oublié leur agent, le traitre MULTON, maintenant inutile, à son poste à l'intérieur de la station du métro "Muette" (2). Une heure s'écoule, et à la suite d'un appel téléphonique, les trois prisonniers sont transférés au 84 Avenue Foch (3).

1
Second procès Hardy. Audition d'Eugène Kramer.
2
Instruction du procès Multon, son interrogatoire du 19.05.45, reporté dans le dossier du second procès Hardy: 91 1/A, 1/B.
3
Déposition de J.L.Théobald au 2°procès Hardy: 114 6/A.


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b- Séparés les uns des autres et interrogés.

Joseph GASTALDO, à son retour de déportation, a apporté de nombreux détails sur son passage Avenue Foch:
Depuis son arrestation le commandant GASTALDO au cours du transfert à l'Avenue Foch réussit à avaler les documents qu'il a sur lui, c'est-à-dire le plan et l'énumération de tous les terrains d'aviation de la zone Nord. Il a sur lui de faux papiers au nom de Garin, né à Alger, professeur de géographie, n'ayant aucune famille en France métropolitaine. Il est interrogé pendant 60 heures sans interruption, par des officiers de la Gestapo -un colonel et un capitaine- et des sous-officiers, tous en tenue. Parmi certains civils, il croira reconnaître DOUSSOT. Il se souvient que MEINERS, un des interprètes, l'a interrogé, mais seulement à partir de Juillet (4).
Les officiers de la Gestapo lui montrent les documents qu'ils possèdent, les organigrammes de l'A.S. Ils savent que son pseudonyme est Galibier, qu'il dirige le 2°Bureau de l'A.S.. GASTALDO persiste, son nom est Garin, jusqu'au moment où, le 11 Juin, à six heures du matin on lui met sous les yeux un télégramme en trois feuillets parvenu à l'instant de Lyon. BARBIE apprend à ses collègues parisiens l'arrestation à Chalon/Saône de Didot (HARDY), le 8 au matin. Il leur parle aussi d'une des révélations de HARDY,(5) d'une réunion chez LASSAGNE à Lyon, réunion que GASTALDO situe le 3 Mai (5), à laquelle assistaient Max, Vidal, Aubrac, Veny, Didot, et GASTALDO qui s'était alors présenté sous le nom de Garin. Les agents du S.D. en profitent pour lui demander le signalement de toutes les personnes présentes à cette réunion, sauf celui de Vidal puisqu'ils le détiennent et connaissent son identité, et celui de FRENAY qui leur a été communiqué plusieurs fois. GASTALDO donne un signalement faux de tous ceux qui ont été cités, à l'exception de celui de Didot, puisqu'il sait que l'Amt IV-E de Lyon connait tout de lui.
Les enquêteurs du S.D. en lui assurant qu'il sera fusillé, qu'il sera torturé, cherchent à l'influencer.
Répondant qu'il demande seulement d'être traité en soldat, comme il a traité les prisonniers allemands; il ajoute qu'il n'ignore pas leurs méthodes. Il n'est pas brutalisé, avenue Foch, sauf le 14 Juillet; gifflé, les pieds écrasés à coups de talon, continuellement menacé. C'est ce jour-là qu'on lui montre le volumineux dossier résultant de certaines dépositions "après les arrestations de Juin". Les Allemands savent tout sur l'Etat-Major, sur chacun des inculpés arrêtés à Paris ou à Caluire, sur ceux qui ne sont pas encore interpellés ou qui parviendront à disparaître, ils savent que GASTALDO est à la tête d'un réseau de renseignements s'étendant sur toute la France, qu'il s'est rendu souvent en Suisse et y a eu des contacts avec le général américain LEEGE (6).

4
Déposition:instruction du 2° procès Hardy: 68 2/A. (3.06.1948)
5
En fait, plusieurs réunions se sont tenues chez Lassagne; en effet celle du 3 Mai est la plus vraisemblable.
6
A.N.: 72 AJ/1910. Documents relatifs au Cl Gastaldo.


Les Allemands ne sauront rien de la bouche de Galibier. Tout ce qu'ils savent de lui ou de l'A.S. proviendra d'autres sources. Considéré comme un espion il sera mis au secret pendant toute son incarcération à Fresnes (6).

Jean-Louis THEOBALD, transféré au 84 Avenue Foch, tente immédiatement de s'évader, le même jour de son arrestation, vers onze heures. Blessé il est rattrapé. Les Allemands le rouent de coups, le torturent en lui arrachant les ongles. Le Sonderführer (Sergent S.S.) MISSELWITZ est un de ses pires bourreaux. THEOBALD a subi en tout 18 interrogatoires (7).
C'est à la suite de la découverte de son domicile qu'une souricière y sera installée et que trois personnes seront arrêtées dont Melle OLIVIER, agent de liaison entre Paris et Lyon, plus précisément interpellée à la sortie du métro Villiers.
J.L.THEOBALD peut parler au général au cours de plusieurs transferts de Fresnes à l'Avenue Foch. (8).

Le Général DELESTRAINT, est reçu au début par KIEFFER, mais il est rapidement remis à MISSELWITZ, (Oberscharführer) qui est chargé de l'instruction, relayé par GUTGSELL (untersturmführer). L'interrogatoire se poursuit pendant 50 heures consécutives. MEINERS en est l'interprète.
Le Général parle couramment l'allemand; on peut penser qu'il n'a pas révélé ses possibilités linguistiques aux enquêteurs. Il s'est contenté de reconnaître qu'il est le chef de l'Armée Secrète, qu'il est envoyé de Londres par le Général de GAULLE. Ceci dit, il se refuse à toute déclaration (9). L'enquêteur GUTGSELL en est excédé; il vient livrer ses états d'âme à la secrétaire de KIEFFER, Kathe GOLDMANN. Il se plaint que ça n'avance pas (10).
Certes, aucune conséquence grave ne résulte de l'interrogatoire d'identité ni même de la fouille qu'a subie le général:
-Son identité véritable est immédiatement connue puisqu'il portait ses propres papiers lors de l'arrestation. C'est ainsi que l'E.K.-Lyon reçoit l'ordre de se rendre à Bourg-en-Bresse au 41 Bd Voltaire, perquisition effectuée à partir du Jeudi matin 10 Juin.

6
Photographies: le 84 Avenue Foch et la Prison de Fresnes, en 1942. Se reporter en Annexe: 5/1.
7
Déposition de Jean-Louis Théobald: instruction du second procès Hardy. 114. 6/A. du 6.01.1948.
8
Déposition de J.L. Théobald: ibid. 114. 7/A.
9
Second procès Hardy: 29 2/B. Commission rogatoire de Frau Kathe Goldmann, le 25.05.1949.
10
Second procès Hardy: 136. 9/A et 11/A. Dépositions de Meiners les 15 et 21 Juin 1948.


-Les Allemands connaissent aussi l'adresse parisienne du Général, 5 Boulevard Murat. L'après-midi même, l'interrogatoire de la concierge, madame Flore SICARD, n'a eu qu'une conséquence relative; celle-ci est retenue quelques jours avenue Foch; elle rapportera de ce séjour imprévu plus de renseignements que les Allemands n'en ont obtenus d'elle (11).
-Le Général, s'il n'a pas pu dissimuler quoique ce soit de son domicile familial porté sur sa carte d'identité, ne révéle pas aux Allemands l'adresse de sa résidence lyonnaise. Je serai épargné grâce à la précaution de mon chef.
Charles DELESTRAINT n'a pas été confronté au cours de ces premiers interrogatoires, ni à GASTALDO qu'il ne reverra pas avant neuf mois, avant la déportation au Struthof, ni à THEOBALD, ni à AUBRY lorsque les résistants arrêtés à Caluire seront amenés à Paris. Il rencontrera cependant André LASSAGNE et Jean MOULIN.
Le Général DELESTRAINT force le respect des officiers et sous-officiers de la Gestapo. Il reste droit, digne, n'a parlé que de ce qui le concerne personnellement, son rang de chef de l'Armée Secrète ne relevant que du général de GAULLE ce dont il est fier, et il le dit. Il dit qu'il est le chef de l'Armée Secrète et c'est tout. Il dit aussi son grade, général de Corps d'Armée de la France Libre. Il refuse de donner la moindre indication sur ses collaborateurs, refuse de parler (12a) ou bien dit: "Messieurs, mon honneur militaire m'interdit de vous répondre"(12b).

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c- Le soir, à Fresnes.

Les prisonniers, après les premiers interrogatoires, sont conduits en voiture cellulaire à Fresnes. Parfois, certains se retrouvent dans la même voiture. C'est ainsi que THEOBALD a pu rencontrer, au début de leur détention, le Général DELESTRAINT; il a pu parler avec lui, lorsqu'ils ont été emmenés à l'anthropo-métrie de la rue des Saussaies, enchainés l'un à l'autre (13). C'est à cette occasion que le Général lui aurait confié ses soupçons sur la culpabilité de Didot (HARDY). Il est vrai que les faits sont troublants: avoir un rendez-vous avec un homme qui n'y vient pas, mais trouver à sa place la police allemande est un évènement qui fait poser des questions, lorsqu'on ne connaît pas et qu'on ne peut pas en connaître les précédents.

11
Se reporter à la 4° partie.
12a
2°procès Hardy.Déposition de H.Meiners du 21.06.48: 136. 11/A.
12b
Homélie du R.P. Riquet, St Louis des Invalides, le 9.11.1989.
13
Les photographies anthropométriques du Général, pratiquées par les services allemands ce jour-là, ont été retrouvées. Lors du départ des services du S.D. de Paris en Août 44, toutes les archives ont été emportées ou brulées, sauf celles de la rue des Saussaies qui furent abandonnées. Pour son incurie, le Befehlshaber de Paris et région parisienne, sis rue des Saussaies, Lt-Colonel NEIFEIND, fut condamné à mort et exécuté. C'est sans doute grâce à cette négligence que ces photos furent récupérées: Se reporter à l'Annexe 5/2.


A Fresnes, les nouvelles se répandent rapidement, soit de bouche à oreille, soit par les tuyaux acoustiques, soit en morse par les tuyaux de chauffage central. Edmond MICHELET (Duval) y est détenu à cette époque, chef de R.5. pour le mouvement "Combat", il est de ceux, fort nombreux, qui comprennent les avantages de l'unicité de la Résistance et de l'Armée Secrète, et acceptent volontiers de voir le commandement assumer par le général Vidal. Il a d'ailleurs tenté de le rencontrer à Lyon, mais c'était au mois de Mars et celui-ci était alors à Londres.
Arrêté, transféré à Fresnes, Edmond MICHELET entend en Juin 1943 passer le message: "Vidal est à Fresnes. Vidal fait dire à Duval qu'il est à Fresnes" (14).

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2°- La villa Boemelburg

Après le premier interrogatoire de cinquante heures avenue Foch, le Général DELESTRAINT reste à FRESNES puis est transféré à la villa du Commandant BOEMELBURG, responsable de l'Amt IV pour l'ensemble de la France. Rappelons que cette villa Boemelburg, réquisitionnée par lui se situe au 40 Boulevard Victor Hugo à Neuilly/Seine. Elle est strictement gardée par des S.S. On y met les prisonniers importants. Etant donné son rang,
Vidal y est installé provisoirement dans une cellule aménagé de la cave; mais son attitude ayant été fort peu coopérative, il n'y restera que quelques semaines et sera renvoyé à Fresnes (15-a). Il est toujours transféré avenue Foch pour les interrogatoires.
D'ailleurs, il n'est pas le seul détenu à se trouver à la villa Boemelburg. Jean MOULIN y sera amené. Il aura une cellule au premier étage. C'est là que le 10 ou 12 Juillet il est présenté au Général DELESTRAINT, en présence d'André LASSAGNE amené de l'Avenue Foch, pour la circonstance. LASSAGNE raconte qu'il est en compagnie du Général DELESTRAINT, lorsque les Allemands les mettent en présence de Jean MOULIN gisant sur une civière, "le visage en bouillie, recouvert de pansements".
A la question de l' agent allemand:
-"Reconnaissez-vous Max en cet homme ?"
-"Non" lance fermement André LASSAGNE.
Et plein de mépris pour l'Allemand, le général répond:
-"Comment voulez-vous que je reconnaisse cet homme dans l'état où il se trouve ?"(16).

L'interprète allemand MEINERS au cours d'un passage au 40 Boulevard Victor Hugo de Neuilly, voit aussi Jean MOULIN dans sa cellule du sous-sol. Il est dans un état si pitoyable qu'il le signale avenue Foch (15-b).

14
I.H.T.P. A.S. II. N°10. Témoignage transmis à Mme Appleton.
15-a
Déposition de l'allemand Meiners: 2°procès Hardy 136 13/A.
16
Témoignage d'André Lassagne, recueilli après guerre par Madame Appleton: I.H.T.P. Fonds A.S. A.II.8. et déposition du 7.4.48.
15-b
Déposition de l'Allemand Meiners: Ibid.


Au cours de cette période, les interrogatoires du Général se poursuivent au 84 Avenue Foch (qui est devenu le 96). Chaque jour, le prisonnier est amené dans les sinistres locaux du B.d.S. de Paris.

Lors de l'instruction des deux procès HARDY, un témoin entendu par le Commandant GONNOT, Juge d'Instruction Militaire, apporta une précision concernant l'interrogatoire du Général DELESTRAINT. Son histoire s'intrique curieusement au drame de l'A.S. et de la délégation.
Il s'agit de Jean SUSSEL qui faisait partie du Mouvement "Combat" de Montpellier, dont le chef régional était P.H.TEITGEN. Jean SUSSEL fut arrêté par la police française le 9 Avril 1943 à Lyon, à la boîte aux lettres du 6 de la rue d'Enghien, secondairement aux arrestations de Mars. Incarcéré à la prison St Paul (où il retrouva MORIN-Forestier, Aubrac et les autres), il fut de ceux qui passèrent devant la Cour française d'exception en Juillet, et fut condamné à 18 mois de Prison, (et 20.000 frs d'amende). Tranféré en Septembre à la prison d' Eysses, il fut bientôt livré au S.D. comme tous les autres condamnés. Envoyé alors à Compiègne, il fut déporté au camp de Dachau.

Là, il rencontre le Général DELESTRAINT; il dépend avec lui du bloc 24. Il se lie d'amitié avec le Général qui lui raconte son arrestation et dit sa conviction qu'un de ses subordonnés l'a trahi. A d'autres déportés, le Général a toujours parlé de René HARDY. Jean SUSSEL dans ses dépositions ne révèle aucun nom et se contente de parler de la dénonciation d'un des collaborateurs de Vidal.

Mais il affirme que le Général lui aurait raconté qu'au cours d'un interrogatoire à Paris ce même membre de l'Etat-Major de l'A.S. a été introduit dans la pièce, et que l'officier du S.D. qui l'interrogeait sortit du tiroir de son bureau une enveloppe qu'il lança "négligemment et dédaigneusement" sur la table, de telle façon qu'elle tombât, tout en disant: "Voici pour vos services". L'ancien collaborateur du Général aurait ramassé l'enveloppe et serait sorti immédiatement.

Monsieur SUSSEL a présenté son témoignage à deux reprises différentes, c'est-à-dire à l'occasion des deux procès Hardy (17).

17
Dépositions de Jean Sussel le 29 Mai 1945, et du 13 Avril 1948. (Instructions des deux procès Hardy).


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3- Le Cas AUBRY.

a- D'après MISSELWITZ.

Mais, un fait alors surprenant intervient le lendemain de l'arrivée à Paris des Résistants arrêtés à Caluire, c'est-à-dire le dimanche 27. Henri AUBRY, d'abord incarcéré à Fresnes est installé à la villa Boemelburg. Il n'en sort que pour les interrogatoires du 84 Avenue Foch. Mais selon l'Oberscharführer MISSELWITZ chargé de l'enquête, et sur son ordre, jamais le général ne rencontrera AUBRY, sur la demande de ce dernier (18).
Cependant, lors des interrogatoires, les réponses, anodines et d'ordre général, que Vidal donne aux questions posées, même ses refus de répondre, sont rapportés à AUBRY; ce dernier se charge de complèter .
Mais la réciproque n'est pas vraie (16). Le Général ne saura pas le rôle qu'a accepté son chef de cabinet. Il le devinera seulement; en Novembre ou en Décembre, il en dira un mot à voix basse à son épouse lors d'une visite: "AUBRY a été libéré, il a dû parler" lui confie-t'il (19).

Selon MISSELWITZ, AUBRY a subi à Lyon, avant de partir pour Paris, un interrogatoire "assez sévère, au cours duquel il a été brutalisé quelque peu", du fait de BARBIE (18). AUBRY déclare à ce dernier avant de partir qu'il est prêt à parler. BARBIE lui promit de le libérer si les renseignents donnés étaient valables mais il n'a pas eu le temps de l'interroger sur le fond. C'est MISSELWITZ qui s'en charge, et qui exploite les dispositions d'AUBRY d'autant plus qu'il en est informé par BARBIE lors de sa venue à Paris le 26 Juin.
Ainsi, MISSELWITZ sort AUBRY de Fresnes, l'installe au second étage de la villa, sans doute les derniers jours de Juin. Il va le soigner. AUBRY après lui avoir exhibé ses bras meurtris par les coups reçus de la part de BARBIE, renouvelle sa décision de révéler "tout" ce qu'il sait, si on ne le frappe pas. Il se présente immédiatement comme "le secrétaire général" de l'Armée Secrète, tenu à se déplacer fréquemment. Il en rendra compte.
Ce sera plus une conversation qu'un véritable interrogatoire.
Mais MISSELWITZ possède une grosse documentation sur l'Armée Secrète, sur son Etat-Major, sur les Mouvements Unis; depuis la saisie des archives en Mars à Lyon qui a donné lieu au rapport du 27 Mai de Kaltenbrunner, le B.D.S.-Paris a été muni de tous les doubles, comme le K.D.S.-Lyon. MISSELWITZ ne s'y retrouve pas. Qu'à cela ne tienne, AUBRY va lui donner un coup de main pour le tri, le classement, le groupement par régions, de toute cette documentation et "la compléter le cas échéant" (20).

18
Déposition de Heinrich Meiners du 15 Juin 1948: second procès Hardy. : 136 9/A.
19
Déposition de Madame Delestraint du 5 Mai 1948: second procès Hardy. : 52 1/A.
20
Déposition de l'Oberscharführer Misselwitz du 11 Avril 1948: second procès Hardy: 137 3/A.


L'Oberscharführer met ensuite AUBRY au travail; puisqu'il a accepté de "tout" révéler, il faut qu'il fournisse une documentation détaillée sur les chefs de la Résistance, sur les services, sur les boîtes aux lettres, sur les résistants qu'AUBRY a pu connaître surtout depuis qu'il exerce ses fonctions auprès du Général. Ce "dossier" comportera 52 pages. A notre connaissance, il n'existe plus; mais à cette époque il servira de référence aux Allemands du S.D. que ce soit à Paris ou en province.
MISSELWITZ affirme qu'au cours et à la suite de ce travail, de nouvelles recherches ont été effectuées dont il ne peut en préciser les résultats, les kommandos locaux n'ayant pas fourni de rapport circonstancié (21).
Une fois ce travail achevé, MISSELWITZ, par la documentaion fournie par AUBRY, peut en établir une synthèse, affirme-t-il, et la transmettre aux différents Kommandos de province. AUBRY donne des précisions sur les effectifs des régions de l'Armée Secrète, sur les Mouvements Unis de la Zone Sud, sur le Comité Central d'Etudes, ce qui intéresse BOEMELBURG, sur le Bloc-Fer et le plan de sabotage, sur le rapprochement entre l'A.S. et l'O.R.A. Enfin, BOEMELBURG envisage de lui faire rédiger des tracts de propagande contre la Résistance, mais il y renonce faute de moyens. Témoignage à prendre avec réserve, comme le suivant:
MISSELWITZ juge AUBRY comme un homme peu intéressant, "capable d'acheter sa liberté au prix d'une trahison". Son interrogatoire terminé en Septembre, il est libéré vers le 20 Novembre 1943 lorsqu'il n'est plus d'aucune utilité. Son dossier n'a jamais été transmis au Tribunal militaire allemand (22).

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b- Qu'en dit Henri AUBRY ? (23-a).
Thomas a été sévèrement brutalisé par BARBIE à Lyon, Raymond Aubrac en témoigne; ces séances persistent jusqu'au mercredi 23 à midi. C'est alors que Jean MOULIN a été emmené Avenue Berthelot et en est revenu pour la première fois mal en point. Les retours de Max du Jeudi et du Vendredi seront encore pires(23-b).
LASSAGNE, LACAZE, SCHWARZFELD, DUGOUJON, Madame RAISIN et lui-même sont emmenés le vendredi 25 Juin au soir à Paris, où le samedi matin ils sont incarcérés à Fresnes. Dès le dimanche, AUBRY est amené Avenue Foch dans le bureau de BOEMELBURG, où il retrouve le nommé "André", ce soit-disant Résistant à qui il a tellement fait confiance qu'il l'a nommé de sa propre autorité "inspecteur de l'A.S." !, sans en référer à Vidal, mais à Henri FRENAY. Ce nommé "André" apparait être au moins un V.Mann. Son identité n'a jamais pu être véritablement établie. AUBRY aurait été interrogé par lui plusieurs fois, ensuite par MISSELWITZ, puis par un agent du K.D.S. de Limoges, enfin par un Commandant du B.D.S. de Paris.

21
Déposition de Misselwitz: Instruction du second procès Hardy: 137. 3/A.
22
Dépositions de Misselwitz: 137. 3/A et 5/A.
23-a
D'après les propres dépositions d'Aubry et notamment celle du 4 Mai 1948: 11. 5/A.
23-b
Interwiews du Dr Dugoujon des 18.04.89 et 26.05.92.


Henri AUBRY situe son transfert à Neuilly fin Juillet, et il affirme y avoir été confronté au général DELESTRAINT à plusieurs reprises. A cette occasion, il dit s'être présenté à l'Allemand comme le Secrétaire de Vidal (24), ce qui correspond mieux à la vérité, le chef de cabinet pouvant être vu comme un "super-secrétaire".
AUBRY ne veut pas endosser la responsabilité de la constitution du dossier de 52 pages par ses interrogatoires, mais prétend qu'il serait constitué par les documents trouvés chez Madame RAISIN ou chez lui.
Nous aurons à reparler de ce dossier lorsque les prisonniers seront présentés devant le Tribunal militaire allemand.
Il affirme avoir déformé les renseignements donnés à MISSELWITZ lors de l'établissement du dossier. Il a feint d'accepter de collaborer à la rédaction des tracts ou du journal clandestin, mais certifie que la parution de cette feuille n'a jamais eu lieu. Il reconnaît n'avoir pas comparu devant le tribunal allemand mais avoir été interrogé par trois personnes se disant du tribunal. Il reconnaîtt que MISSELWITZ s'est toujours montré correct. Enfin, il prétend que s'il a fourni des renseignements aux Allemands, aucune des personnes signalées n'a été arrêtée, et il prend en exemple FRENAY, BAUMEL, MALACRIDA, BOURDET, de "Combat" (25).

Les "recherches" à la suite des déclarations d'AUBRY ne furent pas toutes vaines. Si celles qui m'ont concerné n'aboutirent pas à mon arrestation, certains d'entre nous n'ont malheureusement pas eu ma chance. Il apparaît très probable qu'au moins l'arrestation de Jacques METIVIER, le 15 Juillet, puis celle du général DESMAZES, le 24, aient été les conséquences de ces recherches. Tout au moins, André LASSAGNE était-il convaincu à son retour de déportation que Thomas "persuadé que les Allemands savaient tout s'est mis à table carrément" (26). Il ne pense pas pourtant qu'il ait donné des camarades qui n'étaient pas arrêtés.
Certes, et c'est humain, AUBRY a essayé de se disculper en partie. Il a parlé de tortures subies à Paris et surtout il insiste sur la présence du nommé "André" qui l'a interrogé "très activement", notamment sur BAUMEL (27). S'il a été très maltraité par BARBIE, on ne retrouve pas de témoignages confirmant de tels actes à Paris sur la personne d'AUBRY. Personne ne parle du mystérieux "André" avenue Foch. Si AUBRY parle de la correction de MISSELWITZ, celui-ci affirme qu'AUBRY n'est passé qu'entre ses mains et celles de l'interprète MEINERS.

24
Henri Aubry, lors de la première déposition devant le juge d'instruction militaire, Gonnot, le 23 Mars 1948, se présente à lui comme le chef d'E.M. de l'A.S., alors qu'il est chef de cabinet de Vidal, et que le chef d'E.M. est le Cdt Gastaldo.
25
Confrontation d'AUBRY et de MISSELWITZ: 137 5/A.
26
Lettre d'André Lassagne à Madame Sachs du 5 Janvier 45. Second procès Hardy. 82. 7/A. Lassagne ne croyait pas qu'il ait donné des camarades qui n'étaient pas arrêtés.
27
Déposition d'Henri Aubry: second procès Hardy. 11 5/A. 4.05.48


AUBRY, sachant que son transfert immédiat à Neuilly est mal vu de ses camarades, déclare qu'il n'y a été installé que fin Juillet, ce qui ne correspond pas aux autres témoignages. Ce n'est pas seulement MISSELWITZ qui affirme que dès le dimanche 27 Juin il était à la villa Boemelburg, mais André LASSAGNE écrit qu'il a "quitté Fresnes immédiatement pour une résidence spéciale".
En ce qui concerne sa relaxation, il refuse de la situer vers le 20 Novembre 1943, pour la fixer le 12 Décembre.

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4°- Et les autres détenus ...

Au fur et à mesure des contacts minimes qu'ils peuvent avoir entre eux, qu'il s'agisse des Résistants arrêtés à Paris ou à Caluire, ils voient tous en René HARDY le responsable de leur arrestation. DELESTRAINT, GASTALDO et THEOBALD avaient rendez-vous avec Didot à Paris; ils y ont trouvé la Gestapo. LASSAGNE a vu le jeu pour le moins suspect du responsable de Résistance-Fer à la "ficelle" Croix-Paquet et à Caluire.

Le 3 Juin 1948, le Colonel GASTALDO, lors de l'instruction du second procès HARDY, précise à un commissaire de la D.S.T. à Constantine qu'en Septembre 1943, à Fresnes, à l'occasion de la venue à Fresnes du juge ROSKHOTEN du Tribunal militaire allemand, il a pu entrer en rapport avec le Colonel LACAZE, le Colonel SCHWARZFELD, André LASSAGNE, le docteur DUGOUJON et madame RAISIN, secrétaire d'AUBRY. Il affirme que toutes ces personnes, informées comme elles pouvaient l'être alors, étaient fermement convaincues de la responsabilité de HARDY quant à leur arrestation" (28)
Sur le même document, le Colonel GASTALDO précise qu'il n'a pas pu communiquer avec le général Vidal depuis le jour de leur arrestation jusqu'au 9 Mars 1944, lors de leur transfert au camp du Struthof. Ils restèrent ensemble jusqu'au 20 Juillet de la même année. Au cours de cette période, le Général lui répéta maintes fois à lui comme à André LASSAGNE et au docteur LAVOUE de Rennes, déportés avec eux, les relations de son arrestation et sa conviction de voir le seul responsable en HARDY. GASTALDO ajoute que DELESTRAINT n'a jamais apporté "d'autres précisions pour justifier son accusation que celles de son arrestation ".(29).
Le Général s'est confié à nombre de Résistants déportés au Struthof ou à Dachau qui ont rapporté des propos toujours identiques.
Cependant il apparait certain que tous les Résistants arrêtés, et particulièrement le Général DELESTRAINT, ignoraient tous les détails de la rue Bouteille et ceux de l'arrestation de René HARDY. Par GASTALDO, ils connaissaient seulement le contenu du fameux télégramme du K.D.S.-Lyon reçu par le B.D.S.-Paris le 11 Juin à 6 heures du matin, montré à GASTALDO.

28
Commission rogatoire du 3 Juin 48 concernant le Cl Gastaldo: second procès Hardy: 68 2/A. p.8.
29
Commission rogatoire concernant le Cl Gastaldo: ibid. p.7.


La simple annonce de l'interpellation de Chalon pouvait suffire à conforter les victimes de La Muette et de La Rue de la Pompe dans leur conviction de voir en René HARDY le seul responsable de leur propre arrestation.
Mais ils ignoraient tout de la présence de MOOG et de MULTON dans le train se rendant à Paris pour être à La Muette le 9 Juin à 9 heures, du retour à Lyon de Didot le 10 Juin, de son interrogatoire par BARBIE postérieur à l'interpellation du général.

Ainsi, au moins jusqu'au second procès HARDY, les Résistants arrêtés à Paris ou à Caluire ne dissocièrent pas totalement les causes des deux évènements. Et comment auraient-ils pu le faire ? Par exemple, étaient-ils persuadés que le message donnant le rendez-vous à HARDY avait été transmis en code, ce qui s'est révélé inexact (30). Comment soupçonner qu'il avait pu être transmis en clair ? D'ailleurs, il a fallu attendre la synthèse que l'instruction du second procès HARDY a fournie pour entrevoir le déroulement des faits et leurs conséquences.

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5°- La vie de détenu du Général DELESTRAINT.

a- entre Fresnes et Neuilly.
Le Général organise sa vie. Tout d'abord, il fixe son système de défense ou plutôt les réponses aux interrogatoires. Il ne peut plus nier son identité puisque ses véritables papiers ont été trouvés sur lui. Pendant les cinquante premières heures, il n'a rien voulu reconnaître. Ensuite, il ne conteste pas son propre rôle en relativisant la portée de son action, et surtout il couvre ses subordonnés, surtout à partir du 26 Juin lorsqu'il apprend que ses amis arrêtés à Caluire ont été amenés à Paris. Il minimise leur responsabilité et nie fermement connaître certains d'entre eux. C'est d'ailleurs vrai en ce qui concerne le Docteur DUGOUJON; pour le Colonel LACAZE, père de sept enfants, à force de nier il parviendra, avec ses amis, à convaincre les Allemands de son "innocence". Mais, comme il reconnaîtt être le chef de l'Armée Secrète et dépendre directement du Général de GAULLE, il est envoyé à Neuilly/Seine assez rapidement comme prisonnier de marque et y reste pendant plusieurs semaines.
Il n'a pas été possible d'établir avec certitude la date du retour à Fresnes du Général DELESTRAINT. Les nouvelles se propagent rapidement et sa présence est rapidement accueillie de toutes parts avec joie et respect. Un soir de Juillet, François FAURE, ancien officier de chars (du 14°B.C.C.), agent de la France Libre arrêté en Mai 1942 et détenu à Fresnes, entend par les tuyaux acoustiques une voix qu'il reconnait bien:
"Ici, un officier français d'un grade élevé". Puis chaque matin et chaque soir, cette voix redonne à tous courage et espérance (31).

30
Lettre du Colonel Gastaldo au Commandant Gonnot du Trib.milit. perm. de Paris. du 21.06.48: 68. 3/A.
31
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Paris Presses de la Cité. 1972. 180 pages. p. 144-145.


Le Général DELESTRAINT occupe la cellule 101 au deuxième étage. Il a un régime de faveur relative, un fauteuil, une glace pendue au mur. Et, mesure extraordinaire, Madame DELESTRAINT a l'autorisation exceptionnelle de lui rendre visite. C'est ainsi que le Général peut voir et embrasser entre les barreaux son petit fils, alors tout jeune. Le Général racontera plus tard à ses amis déportés cet épisode en ajoutant:
"Sa mère a voulu qu'il vît son grand-père derrière des barreaux, pour qu'il garde toujours cette image"(32).
C'est vrai, la personne du Général DELESTRAINT induit le respect, par son attitude, par son regard qui interpelle toujours celui qu'il dévisage. De même que les militaires allemands, les agents du S.D. étaient sensibles à ce comportement empreint de noblesse; ils avaient pour lui une certaine considération.

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b-Une scène bien étrange.
Un membre du B.d.S. s'est manifesté de façon particulière; il s'agit de Heinrich MEINERS dont il a été déjà question; cet ancien commissaire de police, nommé chef de l'Amt 5 de St-Quentin (Kriminalpolizei), est affecté en Juillet 1943 à Paris en tant qu'interprète au B.d.S. C'est à ce titre qu'il participe à l'interrogatoire du Général DELESTRAINT, se montre déférent envers lui, à tel point que le Général en arrive à échanger. Un homme étrange intervient auprès de MEINERS; il s'agit d'un nommé Pierre Archibald COMBES, se disant membre de la L.V.F.*, ce qui s'est avéré faux, et qui en multipliant ses visites à MEINERS est arrivé à connaître certaines affaires traitées par le B.d.S.
Selon MEINERS, le Général lui parle d'un de ses anciens subordonnés, capitaine de chars, Pierre CATHALA devenu en Novembre 1942 ministre de l'Economie et des Finances du gouvernement de Vichy. Le Général aimerait que quelqu'un puisse entrer en contact avec lui afin que le ministre puisse intervenir en sa faveur.
MEINERS apprend que MrPierre COMBES est fonctionnaire du ministère des Finances. Celui-ci accepte d'obtenir un rendez-vous auprès de Pierre CATHALA lors d'un de ses séjours parisiens. Le ministre accepte et reçoit Mr Pierre COMBES accompagné de MEINERS. L'Allemand prend la parole et fait part de la requête du Général DELESTRAINT: le ministre peut-il tenter une démarche en faveur de son ancien chef. CATHALA se lève et affirme d'une voix ferme qu'il ne peut ni ne veut rien faire pour le Général DELESTRAINT. Alors MEINERS propose d'organiser une rencontre discrète au 96 Avenue Foch** entre le ministre et son ancien général. Pierre CATHALA refuse fermement. Les deux visiteurs se lèvent, ils vont sortir. A la porte, CATHALA, en allemand, s'adresse à MEINERS pour lui demander une faveur: peut-il lui donner des nouvelles d'un de ses directeurs du ministère arrété par les Allemands ?. MEINERS refuse à son tour; il ne peut rien faire (33).

*
L.V.F: Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme.
**
Un changement de numérotation intervint en 1943: le 84 devint le 96 Avenue Foch.
32
Perrette, Jean-François. Ibid. p. 146.
33
Déposition d'Heinrich Meiners devant le Commandant Gonnot, le 21 juin 1948: instruction du second procès Hardy: 136. 11/A.


Scène étrange et paradoxale qui ne peut pas être inventée: un officier allemand du B.d.S. de Paris se présente à un ministre français pour solliciter l'intervention de celui-ci en faveur de son ancien supérieur détenu par les Allemands, et le ministre refuse fermement, ne peut ni ne veut intervenir, mais n'en demande pas moins à son tour une faveur pour un de ses subordonnés. Cette réaction s'explique par la préférence qu'a un ministre de Vichy à s'aplatir devant l'Allemand plutôt que d'intervenir courageusement en faveur d'un Résistant; autre explication: la panique d'être compromis et de perdre son portefeuille en défendant un général français, vu par les Vichystes comme un rebelle au Maréchal, voire un terroriste. Une scène comparable avec le Général DELMOTTE, adjoint du ministre de la guerre de Vichy, le Général BRIDOUX, a déjà illustré cette mentalité.
Décidemment un profond fossé sépare deux catégories de Français.

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c- L'attitude du chrétien.

Le comportement plus que la pratique révèle le chrétien. Depuis son arrivée à Fresnes le Général est parvenu à multiplier les contacts. Il essaye d'abord d' avoir des relations humaines avec ses geôliers. Tous, parmi eux ne sont pas des brutes. Il existe un homme extraordinaire, un Feldwebel* plus que compréhensif. Il apporte son aide aux détenus dans la mesure de ses possibilités. Ce sous-officier allemand du nom de GHIEL est un fervent chrétien.
Il est responsable de la deuxième division. C'est ce Feldwebel qui informe le Général qu'un Père jésuite est incarcéré à Fresnes dans la même section que lui, il s'agit du R.P. RIQUET. GHIEL a décidé de lui-même de transformer une cellule de la prison de Fresnes en chapelle. Il prend le risque, énorme, d'aller chercher dans leur cellule une bonne douzaine de détenus, au secret, désirant participer à l'office du dimanche (34), dont le Général DELESTRAINT qui sert la messe. Auparavant GHIEL fait raser la barbe du père RIQUET dans sa cellule et le Général a l'autorisation d'aller le rejoindre. Pendant que le barbier officie, le Général et le Père jésuite peuvent s'entretenir en toute liberté (35). DELESTRAINT lui donne des conseils sur l'attitude à observer au cours de l'interrogatoire tant redouté. Sa confiance et sa sérénité aident tous ceux qui l'approchent.
Leur conversation s'élève sur un plan spirituel. Ils se découvrent l'un l'autre. Ils s'entraident. Mais le Père RIQUET se souviendra toujours de ce que le Général lui a apporté pendant les six semaines qu'il a passées à Fresnes, au cours desquelles il le voyait arriver chaque dimanche (35). Ils se retrouveront à Dachau.

*
Feldwebel: Adjudant.
34
Homélie du R.P. Riquet à St-Louis des Invalides, le 9 Novembre 1989, à l'occasion des cérémonies d'entrée du nom du général au Panthéon.
35
Lettre personnelle du R.P. Riquet, datée du 16 Novembre 1990.


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B- LE TRIBUNAL MILITAIRE ALLEMAND DU GRAND PARIS

1° L'instruction du procès à Fresnes.

C'est en Septembre que le capitaine allemand ROSKOTHEN, juge près le Tribunal militaire allemand de Paris, se rend à Fresnes pour interroger les prévenus. Il a été dit préalablement que le tribunal militaire a moins de pouvoir que le Sipo-S.D., que ses décisions sont sujettes à révision de la part du B.d.S., qu'il est d'ailleurs peu aidé par celui-ci qui ne lui transmet ni les dossiers dans leur totalité, ni les conclusions de son enquête. Lorsque le 7 Décembre 1941, a été signé et est entré en vigueur le décret "Nacht und Nebel" (Nuit et Brouillard), les inculpés qui relèvent de cette juridiction dans les pays occupés de l'ouest en particulier ne doivent plus avoir aucun contact avec leur famille ou leur pays d'origine. Les Tribunaux Militaires qui se chargent de ces détenus sont pratiquemment déssaisis et n'ont plus qu'un rôle de chambres d'accusation. Ils renvoient les prévenus devant le Tribunal du Peuple en Allemagne, le Volksgerichtshof, seul compétent désormais pour juger les "N.N.". La condamnation à la peine capitale est le verdict classique sinon constant.
Deux tribunaux du peuple pour l'Occident ont été créés: celui de Cologne puis celui de Breslau. C'est devant le Tribunal du Peuple de Breslau, que le général DELESTRAINT "et comparses" sont renvoyés. Le rôle, les moyens et les décisions du "Gericht Kommandant von Gross-Paris" sont fort réduits. Cependant il existe des éléments essentiels dont pourra se servir le juge d'instruction. Ainsi utilisera-t-il pour l'affaire en cours le fameux rapport de 52 pages, fruit des interrogatoires d'Henri AUBRY, et certains rapports du S.D.

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a-Qui est le Capitaine allemand ROSKOTHEN ?

Le Capitaine Ernst ROSKOTHEN était conseiller à la Cour d'Appel d'Essen. Mobilisé, il devient de 1941 à 1944 conseiller au Tribunal Militaire Allemand du Commandement du Grand Paris, Section B, 11 et 11bis rue Boissy d'Anglas, (8°) où il a exercé alternativement les fonctions de Juge d'Instruction (Examinator) et de Président(36-a). Nous avons sur lui un jugement favorable, digne de foi puisqu'il provient d'André LASSAGNE: "Un type digne", écrit-il en Janvier 1946 (36-b). Effectivement c'est grâce en grande partie à lui que le docteur DUGOUJON et le colonel LACAZE ont été libérés, et qu'ont été retardés les renvois devant le Tribunal du Peuple de Breslau (ce qui équivalait à autant d'exécutions) de DELESTRAINT, GASTALDO et LASSAGNE qui s'étaient chargés de toutes les responsabilités pour sauver ceux qui pouvaient l'être. Certains n'ont pas partagé l'avis favorable d'André LASSAGNE et après guerre voulaient voir ROSKOTHEN poursuivi en justice comme tout criminel de guerre (37).

36-a
Déposition de Roskothen, 29.06.48: second procès Hardy: 139.
36-b
Lettre d'André Lassagne à Mme Antoinette Sachs le 5 Janvier 46 A.N. Z.6. 244 N°2919.
37
Lettre de Mr Guidollet ancien président du Comité départental de Hte-Savoie à Mr Beuve-Mery directeur du Monde le 8.11.49.


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b- Les interrogatoires

Entamée à Fresnes, l'instruction concerne aussi bien les membres de l'Armée Secrète que les chefs de l'O.R.A arrêtés aussi au cours de ce fatal mois de Juin (38). A Fresnes le juge ROSKOTHEN voit tout le monde, mais classe les prévenus en deux catégories ( A.S. d'une part, O.R.A. de l'autre).
Ce ne peut être qu' à cette époque -en Septembre- que se situe l'épisode rapporté par le Cdt PERRETTE dans son livre:
A Fresnes, sortant du cabinet du juge d'instruction, donc de ROSKOTHEN, le Général DELESTRAINT se trouve face à face avec le Général FRERE. Avant que les gardiens puissent intervenir, les deux hommes tombent dans les bras l'un de l'autre, sans prononcer un mot (39).
Le juge ROSKOTHEN voit les inculpés par ordre alphabétique et prend des notes manuscrites, sur deux feuillets, l'un pour l'A.S. de GAULLE-dix inculpés, l'autre pour l'O.R.A. GIRAUD-six inculpés. Ces notes ont été récupérées parmi d'autres, sans doute rue Boissy d'Anglas au départ des Allemands. Elles sont d' un intêret majeur, bien qu'ils soient difficilement lisibles (40). En essayant de les déchiffrer et de traduire on parvient à comprendre approximativement et partiellement ce que peut connaître le juge d'instruction sur son prévenu. Ultérieurement, il a surajouté à ses notes, pour chacun, une lettre, en gros caractère, qui détermine le chef d'accusation et sa destination: F: (Feindbegünstigung): aide à l'ennemi. E: (Einstellung): Suspension de procédure. S: (Spionage) Espionnage. StVE: ([durch] Strafverfügung erledigt): sanction à régler (par le S.D.).

- Les membres de l'Armée Secrète sont donc au nombre de dix:
Le Général DELESTRAINT; le Docteur DUGOUJON pris avec les autres, le Commandant GASTALDO; le Colonel LACAZE, André LASSAGNE, Mme MELLA, Melle OLIVIER, Mme RAISIN, le Colonel SCHWARZFELD; et THEOBALD qui garde sa fausse identité: Jean-Jacques Terrier. AUBRY ne partage pas le sort de ses camarades, il sera bientôt libéré, mais son nom figure à chaque case, puisque le juge ROSKOTHEN fait référence à son dossier, suite aux interrogatoires du S.D.
- Les officiers de l'O.R.A. sont au nombre de cinq: le Colonel BONOTAUX, les généraux FRERE, GRANDSARD,, GILLIOT, OLLERIS.
Un sixième, un certain Lt-Colonel de BUISSON n'a pas pu être situé.

38 Les généraux Frère, Olleris et Gilliot étaient interpellés depuis le 13 Juin, sans aucun motif sérieux précis, lorsque le Colonel Bonotaux fut arrêté par la Gestapo à sa descente d'avion, venant d'Alger avec une lettre en clair du Général Giraud, instituant le Général Frère chef de la Résistance de l'Armée. La condition des trois généraux se transforma alors: de Dainville, Colonel A. L'O.R.A. Paris Lavauzelle. 1974. 307 pages. p. 145-146.
39
Perrette, Jean-François. Op.Cit. p.146.
40
Les notes manuscrites de Roskothen: A.N.: AJ. 40 1503/17. Voir en Annexes 5/3 et 5/4, les textes difficilement déchiffrables et la traduction du premier texte, celui des membres de l'A.S.


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2° La Comparution devant le Tribunal Militaire Allemand.

Si les témoins survivants ne peuvent apporter que bien peu de renseignements sur cette présentation, il est possible cependant de retrouver ces faits, la chronologie des évènements grâce aux dépositions aux procès, grâce à certains documents retrouvés aux Archives Nationales.

Nos amis de l'A.S., DELESTRAINT, GASTALDO, André LASSAGNE, SCHWARZFELD, LACAZE, OLIVIER, RAISIN, MELLA, THEOBALD, DUGOUJON (41) se sont retrouvés lors des interrogatoires du mois de Septembre dans les salles d'attente du Tribunal allemand dans l'enceinte même de la prison de Fresnes.
Ils ont pu un peu échanger entre eux. Ces instants privilégiés ont d'abord été consacrés à confonter leur point de vue sur le responsable des évènements de La Muette et de Caluire. Nous l'avons dit, HARDY est désigné (42) (beaucoup ne le connaissent que sous le nom de Didot). Mais rapidement, il faut décider de l'attitude commune à adopter au cours des interrogatoires: DELESTRAINT, GASTALDO et LASSAGNE ont décidé d'assumer toutes les responsabilités et de dégager celles de DUGOUJON, ce qui est fort simple puisqu'il n'était au courant de rien, mais aussi celle de LACAZE, qui est censé n'avoir joué aucun rôle en tant que chef du 4° Bureau, et affirme à tous les Allemands n'être venu à Caluire que pour faire part de son renoncement à des fonctions qu'il n'avait jamais assumées. On essayera aussi d'innocenter les secrétaires, mesdames MELLA, RAISIN et OLIVIER.

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a- L'audience du 24 Octobre 1943.

Le Tribunal Militaire Commandant le Grand Paris est présidé par le juge ROSKOTHEN, la greffière-secrétaire est Frau Em. CLAES.
Sont amenés les inculpés: DUGOUJON, GASTALDO. LACAZE. LASSAGNE. MELLA. OLIVIER. RAISIN. SCHWARZFELD. TERRIER.
DELESTRAINT n'a pas été comparu à cette audience.
André LASSAGNE prend la parole pour innocenter totalement le Docteur DUGOUJON.
SCHWARZFELD affirme qu'il s'est rendu chez le docteur DUGOUJON pour faire soigner sa prostate.

41
Donc Delestraint compris, trois absents: Bruno Larat reste ce jour à Fresnes; il ne sera entendu que le 1° décembre; il sera déporté à Buchenwald et ne reviendra pas. Henri Aubry, dont le traitement est spécial, n'ira au tribunal que pour son témoignage du 27 Novembre et sera relâché le 12 Décembre.
42
Dépositions du Cdt Gastaldo: 2° procès Hardy: 68 2/A. p.8. d'André Lassagne: 82 3/A; du Cl Lacaze: 78 6/A.


GASTALDO cherche à innocenter le plus grand nombre d'inculpés c'est-à-dire, non seulement DUGOUJON et LACAZE, mais il prétend ne pas connaître ni SCHWARZFELD, ni mesdames MELLA, OLIVIER, RAISIN, quant à TERRIER (Théobald), c'est la première fois qu'il le vit lorsqu'il vint le chercher à la gare.
LACAZE s'en tient à ses précédentes déclarations. Il ne sait pas pourquoi on a pensé à lui pour ce poste auquel il voulait renoncer d'ailleurs.
DUGOUJON nie sa participation à l'affaire. Il a prêté sa maison croyant qu'il s'agissait d'une question de prisonniers de guerre. Le pistolet trouvé chez lui appartenait à son frère, officier; il ne sait pas se servir d'une arme, n'ayant jamais fait son service militaire.
Dès après sa déposition, le docteur DUGOUJON est informé que son sort serait amélioré.
THEOBALD (Terrier) déclare qu'il n'a jamais voulu faire de la Résistance, mais échapper au Service du Travail Obligatoire, et qu'on lui a proposé une fausse identité s'il rendait des services, comme celui rendu en accompagnant un inconnu.
Mme MELLA n'ajoute rien; elle ne sait rien.
Melle OLIVIER reconnaît avoir apporté des tracts gaullistes, et avoir voulu travailler contre l'Allemagne.
Mme RAISIN connaît VIDAL, GASTALDO, LASSAGNE; elle ne connaît pas DUGOUJON, LACAZE, MELLA, OLIVIER, SCHWARZFELD, TERRIER.

Des améliorations des conditions de vie, en plus du permis de fumer, sont accordés à DUGOUJON et TERRIER (43).

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b- L'audience du 27 Novembre.

L'audience de ce Samedi 27 Novembre est consacrée à l'audition d'Henri AUBRY. Il n'est pas interrogé sur ses propres activités, mais sur celles de ses compagnons de l'A.S.; plus tard, il dira que cette comparution devant le Tribunal Militaire lui aurait valu une condamnation à mort (44). Cette assertion est plus que contestable, puisqu'il ne figure pas au nombre des prévenus; il donne simplement son avis sur ses compagnons, qu'il défend d'ailleurs tous. Le juge ROSKOTHEN lui demande seulement ce qu'il pense de la défense de chacun. Pour DELESTRAINT, il expose pour le disculper en partie une version curieuse qui n'est pas dénuée d'habileté. Il le présente comme un fasciste, un antirépublicain qui serait en prison s'il s'était trouvé en Afrique du Nord, presque pro-allemand. Il en profite pour affirmer que le véritable chef est FRENAY (45).

43
Compte-Rendu de l'audience du 24.10. 1943: A.N.: 40.AJ/1500. et sa traduction. Se reporter aux Annexes 5/6, 5/7.
44
Déposition d'Aubry: premier procès Hardy: A.N.:Z6. 244. N°2919. 74/3. (interrogé par le commissaire Jouhanneau).
45
Compte-rendu de l'audience du 27.11.1943: A.N.: 40.AJ/1500, et sa traduction. Se reporter aux Annexes 5/8 et 5/9.
Au cours des recherches, la découverte des papiers sur lesquels le juge ROSKOTHEN écrivait quelques notes pendant qu'AUBRY parlait est d' un réel intérêt; AUBRY parlait bien entendu en français.
ROSKOTHEN comprenant notre langue, prenait ses notes également en français. On retrouve les points forts des déclarations d'AUBRY, notamment sur DELESTRAINT, en ne manquant pas d'affirmer que le vrai chef pour lui est FRENAY (46).


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c- L'audience du 1° Décembre 1943.

Le Général DELESTRAINT, sur la demande du juge-président ROSKOTHEN affirme que LACAZE a refusé de prendre le commandement du 4° Bureau de son E.M., du fait de sa nombreuse famille. Terrier ne l'a jamais vu et n'a jamais entendu parler de lui.
Quant à ce dernier, THEOBALD (Terrier), il réaffirme qu'il voulait éviter le travail obligatoire en Allemagne, qu'il ignorait tout de la Résistance.
Enfin, Bruno LARAT (Xavier).. Il défend aussi LACAZE qui hésitait à prendre le poste de 4° Bureau. Il a été interrogé à Lyon, la dernière fois le 18 Juillet. On l'a oublié. Il demande à être jugé. Il dit être volontaire pour le S.T.O. (47).
A la suite de toutes les auditions le juge ROSKOTHEN décide déjà des chefs d'inculpation à appliquer aux différents prévenus et inscrit les noms sur un feuillet, selon son habitude (48).
DELESTRAINT, GASTALDO, LASSAGNE, OLIVIER, RAISIN, SCHWARZFELD sont inculpés;
DUGOUJON, LACAZE, MELLA seront libérés.
Quant à Terrier son sort dépend du S.D. (Strafverfügung erledicht).

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d- Les Actes Manuscrits. (Handakten)

Le Président-Juge ROSKOTHEN peut adresser l'acte d'accusation, les actes manuscrits officiels au Procureur Général près le Tribunal du Peuple pour affaire pénale contre:
DELESTRAINT Charles, Général de div.
BONOTAUX Emile Lt-Colonel
GASTALDO Joseph, Capitaine
FRERE Hubert, Gén. d'Armée
LASSAGNE André, Profes. de langues.
GRANSARD Charles, Gén. C.A.
SCHWARZFELD Emile, Ingénieur.
GILLIOT Auguste, Gén. Brig.
OLIVIER Suzanne, Secrétaire.
OLLERIS Pierre, Gén. Brig.
RAISIN Madeleine, née Larousse.
pour intelligence avec l'ennemi (49).

46
Notes manuscrites de Roskothen pendant l'audience du 27.11.43 Se reporter à l'Annexe 5/10, (avec la transcription).
47
C.R. de l'audience du 1°.12.43.: A.N.: 40 AJ/1500, et sa traduction. Se reporter aux Annexes 5/11 et 5/12. 48
Notes manuscrites de Roskothen en fin d'audience du 1°.12.43 A.N.: 4O AJ/1500. Se reporter à l'Annexe 5/13.
49
Handakten: A.N.: 40 AJ/1500. Se reporter à l'Annexe 5/14.


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3° L'attente à Fresnes

Les inculpés sont destinés à être présentés au Tribunal du Peuple de Breslau, dont le verdict ne fait d'ores et déjà aucun doute. Le transfert se fera à une date encore indéterminée. Ils doivent réintégrer leur cellule de la prison de Fresnes.

Le Général DELESTRAINT y restera encore plus de deux mois. Il y aura une très grande satisfaction, celle de partager sa cellule pendant plus d'un mois avec André LASSAGNE, cet homme dont la profondeur ne limitait en aucune façon les liens humains qu'il prodiguait à ses amis.
"LASSAGNE, a dit le Général GILLIOT, c'était l'intelligence, le dynamisme, la loyauté, la fidélité dans l'amitié et le courage dans la gaieté" (50). Il est difficile de définir mieux l'homme qu'était ce Professur agrégé d'Université, cet homme qui ne pouvait pas subir ou laisser subir ni l'injustice, ni le joug de l'oppresseur.
Le Général DELESTRAINT et LASSAGNE se connaissent depuis le début de 1943; ils s'estiment mutuellement. Ils parlent pendant des heures entières, de leur combat, de leurs espoirs, de leur espérance de chrétien. La déportation les séparera; pourtant ils se retrouveront au Struthof; mais André LASSAGNE sera un de ceux qui au retour de sa captivité ressentira le vide qu'engendre la disparition de Charles DELESTRAINT.
Dans la lettre à Madame SACHS, écrite le 5 Janvier 1945, d'Hauteville où il vient d'être opéré, André LASSAGNE se souvient de cette période où ils partageaient la même cellule: "La vie en compagnie du Général DELESTRAINT dans une cellule de Fresnes m'a permis de voir les choses sous un jour singulier"(51).

Dans une cellule voisine, un autre féal, le Commandant GASTALDO, qui aurait bien aimé lui aussi partager ces échanges, en ces mois où la mort semble être inéluctablement au bout de l'attente. GASTALDO réussit le tour de force de pouvoir écrire, grâce à la complicité de son épouse qui lui fait passer des mines de crayon dans des ourlets de mouchoirs. Les marges de journaux seront les rames de papier. Joseph GASTALDO, l'homme actif, impétueux, est prisonnier. Alors, il écrit des poèmes. Après la guerre, il fera éditer ses "Chants de la Mort et de l'Espoir"(52), dont certains accents, un demi-siècle plus tard, nous bouleversent encore. Une pièce de théâtre, "l'Armée Secrète", aurait été aussi écrite par lui dans ces mêmes conditions.

Des hommes à la mesure de l'adversité et de l'espérance...

50
Gilliot, Général Auguste. Le Déporté in André Lassagne, Plaquette à sa mémoire. Lyon. Audin. 1953. (non paginée)
51
Lettre à Madame Sachs. Dossier André Lassagne: second procès Hardy: 82 7/A.
52
Gastaldo, Colonel. Chants de la Mort et de l'Espoir. Saarbrück Saarländische Verlagsanstalt und Druckerei. 66 pages.


Le Général pourra entrer en contact avec Jean-Louis THEOBALD, à qui aussi il apportera réconfort et confiance. Le jour où, toujours sous le nom de Terrier, il part pour Compiègne et la déportation, le Général peut lui adresser par un message sa bénédiction (53).

C'est au cours de cette période que se déroule un fait que d'autres pourraient juger banal, quotidien à la prison de Fresnes. Le simple témoignage d'un homme, alors tout jeune, arrêté récemment par les agents ds Sipo-S.D. parisien. Il a déjà subi plusieurs interrogatoires, que l'on qualifierait aujourd'hui de musclés. Après le dernier de la série, au début de Mars, c'est vers 7 heures du matin que ce jour-là on le ramène à Fresnes, pantelant, en très mauvais état, roué de coups, la figure tuméfiée, la mâchoire meurtrie, plusieurs dents cassées. On l'introduit dans une cellule du rez-de-chaussée. Il s'effondre. Plusieurs détenus sont là qui somnolent. Ils sont cinq. Ils vont partir très bientôt pour Compiègne. C'est pourquoi les a-t-on réunis. L'un d'eux se lève, s'approche du jeune homme, essuye les plaies du visage avec un peu d'eau, lui parle, le réconforte.
Il lui parle ainsi plusieurs heures sachant que le jeune homme peut difficilement ouvrir la bouche; il lui dit qui il est, le chef de l'Armée Secrète, il lui dit que la victoire est proche, qu'il sera libéré, qu'il faut tenir.
Le jeune peut maintenant répondre à ses questions, raconter son arrestation, les tortures subies. Charles DELESTRAINT lui parle de sa famille, de sa fille, Noëlla (Bibiane); il parle toujours "d'une façon sereine, car il se dégage de lui une volonté farouche, la certitude de la victoire finale prochaine". GASTALDO est là aussi; il parle du très prochain départ pour la déportation. Tous désignent le responsable des arrestations: Didot. Vers onze du matin, on vient chercher le jeune homme pour le mener à l'infirmerie. Il n'a plus revu ni le Général ni ses compagnons; il a appris qu'ils étaient partis, sans savoir où (54).

Tous les témoignages ne sont pas encore parvenus à l'historien et nombre d'entre eux ne lui parviendront sans doute jamais. Ceux, qui même tardivement apportent leurs révélations de souffrances, de solidarité, d'abnégation, d'espérance étonnent encore.

Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance... Charles Péguy.

53
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Op.Cit. p.140
54
Lettre personnelle de Monsieur Paul de Ronne, de Créteil; en date du 10.11.1989.


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II- LA DEPORTATION

En cette première semaine de Mars 1944 les prisonniers quittent Fresnes pour Compiègne. Pas tous:
-Le cher Max a disparu. Aucun des détenus n'a de ses nouvelles depuis qu'en Juillet le Général et André LASSAGNE ont été confrontés à lui à Neuilly. Dans l'état où ils l'ont trouvé, les pires suppositions sont permises.
-J.L.THEOBALD est parti en Janvier et s'est évadé du train qui l'emmenait à Buchenwald.
-Bruno LARAT, par contre, y sera envoyé séparemment, probablement avec le Colonel SCHWAZFELD. Ils n'en reviendront pas.
-Madame RAISIN et Mademoiselle OLIVIER sont déportées à Ravensbrück (55).
-Henri AUBRY, nous l'avons vu, a été relâché dans des conditions exceptionnelles le 12 Décembre.
-Le Colonel LACAZE, le docteur DUGOUJON, Madame MELLA ont bénéficié d'un non-lieu et ont été libérés en Janvier.
-Les officiers de l'O.R.A. dont les noms figuraient sur la même liste de l'"HANDAKTEN" restent encore à Fresnes. Ils rejoindront les déportés de l'A.S. en Mai à Natzweiler. Il s'agit du Lt-Colonel BONOTAUX, des Généraux FRERE, GRANDSARD, GILLIOT, OLLERIS.

Ainsi le Général DELESTRAINT, le Commandant GASTALDO, André LASSAGNE quittent Fresnes après neuf mois d'emprisonnement. Ils ont pu apprendre avant leur départ les victoires alliées sur les fronts de l'Est et d'Italie. Les Allemands reculent partout. Berlin est désormais bombardé de jour. La confiance du Général en la victoire prochaine est communicative. Certes, Ils sont envoyés à Compiègne, le fameux et combien triste centre de triage des déportés. Mais les Allemands sont perdus. Il faut tenir.

Leur convoi est restreint, soixante-dix à quatre-vingts captifs seulement (56-a). Ils ignorent encore la destination du train qui les emmène vers l'Est.

Tous ces condamnés sont des N.N. des "Nach und Nebel". Ils s'enfoncent dans la "Nuit et le Brouillard", jusqu'à la mort, de même que dans l'"Or du Rhin" de Wagner. L'atroce conception nazie a l'odieuse prétention de rejoindre l'épopée mythique. Là comme souvent et partout, ces bourreaux utopistes veulent déguiser leurs crimes impitoyables et sanguinaires à l'aide d'une grandiose allégorie telle une fallacieuse parure à leur impardonnable forfait.

55
Interwiew de Madame Raisin, le 25 Mai 1990.
56-a
Perrette, J.F. Op.Cit. p.148 (récit de Hans Gasch).


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A- "N.N." AU STRUTHOF.

Le camp de Natzweiler, installé en Alsace depuis 1940, présente la particularité d'être le seul camp de déportation allemand en territoire français, étant donné bien entendu que les dirigeants nazis comptent bien annexer définitivement l'Alsace au Grand Reich.

Une photographie aérienne, prise par la 540° escadrille de la R.A.F. (540 SQDN) le 19 Juillet 1944, donc bien avant la libération du camp, alors que le Général y était encore détenu, permet de distinguer les différents secteurs du camp depuis les baraques, appelées les Blocks et les principales zones, jusqu'à la carrière(57). On y retrouve aussi l'emplacement de "l'Hopital" , ("le Revier"), et enfin "l'Effektenkammer", dépôt de vêtements. mais aussi on peut y distinguer le Crématorium, et une chambre à gaz qui n'aurait jamais servi.

Le Général y sera détenu pendant six mois, du 10 Mars au 4 Septembre 1944.

57
Photographie aimablement donnée par Monsieur Robert Sheppard, président d'honneur des Anciens détenus de Natzweiler. Se reporter à l'Annexe 5/15. On y lit les lettres K.L.Na qui signifient: Konzentration Lager Natzweiler. On y distingue le camp lui-même en haut de la photo; la zone du "Revier", celle des S.S. et très en dessous, la chambre à gaz, dite expérimentale, à coté de la cantine S.S.

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1°- "L'accueil".

N.N.: personne donc ne doit avoir de nouvelles des inculpés (sans être encore condamnés). Ils doivent être théoriquement présentés bientôt devant le "Volksgerichtshof", le Tribunal du Peuple de Breslau. Si cet évènement arrive, ils seront fusillés. Mais devant les difficultés rencontrées par les Allemands en ce printemps 1944, devant l'afflux des procès, leur première destination est le camp de Natzweiler, en Alsace près du Mont St-Odile. Une solution transitoire, avant l'extermination programmée.
Avoir choisi un camp de la mort en un site aussi merveilleux relève du sadisme. Le train s'est arrêté à la gare de Rothau. La fin du "voyage" s'est effectuée en camions non bâchés, en cette soirée du 10 Mars. Le convoi est puissamment escorté. Les malheureux ont vite compris quelle est l'ambiance du camp. Ce sont des coups et des insultes que les S.S. leur réservent pour les faire descendre, et le chef du camp, ZEUSS, le Lagerführer, n'est pas le dernier à distribuer la schlague.
C'est avec cet accueil que les nouveaux venus sont dirigés vers la baraque "d'accueil" N°1 où a lieu l'appel. Là, Hans GASCH, prisonnier lui-même en tant que social-démocrate allemand, est chargé de distribuer aux arrivants leur tenue, une fois qu'ils auront quitté tous leurs vêtements. Cependant, en tant que N.N., ils n'auront pas droit ni aux caleçons, ni aux chaussettes, que les autres reçoivent bien qu'il s'agisse de guenilles.
Tous ces Français sont conduits aux blocks 11 et 12 réservés aux N.N.
Charles DELESTRAINT demeurera au block 11. Cependant leur Blochältester, doyen de bloc, est un autrichien du nom de Franz GUTHMANN, qui n'est habité par aucune haine, "un homme au coeur généreux" précise notre Hans GASCH (57).

ZEUSS et ses S.S sont particulièrement brutaux; ils s'en sont pris au général JOUFFROY, ancien de la Légion étrangère; ce sera pour lui un véritable martyre qui ne se terminera que par la mort au camp.

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2°- Les formalités.

Les formalités administratives sont réglées, le 12 Mars, jour anniversaire des soixante cinq ans de Charles DELESTRAINT. Il doit répondre à un questionnaire d'identité, subir un examen médical bien succinct, plus détaillé il est vrai en ce qui concerne la dentition et les couronnes en or. Un Numéro d'immatriculation lui est attribué: "7839". Après quoi, il signe et date (56-b).

56-b
Perrette, Jean François. Op. Cit. p.149: récit de Hans Gasch.
58
A.N. 72.AJ/338:. Questionnaire: Se reporter à l'Annexe 5/16.


C'est le lendemain, 13 Mars, que la fiche individuelle est remplie. Le Général répond à nouveau aux questions d'identité. Lorsqu'on lui demande l'adresse de sa famille, il donne celle de sa fille Odette à Dreux, où résident ou plutôt ont résidé son épouse et sa fille Bibiane. Ce jour là il faut signer de son nom et de son numéro matricule (59). On lui rase le crâne comme à tout autre déporté.

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3° La Vie de Charles DELESTRAINT au Struthof.

a- Au triage des vêtements.

Le Général est séparé des autres Français qui sont astreints aux travaux des routes, labeur épuisant, l'été en plein soleil, le crâne rasé, dénutris... André LASSAGNE est détaché dans un Kommando particulièrement difficile à Kochen, dans la vallée de la Moselle; il reviendra au Struthof les tout premiers jours de Mai. Charles DELESTRAINT en tant qu'officier supérieur est dispensé de ces travaux forcés; mais continuellement il doit rester dans sa baraque sans aucun contact. Sur la proposition du blockältester GUTHMANN Charles DELESTRAINT vient travailler clandestinement à la Kleidunskammer (chambre ou plutôt baraque d'habillement), ou Effektenkammer, qui se situe au dessus du camp lui-même. Il rejoint les autres déportés vers les blocks 11 ou 12, à l'heure de l'appel.
Dès son arrivée, le Général multiplie les contacts, encourage ceux que la désespérance accable. Il sait dire le mot qui réconforte; avec sa grande dignité, toujours droit, il se rend auprès de ceux qui semblent prostrés, déprimés. Il redonne confiance par son regard, par quelques paroles. Il prend en charge les plus vulnérables, ainsi ce jeune homme de 18 ans, désorienté, Jean JAVELIER; quelques mots: "Ne t'en fais pas, on les aura !" suffisent à lui redonner courage et confiance et lui permettre de survivre. Réconfort moral, et aussi réconfort alimentaire: les S.S. de Dachau ont des chats, bien mieux nourris que les déportés. Les gamelles de ces bêtes sont toujours placées près de l'Effectenkammer.
Charles DELESTRAINT, comme certains autres, parvient à s'emparer du contenu de ces gamelles bien pourvues pour le distribuer le soir aux détenus des blocks 11 et 12 (60).

A ce travail, le Général peut s'occuper et parler. Cet allemand, Hans GASCH, responsable des lieux, compréhensif, démocrate, francophile, interroge le Général sur la Résistance en France. Il n'en comprend pas la pluralité. Ainsi ne lui a pas échappé que le Général FRERE, depuis son arrivée soit nettement moins accepté de l'ensemble des déportés français que lui, Général DELESTRAINT. Pourquoi ? (61).

59
Photocopie d'un document remis aimablement par Madame Tourtel-Delestraint. Se reporter à l'Annexe 5/17. Il apparait que le Général dépend alors du block 11. Il semble que plus tard, il sera affecté au block 12, selon le rapport de Gasch.
60
Témoignage de Mr Jean Javelier sur lequel nous reviendrons.
61
Perrette, Jean-François. Op; Cit. p. 151. Récit de Gasch.


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b- L'arrivée des "Généraux".

En effet, le Général FRERE est au camp. Un convoi restreint, le 5 Mai, amène au Struthof les "Généraux", c'est-à-dire les Généraux de l'O.R.A.: FRERE, GRANDSARD, OLLERIS, GILLIOT et le Colonel BONOTAUX. Ils sont logés au block 13 (61-a).

Les contacts se feront de façon diverse entre les deux catégories de déportés. Il est vrai qu' envers le Général FRERE, on marque une certaine réserve, alors que le Chef de l'A.S. est déjà considéré comme le Chef des Français. Les Résistants du camp sont assez distants vis à vis de celui qui a présidé le procès condamnant à mort par contumace le Général de GAULLE.
Il faut le dire, au Struthof, en grande majorité, les Français sont résolument gaullistes et l'Allemand GASCH n'a pas manqué de s'apercevoir de cette froideur affichée envers le chef de l'O.R.A. froideur qui n'est pas de l'hostilité, loin s'en faut surtout de la part de Charles DELESTRAINT, uniquement hostile aux Allemands et à Vichy. Enfin, le Général FRERE représentait en France le Général GIRAUD, mal accepté pour s'être rallié à DARLAN après le débarquement en Afrique du Nord et s'être opposé fermement à de GAULLE pendant plusieurs mois.
Le Général FRERE, d'abord atteint d'une diphtérie, est emporté le 14 Juin à 23h, par une dysenterie épidémique. Le Cdt GASTALDO et le Cl BONOTAUX lui ferment les yeux. (61-b).

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c- Le Revier.

Le travail que fait Charles DELESTRAINT à l'Effektenkammer est clandestin. Un jour, il est dénoncé.
Hans GASH s'en tire bien mais a très peur pour le Général. On le renvoie à son block, et le Lagerführer ZEUSS envisage de l'expédier tout de suite au camp de Rieg, près de Breslau, anticipant ainsi son transfert pour le procès. Cela équivaut à la condamnation à mort certaine. Au Struthof les Français sont alarmés. Il faut faire quelque chose. C'est à cette époque que Charles DELESTRAINT entre au "Revier"; ce n'est pas vraiment l'infirmerie, ce n'est pas non plus l'hôpital, c'est le lieu où les déportés reçoivent un minimum de soins, surtout de la part des médecins détenus, mais sans grands moyens; il faut que le commandement reconnaisse lui-même que le déporté est vraiment malade, ou intransportable (transportunfähig).
L'admission au Revier est donc obtenue difficilement. Hans GASCH affirme qu'il a donné au Général des pilules pyrogènes. La forte fièvre qui s'en est suivie aurait déterminé cette décision. (62). Au fur et à mesure que l'amélioration se manifeste il convient d'envisager une rechute pour prolonger l'hospitalisation.

61-a
Il apparait que la date du 5 Mai soit exacte.(Gilliot Général Plaquette à la mémoire d'André Lassagne. Op. Cit.)
. 61-b
Weygand, Général. Le Général Frère. Paris Flammarion 1950. 242 pages. p. 237. Et Témoignage du Cdt Gastaldo: A.N.72AJ/1910.
62
Perrette, Jean-François. Ibidem p.151-152.


Mais une réelle maladie s'est déclarée chez Charles DELESTRAINT. Il souffre d'un abcès péri-articulaire de la hanche gauche. Une suppuration s'est déclarée. Il est traité par le docteur Henri CHRETIEN, et dès amélioration par PENCHENAT masseur, gueule cassée de 14-18, qui maintenant traite cette hanche enraidie par des massages. Le traitement doit se prolonger le plus longtemps possible. Tous cherchent à sauver le Général.

Cette hospitalisation au Revier l'a déjà sauvé deux fois d'un départ à Breslau. Elle arrive à point. Elle lui permet de diffuser sa confiance à tous, au moment du débarquement de Normandie. Vers le 14 Juillet, arrive au camp le docteur Pierre SUIRE. Le médecin est présenté au Général et est immédiatement conquis par ce regard, par ses paroles:
-"Vous qui êtes arrêté depuis quelques mois seulement, dites-moi ce que l'on pense, ce que l'on dit en France. La Résistance, marche-t-elle bien ?" (63). Le général a confiance. Moins inquiet pour lui que pour les autres.
Confiance inébranlable dans la victoire finale, et bientôt la libération de Paris...

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d- "La Maison France".

Tous ceux qui peuvent l'approcher au Revier, parfois avec de grands risques, se souviennent de conversations au cours de l'été interminables et passionnantes sur la France, son avenir après la victoire. Il insiste sur l'union des Français derrière le Général de GAULLE, en dehors de toute idée politique qui pourrait diviser les Français: "Il n'y a que la Maison France qui compte. Tous pour la France, sans réticence"(64).
Le docteur BOHN devient un fidèle de ces réunions, ainsi que le docteur Pierre TISSEAU qui n'a pas accès normalement aux salles de malades. Le Général le fait parler de la Résistance dans sa région, la Vendée; il lui parle de son voyage en Angleterre, de Londres en guerre (65).
Le voisin de lit du Général au Révier, Monsieur Pommereul de Tarbes, entretient avec le Général des conversations passionnantes sur les opérations militaires et les évènements de la guerre (66).
A tous ceux qu'il a cotoyés, il a su apporter réconfort, courage et surtout une confiance inébranlable en la victoire des Alliés, mais aussi de la France, par sa Résistance. En un mot, Monsieur GEOFFROY, un de ses compagnons du Struthof, conclut:
"Nul doute, jusqu'à son dernier souffle, le Général a eu en lui et a respecté l'"Esprit de la Résistance"(67).

63
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Niort Soulisse-Martin. 1947 179 pages. p. 41.
64
Suire, Pierre. Ibidem. p. 42.
65
Tisseau, Docteur Pierre. Nous, les Bandits. Bazoges-en-Pareds (85). édité par l'auteur. 1948. 262 pages. p.151.
66
A.N. 72.AJ/338. A. N°2. I. Témoignage de Mr Pommereul.
67
A.N. 72.AJ/338. A. N°3. I. Témoignage de Mr F.Geoffroy.


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e- "Ces petits Communistes".

Au Struthof, les Communistes sont nombreux. Non seulement ils sont aux cotés des Gaullistes dans la lutte pour la victoire sur les Nazis, mais ils reconnaissent en tant que chef des Français Résistants du Struthof le Général DELESTRAINT. La consigne chez les Communistes est nette: il faut sauver le Général DELESTRAINT.
Le groupe de Roger LINET a eu vent d'un projet du commandement allemand du camp d'envisager l'extermination des détenus si l'évacuation ne peut se faire avant l'arrivée des Alliés. Roger LINET, Roger LEROY, Max NEVERS, Roger LAPORTE échafaudent un projet de résistance désespérée, et le soumettent au Général, qui apporte son accord, mais ce projet ne devra être seulement exécuté qu'à la dernière extrémité (68).
Ces visites au Général ont lieu au Revier. Depuis qu'il est hospitalisé, il reçoit souvent Roger LAPORTE qui vient lui apporter du ravitaillement; et un jour d'été, le Général étonné admiratif et ému devant une telle débrouillardise et un tel dévouement, trouve "ces petits communistes tellement sincères et prêts à servir" (69). LINET, responsable F.T.P.F. de l'Ile-de-France, ainsi que LEROY "Petit-Jean" ont la mission d' apporter au Général du pain, mais parfois aussi de la viande, "prise aux cuisines sur la ration des S.S." (70).

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f- La menace encore écartée.

Il faut que le Général survive, non seulement en le mettant à l'abri d'une trop grande misère physiologique, mais surtout en évitant le transfert à Breslau.

Déjà, début Juillet, alors que la menace de l'envoi à Breslau se pécisait, le Général avait pu s'entretenir avec ses amis GASTALDO et LASSAGNE. Tant que le groupe de l'A.S. sera dispersé, le procès sera reporté.
Un départ est prévu pour la prison de Liegnitz, comprenant les généraux de l'O.R.A.: OLLERIS, GRANDSARD, GILLIOT; les S.S. désigne aussi DELESTRAINT, GASTALDO et LASSAGNE. Si DELESTRAINT peut rester au Revier, GASTALDO et LASSAGNE seront d'autant plus à l'abri.
Ils doivent donc se séparer, navrés d'avoir à recourir à cette solution, mais certains qu'elle est salutaire. GASTALDO et LASSAGNE quittent donc le Stuthof le 19 Juillet 1944 (71), en même temps que les trois Généraux de l'O.R.A.. Ils ne reverront plus leur chef.

68
Perrette, Jean-François. Op. Cit. p.153.
69
A.N. 72.AJ/338. A. N°2. I. Témoignage de R. Laporte.
70
A.N. 72.AJ/338. A. N°2. I Témoignage Henri Gaillot et Bruyninckx.
71
A.N. 72.AJ/1910: Documents relatifs au Colonel Gastaldo.


Les Allemands n'auront pas pour autant oublié complètement le procès de Breslau et ses inculpés. GASTALDO, LASSAGNE, GILLIOT, GRANDSART et OLLERIS (ceux que l'on appelera les cinq généraux!) seront, en attendant leur comparution, transférés en Silésie au camp de Gross-Rosen le 8 Décembre 1944 (72).
Mesdames OLIVIER et RAISIN sont détenues à Ravensbrück depuis le 23 0ctobre 1944.

Pour le Général DELESTRAINT, en Juillet-Août une troisième menace de Breslau se précise. Le maintien du Général au Revier grâce aux médecins français permet d'écarter cet ultime danger.

Une autre raison intervient pour mettre au second plan, sans pour autant l'oublier, la présence du Général au Struthof. L'arrivée des Alliés, leur convergence vers l'Alsace est un point acquis, fin Août-début Septembre. Paris dès le 25 Août est tombé, ainsi que Lyon le 3 et 4 Septembre. La Wehrmacht a reçu l'ordre de se replier sur l'Alsace. L'évacuation des 6 000 déportés du Struthof sur des camps outre-Rhin est décidée fin Août.

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4° L'évacuation.

Le transport du camp à la gare de Rothau d'où partent les convois, se fait bien entendu par camions.
L'évacuation s'étend du 1° au 4 Septembre 1944. Chaque convoi devrait mettre deux jours pour se rendre de Rothau à Dachau; certains en mettent six, du fait des bombardements incessants sur la Rhénanie, sur le réseau ferré.
Le docteur BOHN affirme que les S.S. commencent à craindre vivement l'arrivée des Américains en ce début de Septembre; ils affichent quelques prévenances envers les prisonniers importants, officiers, évêques, notabilités, et leur font profiter de la cuisine copieuse qui leur est réservée. Certains S.S. et un médecin allemand font en sorte que pendant le voyage le docteur BOHN soit dans le même wagon que le Général DELESTRAINT et profite ainsi de certains avantages (73).
Cependant ces attentions des S.S. sont aussi exceptionnelles que transitoires, et la légende selon laquelle les S.S. saluaient le Général DELESTRAINT "est de la pure fantaisie" (74-a)

Le convoi qui emmène le Général DELESTRAINT à Dachau, emporte aussi le Colonel BONOTAUX, le seul membre de l'E.M. de l'O.R.A. restant au Struthof (74-b).

72
A.N.: 40.AJ/1500/3. Documents: Situations de Lassagne Gastaldo et Gilliot. (départ de Liegnitz pour Gross-Rosen): Annexe 5/18
73
A.N.: 72 AJ/326. B. N°25. I: Témoignage du Dr Bohn.
74-a
A.N.: 72 AJ/338. A. N°2 I.: Témoignage d'Henri Gallot.
74-b
A.N.: 40 AJ.1903/17: Etat allemand de situations des internés.


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B- UNE PARENTHESE:

HENRI AUBRY AU MINISTERE DES PRISONNIERS ET DEPORTES

Revenons en France, pour une courte période:
En ce mois d'Octobre 1944, le pays est presque totalement libéré à l'exception de l'Alsace et une grande partie de la Lorraine.

De retour du maquis, j'avais vainement cherché à Lyon à renouer avec les membres de l'Etat-Major de l' A.S. connus qui auraient pu échapper aux arrestations. J'appris officiellement les évènements de Caluire, les déportations. Je n'avais aucune précision sur le sort du Général.
Comment en aurais-je eu, lui qui était N.N. ?
Par quel intermédiaire, ai-je appris qu'un des anciens membres de l'Etat-Major était devenu un des directeurs du Ministère des Prisonniers et Déportés, et qu'il s'agissait d'Henri AUBRY-Thomas ? Je ne m'en souviens plus. Mais je sais qu'au nom de Thomas, j'ai décidé d'aller le voir dès qu'il me serait possible de me rendre à Paris.
Je travaillais alors à la direction du Service hospitalier militaire et civil qu'il était question de réorganiser totalement. Le Professeur MALLET-GUY en était le responsable. Il me chargea, au début d'Octobre, d'organiser un voyage à Paris, ce qui n'était pas chose facile, même pour des officiels. Je parvins à trouver auprès des autorités militaires l'essence nécessaire, pour l'aller et le retour, et je pus piloter ainsi mon "patron" jusqu'à la capitale dans une "traction" réquisitionnée provisoirement.
J'étais fort satisfait de cette occasion qui allait peut-être me donner la possibilité de savoir ce qu'était devenu le Général DELESTRAINT; je saurais ce qu'il était possible de savoir, par Thomas, qui travaillait justement à ce ministère. En effet, j'appris quelques jours plus tard qu'il avait été sollicité par son ancien chef de "Combat", Henri FRENAY, Ministre des Prisonniers et Déportés, pour tenir un poste de directeur à ce ministère, où un autre poste de directeur était tenu par René HARDY.
Arrivé à Paris, je me présente donc au Ministère, et demande à l'huissier la possibilité d'avoir un entretien avec Henri AUBRY. On me fait remplir un bordereau sur lequel je spécifie, en plus de mon identité, mes anciennes fonctions auprès du Général DELESTRAINT.
Après une longue attente, on me conduit dans le bureau d'Henri AUBRY que je reconnais immédiatement. Il est debout, derrière son bureau, il ne me tend pas la main et me demande ce que je désire.
- "Vous ne me reconnaissez pas ? Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois à Lyon; j'étais le secrétaire personnel du Général DELESTRAINT. Je viens vous demander si vous aviez des nouvelles du Général".
-" C'est inexact, le Secrétaire du Général, c'était moi !"

Interloqué par cette réponse, je précise: -"Il est vrai que vous étiez son chef de Cabinet qui est un secrétaire en chef, mais j'étais son secrétaire personnel, je le maintiens ".
-"Non, Monsieur, j'étais le seul secrétaire. D'ailleurs, je ne vous connais pas et n'ai rien à vous dire". Et il m'a reconduit à la porte.

J'étais abasourdi, je ne comprenais pas pourquoi il se comportait ainsi avec moi. J'ai essayé encore de lui dire quelques mots, mais il m'a laissé sur le palier. L'audience était terminée, j'étais bel et bien mis à la porte sans savoir pourquoi. Je lui ai écrit par la suite et n'ai obtenu aucune réponse.

Ne pas vouloir me reconnaître est d'autant plus étonnant que lors de l'instruction du second procès Hardy, il affirma dans sa déposition du 4 Mai 1948, avoir rencontré début Juin 1943, le Général: "J'ai vu, précise-t-il, avec lui son agent de liaison et secrétaire particulier, un étudiant. Je ne puis préciser s'il s'agit du nommé GUILLIN" (75).

Ce comportement surprenant n'est explicable que par le contexte psychique d'Henri AUBRY, et par le souvenir des évènements depuis Mai 1943, la rue Bouteille, l'arrestation du Général, sa propre détention après Caluire, sa libération prématurée. Nous aurons à revenir sur ces considérations en concluant.

75
Second procès Hardy: déposition de Henri Aubry du 4 Mai 1948.


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C- DACHAU

1°- Le Camp

Le nom du camp est celui d'une ville bavaroise située à une quinzaine de kilomètres au Nord-Ouest de Munich. Situé dans une plaine marécageuse, boisée, le Dachauer Moos, (déformation de Moor: marais), le camp a été édifié dès le printemps 1933, (le communiqué de Himmler date du 21 Mars 1933).
Le camp connut de grandes modifications, mais dès la fin de 1938, il avait déjà l'aspect définitif: un immense rectangle de 600 mètres de long sur 300 mètres de large (76).
La grande porte d'entrée porte en lettres forgées l'inscription "Arbeit macht frei": Le travail rend libre. En dehors des bâtiments administratifs et des cuisines se situe le grand terrain, dénommé "Appellplatz" où s'effectuaient les appels, les sanctions et exercices disciplinaires. Au moins 40.000 détenus peuvent s'y présenter.
Depuis l'Appelplatz, en se dirigeant vers le Nord, la "Lagerstrasse", longue de plus de 300 mètres et bordée de peupliers, partage le camp en deux. lequel comporte de part et d'autre, des baraques, appelées comme au Struthof des "blocks".
En tout 34 blocks, qui portent des numéros pairs à gauche et impairs à droite, à l'exception des deux premiers réservés au "Revier". D'autres blocks "Revier" seront construits devant l'augmentation de la population carcérale. Un block est réservé aux religieux.
Un Crématoire perfectionné est bientôt installé; bien qu'il fonctionne sans arrêt, il ne suffit pas à incinérer tous les cadavres que l'on doit enterrer dans les fosses communes du "Leiterberg". Le crématoire se trouve à l'extérieur du camp au delà de la butte de tir (77).
Une chambre à gaz a été installée à grands frais, mais elle n'a jamais fonctionné, sans doute du fait du sabotage organisé par l'équipe de détenus chargée de l'installation (78).

76
Plan de Dachau: Se reporter à l'Annexe 5/19.
77
Photographies du camp de Dachau: Se reporter à l'Annexe 5/20.
78
Les principaux renseignements sont tirés de:
1°: Berben, Paul. Histoire du Camp de Concentration de Dachau. 1976 Bruxelles. Comité International de Dachau. 269 pages. p.5 à 25.
2°: Témoignage de Monsieur Robert Sheppard, ancien officier britannique du S.O.E. et aide de camp du Général Delestraint à Dachau. Nous aurons recours à son témoignage et à ses écrits ultérieurement.
3°: Neuhäusler, Johann. Comment était-ce à Dachau ? Karmel Heilig Blut. Dachau.


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2° L'arrivée.

Le Général DELESTRAINT fait partie d'un convoi de 905 détenus arrivant le 6 Septembre de Natzweiler (79). La région ne lui est pas inconnue puisque Dachau se situe en Bavière dans la direction d'Ingolstadt, où pendant quelques mois il connut déjà la captivité en 1914, dans un Oflag.

La population de Dachau est alors formée d'un mélange de catégories d'hommes: âges, races, nationalités, couches sociales y sont mélés. Tous les Français arrivés de Natzweiler sont des "N.N." Ils font partie du groupe de déportés le plus important de Dachau: "les politiques". Ils portent de ce fait cousu sur le coté gauche de la veste, au niveau du coeur, le fameux triangle pointe en bas, rouge (pour les "politiques"), avec le F indiquant la nationalité.
-Les criminels ont un triangle vert.
-Les "asociaux" un triangle noir.
-Les homosexuels un triangle rose.
-Les émigrés un triangle violet, etc.
-Les Juifs ont le même triangle rouge, vert, noir, violet, mais il sera superposé à un triangle jaune pointe en haut.
Ainsi le Général porte cousu sur le coté gauche de sa veste un triangle rouge, à l'intérieur duquel se trouve le F.
Le numéro du détenu est situé au dessus du triangle.
On a attribué au Général DELESTRAINT le N° 103.027 (80).

Les arrivées au camp ont été particulièrement nombreuses en 1944, année de l'évacuation de la France par la Wehrmacht, mais aussi du fait du regroupement d'autres camps. Les numéros des détenus le prouvent:
Fin 43, le dernier inscrit porte le N° 60.869.
Fin 44, le dernier de l'année est le N° 137.244.
Ainsi, en cette année 1944, sont arrivés à Dachau plus du double de détenus que ce camp n'a jamais vu interner depuis sa création, soit 76.375 nouveaux venus en 1944.
Ces arrivées de déportés provenant des autres camps continueront avec les offensives alliées du début de 1945, tant à l'Ouest qu'à l'Est.
Le dernier numéro enrégistré à Dachau serait autour de 161.900. Cependant 6.000 détenus arrivés les derniers jours avant la libération du 29 Avril, ne se sont pas vu attribuer de numéro. Ils provenaient de Flossenburg, Buchenwald, Leipzig, etc (81).

C'est donc une population concentrationnaire extrêmement dense que connaîtra le Général à son arrivée à Dachau et qu'il verra s'accroïtre jusqu'à son dernier jour.

79
Berben, Paul. Ibidem. Annexe 23. p. 291.
80
Renseignement fourni par Mr R.Sheppard.
81
Berben, Paul Ibidem. Annexe 13. p. 263.


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3°- Le "Häftling" anonyme.

Quand Charles DELESTRAINT a une place, au block 24, il prend contact avec de nombreux déportés arrivant de Natzweiler; il n'est pas loin du Colonel BONOTAUX le seul membre de l'E.M. de l'O.R.A. qui a été séparé des Généraux OLLIER, GRANDSARD et GILLIOT. Le Général fait surtout la connaissance de son voisin de lit superposé, un jeune officier britannique du S.O.E., pris par les Allemands alors qu'il s'apprêtait à traverser les Pyrénées pour regagner la Grande-Bretagne: le lieutenant Robert SHEPPARD partagera la vie du Général tant qu'il restera au block 24. Son témoignage est particulièrement riche (82).
En dehors de certains S.S. qui l'appellent par dérision "Herr Général", la présence du Général à ce block parmi les autres détenus délimite la période au cours de laquelle les S.S. ont oublié son existence officielle, sa situation d'inculpé. Il va vivre avec les autres, aura des contacts soit au block 24, soit au Revier lorsqu'il y sera hospitalisé, ou au block 26, celui des prêtres. "Noyé dans la masse", dira Joseph ROVAN, sa présence ne s'explique que par le désordre de l'évacuation des déportés, lors de la retraite des armées allemandes de France. Il est pour ainsi dire protégé par la masse des déportés français de Dachau (83). C'est un "Häftling", un détenu anonyme.

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4° La Vie du Général à Dachau.

Levé dès l'aurore, avant les autres, et suivi de son fidèle aide de camp, le Général DELESTRAINT prend grand soin de sa toilette: "Etre propre: oui, avant tout et autant que possible être physiquemment propre" rapporte Robert SHEPPARD. Malgrè l'eau glacée, pouvoir être propre, être prêt tôt.
Et ensuite, se glisser furtivement dans la chapelle des prêtres du block 26. Il assiste à la première messe, chaque matin, pour y "puiser dans la communion au Christ la force d'être parmi le tout-venant des déportés de 17 nations, le mainteneur du moral, l'entraineur à la joie" (84).

82
Robert Sheppard a écrit une plaquette sur le Général Delestraint, intitulée : "La Dernière Etape". D'importants extraits sont reproduits en Annexe 5/21.
83
Rovan, Joseph. Contes de Dachau. Paris Julliard. 1987. 238 pages. p.188.
84
Texte de l'homélie du R.P. Riquet, le 10 Novembre 1989, à St-Louis des Invalides de Paris, lors des cérémonies de l'entrée de son nom au Panthéon. Se reporter en Annexe 5/22.


Le Général aura le souci de maintenir sa condition physique malgrè la sous-alimenation qu'il connaîtra comme les autres détenus. il pratiquera souvent une gmnastique simple, sans gros efforts, afin d'entretenir la fonction des articulations, des muscles. Le docteur Bernard PY, alors tout jeune homme de dix-huit ans, se rappelle de sa surprise d'avoir croisé le Général sans tenir compte de l'ironie de certains, marchant lentement, seul, en faisant avec les bras quelques exercices d'élévation, d'écartement puis les ramenant le long du corps, tout en ayant soin de rythmer ces mouvements avec des expirations et des inspirations. Le jeune homme trouvait ce comportement d'autant plus étonnant que les autres déportés et lui-même avaient surtout le souci d'économiser leurs forces (84).

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a- le Chef des Français de Dachau.

Le mainteneur de moral, l'entraineur à la joie, il l'est chaque jour, et pour tous. Certes, il est reconnu, dès son arrivée, comme le Chef de tous les Français de Dachau. Edmond MICHELET, responsable des déportés français de ce camp, raconte que dans ce convoi se trouvent Mgr PIGUET évèque de Clermont-Ferrand, le Prince de BOURBON-PARME. Mais dès qu'il apprend la présence dans ce camp de Vidal avec lequel il avait eu un contact à Fresnes, quinze mois plus tôt, et qu'il avait été à Natzweiler le chef des Français du camp, il lui transmet le titre de représentant des Français de Dachau (85), et se met à ses ordres (86).

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b- Le Comité International de Dachau.

C'est tout naturellement qu'avec le comte Albert GUERISSE (Pat O'Leary), Arthur HAULOT et Edmond MICHELET et le lieutenant britannique SHEPPARD le Général met sur pied en Janvier 45, le Comité International de Dachau, le C.I.D. Non seulement, il convient d'organiser la Résistance du Camp face à toute éventualité des S.S. de vouloir anéantir les détenus avant l'arrivée des Alliés, mais il faut prévoir dès maintenant les problèmes relevant de la Libération et de l'après-Libération, du rapatriement, de la discipline à observer, éviter les conflits entre ethnies, combattre l'espionnage au profit des S.S. (87).Pour celà, il convient de prendre contact avec les différents responsables des comités des autres nations représentées à Dachau, surtout européennes, prévoir avec eux l'après-guerre, car les déportés auront leur mot à dire.
Il convient de garder la tête froide, de ne pas s'exalter (88).

84
Lettre personnelle du Docteur Bernard Py.
85
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Paris Seuil. 1955. 248 pages. p.189.
86
A.N.: 72 AJ/1899. Fonds Appleton. Interwiew d'Edmond Michelet.
87
Sheppard, Robert. La dernière Etape.: Annexe 5/21.
88
Bulletin de l'Amicale de Dachau: Septembre à Décembre 1989.


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c- L'attention aux autres.

Charles DELESTRAINT est ouvert à tous; il se penche sur ceux qui souffrent, qui désespèrent. On le sait; on vient le voir, lui parler; Mario BLARDONE se souviendra que ceux qui ont perdu confiance savent à qui se confier, que lui-même a retrouvé "un réconfort inestimable en se rendant auprès du Général, le chef spirituel, le conseiller" (89).Il sait employer les mots qui conviennent pour raviver la détermination de survivre, pour convaincre de la fin prochaine, de l'écroulement du Reich, pour parler de la Libération.
Le jeune Bernard PY, sans connaître ni son nom ni son grade, apprend qu'il est officier supérieur; il veut lui parler de son père mort récemment au camp du typhus. Le jeune homme aborde le Général et évoque le souvenir de son père. Charles DELESTRAINT l'écoute, lui dit qu'il a entendu parler de lui mais ne l'a pas connu. Il emploie des mots de réconfort. Bernard PY lui demande son nom. "Delestraint" répond seulement le Général. Les camarades du jeune Bernard l'entourent et lui reprochent son audace:"Quelle impolitesse, tu ne sais pas qu'il est le chef de la Résistance ?"
Non, il ne le sait pas (90). Mais le Général n'a certainement pas été choqué, bien au contraire.
Le Général lutte contre la désespérance intérieure. Il tient à faire partager son optimisme spirituel et humain. Le salut et la victoire viendront aussi immanquablement que le soleil se lève à l'horizon.

Charles DELESTRAINT aura des contacts avec tous les Français qui le désirent. Ce ne sera pas un effort pour lui, mais il assume tellement son rôle qu'il se met à la portée de tous, même de ceux qui ne sont pas français. Son aspect extérieur, un regard qui cherche le contact, qui interpelle son compagnon.
Edmond MICHELET écrit: Je revois avant tout l'azur profond de ses yeux, son regard à la fois impérieux et rempli de bonté. Je ressens l'énergie de l'homme à la vigueur de sa poignée de main, son affabilité à la façon qu'il a de s'excuser pour accepter le menu service qu'on lui propose" (91). Cet aspect extérieur seul étonne et attire ceux qui l'approchent, qui ont besoin de communiquer. Ses yeux, son attitude, sa poignée de main, mais aussi sa voix énergique. "Il parle à coeur ouvert. De suite, nous sommes conquis", rapporte le Docteur SUIRE (92).
Il conserve "toute la dignité et toute la prestance d'un Général Français, malgrè son accoutrement de bagnard" (93).

89
Interwiew de Mario Blardone, lors du procès Barbie: Mai 1987, quelques mois avant son décès.
90
Lettre personnelle du Docteur Bernard Py (9 Mai 1992).
91
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Op. Cit. p. 188.
92
Suire, Pierre. Il fut un temps. Niort Soulisse-Martin. 1947. 179 pages. p. 40
. 93
R.P. Michel Riquet: Témoignage écrit.


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d- Séjour au Revier et à la Licht-Station

Les Français cherchent à le faire entrer au Revier; ils y arrivent et c'est un succès. Tous veulent l'y maintenir le plus longtemps possible tant pour son état de santé que pour sa sécurité personnelle. Marcel NAAS le soigne et truque sa feuille de température (91). Les quelques semaines passées là, au cours de l'automne et du début de l'hiver 44-45, comptent beaucoup, pour les contacts qu'il y aura, pour la valeur des échanges qui marqueront ses amis qui deviendront des témoins. Il y est soigné; mais il soigne ses compagnons. "J'ai pu le garder avec moi, rapporte l'infirmier Marcel NAAS, et lorsque je fus atteint de pneumonie, ce fut le Général DELESTRAINT qui me soigna avec la même tendresse que si j'avais été son fils"; on l'appelle "l'ange gardien des malades". Il n'hésitait pas à effectuer les travaux les plus répugnants, "consolait les souffrants et adoussissait les derniers moments des mourants" (92).
Lorsque Pierre SUIRE vient lui présenter ses voeux du 1°Janvier, le Général, par prémonition, lui dit: "De toutes façons ce sera beau, et si jamais il m'arrive quelque chose sachez que j'aurai les yeux levés vers le ciel, que je crierai: Vive de Gaulle!"(93a)
Il a retrouvé au Revier l'incomparable masseur PENCHENAT qui l'a si bien traité au Struthof. Mais, en plus de ses excellents massages, PENCHENAT a l'avantage d'être un agent de Renseignements hors pair. Il peut apporter au Général des informations confirmées sur les opérations militaires des différents fronts, en dehors des potins du camp, qui ne sont pas superflus, bien entendu. PENCHENAT et sa "Licht-Station" (Centre de Lumière) sont devenus le meilleur Service de Renseignements de Dachau (93-b).

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e- Il faut quitter le Revier.

Malheureusement après la guérison de l'infirmier Marcel NAAS malgrè l'appui de celui-ci, le Général ne peut plus rester au Révier. Début Janvier 1945, il quitte ses amis, "vêtu de défroques perçées et rapiécées". Une place lui est attribuée au block 25: une sorte de block de passage où le typhus sévit. Ses amis sont anxieux: ils restent sans nouvelles pendant deux semaines, ils savent que les malades de plus de 55 ans ne survivent pas; Enfin,le Dr MICHEL de ce block apporte de bonnes nouvelles (93).
Le docteur BOHN a bien adressé ses voeux au Général à l'occasion du nouvel an, mais la réponse met du temps à lui parvenir; elle arrive cependant, bien qu'elle ait été écrite le 8 Janvier, cette lettre qui apporte de bonnes nouvelles de sa santé, comme toujours reflète sa confiance inébranlable, ses espoirs de voir cette année la liberté, le relèvement de la France malgrè tout le travail moral et matériel qui est à faire (94).
91
Naas, Marcel. Martyrs. Mémoires de 4 ans 1/2. K.L. Dachau. Plaquette.
92
Naas, Marcel. Ibidem.
93-a et b
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p. 53, et50-51.
94
Texte de la lettre au Dr Bohn. Se reporter à l'Annexe 5/23.


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f- contacts, entretiens, conversations.

Fin Janvier, le Général DELESTRAINT peut quitter ce "block fermé" 25, dont le médecin, le docteur MICHEL, va mourir du typhus un mois plus tard. Charles DELESTRAINT est affecté au block 24, chambre 1. Il retrouve Bob, Robert SHEPPARD, plein d'attentions pour son chef; il partage avec lui quelques pommes de terre dont la provenance est plus qu'irrégulière. Au reste, il n'y a pas que les pommes de terre que l'on partage dans cette chambre 1 du block 24. Ce sont les idées, les opinions sur la guerre, sur les lendemains du conflit mondial. En fait les contacts, les entretiens se multiplient.
Tout aussi bien au Revier qu'au block 24; autant sur la grande place d'appel que lorsqu'il sera transféré au Bunker d'honneur et viendra se faire traiter au Revier, le Général joue le rôle d'un aimant qui attirerait les Français avides de discussions, d'entendre parler de de GAULLE, celui qui représente l'espoir de la France souffrante, prisonnière, comme ils le sont tous ici. C'est de GAULLE qui lui a dit à Londres: "Voyez-vous, ce qu'il faut à la France, c'est de la pureté !" Le chef qui peut dire celà est digne d'être suivi.

On parle de la Victoire ! "Le Général, raconte Paul SUIRE, se redressait, et son regard, brillant de joie, fixant un point lointain, disait:
"Ah ! cette Victoire !" (95)
A-t-il le pressentiment qu'il ne la verra pas ?
Déjà, en Novembre 1918, prisonnier de guerre, il ne l'a pas vue, et maintenant, lui qui a tant oeuvré pour celle-ci, ne sera plus là pour ce triomphe (96).
On parle de la campagne de France; le groupe de Jean SUSSEL, de François VERNET, de Joseph ROVAN, "les intellectuels", l'entourent: ils veulent entendre de lui les détails des évènements qui ont amené la catastrophe de Mai-Juin 1940 (97).
On parle avec les médecins, SUIRE, BOHN, le Pasteur NIEMÖLER, Edmond MICHELET, de la France propre, honnête, travailleuse et où l'on peut s'estimer mutuellement, tous derrière de GAULLE (98).
Par contre, il juge très sévèrement le Maréchal PETAIN et les membres de son gouvernement qui trompent trop de braves gens et font le jeu des Allemands (98). Il a pour eux des mots impitoyables et condamnent aussi ceux qui vont à l'encontre de la Résistance, sa "rébellion" (99).

95
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p.45.
96
Les élèves-officiers de Saumur de la "Promotion Delestraint" ont relevé ce destin: n'avoir jamais vu la victoire.
97
Rovan, Joseph. Contes de Dachau. Op. Cit. p. 188.
98
Suire, Pierre. Ibidem p.45.
99
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. p.190.


Edmond MICHELET est surpris de ce jugement intransigeant. Il est vrai que le Général a toujours eu des mots cassants pour PETAIN et ses acolytes. Ainsi, il a gardé ses distances avec le Général FRERE, pourtant son ancien supérieur à l'Ecole de Chars. Cette rigueur dans son jugement est parallèle à sa pureté: il estime que PETAIN a abusé de son pouvoir pour fourvoyer le peuple de France en prônant la collaboration, en condamnant de GAULLE, la France Libre, la Résistance. Il ne lui pardonne pas.

Au reste, la nature de Charles DELESTRAINT est bien là ! De cette intransigeance, MICHELET lui-même en trouve l'explication: "A la réflexion, poursuit-il, je me dis que c'est là une attitude très péguyste. De fait, nul n' est plus péguyste que ce Général français qui se glorifie de s'être spontanément mis sous les ordres de son ancien subordonné" (100).

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g- Péguy.

Il est vrai que le Général aime lire Péguy. Il l'a découvert tardivement, nous révèle la docteur Pierre SUIRE dans son execellent livre (101). Au cours de la "Drôle de Guerre", nous apprend-il, le Général prend le train pour se rendre à Paris, et achète dans le kiosque à journaux de la gare un petit livre d'une collection. Dés la première lecture il est conquis; depuis il lit tout Péguy. Sa philosophie coïncide bien avec sa ligne de conduite, la limpidité de ses horizons, Dieu, la Patrie, liées à son exigence personnelle, à son exactitude.
Il s'est trouvé que le Docteur SUIRE est arrivé à dissumuler un livre de Péguy, la Pléiade des Oeuvres poétiques, lors des deux fouilles, celles de Natzweiler et celle de Dachau. On conçoit facilement que ce livre soit conservé précieusement par le médecin, qui est heureux cependant de le prêter au Général.
Tous deux s'entretiennent longuement des oeuvres de l'auteur qui n'ont plus de secrets pour l'un ni pour l'autre, et particulièrement la"Jeanne d'Arc", de son dialogue avec Hauviette, lorsque cette dernière, prête à tout abandon, lâche:
"- Il faut bien qu'on finisse par céder à un moment donné. Et puis... ça vaudra peut-être mieux!..."
Jeanne réplique:
"- Le Royaume est la Maison du Roi; il ne peut pas être aux Anglais, et on n'a pas le droit de céder à la force avant d'avoir usé toutes les ressources de guerre jusqu'au bout. Tant qu'il y a de reste un homme d'armes pour donner un bon coup d'épée, tant qu'il y a de reste un seul paysan pour donner un bon coup de faux, il ne faut pas céder" (102).
Ailleurs:
"C'est aux Français de sauver la France!"affirme Jeanne.

100
Michelet, Edmond. Ibid. p. 190.
101
Suire, Pierre. Ibid. p. 46 à 48.
102
Péguy, Charles. Oeuvres Poétiques Complètes. Jeanne d'Arc. Paris Gallimard. 1941 réédité en 1989. 1541 pages.
Extraits de la page 57 à 64.


Très émus, tous les déportés qui ont entendu cette lecture se taisent; puis le Général sort de sa méditation, et "les yeux mouillés de larmes, mais pleins de joie," dit:
"- Ah ! cette Jeanne, c'est toute notre histoire, l'histoire de la Résistance !".
Et Pierre SUIRE conclut: "Péguy, à l'âge de vingt-quatre ans, en 1897, avait écrit notre drame de 1940" (103).
Comment Charles DELESTRAINT aurait-il pu être insensible à ce dialogue de Jeanne et d'Hauviette à Domrémy ?
Lui qui en 1939 a découvert combien Péguy a pu symboliser ce qu'il admire en la France, en sa mission, voilà qu'il lui est donné de relire, aux plus sombres jours de la Géhenne, des mots qui sont lourds de sens prophétique et d'espérance; lorsqu'Hauviette parle du chef de guerre, à qui Charles DELESTRAINT pense-t-il sinon à de GAULLE: Hauviette:
-"Il n'y a que des capitaines: ils sont bons à conduire des bandes; ils savent leur métier de capitaine; ils sont braves mais ils ne sont pas des chefs d'armée; ils ne sont pas des chefs de guerre; il n'y a pas un seul chef de guerre !..."
Jeanne:
-"Ecoute, Hauviette : continue à prier pour que le chef de guerre s'en aille à sa besogne!..." (104).

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h- Le chrétien à Dachau.
"Ce qu'il faut à la France, c'est de la pureté". Cette phrase qu'il a entendue de la bouche de de Gaulle, il la redit à ses compagnons. Il l'intègre à sa vie spirituelle. Epanouissement spirituel que Charles DELESTRAINT a trouvé à Dachau. La confiance inébranlable qu'il a en la Victoire, en la Libération de tous les opprimés, cette confiance qu'il transmet aux autres, surtout à ceux qui désespèrent, il la puise dans sa foi. Il apparaît bien avoir le pressentiment qu'il ne verra ni la Libération ni la Victoire. Aucune tristesse, aucun souci de sa personne mais redonner aux autres confiance et espérance, entretenir sa vie spirituelle semblent être désormais ses principales préoccupations. Le rayonnement qui se détache de lui est opposé à toute vanité. Ceux qui l'approchent ne s'y trompent pas. Le réconfort spirituel et moral qu'ils en retirent est profond.
Au cours de la période du Revier, au block 9, ses amis ont vite fait de remarquer les longs moments de méditation qui suivent ses lectures de l'Evangile qu'il a pu obtenir. Alors, il marche seul, dans la petite cour entre les blocks 9 et 7, "sa pensée s'élevait vers Dieu" (105). Il lit aussi un livre de prières; il confie un numéro de la "Vie Spirituelle" au docteur SUIRE, conservé précieusement par celui-ci. Il s'entretient avec son compagnon de "chambre", Monseigneur PIGUET qui gardera de ses entretiens un souvenir privilégié.
103
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p.48.
104
Péguy, Charles. Ibidem p.63-64.
105-a
Suire, Pierre. Ibidem. p. 49.
105-b
Perrette, J-F. Le Général Delestraint. Op. Cit. p. 156.


Chaque soir, après 19 heures, les amis du Général le retrouvent et tous peuvent échanger sur des lectures évangéliques ou spirituelles, dont il est l'animateur.
Il ne peut pas sortir du Revier pour se rendre clandestinement à la messe du block 26, celui des prêtres.
Alors MICHELET vient lui porter la communion.

Donc, en Janvier, il doit quitter le Revier, et après la "quarantaine" du block 25, regagner le block 24. Il organise sa vie riche en communication avec les autres, mais aussi en méditation. Il prend immédiatement contact avec le R.P. RIQUET qui est ravi de le revoir et d'échanger avec lui chaque matin au block 26, où le Général se glisse telle une ombre. Car chaque matin, Charles DELESTRAINT assiste à la messe du Père RIQUET, au cours de laquelle il répond aux prières liturgiques "d'une voix grave et décidée, il communie "avec une piété profonde mais virile", et"prolonge à genoux son action de grâce" (106). Parfois, après la messe, ils peuvent rester ensemble dehors, bavardant longuement; ils recueillent les impressions l'un de l'autre sur la situation; le Général rappelle ses souvenirs de la Campagne de France, de son commandement, trop court, de l'Armée Secrète.
Le Général apprend que le R.P. RIQUET a organisé des causeries deux fois par semaine; il parle à des prêtres et à des séminaristes sur "Le civisme du Chrétien de France" et sur "Medecine et Christianisme". Il demande d'y participer ce qui lui est volontiers accordé (106). Cependant il exprime à toutes occasions "son optimisme inconfusible". Il étonne tous ses auditeurs parce qu'il n'est pas seulement certain de la Victoire, mais croit "à un redressement, à une prospérité de la France", évidents pour lui, mais peu probables pour tant d'autres (107).

Lorsque le Général DELESTRAINT sera envoyé au Bunker d'Honneur, en dehors des longs entretiens, très certainement oecuméniques, qui se déroulent entre l'évêque de Clermont, Monseigneur PIGUET, le Pasteur NIEMÖLLER et l'Archevêque orthodoxe de Belgrade, ainsi que Léopold de HOHENZOLLERN, il jalonnera toujours sa journée de longues périodes de prières et de méditations, en dehors de la messe quotidienne de Monseigneur PIGUET qu'il servira jusqu'au dernier jour.

Cependant, il convient d'y revenir, le christianisme du Général DELESTRAINT est loin d'avoir une simple expression cultuelle et ne se contente pas de manifestations liturgiques. Charles DELESTRAINT n'est pas non plus uniquement un contemplatif mystique. Il vit avec les autres à Dachau; il est loin de s'en être coupé. Les contacts qu'il entretient, qu'il crée, sont nombreux. Son christianisme est ouvert sur le monde qui est le sien, concentrationnaire, dégradant et horrible pour tous ceux qui y sont plongés. Il est aux cotés de ceux qui souffrent. Il a fait le sacrifice de sa vie. Il la leur a offert.

Il sait aussi être gai. Bob SHEPPARD l'a souvent entendu chanter, et même des airs d'opérette d'Offenbach...(107).

106
Témoignage détaillé du R.P.Riquet
107
Sheppard, Robert. La Dernière Etape. : Annexe 5/21.

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i- Sa Situation délicate à Dachau.

Le Général DELESTRAINT reste un N.N. à Dachau. Cependant était arrivée à ce camp, le 13 Janvier, une note de Berlin, en date du 6 Janvier, réduisant le nombre des N.N. français venus de Natzweiler, de six cent trente à trente seulement. Le nom du Général figure parmi les trente N.N. maintenus dans cette catégorie destinée à disparaître (108-a). Il doit rester vigilant.
Son état de santé, à la sortie du Revier, est satisfaisant. Il y est maintenu le plus longtemps possible, surtout grâce à l'étudiant en Médecine alsacien HICKEL et à l'infirmier NAAS. Mais après sa sortie et son passage au block 25, il présente, au cours de la période où il reste au block 24, cette furonculose, sur le crâne et la figure, plus génante que grave (108-b).

Par contre, son allure générale à Dachau étonne et fait poser des questions: le crâne rasé, on ne voit pas ses cheveux blancs. Ceux qui ne le connaissent pas lui donnent dix ans de moins que son âge; il sait garder une dignité, même dans sa tenue de bagnard, malgrè les fatigues et les privations.
On vient le voir, le consulter; aussi bien des officiers, des prêtres, des Résistants, des Communistes, des Français, ou des officiers alliés, tchèques, polonais, des Généraux russes (108-c).
Il ne mesure que 168 cms, mais il se tient droit, comme s'il était en tenue de Général français. Il y a en lui une prestance qui inspire le respect, "malgrè sa petite taille, il [a] une façon de redresser le buste, écrit Nerin E. GUN, qui ne pouvait manquer de le faire remarquer"; et ce témoin pense que "cette prestance superbe devait causer sa perte"(108-d).

Le Général ne le sait pas, il ne peut pas le savoir; les autorités nazies ne les ont pas oublié lui et ses compagnons de l'A.S., comme ceux de l'O.R.A., d'ailleurs. Une "Mise à disposition" pour le Tribunal de Breslau a été signé le 18 Novembre 1944. Ils peuvent d'un jour à l'autre y être envoyés. Et les S.S. savent parfaitement dans quel camp chacun d'eux se trouve (109-e).

108-a
Perrette, J.F. Le Général Delestraint. Op. Cit. p.155-156.
108-b
Perrette, J.F. Ibid. p.156-157.
108-c
Perrette, J.F. Ibid. p.160.
109-d
Nerin E Gun. Deux Généraux français à Dachau. in Le Monde du 18 Mai 1980.
109-e
A.N. 40 AJ/1500/17: Mise à disposition. Se reporter aux Annexes 5/24-1 et 2, et leur traduction 5/24-a1 et a2.


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III- L'ASSASSINAT.

A- L'APPEL.

1°- Un incident diversement rapporté

Les déportés de Dachau ont tous été fort impressionnés par la disparition du Général DELESTRAINT. Les témoignages sont nombreux, tant en ce qui concerne le meurtre que ses causes directes, c'est-à-dire le fameux appel au cours duquel le Général a été interrogé particulièrement. Il convient, ici, de rapporter tous les témoignages, avant d'en tirer une conclusion.

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a- Le Docteur ESPIE est à cette époque medecin au Revier, il ne peut pas en sortir et est dispensé d'assister aux appels; mais est régulièrement informé par son ami, le docteur JANDET, maintenant décédé. Ce dernier lui a apporté son témoignage. JANDET aurait donc assisté à la scène: Lors d'un appel inoppiné, le Général n'aurait pas exécuté avec assez de célérité une injonction de l'officier S.S. qui dirige l'appel. Le Général aurait mal toléré le comportement brutal du S.S., faisant alors malencontreusement état de sa qualité de Général français. L'officier allemand est alors intrigué par cette affirmation et relève son Numéro matricule de déporté. On fait des recherches au niveau du Secrétariat Général du camp où l'on découvre avec stupéfaction que le Général aurait dû être fusillé dès son arrivée. Il n'aurait dû son sursis qu'à l'énorme confusion régnant dans le fichier, désordre d'ailleurs savamment entretenu par quelques déportés employés à ce poste (109).

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b- Joseph ROVAN, dans son ouvrage, aborde cet épisode de l'appel qu'il explique de façon toute différente: Avant l'appel, un matin le Général doit se rendre au Revier pour une consultation, où il est retenu plus longtemps que prévu. Il arrive en retard sur la place d'appel, où le S.S. de service s'embrouille dans ses comptes du fait du retard du Général. Il l'interpelle rudement pour lui en demander. Charles DELESTRAINT rectifie sa position d'une façon toute militaire. L'Unterscharführer* s'en étonne et l'interroge. Lorsqu'il lui demande son grade, Charles DELESTRAINT répond :"Général d'Armée "(!).

109
Lettre personnelle du Docteur Espie, en date du 25.01.91.
*
J.Rovan traduit, dans les grades S.S., "Unterscharführer" par caporal alors qu'il s'agit plutôt de sergent. Quoiqu'il en soit ce serait, selon Rovan, un S.S. subordonné.


"DELESTRAINT, poursuit J.Rovan, eût mieux fait de taire la vérité, mais il n'y songea point." Le Unterschar-führer fait son rapport. Le Commandant du camp convoque le Général qui lui raconte qu'ayant eu de GAULLE sous ses ordres en 1940 il s'est mis sous les siens depuis. Le Commandant du camp en informe le R.S.H.A. qui ordonne de placer le Général à l'Ehrenbunker(110).

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c- Le Colonel de la CHAPELLE donne beaucoup moins de détails, et se contente d'avancer que le Général a quitté le camp proprement dit pour le Bunker d'honneur plusieurs semaines avant son assassinat (111).

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d- Nerin E GUN donne plus de précisions en notant qu'il les tient d'Edmond MICHELET "qui se trouvait tout près du Général", lors de l'appel: un jour le camp reçut la visite d'un Colonel-Inspecteur S.S. On fait aligner les déportés du block 24, et DELESTRAINT se place au premier rang. Le Colonel S.S. remarque "le petit Français aux cheveux blancs et à l'allure décidée":
-"Quelle profession ?" lui demande-t-il.
-"Général de l'Armée française", répond DELESTRAINT en ajoutant:
"Aux ordres du Général de GAULLE qui fut naguère sous mes ordres"
L'auteur de l'article se pose des questions: La Gestapo savait-elle que DELESTRAINT était toujours le chef des Français, de la Résistance à Dachau ? Coïncidence administrative, un retard ayant interféré dans la transmission de l'ordre de Berlin ? Un fait certain: peu après le Général est transféré dans le Bunker d'Honneur.

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e- Edmond MICHELET est certes un témoin important, mais il infirme l'assertion de Nerin GUN, puisqu'il écrit n'avoir pas été présent; il était au Revier lors de "l'incident qui devait être fatal" au Général. C'est Louis KONRATH qui lui a donné des précisions: Louis est un lorrain de Thionville qui veille sur le Général, "comme Flambeau sur l'Aiglon". Etant donné la viligance de Bob SHEPPARD, le Général est bien protégé au block 24.
Voilà donc le témoignage de Louis KONRATH rapporté par Edmond MICHELET: Un Colonel Inspecteur S.S. visite le camp ce jour. Dans la cour du block 24, sont alignés ceux qui n'appartiennent pas à un Kommando de travail. Le Général DELESTRAINT, au premier rang a une allure stricte qui attire l'attention du S.S.:
-" Wer bist du ?" (Qui es-tu ?)
-"Général de l'Armée française".
Et Konrath aurait précisé qu'il a ajouté, tel un défi:
" Et sous le commandement du Général de GAULLE, qui a été sous le mien" (113).

110
Rovan, Joseph. Contes de Dachau. Paris Julliard. 1987. 238 pages. p.188.
111
A.N. 72 AJ/326. N°27. témoignage du Colonel de la Chapelle.
112
Nerin. E. Gun. Deux Généraux français à Dachau. in Le Monde du 18 Mai 1980.
113
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Op. Cit. p.191.


MICHELET pense que cette réponse en aurait imposé à l'Obersturmbannführer, qui fit un rapport à Berlin.
Quoiqu'il en soit, très rapidement le Général futt transféré au Bunker d'Honneur.

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f- Jean-François PERRETTE, par son excellent ouvrage nous donne une version déjà plus précise. Il semble que ses sources proviennent de deux témoins directs, Robert SHEPPARD et René POIRIER qui se tenaient aux cotés du Général:
L'officier S.S. serait le Commandant du Camp et non un inspecteur; lieutenant-Colonel, il recherche les oisifs.
Parcourant les rangs, il s'arrête devant le Général et lui demande son âge:
-" Soixante-six ans, répond Charles DELESTRAINT.
- Votre métier ?
- Soldat.
- Quel grade ?
- Général de Corps d'Armée.
- Comment ? Quelle fonction remplissez-vous au camp ?
- Aide-Secrétaire au block 24.
- Pourquoi êtes-vous ici ?
- Parceque durant de longues années j'ai été le supérieur direct du Général de GAULLE.
Il apparaît normal que le Commandant du camp, fort surpris, ait demandé des instructions à Berlin. On transfère le Général dès le retour du courrier au Bunker d'Honneur, où Monsigneur PIGUET vient d'être installé (114)...

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g. Robert SHEPPARD a apporté un témoignage récent lorsqu'il écrit, pour l'Association "A la Mémoire du Général Delestraint", une plaquette intitulée : "la Dernière Etape" (115). Robert SHEPPARD est un témoin direct. Il reste avec le Général lorsque le contrôle a lieu sur la place d'appel pour vérifier si tous ceux qui restent dans les blocks ont un travail réel. L'Officier S.S. demande à chacun le block dont il dépend, le matricule, le nom et la fonction.

Il est aligné, à coté du Général. Le S.S. passe, et note la situation de chacun. Bob SHEPPARD donne son identité, son matricule, sa fonction: "Block Kantiner".
Le S.S. passe au suivant c'est-à-dire au Général; Bob s'attend à entendre le Général donner sa fonction:
hilfschreiber: aide-secrétaire; Il donne bien son nom:
-" Delestraint"
mais, pour sa fonction:
-" Général" ! répond-il !
Surprise du S.S. qui le fait sortir du rang, lui pose quelques questions, "note longuement. Retour dans le rang. C'est tout". Quelques jours plus tard, Bob SHEPPARD apprend que le Général part pour le Ehrenbunker (115-a).

114
Perrette, J.F. Le Général Delestraint. Op. Cit. p. 161.
115-a
Sheppard, Robert. La dernière Etape. Plaquette: Annexe 5/21.


Parmi ces divers témoignages, celui de Robert SHEPPARD nous paraît le plus fiable. Il est direct, vécu, sans intermédiaires. Aussi surprenant que cela puisse paraître le Général n'a donné aucune explication par la suite.
Il n'y a aucun orgueil dans cette réponse, peut-être un défi, ou bien n'aurait-il pas compris ?

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2° Une proposition sans suite.

Bien des amis du Général sont inquiets depuis qu'ils ont été témoins ou lorsqu'ils ont appris l'incident. Et parmi eux, les communistes qui veulent protéger le Général, estiment que peut-être tout se passera bien mais qu'on n'en est pas certain, qu'il vaut mieux prévoir... Ils pensent qu'il y a peut-être un moyen de le mettre à l'abri en attendant la Libération.

Roger LINET vient voir le Général au block 24 et lui propose de le faire entrer au Revier, sous un prétexte quelconque, et dès qu'un détenu français y mourrait, ce qui est extrêmement fréquent, il prendrait son identité; il aurait alors un nouveau numéro matricule échangé avec celui du détenu décédé. Le Général serait déclaré mort au Revier, alors que, bien vivant, il pourrait être camouflé jusqu'à la Libération. Ce serait, d'après lui, une opération relativement facile.
Le Général paraît hésiter. Toute dissimulation ne lui plait guère, et puis les évènements se précipitent; on l'envoie à l'Ehrenbunker de façon autoritaire (115-b).
Plus tard, plusieurs détenus, dont Edm. MICHELET se reprocheront de n'avoir pas substitué l'identité du Général à celle d'un autre détenu décédé. Quel que soit celui qui lui aurait proposé cette ruse, il aurait refusé (115-c).

115-b
A.N. 72 AJ 338. A.N°2. Témoignages sur Dachau.
115-c
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Op. Cit. p.193.


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B- LE CRIME ABSURDE.

1° Les dernières semaines, les derniers jours.

a- Le Bunker d'Honneur.

Il n'a pas été possible d'établir la date précise à laquelle le Général quitte définitivement le block 24 pour l'Ehrenbunker. Elle a suivi de très peu l'incident de "l'Appel". Ce transfert en est indéniablement la conséquence.
Pour Edmond MICHELET, le Général aurait quitté le block 24 pour l'Ehrenbunker en Janvier 1945 (116), ce qui ne semble pas possible puisqu'à cette date le Général va du block 25 au block 24 où il reste assez longtemps pour s'occuper activement du C.I.D., où il peut avoir de nombreux contacts avec de nombreux détenus du Block 24 mais aussi de tous les autres, y compris les étrangers.
Le docteur SUIRE donne des dates approximatives mais plus vraisemblables qui nous permettent cependant de nous situer. S'il ne parle pas du contrôle du S.S. auquel il n'a pas assisté, il nous dit qu'un jour de Mars la nouvelle -extraordinaire- de l'envoi du Général au Bunker d'Honneur leur est parvenue. Sans nul doute, tous ses amis sont inquiets, qu'ils soient au block 24 ou au Revier, tous pensent que l'anonymat du Général au milieu de la masse des déportés était pour lui une sécurité.
Peut-être à l'Ehrenbunker sera-t-il mieux traité, mais son identité est percée, et il relève toujours du "Volksgericht" de Breslau. Quelles seront les réactions du R.S.H.A., quand il sera informé ?
Lorsqu'il est signifié au Général ce changement il refuse. Il ne veut pas quitter ses compagnons; mais le Commandant S.S. lui précise que c'est un ordre de Berlin. Il faut obéir (117).

L'Ehrenbunker se situe à l'extrèmité Sud du camp, pas très loin des cuisines, pratiquemment tout près de l'enceinte sud. L'arrivée d'autres déportés fait ouvrir une annexe, l'ancien "block de tolérance". Le Général y retrouve surtout Monseigneur PIGUET et le Pasteur NIEMÖLLER, le plus ancien "pensionnaire", avec lesquels il pourra s'entretenir; à l'Ehrenbunker sont logés les personnalités évacuées de Buchenwald, Léon BLUM, le Chancelier autrichien SCHUSCHNIGG (118). Cependant, comme tous les détenus du "Bunker" le Général n'a pas le droit d'en sortir et ses amis n'ont plus de nouvelles de lui, si ce n'est que par les médecins et ceux qui travaillent au block de la "Désinfection" jouxtant le Bunker.

116
A.N. 72 AJ/1899. Fonds Appleton. Interwiew d'Edmond Michelet.
117
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p. 51.
118
Rovan, Joseph. Contes de Dachau. Op. Cit. p. 188-189.


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b- La combine de la Licht-Station.

L'absence du Général pèse à tous: au block 24 où Robert SHEPPARD n'a plus son inégalable chef et voisin de chambre, où Joseph ROVAN et ses amis, prêtres, romanciers, historiens, ne peuvent plus discuter longuement de stratégie militaire, cet art qu'ils ont découvert et qui les passionne depuis qu'ils cotoient le Général; au Revier où ses amis pensent avec nostalgie aux longs échanges sur l'Evangile, sur Péguy..., au block 26 celui des prêtres, où l'on ne voit plus, tôt le matin, le Général entrer furtivement pour entendre la messe, où il ne participe plus aux causeries du R.P.RIQUET, dans la Lagerstrasse, appelée "la rue de la Liberté" (Freiheitstrasse), où personne ne le voit plus passer, où l'on ne peut plus l'arrêter pour lui parler...

Mais une combine est mise sur pied: le Général et d'autres détenus de l'Ehrenbunker ont demandé de bénéficier d'un massage quotidien. C'est accordé -en ces dernières semaines les S.S. sentent le vent tourner- mais pour s'y rendre ils devront être accompagné d'un S.S. qui restera sur place durant les massages, car les échanges sont interdits. Inconvénient vite contourné.
Alors, ses amis le voient revenir à la Licht-Station, ils constatent qu'il est mieux nourri, son visage est plus plein, n'est moins pâle. On lui a rendu ses vêtements, un complet bleu clair, son alliance, sa montre, son épingle de cravate.
D'abord, on sait bien que la Licht-Station est devenu un centre de renseignements. PENCHENAT est en rapport avec plusieurs informateurs dont certains ont pu confectionner une "T.S.F." certes rudimentaire, qui leur permet d'entendre la B.B.C. il n'est pas difficile à l'irremplaçable PENCHENAT de communiquer au cours du massage les principales nouvelles à son patient. Même si un S.S. se tient dans la salle. Ses amis, les médecins du Revier, viennent dans la salle de massage pendant qu'il est en soins; et le docteur SUIRE, sous prétexte d'examiner son épaule, son thorax, sa colonne, lui transmet quelques informations, et pour camoufler encore davantage la conversation PENCHENAT branche son appareil à air chaud (119).
Autre méthode pour permettre à ses amis de communiquer avec le Général au cours du massage: le pasteur NIEMÖLLER et le prince de HOHENZOLLERN qui sont aussi dans la salle font écran entre la table et le S.S. et discutent à haute voix, pendant que Bob SHEPPARD ou Joseph ROVAN viennent l'entretenir du Comité International de Dachau et de sa section française ou d'autres sujets (120). Edmond MICHELET, qui, au Revier, se remet du typhus, participe à ces entretiens, toujours en pésence du S.S. somnolent, derrière le rideau formé par tous ces acteurs et figurants, le bruit de fond, brouhaha de toutes ces voix et appareils (121-a).
Inouï !

119
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p. 52.
120
Rapport de Joseph Rovan, tiré d'une parution inconnue. Se reporter à l'Annexe 5/24.
121-a
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Op. Cit. p.192.


Le Général écoute ce que lui rapportent ses compagnons. Il leur donne ses instructions et ses conseils, des consignes d'union pour la constitution de Comité Français qui doit être très représentatif au sein du C.I.D. L'Union entre Français Résistants doit devenir la base essentielle de ce Comité. Il sait de quoi il parle. Un point important à préciser: tant qu'il se trouvera au Bunker, ce doit être MICHELET qui doit le suppléer, de même s'il n'est plus là !
Surtout, il le dit et le répète à tous. Une seule pensée doit être le moteur de l'action: "La MAISON FRANCE" (121-b).

Chaque jour, le Général vient ainsi à la Licht-Station et est entouré de ses amis qui viennent lui donner des informations et prendre ses instructions. Le Mercredi 18, en les quittant, il serre peut-être des mains avec plus de chaleur que d'habitude, mais se tournant vers MICHELET, il lui dit: "A demain, je compte sur vous!".
La dernière fois qu'il rencontre Bob SHEPPARD, il lui confie: "C'est la fin, mon petit, nous avons gagné. Si dans ce qui va se passer nous nous perdons dans la foule, rendez-vous à Paris!" (121-c).
Le Jeudi 19 Avril, MICHELET attend vainement le Général à son rendez-vous de la Licht-Station. Il ne viendra pas (121-d).

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c- Un dernier contact avec le block des prêtres.

Quelques jours avant le drame, le Général voudrait avoir un contact avec les prêtres du block 26. C'est d'ailleurs partagé; le R.P.RIQUET et les abbés ont la nostalgie des matins où après la messe, on pouvait s'entretenir avec lui. Sous le prétexte d'une reprise au pantalon de son fameux complet, le Général demande et obtient que lui soit envoyé l'abbé LAVIGNE, connu pour sa dextérité en couture. L'abbé peut discuter avec lui, recueillir ses dernières consignes: "Serrez-vous autour de MICHELET", lui dit-il (121-e). Et certainement les conseils déjà prodigués à ses autres amis: "Restez-unis; tout pour la Maison-France".

121-b
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p. 52.
121-c
Sheppard, Robert. La dernière Etape: Voir Annexe 5/21. 121-d
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Op. Cit. p. 192.
121-e
Témoignage personnel du R.P.Riquet transmis aussi par Mr Le Barzic.


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2°- La décision de KALTENBRUNNER.

Berlin sous les bombes en ce mois d'Avril 1945, subit ses derniers jours. Le R.S.H.A. a connu auparavant un développement bureaucratique tellement important que l'énorme immeuble de la Prinz Albrechtstrasse n'a plus suffi à abriter ses services. Il a fallu progressivement les répandre dans trente huit grands immeubles berlinois. Les bombardements les ont presque tous atteints, parfois gravement. HIMMLER qui tient à garder la mainmise sur tout l'appareil S.S. et ne donne toujours pas sa confiance absolue à KALTENBRUNNER, loin s'en faut, veut réunir chaque jour les principaux chefs de service, ne serait-ce que pour leur redonner le moral. Il les retrouve autour d'une table pour déjeuner au 116 de la Kurfürstenstrasse où se trouvent les bureaux d'EICHMANN. Théoriquement, on ne doit pas parler service, mais devant les urgences de plus en plus manifestes, on aborde au cours du repas bien des questions en suspens. Quand HIMMLER s'absente, c'est KALTENBRUNNER qui préside ce repas (122). Y sont prises les grandes décisions des exterminations, des chambres à gaz, de l'accélération de la "solution finale" confiée à EICHMANN, grand ami de KALTENBRUNNER, comme lui autrichien de la région de Linz. Il est probable que ce soit au cours d'un de ces repas quotidiens que le cas du Général DELESTRAINT ait été présenté. La décision de son élimination n'a fait trembler aucune main pour prendre le verre rempli de Bordeaux. KALTENBRUNNER qui est censé se souvenir des rapports qu'il a signés les 27 Mai et 29 Juin 1943, jouit encore des derniers jours de son autorité imbécile. Il donne une fois de plus l'ordre de tuer, sans se douter un instant qu'il aura bientôt à répondre devant les Nations de ses actes criminels.

Monsieur Roger HISARD a laissé aux Archives Nationales un document, commentant ses théories sur les circonstances de l'arrestation de Jean MOULIN et du Général, sur celles de sa mort à Dachau. Il pense qu'il fut exécuté en représailles de la mort du Général allemand von BRODOWSKI, responsable de nombreuses exactions, abattu par une sentinelle alors qu'il était détenu à la Citadelle de Besançon au cours de l'hiver 44-45 (123). Les Allemands auraient reproché aux autorités françaises d'avoir tendu un piège à ce Général allemand prisonnier des Français lors de la retraite allemande de l'automne 44: ayant trouvé la porte de sa cellule ouverte, il aurait tenté de s'évader et aurait été abattu par le soldat qui le guettait.
Il semble plus vraisemblable cependant qu'aux yeux de KALTENBRUNNER le contentieux qui aurait dû amener DELESTRAINT devant le Volksgericht de Breslau, aurait été suffisant.
122
Delarue, Jacques. Histoire de la Gestapo. Paris Arthème Fayard 1962. et collection Marabout: 448 pages. p. 343.
123
Dossier Hisard, Roger: trouvé aux A.N. avec le Z6.244. N°2919.


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3° Un certain Jeudi 19 Avril 1945.

a- Dernière veillée.

Le Mercredi 18 Avril arrive à Dachau Monsieur Armand MOTTET. Les S.S. l'affectent au block 67, c'est-à-dire à l'Ehrenbunker, sans doute faute de place. Il a été arrêté le 1°Décembre 1943, accusé d'être un agent de liaison de Résistance-Fer vers la Suisse, son père y résidant; déporté à Oranienburg, puis à Berlin, où, selon son témoignage, KALTENBRUNNER en personne et son adjoint STARVITZY l'interrogent pour lui demander s'il était en relation avec Vidal et Didot. Comme il ne les connaît pas on le transfère en détention cellulaire au Camp de Flossenburg où il reste jusqu'au 15 Avril. Devant l'avance alliée il fait partie du premier convoi de ce camp à destination de Dachau. Ainsi, dès son premier soir dans ce camp, il passe la veillée avec les deux Français qui sont détenus à cet Ehrenbunker, Monseigneur PIGUET et le Général DELESTRAINT.
L'entretien entre les trois Français se prolonge tard dans la nuit. Une réelle intimité s'installe entre eux. Lorsqu'Armand COTTET raconte son histoire et l'interrogatoire de KALTENBRUNNER, au cours duquel il est question de Vidal et de Didot, DELESTRAINT ne se contente pas de lui révéler que c'est lui, Vidal, il veut qu'il sache que c'est Didot qui l'a dénoncé, qu'il doit être "démasqué et jugé".
Au cours de leur longue conversation, ils entendent sans interruption le grondement des canons alliés, ce qui les réjouit. Les Alliés sont aux portes d'Ulm. La Libération est toute proche. Cependant le Général est anxieux pour les détenus. Quelle décision prendront les S.S. avant la Libération. La mort plane toujours sur eux tous (124).

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b- Dernière Messe.

Malgrè cette veillée prolongée, comme chaque matin Monseigneur PIGUET et le Général DELESTRAINT se lèvent tôt. Le Général sert la messe de l'Evèque de Clermont. Au milieu de cet office, très simplifié, deux officiers S.S. arrivent à l'Ehrenbunker, et demandent au Général de les suivre.
Armand Mottet n'a pas assisté à la messe; il dort encore, fatigué par ce long transport qui a amené les déportés de Flossenburg à Dachau dans cette Allemagne bouleversée et bombardée. C'est l'évêque qui, après sa messe, lui apprend que les S.S. sont venus chercher le Général, qu'il est revenu recevoir la communion et est reparti. Ils en parlent. Les Allemands l'utiliseraient-t-ils comme plénipotentiaire pour la reddition du camp ? (124).

124
Lettre de Mr Armand Mottet au Président du Tribunal Militaire de Paris, en date du 3 Mai 1950. (Instruction du second procès Hardy: Cote 92).


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4°- Les Faits.

Lors du procès de Dachau, les circonstances du crime contre la personne du Général DELESTRAINT ont été évoquées avec une grande précision. Il convient d'y ajouter quelques anecdotes fiables, telle celle de la messe de l'évêque Piguet à laquelle on vient le chercher:
Ces faits ont été rapportés fidèlement dans l'excellent ouvrage de J.F.PERRETTE (125).

C'est donc très tôt le matin de ce Jeudi 19 Juin que le Hauptscharführer S.S. (adjudant) De Berlin via Munich, EICHBERG a reçu l'ordre d' exécution du Général signé de l'Obersturmbanführer (Lt-Colonel S.S.) SCHÄFER. Il remet l'ordre à son officier Wilhem RUPPERT. Un autre sous-officier, l'Oberscharführer FRITZ, vers 8h30, vient chercher le Général alors qu'il sert la messe de Mgr PIGUET, au block 26 des prêtres.
Le S.S. lui dit de se préparer immédiatement, qu'il appartient à un convoi en partance. FRITZ aurait même donné des précisions en rassurant l'évêque: "Vous ne tarderez pas à le rejoindre" (125). Le Général suit l'Allemand alors accompagné de EICHBERG qui vérifie son identité et lui confirme qu'il va être libéré.
On l'emmène à son Ehrenbunker où il doit préparer ses affaires; il se change; il met son fameux complet bleu, en sortant du Bunker il retrouve les deux S.S. qui l'attendent.
Il demande à retourner au block 26, à la messe de Mgr PIGUET. C'est ainsi qu'il longe la Lagerstrasse (ou Freiheitstrasse) toujours accompagné de ses deux S.S. et qu'il y rencontre un camarade du block 24 et lui lance:
"Je suis libéré, paraît-il !"
Il arrive au block 26 pour pouvoir recevoir la communion des mains de l'évêque. Les deux hommes s'embrassent et se disent adieu Les S.S. l'accompagnent ensuite, à nouveau à son Ehrenbunker, d'où il ressort avec une valise.
L'Obersturmführer RUPPERT l'attend et avec déférence lui porte sa valise. Ils se rendent ainsi au "Jourhaus", bâtiment administratif près de la porte du camp.

Il est accompagné, soit disant pour les formalités d'élargissement, dans le bureau de l'Obersturmführer OTTO. RUPPERT qui a échangé avec le Général pendant ce trajet se pose des questions sur la mission qui lui est imposée. Il se demande si le Général ne devrait pas être jugé plutôt qu'être sommairement exécuté. Il en fait part à OTTO qui réagit brutalement en précisant que l'ordre doit être exécuté immédiatement.
En sortant ils rencontrent quelques détenus. L'Unterscharführer (Sergent) STILLES se joint à eux. Le groupe sort de l'enceinte, longe l'Amper, ruisseau-canal qui suit la cloture ouest du camp. C'est en se rapprochant du Crématoire que deux autres S.S. les rejoignent, le Hauptscharführer PONGRATZ et le S.S. BOOMGAERTS.
L'Obersturmführer RUPPERT prend congé du Général et quitte le groupe qui pénètre dans l'enceinte du crématoire (125).

125
Perrette, J.-F.. Le Général Delestraint. Op. Cit. p.165 à 169.

Il est environ 11 heures. C'est au niveau de la "butte de tir", près des bâtiments de l'ancien et du nouveau crématoires que le S.S. BOOMGAERTS s'est avancé derrière lui et d'une distance d'environ deux mètres lui a tiré une balle dans la nuque. Le Général est tombé en avant, mais il se serait retrouvé la face vers le ciel; il a pu parler et implorer le coup de grâce. BOOMGAERTS lui a alors tiré un second coup de revolver dans la bouche.
Le Kapo Emile MAHL, criminel de droit commun, détenu chargé du Crématoire reçoit l'ordre d'incinérer immédiatement le corps; contrairement à l'usage, cette incinération se fait avec les vêtements, les papiers et objets personnels du Général (126).

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5° Les différentes versions.

a- Le Docteur Pierre SUIRE

Le Docteur SUIRE n'est pas un témoin, mais dans son livre, il a cherché à cerner la vérité et est parvenu à la version adoptée par le Commandant PERRETTE, tout en admettant cependant que le Général et trois Français ont dû se déshabiller entièrement avant l'exécution, que le Général sort le dernier et est abattu dans le dos par le SS sur le chemin qui mène à la butte. Il demande le coup de grâce (127). Il est vrai que le docteur SUIRE n'a pas encore eu connaissance des conclusions du procès de Dachau où l'on a affirmé que le Général n'était pas déshabillé.

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b- Le témoignage d'Armand KIENTZLER.

Un détenu de Dachau, Armand KIENTZLER, affirme avoir été témoin de très nombreuses exécutions de "civils et prisonniers", étant données ses fonctions de jardinier: Il travaille en face du Crématoire, à environ 60 mètres, et par une lucarne dans le mur du bâtiment, il assiste aux exécutions; il a vu celles de 90 officiers russes, de femmes qui devaient, comme les hommes, se déshabiller, entendre les rires et plaisanteries blessantes et stupides des S.S. avant d'être abattus.
Il dit que la dernière séance d'exécution fut celle du Général DELESTRAINT. Juste avant lui, ont été abattus trois Français et onze officiers tchèques. Les S.S. étaient ivres, plaisantaient et riaient. Le Général s'avança tout nu, mais droit et fier; il fut abattu de deux coups de revolver tirés à distance. Il ne mourut pas immédiatement. L'exécution eut lieu à 11h10 du matin. KIENTZLER affirme dire la pure vérité (128).
Plusieurs détenus se réfèrent à sa version.

126
Compte-rendu de la Presse: procès de Dachau. Annexe 5/25.
127
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p. 56-57.
128
Témoignage d'Armand Kientzler in "Bulletin de l'Amicale des Anciens de Dachau", N°3. Octobre-Novembre 1945.

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c- Joseph ROVAN.

Joseph ROVAN écrivit dès le 10 Août 1945, un rapport sur le meurtre perpétré, d'après les témoignages entendus; il en ressort que depuis l'arrivée de Buchenwald de nombreux prisonniers d'honneur, tels Léon BLUM et l'ancien Chancelier autrichien SCHUSSNIGG, les anciens détenus, dont l'évèque PIGUET, le Général DELESTRAINT, durent laisser leur place du Bunker et, quelques jours avant le meurtre, occuper l'ancienne maison de tolérance, devenue annexe de l'Ehrenbunker (129).
Selon lui, ce serait la veille, le 18, que le Général aurait annoncé à d'autres détenus un transfert, sinon sa libération, ce qui est infirmé par ce qu'a déclaré Mgr PIGUET.
Selon Joseph ROVAN le Général aurait été convoqué à la Kommandantur, le 19, pour partir au Tyrol.
Une fois arrivé à la porte du camp il aurait été rejoint par d'autres prisonniers dont deux jeunes Français, ainsi que par RUPPERT qu'il désigne comme Commandant du camp et par le Rapportführer BOETKER, adjudant de service. Le groupe se serait alors dirigé vers le Crématoire. Le Général aurait compris dès cet instant sa vraie destination. Dans l'enceinte du Crématoire, les condamnés auraient été conduits vers une cabane où ils devaient se déshabiller. Entièrement dévêtu, le Général serait dirigé vers la butte de sable. C'est dans le chemin qui y mène qu'il aurait été abattu sans avertissement, de deux balles dans la nuque par le S.S. chargé du Crématoire.
Joseph ROVAN précise que le corps a été reconnu dans l'antichambre des fours par "un des nôtres qui y est employé". Il fait allusion au jardinier qui fut témoin (KIENTZLER) (129). Dans son livre, J.ROVAN est très avare d' informations concernant le meurtre.

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d- Le Révérend Père RIQUET.

Le Père Riquet n'est pas témoin. Il a glané des informations: Elles coïncident avec celles du docteur SUIRE, jusqu'à l'instant où le groupe arrive à la porte du camp; Citons-le:"alors on fait poser la valise [du Général] et on l'emmène par le petit sentier longeant nos barbelés; on le conduit au Crématorium. Il a compris.
D'un ton énergique, il leur dit: "Je sais ce qui m'attend. Veuillez me laisser quelque temps de recueillement". Il se recueille dans une longue et dernière prière, après quoi: "Vous n'êtes que des exécuteurs, je vous pardonne. Vive la FRANCE, Vive de GAULLE". Peu après, il tomba, assommé d'un coup de révolver à la nuque"(130).

129
Rapport de Joseph Rovan en date du 10.08.45.Cette version d'un second Ehrenbunker explique la différence entre le plan et la description du livre de Berben, Paul: Op.Cit. p. 9.
130
Témoignage transmis personnellement par le R.P. RIQUET. Sa version des faits provient d'une enquête qu'il mena dès la libération du camp, nous a-t-il précisé.


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e- L'éditorial de Maurice SCHUMANN.

Le 10 Mai, exactement trois semaines après l'assassinat, deux jours seulement après la victoire des Alliés, de la France, Maurice SCHUMANN, l'ancien porte-parole de la France Libre, maintenant éditorialiste de la Radiodiffusion Française, consacre sa chronique quotidienne à l'assassinat du Général DELESTRAINT.
Les inexactitudes historiques manifestes ne sont pas un obstacle à l'essentiel de l'information qui se répand par les ondes à travers la France et apprend à tous qui était le Général DELESTRAINT (131). Malheureusement les Français, meurtris dans leur chair et pensant à leur redressement sinon à leur survie, l'auront vite oublié.

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f- Le Colonel Charles ARNOULD.

Il faut avoir compté parmi ses anciens compagnons de Géhenne, comme le Colonel ARNOULD, pour trouver des mots qui puissent rappeler qui était le Général DELESTRAINT au Struthof, à Dachau.
Officier déporté à Natzweiler puis à Dachau, le Colonel ARNOULD a signé de son Numéro matricule un superbe article dans le Bulletin des Chars et Blindés. Il a repris la version du docteur SUIRE. Le Colonel a été un fervent admirateur du Chef de l'Armée Secrète qu'il n'a cependant connu qu'en déportation (132).

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g- Une version peu connue.

Une exposition sur la "Déportation" tenue en Avril 1990 à l'Hôtel-de-Ville de Douai présentait le portrait du Général et un texte intitulé:
L'exécution du Général DELESTRAINT.
On y lisait:
"Le 19 Avril 1945 à 11 heures, le Général DELESTRAINT, agé de 64 ans*, détenu à Dachau depuis le mois de Septembre 1944, est conduit au bureau du Chef des Rapports. Quelques minutes plus tard il en sort pour être dirigé vers le four crématoire.
En chemin, le SS TRANKLE assène au Général des coups de poing en pleine figure, avec une telle violence qu'il lui enfonce plusieurs dents.
Puis l'Oberscharführer BONGARTZ abat le Général d'une balle dans la nuque. Erwin MAHL reçoit l'ordre de brûler directement le cadavre avec les habits et tout ce qu'ils contenaient (133-a).

131
Editorial radiophonique de Maurice Schumann du Jeudi 10 Mai 1945. Voir l'Annexe 5/26.
132
Arnould, Colonel. Le Général Delestraint. in Chars et Blindés, Bulletin de l'U.N.A.C-B. N°96. Janvier 1966.
Voir en Annexe 5/27 la photocopie de la première page du Bulletin.
133-a
Texte adressé par le Cl Prévost. Aucune réponse n'a pu être obtenue quant aux sources, de la part de la Mairie de Douai.
*
Le général n'avait pas 64 ans en 1945, mais 66 ans.


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h- Confirmation de cette dernière version.

Très récemment, le docteur SUIRE nous écrivait avoir modifié, à l'occasion d'une conférence, la version de l'exécution du Général apportée dans son livre édité en 1946, en se basant sur le témoignage du Kapo du Crématoire dont nous avons déjà parlé, Erwin MAHL. Au procès des S.S. de Dachau, celui-ci a apporté son témoignage direct:
"Exécuté ? Pire, un assassinat, écrit le docteur SUIRE, [...] treize exécutions, tous N.N. [...], à mi-chemin environ, le S.S. TRENKLE se précipita sur lui, lui assénant des coups de poing en pleine figure avec une violence sauvage, lui enfonçant plusieurs dents. Puis l'Oberscharführer BONGARTZ l'abattit d'une balle dans la nuque. Ce même 19 Avril Erwin MAHL reçut l'ordre de brûler immédiatement le cadavre avec les habits et tout ce qu'ils contenaient ". On retrouve presque mot pour mot le texte de l'exposition de l'Hotel-de- Ville de Douai.
Le docteur SUIRE tire ces précisions de l'opuscule maintenant introuvable de François GOLDSCHMITT, curé d'un petit village de Moselle, déporté à Dachau (133-b).

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6° Quelques incertitudes demeurent.

Il semble en effet probable que le Général, qui avait déjà le pressentiment de sa fin prochaine, ait rapidement compris où les S.S. le conduisaient. Il est plus que probable qu'il ait alors demandé quelques instants de recueillement. Mais en ce qui concerne le fait que le Général ait été abattu sans avoir reçu l'ordre de se dévêtir comme cela a été dit au procès de Dachau, ou bien qu'il ait été introduit dans la fameuse cabane pour se dépouiller de ses vêtements, comme c'était la règle, comme le témoin prétend l'avoir vu, absolument nu, aucune preuve formelle ne vient étayer l'une ou l'autre hypothèse.
La même incertitude demeure sur ses dernières paroles. S'il a crié: Vive La France, Vive de GAULLE, il est vident que les S.S. n'en auront pas témoigné. S'il a été abattu sans avertissement, il est possible qu'il n'ait pu demander que le coup de grâce.
La version d'Erwin MAHL présentée au procès de Dachau et reprise par l'abbé François GOLSCHMITT apparait sérieuse, très possible sinon probable, étant donnée la barbarie de ces S.S.

Ainsi périt un Général français, Charles DELESTRAINT, dont l'abnégation, l'amour des autres, la profondeur de sa vie spirituelle le faisaient aimer de tous ceux qui ont eu la chance de bien le connaître.
Les S.S. l'ont assassiné.

133-b
Goldschmitt, François. Les derniers Jours de Dachau. Alsaciens et Lorrains à Dachau. N°5. Sarreguemines Marcel Pierron 1947. pages 32-33.


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C- LA NOUVELLE SE REPAND.

1° Ses Compagnons de détention apprennent.

a- "Ils fusilleront donc jusqu'au dernier jour !"

Edmond MICHELET a donc rendez-vous avec le Général ce Jeudi matin, 19 Avril, comme les autres jours, à la Licht-Station. Seul le Pasteur NIEMÖLLER y arrive accompagné de son inévitable S.S. Ils sont étonnés de ne pas avoir vu le Général. Ils en parlent quand ils entendent une détonation, et sans doute une seconde bientôt. Bien que ces bruits leur soient familiers, le pasteur ne peut s'empêcher de dire:
"-Ils fusilleront jusqu'au dernier jour".
Un détenu français, très ému, vient voir MICHELET dans la soirée pour lui annoncer qu'au fichier dont il doit s'occuper un S.S. de la Division politique (Politisch-Abteilung) lui a passé la fiche du Général, pour la classer; elle portait "la croix potencée" avec l'inscription: ": Abgang durch Tod" (Départ pour cause de décès) (134)

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b- l'avis du décès du Häftling Delestraint !

C'est Joseph ROVAN qui reçoit pour le classer au fichier central l'avis de decès, où la cause est portée: sur la fiche du Häftling (détenu) DELESTRAINT, on peut lire, "pour cause de faiblesse cardiaque", c'est là la mention habituelle portée sur les fiches de ceux qui ont été fusillés, pendus, abattus sommairement (135).

La nouvelle est donc confirmée. MICHELET vient avertir dans l'après-midi tous les Français et autres amis du Général. Le docteur Pierre SUIRE est atterré et pleure lorsque MICHELET, au Revier, pâle et la voix brisée, l'entraîne dans la petite cour et lui confirme qu'à la Politisch-Abteilung, la fiche Delestraint porte bien la mention: "Abgang durch Tod"(136). La nouvelle se répand, les Français viennent aux nouvelles, de nombreux étrangers viennent manifester leur sympathie à Edmond MICHELET, à nouveau chef des Français. Les Français du block 24, les prêtres du block 26 sont accablés. Le fidèle Bob SHEPPARD est effondré quand on lui apprend: "Le Général est mort...Ils l'ont tué" (137).
Combien de détenus, Français et étrangers ne peuvent retenir leurs larmes.

134
Michelet, Edmond. La Rue de la Liberté. Op. Cit. p. 192.
135
Rovan, Joseph. Contes de Dachau. Op.Cit. p. 190.
136
Suire, Pierre. Il fut un Temps. Op. Cit. p. 54.
137
Sheppard, Robert. La dernière étape. Voir Annexe 5/21.

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c- La plus grande, la plus belle messe...

Les amis du Général, Français et Etrangers décident d'organiser une messe clandestine pour le repos de l'âme du Général. Elle se célèbre le lendemain, le Vendredi 20 Juin, à la veillée, après l'extinction des feux, au block 8; c'est là que le R.P. FILY, ami du Général, habite. Il a organisé la messe dans un recoin; tout est éteint dans la chambre, seule une chandelle donne une lumière suffisante et ajoute à l'intimité des prières. Mgr DAGUBRE, coadjuteur de l'évéché de Bayonne sert la messe (138).
Les participants se sont glissés, les uns après les autres de leur block respectif au block 8. Ils sont peu nombreux, le secrétaire du block 8, polonais qui est connu pour son amitié envers les Français, deux ou trois amis Français du Général, dont Edmond MICHELET, et Bob bien entendu... Instants grandioses et sublimes où l'on voit ces détenus en guenilles, debout, comme le Général, qu'ils honorent, lui qui "entre, droit, dans la Gloire éternelle"(139).
Oui, la plus grande, la plus belle messe (140).

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2° A la libération du camp.

C'est le dimanche 29 Avril 1945, donc dix jours après le meurtre que le camp est libéré par la 42° division d'Infanterie Américaine du Général LINDEN. Les Américains prennent immédiatement en charge le camp de Dachau. Le Capitaine TRESNEL, officier de liaison français auprès de la troisiène Armée américaine, sera chargé particulièrement de la première enquête concernant l'assassinat du Général DELESTRAINT (141).

Mais parmi les tout premiers Français qui viennent visiter le camp de Dachau, se trouve un Capitaine de Chars de la 2°D.B.; avec sa 2°Compagnie il a participé à tous les combats jusqu'à Berchesgaden. Il s'agit du Capitaine de WITASSE dont nous avons déjà parlé avant qu'il ne rejoigne Leclerc. Sa compagnie est maintenant cantonnée à Feldafing, à près de 80 kms au sud de Dachau. Ils y sont le 8 Mai. Un de ses lieutenants, Nanterre, de son vrai nom WEIL, israélite, voudrait se rendre à Dachau; il voudrait retrouver une trace de ses parents déportés.
Juste avant de partir, le Bourgmestre de Feldafing vient le voir, très gêné, pour lui demander s'il a l'intention de faire visiter Dachau à ses soldats.

138
Rapport de Joseph Rovan. Voir Annexe 5/24
139
Dernière phrase de l'homélie du R.P.Riquet. Voir Annexe 5/22.
140
Sheppard, Robert Ibid. Voir Annexe 5/21.
141
Rapport en date du 15 Août du Capitaine Tresnel qui comporte quelques erreurs, de date, d'orthographe des noms. Voir Annexe 5/27.


-"C'est possible, mais ça ne vous regarde pas" répond le Capitaine
-"Si, rétorque le Bourgmestre, ça me regarde, car si vos soldats y vont, je fais évacuer la population de Feldafing, avant que vos soldats ne reviennent !".

Le Capitaine de WITASSE et le Lieutenant Nanterre y vont, en Jeep:
"Hallucinant. La réalité est là, mille fois pire que tout ce que je pouvais imaginer, pendant deux nuits je ne pourrai fermer l'oeil...Je comprends à présent l'interrogation du Bourgmestre de Feldafing...A Feldafing, manifestemment la population savait...Je renonce à mon intention de conduire ma Compagnie à Dachau !"(142).
Et le Capitaine de Witasse ignorait alors le crime que les S.S. avaient commis quelques jours auparavant sur la personne de son ancien Général de Chars qu'il admirait tant...

Un autre de la 2° D.B. arrive à Dachau, Benjamin JOSSET, qui fait partie de la France Libre depuis 1940. Il est bouleversé par la vue de ces monceaux de cadavres, ce four crématoire, il voit ces hommes décharnés, et brusquement l'un d'eux l'interpelle par son nom; c'est un ancien camarade de la France Libre:
"C'est moi KERJEAN. Rappelle-toi 1940; nous étions ensemble en Angleterre, c'est moi, c'est moi !"
Parachuté en France, trahi, dénoncé, il fut arrêté, torturé, déporté. C'est KERJEAN qui a longuement parlé à son ami JOSSET de "cet immense personnage qu'était le Général DELESTRAINT, chef de l'Armée Secrète, de sa vie héroïque, de son dévouement, de son courage étonnant et de sa fin tragique quelques jours avant la libération du camp "(143).

142
Général de Witasse: Souvenirs, non encore publiés, (document remis par l'auteur).
143
Josset, Benjamin, texte présenté le 23 Avril 1990: Mémoire de la Libération des camps de concentration, manifestation organisée par le Secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants.


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D- LA NOUVELLE PARVIENT EN FRANCE

1° La Famille apprend par le journal.

Madame DELESTRAINT vit à Paris, avec sa seconde fille, Bibiane. Depuis l'avance des Armées alliées occidentales au coeur de l'Allemagne, elle est anxieuse de n'avoir aucune nouvelle. La joie de la victoire, le 8 Mai, est très assombrie par ce manque d'informations. Des contacts ont été vainement pris au Ministère de Prisonniers et Déportés.
C'est le Mercredi 9 Mai que Mademoiselle Bibiane DELESTRAINT, accompagnée de son fiancé, Roger TOURTEL, dans le métro, jette négligemment un coup d'oeil sur un journal lu par un passager debout. Et elle lit un titre...:
" Le Général DELESTRAINT assassiné par les S.S. à Dachau".
Epouvantée, elle achète un exemplaire de ce journal. Son fiancé et elle décident de s'informer davantage. Ils se rendent au Ministère des Prisonniers et Déportés et demandent à voir Monsieur le Ministre en personne, c'est-à-dire Monsieur Henri FRENAY. Après une longue attente, il les reçoit et leur annonce sèchement:
"La nouvelle est confirmée; le Général a été fusillé le 19 Avril; j'allais vous en informer officiellement".
C'est tout. Le vide qui s'ouvre sous les pieds. (144). Il faut maintenant annoncer l'affreuse nouvelle à Madame DELESTRAINT! Le désarroi s'installe dans cette famille qui se reprenait à espérer.

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2° Les amis et les fidèles

Ce seront les amis du Général revenant des camps qui lui rapportent les souvenirs, les informations et les détails sur la vie édifiante du Général au camp, dont les coeurs sont chargés; ils essayent ainsi -si la chose est possible- d'apporter une consolation à une femme, à des filles à jamais meurtries. Edmond MICHELET avec toute sa délicatesse, le R.P. RIQUET avec sa foi tentent d'apporter quelque réconfort spirituel...
Les fidèles du Général espéraient bien le retrouver dès laur retour de déportation, ils sont désespérés.
- Nous avons pleuré ensemble avec le Commandant GASTALDO à son retour de Tchécoslovaquie (145). Il n'a jamais oublié son ancien chef, il n'a jamais pu guérir de sa disparition
- Nous avons vu André LASSAGNE, très malade, à son arrivée à Lyon, rapidement hospitalisé en Sanatorium. A cette épreuve s'est ajoutée l'annonce de la mort du Général qui l'a fortement éprouvé.

144
Témoignage de Madame Tourtel-Delestraint.
145
Lors de l'évacuation du camp de déportés, le commandant s'est évadé. Arrêté par la police allemande qui le prit pour un parachutiste, il ne fut pas fusillé, s'évada pour passer en Tchécoslovaquie où il termina la guerre à la tête d'un maquis.


A leur tour, les amis sont informés de la terrible nouvelle (146); le choc est rude, ressenti par tous ceux qui avaient mesuré les valeurs exceptionnelles du Général et qui l'aimaient.

La victoire, tant attendue, nous est arrivée avec une joie mélée d'une peine indicible.

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3°- Le Général de GAULLE

Le 9 Juillet 1945, le Général de GAULLE adressa à Madame DELESTRAINT une lettre personnelle, ainsi rédigée:
"Rien ne pourra éteindre la dette que la France a contractée vis à vis de vous si ce n'est la certitude que la mort héroïque du Général DELESTRAINT n'aura pas été vaine."
"Nous continuerons, tous ensemble, d'unir nos forces pour que la France, rendue grâce à son sacrifice et à celui de tant de héros à la liberté et à la victoire, demeure digne de sa traditionnelle mission".

Mais, la lettre que le Général de GAULLE écrivit au Docteur SUIRE, le 9 Novembre 1946, à la suite de la lecture de son livre "Il fut un temps", contient des termes autrement profonds; le Général de GAULLE n'a plus alors, comme en Juillet 1945, l'énorme responsabilité du gouvernement; il n'a plus à faire face aux difficultés innombrables du redressement français, il peut se souvenir. Ne convient-il pas ici d'en retranscrire chaque mot ? :

"Cher Docteur,
"Votre livre m'a beaucoup intéressé et ému. Vous y faites preuve de la qualité la plus rare et la plus méritoire pour un homme qui a souffert ce que vous avez dû souffrir. Cette qualité est la sérénité qui n'est nullement la misanthropie"
"Ce que vous écrivez du Général DELESTRAINT est pour moi-même très émouvant. Parmi tant de nobles coeurs que le drame a révélés à travers l'écume, il était l'un des plus nobles. De cela, je me doutais d'avance, car nous nous connaissions bien. Mais les évènements en ont apporté une magnifique confirmation.
Ne laissons jamais se perdre de tels souvenirs. Merci à vous de les avoir illustrés... "(147).

Oui, ne laissons jamais se perdre de tels souvenirs...

146
Télégramme annonçant le meurtre, reçu par ma mère, Madame Guillin. Voir Annexe 5/28.
147
Lettre du Général de Gaulle au docteur Suire dont ce dernier a bien voulu nous en transmettre les termes.

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E- LA MEMOIRE QUE NOUS LUI DEVONS.

Le Général DELESTRAINT avait été promu Général de Corps d'Armée en Mai 1943, au titre de la France Combattante. La nomination officielle à ce grade ne passe au Journal officiel que le 20 Février 1945, alors que le Général se trouve alors à Dachau. Mais la bureaucratie est longue à entériner les nouveaux grades, surtout à l'époque et dans ces circonstances. Aussi, le décret du 17 Novembre 45 de l'Ordre de la Libération l'attribue-t-il, par erreur, au "Général de Division" DELESTRAINT. Ainsi, ce grade ne peut en aucune façon être considéré comme ayant été décerné à titre posthume.

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1° La Croix de la Libération.

Le décret du 17 Novembre 1945, la Croix de la Libération est décernée à titre posthume, au Général DELESTRAINT, avec le Numéro 893. (148). Son nom et sa biographie figurent au Mémorial des Compagnons de la Libération.
Le Président Jacques CHABAN-DELMAS, dans son très bel ouvrage: "Les Compagnons" a présenté les biographies exemplaires de douze d'entre eux. Il développe en premier lieu celle de Charles DELESTRAINT (149).

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2° Les Cérémonies d'après guerre.

Dans les années qui suivirent la fin de la guerre, plusieurs cérémonies furent célébrées à la mémoire du Général. Nous ne les citerons pas toutes, mais i est bon de rappeler qu'en Novembre 1946, le Ministre Edmond MICHELET inaugura la plaque commémorative apposée au 35 Boulevard Murat à Paris; ce même jour, il remet à Madame DELESTRAINT la cravate de la Légion d'Honneur décernée à titre posthume au Général.
La prolongation de la rue Erlanger dans le XVI° arrondissement, tout à coté de ce domicile parisien du Boulevard Murat, fut baptisée: "rue Général Delestraint".

Mais dès fin Juin 1945, fut inaugurée à Bourg-en-Bresse, la plaque commémorative sur l'immeuble du 41 Avenue Voltaire. Très rapidement, dans cette même ville, furent baptisées deux rues, l'une rue du Général Charles Delestraint, l'autre rue du Colonel Gastaldo.

Le 28 Juin 1947, fut inauguré à Vannes un monument du souvenir dans l'ancien quartier du 505°R.C.C. qui porte maintenant le nom du chef de l'Armée Secrète; à l'occasion de cette cérémonie, Monsieur Raymond AUBRAC prononça un remarquable discours biographique en l'honneur du Général DELESTRAINT.

148
Ordre de la Libération à titre posthume attribué au Général DELESTRAINT. Se reporter à l'Annexe 5/29.
149
Chaban-Delmas, Jacques. Les Compagnons. Paris Albin Michel. 1986. 241 pages. p. 21 à 50.


Un certain nombre de manifestations depuis l'après-guerre ont eu lieu de loin en loin, surtout grâce à l'U.N.A.B.C-C, c'est-à-dire aux Anciens des Chars qui n'oublient pas ! Mais, les cérémonies à la mémoire du Général étaient de plus en plus rares; le risque d'oubli devenait évident à tel point qu'en 1983, il fut constaté qu'aucun texte, aucune photo n'évoquaient l'existence du Général DELESTRAINT au musée de la Résistance de Lyon.

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3° L'Association "A la Mémoire du Général DELESTRAINT".

Quelques fidèles, devant ces faits et émus de lire et d'entendre quelques contre-vérités sur le Général DELESTRAINT, décidèrent, avec l'aide de sa fille Bibiane et de son gendre Roger TOURTEL, de fonder une Association, fin 1985, relevant de la Loi de 1901, sous la présidence du Général de Witasse, nous-mêmes en assurant le secrétariat, dont les buts sont de "Défendre, honorer et perpétuer la mémoire du Général DELESTRAINT". La Présidence d'Honneur est partagée entre le Général Jean SIMON, Grand Chancelier de l'Ordre de la Libération, et du Président Jacques CHABAN-DELMAS. L'Association compte 180 membres.

Les réalisations sont multiples depuis 1986: nombre de villes, plus ou moins grandes ont maintenant une voie "Général DELESTRAINT"; A Lyon le 14 Septembre 1988, est inaugurée la place-jardin face à la Préfecture qui porte son nom; une stèle et une rue à Mennecy, etc..l'Association s'est associée à celle du village de Melay pour les cérémonies de l'inauguration d'un monument du souvenir; La promotion de 1987 des Elèves-Officiers de Réserve de Saumur est baptisée "Promotion Général Delestraint".
Les Musées de la Résistance comportent maintenant tous des documents, des souvenirs se rapportant au Général DELESTRAINT. Cela va du musée local des Maquis de l'Ain de Nantua, jusqu'au Mémorial de la Résistance de Caen.

Le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon réservera au Général DELESTRAINT une place importante. D'ailleurs comme toujours sa figure sera toujours liée à celle de Jean MOULIN et ces deux héros dont l'entente était tellement concordante resteront unis dans l'évocation de leur souvenir.

Une médaille officielle a été gravée et distribuée aux anciens et à ceux qui désirent partager le souvenir que nous avons tous de notre chef. Monsieur TOURTEL en eut l'initiative.

Depuis sa création, l'Association n'a pas eu à intervenir pour défendre la mémoire de celui qu'elle honore. Nous espérons bien n'avoir jamais à le faire.

Mais deux réalisations importantes sont à l'actif de l'Association "A la Mémoire du Général DELESTRAINT": deux réalisations grandioses qui à elles seules permet de conclure à son efficacité. L'entrée de son nom au Panthéon, le Baptème d'une promotion de l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.

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4° Le Panthéon.
Hommage de la Nation au Général DELESTRAINT

Apothéose de la gloire qu'est légitimement dûe au Général DELESTRAINT, grâce à l'action efficace de Monsieur Robert SHEPPARD, les cérémonies officielles se sont déroulées le Vendredi 10 Novembre 1989. Le matin, aux Invalides, après une messe célébrée par Mgr LUSTIGER, Cardinal-archevêque de Paris, au cours de laquelle le R.P. RIQUET prononça une homélie particulièrement émouvante, le Président de la République prononça dans la grande cour une allocution en l'honneur du général, avant la prise d'armes où figurait un char B1 de la guerre de 1940.
Le soir fut célébrée l'entrée de son nom au Panthéon(150). En lettres de bronze, sur la paroi du transept sud au rez-de-chaussée de ce lieu consacré à la gloire des grands hommes de notre pays, on peut désormais lire cette inscription:

A LA MEMOIRE DU GENERAL DELESTRAINT
CHEF DE L'ARMEE SECRETE
COMPAGNON DE LA LIBERATION


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5° Le Baptème et le Triomphe de la Promotion "GENERAL DELESTRAINT"
de l'Ecole Spéciale Militaire de St-Cyr.

Les démarches furent longues, les contacts avec le Ministère pas toujours aisés. Grâce à Monsieur AUBRAC ils furent aplanis. Le Général de WITASSE put grandement nous faciliter les choses et le baptème de la promotion se fit à Coetquidam le 22 Juillet 1990. Les officiers-élèves surent évoquer la figure exceptionnelle du parrain de leur promotion. Une cérémonie au moins aussi somptueuse se déroula, l'année suivante, le 21 Juillet, lors du "Triomphe de cette même promotion. La place du Général DELESTRAINT au musée de Coetquidan est désormais importante (151).

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6° Les Causeries dans les Lycées et Collèges.

Depuis que l'Association existe, l'enseignement dans les Ecoles et principalement dans les dernières classes des Lycées et Collèges, par des conférences sur la Résistance française en général, sur l'organisation des Mouvements Unis et de l'Armée Secrète, sur Jean MOULIN et le Général DELESTRAINT en particulier, reste un objectif privilégié. Plusieurs d'entre nous ont fait ainsi des interventions. Le concours de la Résistance existe toujours. L'Association a demandé déjà que le sujet sur le Général DELESTRAINT soit choisi une année. Même si notre voeu n'est pas exaucé, nous restons toujours volontaires pour assumer ces causeries dont les sujets peuvent s'étendre à l'ensemble de la Résistance.

150
Cérémonie du Panthéon, le soir du 10 Novembre 89: Annexe 5/30.
151
Photographie du baptème de la promotion "Général Delestraint". Se reporter à l'annexe 5/31.


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7° Les derniers projets

L'Association est en voie d'accomplir son contrat et, loin de vouloir s'assimiler à une Association d'Anciens Combattants, pense se dissoudre après la réalisation de quelques-uns de ses derniers projets:

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a- Celui du 4 Avenue Leclerc à Lyon.

Il est prévu qu'à la fin de l'année 1992, la Municipalité de Lyon organisera une cérémonie en souvenir du Général DELESTRAINT, lors de l'apposition d'une plaque commémorative sur l'immeuble du 4 Avenue Leclerc où résida, où travailla le Chef de l'Armée Secrète.

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b- Un dernier projet: La journée "Général Delestraint".

Avec le concours du Secrétariat aux Anciens Combattants, une journée "Général DELESTRAINT" est prévue où seront évoqués les principales périodes de la vie du Général, sa carrière militaire, son action de Chef de l'Armée Secrète, sa vie de détenu. Ces Conférences se tiendront à Paris, soit au Sénat, soit dans un site encore non désigné.

Ceux qui ont connu le Général DELESTRAINT, ceux qui l'ont aimé et admiré, soit en tant que militaire, soit pendant son commandement de l'Armée Secrète, soit alors qu'il était prisonnier à Fresnes, déporté à Natzweiler ou à Dachau, refusent de voir son nom souillé par des contre-vérités ou de le voir sombrer dans l'océan de l'oubli.

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LES SOURCES (5/II.et 5/III)

1° Natzweiler.
Ce sont surtout les témoignages qui nous ont permis de retrouver des traces du passage du Général DELESTRAINT au Struthof. Ces témoignages proviennent de plusieurs compagnons du Général. On les découvre aux Archives Nationales dans les cartons réservés au fonds du Struthof; on les obtient aussi grâce aux contacts que l'on peut avoir avec les anciens déportés qui se souviennent du Général.
Avant de disparaître prématurément, le Colonel GASTALDO et André LASSAGNE ont laissé aux Archives Nationales et départementales du Rhône des documents, des témoignages sur leur passage au Struthof. Nous avons retrouvé aux A.N. les fiches allemandes de leur transfert vers Gross-Rosen.
Une fois de plus, l'Association "A la Mémoire du Général DELESTRAINT" nous a permis d'entrer en contact avec plusieurs anciens de Natzweiler, tel Monsieur JAVELIER.
Parmi eux, il faut noter le cas spécial de Monsieur Robert SHEPPARD qui est le Président d'honneur des anciens du Struthof. Il nous a procuré cette photographie aérienne du camp.
Enfin, en ce qui concerne la bibliographie, il convient de relever surtout l' ouvrage de Jean-François PERRETTE: "Le Général Delestraint", et celui du docteur SUIRE: 'Il fut un Temps". Quant à celui du Général WEYGAND, il intéresse, comme son titre l'indique, la détention et la mort du Général FRERE. Mais, pour ce dernier évènement, le témoignage du Commandant GASTALDO retrouvé aux Archives Nationales apporte plusieurs détails importants (152).
Enfin, certains opuscules parus après guerre, tel celui du docteur TISSEAU, intitulé: "Nous, les Brigands", nous ont donné quelques informations sur la vie au Struthof. La plaquette à la mémoire d'André Lassagne nous en a fournies aussi certaines.

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2° Dachau.
Pour la vie du Général DELESTRAINT au camp de Dachau et pour son assassinat, nous avons eu recours surtout à la Bibliographie, si nous y incluons la plaquette de Mr Robert SHEPPARD, dont l'essentiel figure en annexe (153).
Les cinq principaux ouvrages auxquels nous nous réferons sont ceux du Dr.SUIRE, d'Edmond MICHELET, du Cdt PERRETTE, de J. ROVAN et de Paul BERBEN. Beaucoup de témoignages écrits nous sont parvenus dont ceux des docteurs BOHN et PY, du R.P. RIQUET. Nous nous sommes aidés aussi d'articles de Presse, tels celui de Nerin.E.GUN, de celui de Joseph ROVAN, de la petite parution sur Dachau de M. NAAS, l'infirmier du Revier.

152
A.N. 72 AJ/1910. Fonds Gastaldo.
153
Se reporter en Annexe 5/21.


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3° L'assassinat du Général.
Nos sources pour le meurtre sont évidemment les mêmes que celles dont nous nous sommes servis pour "la Vie à Dachau". Cependant, très récemment, le docteur SUIRE nous a apporté un nouvel élément dont nous avons fait état qui correspond à celui de l'exposition de Douai: il s'agit du témoignage du Kapo Erwin MAHL au procès de Dachau, avec ses affreux détails.
Il reste en contradiction avec celui dont nous avons eu recours, à l'étonnant article d'Armand KIENTZLER, paru dans un des tout premiers numéros du Bulletin des Anciens de Dachau.
Enfin, le R.P. RIQUET apporte une version nouvelle dont s'est sans doute servi Mr Maurice SCHUMANN pour son éditorial (154).

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EN CONCLUSION (5/II et 5/III)

La vie de déporté pour le Général comme pour les autres, est rude, inhumaine. Mais son sens de l'abnégation y trouve une plénitude. Dans cette détention, il peut à la fois se dévouer aux autres et développer une vie intérieure qui lui était déjà habituelle. Ainsi, la forme contemplative de son charisme trouve une expansion qui, cependant, n'atteint pas les sommets d'un mysticisme aveuglé par les nuages. La vue quotidienne des misères humaines et des drames qui l'entourentl'engage toujours à redonner confiance et espoir.
Son rôle de chef des Français au sein du C.I.D. l'engage à nouveau à plein. Les responsabilités qui lui sont confiées, il est à la fois soucieux de les assumer et conscient des menaces qui risquent de l'en empêcher.
Le pressentiment de sa fin prochaine est manifeste. Le docteur SUIRE l'a ressenti à plusieurs occasions. Certainement le Général, sans aucun masochisme, a dépassé le stade de la résignation; il voit dans son destin une volonté divine qu'il accepte avec fatalisme et soumission souriante.
L'incident de l'appel ne doit pas être ressenti comme une manifestation programmée qui équivaudrait, non pas à un suicide, mais à une sorte d' holocauste inutile mais sublime.
Ce n'est pas non plus l'expression d'un orgueil sous-jacent. Le Colonel ARNOULD voit juste lorsque dans un très beau monologue il imagine que le Général se questionne lors de ses derniers instants:
-"Suis-je orgueilleux ?" se demande le Général. Non, digne; la dignité n'exclut pas la reconnaissance de ses erreurs, de ses faiblesses...(155)

154
Il est rappelé que le texte de l'éditorial de Mr Maurice Schumann se trouve en ANNEXE 5/26.
155
En Annexe 5/27 se trouve la reproduction de l'article du Colonel Arnould.


Avec plusieurs de nos amis, et notamment avec le principal témoin, Robert SHEPPARD, nous pensons que la réponse du Général est explicable par une simple incompréhension du sens de la question. Il a peut-être été fier de trouver l'occasion de donner à un Officier allemand, SS de surcroit, tel un défi, son grade de Général français, et de préciser qu'il est aux ordres du Général de GAULLE, après avoir été son supérieur.
Il a trouvé le moment pour lancer ces mots à la face de l'Allemand.
C'est là la fierté de l'officier de France que les Nazis ne sont pas parvenus à humilier, à abaisser, celui dont la dignité est restée intacte.

C'est bien plus beau lorsque c'est inutile...

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