4° PARTIE

LE DRAME
(vivre libre et joyeux, patient, en dépit de la botte allemande..)

NOTES PRELIMINAIRES.

Les évènements qui seront abordés tout au long des pages suivantes ne se cantonnent pas seulement dans la grande Histoire de la seconde guerre mondiale. Ils touchent toujours au domaine médiatique. Ces cinquante annnées n'ont pas estompé l'intérêt qu'ils suscitent.
Les témoignages de contemporains, recueillis actuellement, se font rares. Au fur et à mesure du temps écoulé la mémoire s'émousse, ils deviennent fatalement sujets à caution. Heureusement, de nombreux auteurs, tels Henri Michel, Henri Noguères, ont, dès après guerre, commencé à récolter cette moisson de témoignages que l'on retrouve aussi bien dans leurs ouvrages que dans les fonds des Archives. Lorsque les relations ont été rapportées et répétées sans modification depuis des dizaines d'années, ils peuvent être pris en considération.

D'autres témoignages, spécialement ici, sont à analyser particulièrement. Il s'agit de ceux des grands procès, qui intéressent de près ou de loin le sujet que nous étudions. Ces procès, la plupart du temps sensationnels, ont apporté leurs contingents d'informations, de commentaires, puisés lors des audiences aux tribunaux. Les prestations alors recueillies présentent le double handicap des réactions émotionnelles du témoin devant le prétoire, et des modifications, la plupart du temps inconscientes car humaines, de ceux qui les rapportent, c'est à dire des journalistes, malgrè leur désir de rechercher et de sauvegarder la vérité.

Beaucoup plus fiable est la consultation des dépositions de ces mêmes témoins, lors de l'instruction du procès. Le juge d'instruction, comme l'historien mais dans une finalité toute différente, recherche la vérité pure sans aucune composante. Là aussi, faut-il compter sur certaines réactions humaines du témoin, sur ses trous de mémoire, sur le désir compréhensible d'épargner tel ou tel de ses amis, de ses anciens compagnons, ou d'abord soi-même..

En ce qui nous concerne, la consultation des archives des deux procès Hardy et particulièrement celles du second, auquel nous avons eu la chance d'avoir accès, grâce à la complaisance de Monsieur l'Avocat Général, a constitué une source inégalable.

Sa fiabilité tient, bien entendu, au fait que la période entre les faits eux-mêmes et le moment où ils ont été relatés est bien plus courte que pour les témoignages donnés actuellement; et puis il a pu être constaté en analysant ces documents que le risque de défaillance de mémoire, d'inexactitude est sensiblement diminué par la qualité de l'instruction. Celle-ci, pratiquée par le Tribunal Militaire de Paris entre 1947 et 1950, n'a pas connu l'inconvénient d'être limitée par le temps, comme pour le premier procès où les passions exigeaient une conclusion rapide. Par ailleurs, pour les principaux témoins, la répétition des dépositions, où parfois les mêmes questions sont posées, apporte une plus grande vraisemblance dans les déclarations si elles sont semblables, ou tout au moins la possibilité de les confronter.

Enfin, une autre confrontation entre les dépositions de plusieurs témoins peut affiner la recherche de la vérité. C'est ce qu'a réalisé le Commandant GONNOT, juge d'instruction militaire au Tribunal Militaire Permanent de Paris, lorsqu'il a mis le point final en Avril 1949 à son rapport de 71 pages, constituant une Ordonnance de Transmission de la procédure à la Cour d'Appel de Paris. Cette interférence des dépositions et leur synthèse représentent un élément sérieux, un document fiable.
La consultation de ces documents et de ce rapport de synthèse finale est à prendre d'autant plus en considération qu'elle nous apporte, à coté des dépositions de Résistants français, celles d'Allemands, officiers et sous-officiers de l'Abwehr et du Sipo-S.D., même celles d'agents français de ces mêmes polices allemandes, dépositions à prendre peut-être parfois avec circonspection, mais surtout à ne pas rejeter en bloc.
Certes, comme l'affirme Daniel CORDIER, rien ne remplace le document. Mais quel document ? Lorsqu'il s'agit d'un texte officiel, d'un rapport, d'un télégramme radio de cette époque, leur fiabilité est évidente. Encore faut-il y avoir accès, lorsqu'il existe..Mais tout évènement n'a pas fatalement son empreinte documentaire, au moment où il se produit; la relation plus ou moins postérieure sinon tardive relève du témoignage; et c'est le cas de bien des évènements intéressant l'histoire de la guerre clandestine.

L'exposé des évènements exceptionnels de Mai et Juin 1943 s'appuie donc sur cet ensemble de documentations: presse, témoignages oraux ou écrits, dépositions à l'occasion d' instructions ou d'audiences de procès, documents, travaux historiques précédents, en essayant, par la recherche, par la confrontation, de retrouver la réalité du fait.

Cependant, toutes ces informations surtout en ce qui concernent les dates, sont souvent contredites. Le calendrier qui est avancé ici présente la plus grande probabilité.

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I L'OUTIL DE LA REPRESSION

A LES POLICES ALLEMANDES
Dans les pays occupés, comme en Allemagne, le Reich disposait de plusieurs polices différentes, voire concurrentes:

1- La Police Militaire Allemande

Dans la Zone Nord, puis pour l'ensemble de la France, l'administration militaire allemande, comme dans tous les pays occupés, avait un rôle d'organisation ce qui impliquait la police, avec pouvoir exécutif, détenu par la"Geheime Feld Polizei" (Police secrète de campagne) et la Feldgendarmerie. Celles-ci "dépendaient directement de l'état-major.. qui s'occupait des camps, des prisons réquisitionnées et de leur garde"(1)

La Kommandantur, ou plutôt la Feldkommandantur d'une ville occupée, organisme militaire de commandement, d'organisation, de liaison, était chargée par un de ses membres de la Police locale.

1
En ce qui concerne ces descriptions succinctes, nous nous référons essentiellement à :
Delarue, Jacques, Histoire de la Gestapo. Paris Arthème Fayard.1962


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2- L'Abwehr

Comme dans toute organisation militaire, l'Armée Allemande était munie d'un Service de Renseignements très structuré, commandé par l'amiral CANARIS. Les implantations de ses bureaux, à travers la France occupée étaient nombreuses et dépendaient de "l'Abwehrleitstelle- France"(ou Astleit)(2),(Poste directeur de l'Abwehr-France ) installé à l'Hotel Lutétia de Paris, commandé par le Lt-Colonel RUDOLPH.(1). Les domaines de l'Abwehr peuvent se résumer dans le Renseignement et la Sécurité militaires. Autrement dit l'Espionnage et le Contre-Espionnage militaires.

Ses bureaux en France étaient souvent camouflés en des appellations diverses. Ainsi," l'Abwehrstelle de Dijon",(Poste de l'Abwehr-Dijon), désigné par l'abréviation d'"Ast-Dijon"; ce poste très important, qui sera souvent cité, se cachait sous le nom d'"Etat-major du Travail".(1) Nous y retrouverons à la Section I H le Capitaine KRAMER, qui aura un rôle prépondérant dans les arrestations de Paris et de Lyon (3). KRAMER, dit GEGAUF saura étendre son réseau de renseignements sur toute la France, et même sur l'Afrique du Nord, en se servant d'agents, la plupart du temps français, qu'il immatriculera en ajoutant un chiffre à la première lettre de son propre nom. Ainsi SAUMANDE deviendra l'agent K.4, et le célèbre MOOG: K.30, etc.. Il est étonnant de constater que ce sera l'Abwehrstelle de Dijon qui sera amené à s'occuper de l'affaire de l'Armée Secrète, et non pas l'AST de Lyon, existant cependant et installée début 1943 au fort Saint-Irénée à Lyon 5°, toujours sous la direction de l'Abwehrleitstelle de l'Hotel Lutetia de Paris.(Astleit-Paris) L'Ast de Lyon, par sa section III chargée du Contre-Espionnage et par sa sous-section IIIF, dont la mission était la répression, visait la Résistance et les maquis. Son importance était réelle puisqu'elle disposait de huit antennes (Meldekopf): Lyon I, Lyon II, Villeurbanne, Vichy, Saint-Etienne, Grenoble, Annecy et Annemasse, sans compter deux annexes rattachées à Lyon, les ANST (Abwehrnebenstelle) de Toulouse et de Marseille, elles-mêmes munies de la "Meldekopf" de Pau et de Nice (4).
Si l'AST de Lyon n'a pas dirigé elle-même l'affaire de l'Armée Secrète .ni celle de Caluire, elle apportera son aide aux agents de Kramer et au S.D (5).

2
Documents provenant d'archives allemandes, découverts par la DST après guerre.Procès Hardy. Voir Annexe 4/1.
3
Kramer appartenait au 1° goupe de l'Abwehr, et était spécialisé dans le Renseignement (Armée de Terre), sous les ordres du Lt-Cl Schmidt (déposition 2°procès Hardy)
4
Calvi, Fabrizio, O.S.S. Guerre secrète en France. Paris Hachette 1990., p.408.
5
Paillole Paul. Services Spéciaux. Paris Robert Laffont. 1975. 567 p.Annexe(Abwehr en 39) reportée en Annexe 4/2.


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3- La Gestapo

Le décret du 26 Avril 1933, promulgué par H.GOERING, créa la Police secrète d'Etat du III°Reich, "die Geheime Staatspolizei"dont l'abréviation postale permit le néologisme de Gestapo, dont tous les membres étaient issus des S.S. (Schutzstaffel:Troupes de protection). Dans son livre, Jacques Delarue précise que "Geheim signifie à la fois "secret mais aussi privé". En effet, si cette police politique devait être secrète, elle allait aussi être la police privée d'un parti et même d'un homme..".(1)

HIMMLER avait créé en 1931, un Service de Sécurité, le Sicherheitsdienst, ou S.D., d'abord chargé de la Sécurité des S.S. et de ses chefs, véritable police interne des S.S. HIMMLER en avait confié la direction à Reinhardt HEYDRICH dès Juillet 1932. Ce dernier en développa le Service de Renseignements selon sa formation technique. C'est en 1934 qu'HIMMLER le mit à la tête de la Gestapo tout en lui laissant la direction du S.D.

Après la "Nuit des longs couteaux", le 30 Juin 1934, où disparurent les principaux chefs S.A.(Sturmabteilung:Section d'assaut), la Gestapo, qui avait largement participé à la préparation et à la réalisation de ce coup de main, vit ses pouvoirs accrus, son impunité par rapport à la justice définitivement reconnue; le S.D. qui ne comptait que 30 à 50 membres permanents prit des proportions énormes, ainsi que les indicateurs se livrant à la délation, les V Männer:"Vertrauens-Männer" (Hommes de Confiance).

Depuis 1936, la Gestapo formait avec la "Kripo"(Police criminelle) un ensemble, la "Sipo": Sicherheitspolizei(Police de Sureté), divisée en services régionaux, en postes principaux (Polizei-leitstellen), et en postes de police (Polizeistellen).

En dehors de la question des internements, un ordre du Ministre de l'intérieur FRICK, daté du 25 Janvier 1938 suivi d'un décret du 14 Septembre de la même année appelait les organisations du parti nazi, le N.S.D.A.P., à donner son aide à la Gestapo, désormais puissance reconnue. HEYDRICH en était le chef, de même qu' il dirigeait toujours le S.D.

Lors du procès de Nuremberg, le 20 Décembre 1945, au nom du Ministère public, le Colonel STOREY parla de l'organisation de la Gestapo et du S.D., il précisa que "dans les territoires occupés,..des unités d'opération combinées de Police de Sureté et du S.D. connues sous le nom d'Einsatzgruppen opéraient avec l'Armée et à l'arrière de l'Armée. Leurs officiers étaient des membres de la Gestapo, de la Kripo et du S.D., et les hommes venaient de la police d'ordre et des Waffen-SS... (6).

6
Bernadac Christian. La Gestapo.L'Etat-Prison. Paris. France-Empire 1982.Série "Le Glaive et les bourreaux". 430 p., p.14.


Les Einsatzgruppen, simples détachements chargés de missions spéciales, étaient divisés en Einsatzkommandos" (kommandos d'engagement, d'action), "en Sonder-kommandos" (kommandos spéciaux), "et Teilkommandos" (kommandos de participation).En formant ces Einsatzkommandos, au cours des campagnes de Tchécoslovaquie et de Pologne, HIMMLER et HEYDRICH furent mis en face de difficultés provenant de la dualité de la Gestapo, organisme de police d'état, et du S.D., service de renseignement interne, politique, du Parti.
"Théoriquement, résume Philippe Masson, Gestapo et SD constituent deux organismes complémentaires sur le plan technique, et distincts sur le plan organique, mais dans la réalité, l'un est subordonné à l'autre sur le plan politique." (7).
Aussi, le décret du 27 Septembre 1939 concrétisa le souhait d'HIMMLER, et les efforts d'HEYDRICH, en fusionnant ces organismes d'Etat et du Parti.(Gestapo-S.D.-Police criminelle).

Ainsi fut créé le Reichssicherheitshauptamt (R.S.H.A.), Office central de Sécurité du Reich, véritable groupement de protection de l'Etat. Ce qui permit aux S.S. de contrôler tous les services de police, encore plus étroitement.

Les services du R.S.H.A. furent subdivisés en "Ämter", c’est-à-direen bureaux: (8)
Amt I : Service du Personnel. (Autorité d'Etat)
Amt II : Sections administratives. (Autorité d'Etat)
AmtIII : Sections S.D.Intérieur du Reich(Organisation du Parti)
Amt IV : Section d'Opération :Gestapo.(Autorité d'Etat)
Amt V : Police criminelle.(Kripo).(autorité d'Etat)
Amt VI : Sections S.D. à l'étranger. Contre-espionnage.
Amt VII: S.D.Exploitation scientifique(Organisation du Parti).
Amt N : Coordination des renseignements techniq.(Autorité d'Etat)

Jacques Delarue précise que l'Amt VII prenait en charge les recherches idéologiques chez les adversaires du régime: franc-maçonnerie, judaïsme, églises, libéraux, marxistes..

Bien qu'il ait nié, au procès de Nüremberg, être ce successeur*, ce fut bien Ernst KALTENBRUNNER qui remplit ces fonctions: inscrit au parti national-socialiste autrichien depuis 1932, S.S. dès le début de 1933, arrêté par le gouvernement DOLLFUSS, il participa au putsch de Juillet 1934 au cours duquel ce même Chancelier DOLLFUSS fut assassiné; il collabora étroitement avec SEYSS-INQUART à la préparation de l'Anschluss. Après cette annexion, il fut nommé secrétaire d'Etat à la sûreté , dans le gouvernement nazi autrichien.Quand celui-ci fut dissous en Avril 41 il devint chef suprême des S.S. et de la police en Autriche,- "le Himmler autrichien"..

7
Masson Philippe.Himmler Chef de toutes les Polices,in Historia hors série N°20:"Les S.S.L'ordre noir".1°trimestre 1971.p.116
8
Bernadac Christian. La Gestapo. Op.Cit. pages 67 à 69.
*
R.Heydrich abattu par la Résistance tchèque, le 27 Mai 1942.


En France

Les Services du R.S.H.A arrivèrent à Paris le 14 Juin 40, presqu'à l'insu du haut commandement de la Wehrmacht.
D'abord un simple Sonderkommando sous la direction de Helmut KNOCHEN fut envoyé par HEYDRICH, puis deux autres dans les mois suivants. KNOCHEN se fixa 72 Avenue Foch, après deux installations provisoires. Il sut amadouer les militaires irrités de trouver la Gestapo à Paris. C'est lui qui avait formé son équipe à l'exception de BOEMELBURG de l'Amt IV et de deux membres de la Waffen-SS.

En fait, KNOCHEN était ce que les Allemands appelaient le B.D.S-Paris, c'est-à-dire Befehlshaber-der- Sicherheitspolizei, soit le Chef du R.S.H.A pour la France, initiales qui s'étendaient à la direction: Befehl. Mais parlait-on du K.D.S.-Lyon, pour désigner le Kommando-der-Sicherheitspolizei-Lyon ou disait-on E.K-Lyon pour l'EinsatzKommando-Lyon: Commando d'action-Lyon.

BOEMELBURG installa ses services 11 rue des Saussaies, avant de prendre ses aises à la fameuse villa du 40 Boulevard Victor-Hugo de Neuilly. Très apprécié par les services berlinois de l'Amt IV, notamment pour ses qualités professionnelles, il souffrit d'une perte de mémoire importante, attribuée à son âge. Il dut quitter son poste au cours du second semestre 1943 et fut nommé à Vichy, en tant que représentant du Général S.S.Karl OBERG (chargé lui-même de tous les pouvoirs de police, chef des S.S., et membre éminent de l'Etat-Major de l'Armée d'Occupation en France).
Il remplaça ainsi GEISSLER abattu par la Résistance.

Ecoutons Helmuth KNOCHEN présenter ses propres services du Sipo-S.D., services centraux pour la France, et installés à Paris:


"J'occupais, en 1943, le poste de Befehlshaber (Commandant) des Sipo-S.D. en France, c'est-à-dire de chef de la Sûreté et renseignements. Mes services étaient installés au 72 de l'Avenue Foch."
"J'étais moi-même de la carrière service-renseignements, mais non sûreté. C'est la raison pour laquelle il m'a été adjoint le Lt-Colonel LISCHKA, mon représentant permanent pour les sections IV et V, c'est-à-dire au titre de la police sûreté et police judiciaire. Cet officier fut affecté à Berlin courant Juin 1943, et son successeur, le Lt-Colonel HENSCHKE, était présent depuis quelques semaines, lors de sa mutation..."(9).

9
Second Procès Hardy Trib.Mil. de Paris. Déposition de Helmuth Knochen.


Ainsi se présenta Helmut KNOCHEN, lors de sa déposition au Tribunal Militaire le 1° Avril 1948; il y précisa l'organisation de son service parisien commandant l'ensemble de la France:

Section I(Amt I)PersonnelCommandant ALTENLOH
Section IIAdministration Capitaine FRANK
Section IIIRensignements
(intérieur)
Commandant MAULAZ
Section IVSûreté. Police
(Gestapo)
Commandant BOEMELBURG
Section VPolice judiciaire Commandant ODENWALD
Section VIRenseignements
(étranger)
Colonel BICKLER


Il précisa que pour l'affaire de l'Armée Secrète, et Mouvements de Résistance, c'est la Section IV qui s'en était occupée, et plus précisément la sous-section IV E, dirigée pour la France par le Commandant KIEFFER (Secrétaire: Fraulein GOLDMANN)."

A Lyon, s'installa à l'Hotel Terminus, puis à l'Ecole du Service de Santé Militaire (E.S.S.M.) un Einsatz Kommando du Sipo-S.D. (E.K-Lyon), avec les 6 sections décrites ci-dessus. La Section IV fut chargée de lutter contre les mouvements de Résistance. Les 5 sous-sections de la IV étaient à Lyon, (comme partout ailleurs):

Sous-Section IVA1 :Anticommunisme
Sous-Section IVA2 :Contre le sabotage
Sous-Section IVB :Antijuive. (Chef Wenzl, puis Barthelmus
Sous-Section IVC :Faux papiers & travailleurs évadés du Reich
Sous-Section IVE :Contre-Espionnage


Klaus BARBIE commanda les sections IV et VI. Mais au cours de l'année 1943, il n'a plus dirigé que la IV. (10a), en apportant son attention surtout sur la IV E.
Klaus BARBIE était bien entendu sous les ordres du K.d.S de Lyon, mais il répondait directement, du fait de cette structure verticale du chef parisien de la sous-section IV E, KIEFFER, et du l'Amt IV, BOEMELBURG., appartenant au B.d.S. de Paris, (pour l'ensemble de la France)
Enfin, arriva à Lyon, début Juin 1943,du fait des évènements prévisibles, un renfort de Berlin ayant passé par Paris, un SonderKommando, commandé par le SS Obersturmführer WERTH. Il participa aux arrestations de Caluire entr'autres interventions.
L'organigramme de la Gestapo-S.D. est certes difficile à percer. Et l'on comprend que, lors du procès de Nüremberg, il fut entendu ce témoignage:
-Le Procureur Babel: -"Un profane pouvait-il s'y retrouver dans ce dédale de services ?"
-Le Témoin Wisliceny:-"Non, c'était pratiquemment impossible"(10b).

10-a
Témoignage de Klaus Barbie, lors de l'instruction du procès.
10-b
Bernadac Christian La Gestapo. Op.Cit. p.253


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4- Le Tribunal Militaire Allemand à Paris.

L'Amt IV du Sipo-S.D., ou Gestapo était chargé aussi de déterminer parmi les détenus quels étaient ceux qui devaient être fusillés, pris en otages, déportés sans jugement, ou qui devaient être présentés devant le Tribunal militaire allemand..
Il s'agissait du "Deutsch Militärisch Gericht von Gross Paris" c'est-à-dire du Tribunal militaire allemand du grand Paris, dont la mission était de procéder à l'instruction des procès des prisonniers que la Gestapo déférait devant cette juridiction, lorsqu'elle estimait ne plus rien pouvoir tirer d'eux. Il est à remarquer, à cette occasion, la suprématie du Sipo-S.D. sur la Justice, même militaire, déjà en 1943..

Ce tribunal siégeait 11 bis rue Boissy d'Anglas à Paris. De 1941 à 1944 "Herr Doctor Ernst August Wilhem ROSKOTHEN" y exerça les fonctions, alternativement, soit de Juge d'instruction (Examinator), soit de Président, en tant que Conseiller au Tribunal Militaire Allemand du Grand Paris, Section B. Primitivement, le Juge ROSKOTHEN était Conseiller à la Cour d'Appel de Essen. Il fut mobilisé avec le grade de Capitaine, et envoyé à Paris au Tribunal militaire (11). Son rôle était donc d'instruire les procès, et d'envoyer les accusés et ses rapports au Procureur Général près le Tribunal du Peuple (Oberreichsanwalt beim Volksgerichtshof).

Les verdicts, ou plutôt les décisions du Juge Roskothen étaient ordinairement les suivantes: (12)
-Soit, il déférait au Tribunal du Peuple de Cologne, puis à celui de Breslau, les accusés convaincus :
1° d'Espionnage, désignés par la lettre S = Spionage.
2° d'Intelligence avec l'ennemi désignés par F: Feindbegünstigung.
-Soit, il laissait au Sipo-S.D. le soin d'apprécier la peine, dans des cas litigieux: prévenus désignés par les lettres Stve: durch Strafverfügung erledigt (réglé par disposition pénale).
Mais généralement ce jugement de Ponce-Pilate aboutissait à la déportation. Nous aborderons ultérieurement cette question, en évoquant les camps de Natzweiler en Alsace, et de Dachau en Bavière.
-Soit il "proposait" l'élargissement du prévenu: réglé par suspension de la procédure, traduction de:durch Einstellung des Verfahrens erledigt, soit la lettre E (13).
Si, au cours de l'instruction le Sipo-S.D. n'avait plus de pouvoir sur l'accusé, elle pouvait à nouveau en disposer après le jugement, et les "élargissements proposés par Roskothen n'étaient pas fatalement suivis d'effet, ou étaient plus ou moins largement retardés (14).

11
Déposition du Juge Roskothen:Instruction Procès Hardy.29.06.48
12
A.N. Réf.: AJ.4O 1503/17. et AJ.40. 1500/3.
13 A.N. AJ.40 1500/3: Inscriptions portées par Roskothen sur ses notes manuscrites. Voir Annexe 5/3.
14
Ce fut le cas du Dr Dugoujon, du Colonel Lacaze.


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B La POLICE et la JUSTICE FRANCAISES de VICHY

Il n'est pas question, ici, de s'étendre sur ce qu'a été la police de Vichy, ni d'en présenter la structure, comme de parler de la justice en France entre 1940 et 1944. Cependant il conviendra, au cours de ce travail, d'avoir à analyser la politique gouvernementale de Vichy, dans des circonstances précises. Certaines de celles-ci ont déterminé de fâcheuses conséquences et contribué sérieusement à compromettre gravement les membres du gouvernement de Laval, par l'application de sa politique tout au moins équivoque (15). Il semble indispensable de compter ces faits parmi les outils de la répression, d'autant plus qu'ils auront une incidence directe dans les évènements relatés et ayant un rapport avec l'Armée Secrète.

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Les Accords OBERG-BOUSQUET

Le Général S.S.Karl OBERG arriva à Paris, début Mai 1942 pour occuper le nouveau poste d'Höherer S.S. und Polizei Führer, pour l'ensemble de la France; pour son installation, Reinhardt HEYDRICH, quitta Prague et vint spécialement à Paris. Il y convoqua, le 7 Mai, René BOUSQUET, Secrétaire général pour la Police, dans le récent gouvernement de Laval. Devant la recrudescence des attentats contre les Allemands, le Général OBERG fut donc chargé de la répression, et non plus la Wehrmacht, pour combattre "les ennemis du Reich", en laissant à la police de Vichy le soin de lutter contre les délits de droit commun, mais aussi contre l'anarchie, le terrorisme, le communisme et les étrangers susceptibles de perturber l'ordre, et ce, sur l'ensemble du territoire français (16).
Il fut précisé entre OBERG et BOUSQUET, que la police française serait tenue de transmettre au S.D. allemand toutes les informations qu'elle pourrait recueillir, dans les deux zones, sur tout acte pouvant porter atteinte au Reich.

Le Président Laval apporta son accord "qui, dit Paxton, en donnant plus d'autonomie à la police française en zone occupée, l'associe en fait, et très étroitement à la répression".René BOUSQUET y voit une victoire, la police relevant "exclusivement de l'administration française. En fait lui donner plus d'indépendance en zone occupée, c'est l'associer plus étroitement à la chasse aux résistants; c'est aussi entrouvrir la porte de la zone libre à la répression allemande..." (15).

15
Paxton,Robert O, La France de Vichy. Paris Editions du Seuil. 1973. p.277.
16

Noguères, Henri, Histoire de la Résistance en France, Paris Robert Laffont. 1969, tome II, p.635,636.


Ce n'est pas l'avis de tous les auteurs, puisque J.Delarue estime que l'entrevue qu'il situe le 5 Mai, "venait de faire échapper la France à une grave menace." Il prend en exemple la Pologne où les S.S. avaient reçu des ordres en vue de l'extermination de la population, le Danemark qui avait vu la quasi totalité de sa police arrêtée et déportée, la Tchécoslovaquie où Reinhardt Heydrich faisait régner la terreur où sa police contrôlait toutes les administrations.

Mais J.Delarue modère sa plaidoirie en ajoutant que cette solution arrangeait les Allemands; elle leur économisait des hommes, et la population réagit mieux devant sa propre police que devant celle de l'Occupant. Il conclut en affirmant que "chacun trouvait son compte à cet accord "(17).

Mais dès Août 1942, d'autres faits ne tardèrent pas à démontrer que la porte de la zone non occupée était bien entrouverte à la pénétration allemande.

L'Affaire Desloges, peu connue, illustre bien l'engrenage irréversible dans lequel s'étaient introduits Laval, Bousquet et les autres responsables de Vichy en ce qui concerne la répression.

"Le Bureau des Menées Antinationales" (B.M.A.) où s'était camouflé l'ancien "2°Bureau" français, sous la direction du Colonel Rivet, luttait dans l'ombre en Zone Sud contre les agissements de l'Abwehr, et complètement clandestinement en Zone Nord. Darlan s'opposa à l' action anti-allemande des officiers qui y travaillaient. Laval, dès son retour au pouvoir, le 17 Avril 1942, fit tout pour dissoudre le B.M.A.; il y parvint en Août 42. Le Commandant Paillole continua son travail de Contre-espionnage, sous l'appelation dissimulée du "Service de Sécurité Militaire"(S.S.M.) en conservant ses informateurs clandestins(18).

Début Septembre, par certains d'entre eux le Commandant Paillole apprit que, par un ordre de mission du Ministre de la Guerre, un officier français, le Capitaine DESLOGES, avait requisitionné le Château de Charbonnières, près de Lyon, au profit des Allemands; deux jours plus tard, le château de Bionne, près de Montpellier subit le même sort, puis à Limoges, Pau, Marseille d' autres réquisitions furent pratiquées au profit des Allemands.
Deux cents cartes d'identité en blanc remises par BOUSQUET au représentant du Sipo-S.D. de Vichy (Geissler), des numéros d'immatriculation réservés pour banaliser des voitures allemandes.

17
Delarue, Jacques, Op.cit, p.284 à 286.
18
Paillole, Paul, Services Spéciaux, Op.Cit. p.368 à 376.


En fait cette mise en place est l'oeuvre du Général DELMOTTE, Chef de Cabinet du Ministre de la Guerre, le Général BRIDOUX (19), avec l'accord de LAVAL. Il s'agit de lancer des voitures allemandes de goniométrie, en Zone Sud, pour détecter les postes émetteurs, "qui travaillent pour les Anglais" dit DELMOTTE. Et cela avec le concours de la Police, de certains officiers français..

Tout a commencé lorsque LAVAL "à la demande d'ACHENBACH, a accepté le principe d'une coopération entre policiers allemands et français en zone non occupée" pour lutter contre "les parachutistes britanniques", BOUSQUET, toujours en rapport avec OBERG, et DELMOTTE ont fait diligence pour satisfaire le Sipo-S.D. et l'Abwehr, en créant les "missions DESLOGES" composées de membres de la Gestapo et de policiers français, dans une lutte commune contre l'action britannique (20).

L'engrenage est désormais irréversible, et la coopération franco-allemande ne fera que s'aggraver; ainsi le second accord Oberg-Bousquet du 16 Avril 1943 (21) compromettra davantage les administrations de Vichy, en permettant aux Allemands de profiter de l'action de la Police française. Au même titre que la délation de certains Français, cette collaboration apportera à l'Abwehr, à la Gestapo une aide inégalable dans leur lutte contre la Résistance.

La Justice française, totalement asservie au Pouvoir, sera déchargée de ce fait de bien des affaires dites "terroristes"; cependant elle aura à se prononcer sur des affaires de Résistance, notamment de l'Armée Secrète, en faisant comparaître les inculpés devant les tribunaux d'exception. Les condamnés seront d'ailleurs tous remis quelques mois plus tard au Sipo-S.D. et déportés.

Ainsi, les catastrophes qui ont atteint l'Etat-Major de l'Armée Secrète et la délégation en France du Comité français trouvent une de leurs causes dans cette action commune germano-vichyste de la répression. Il en sera largement question au cours des pages suivantes.

19
Nous aurons à reparler du Général Delmotte, et de ses prises de position très rigides sur la collaboration.
20
Noguères, Henri, Op.cit, Tome II. p.535.
21
Delarue, Jacques, Op.Cit. Annexe. p.453.


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II LA REPRESSION FRAPPE L'ARMEE SECRETE

Le 27 Mai 1943, le Chef de la Police de Sureté et du Service de Sécurité du Reich, le Docteur KALTENBRUNNER adresse au Ministre des Affaires étrangères, VON RIBBENTROP, un rapport concernant "l'Armée Secrète" en France. Un exemplaire de ce rapport -le 3° sur 41- sera présenté au Führer le 4 Juin et portera sa griffe.(22)

Ce document de 28 pages relate les évènements survenus à Lyon depuis le 1° Février 1943, c'est-à-dire lors des premières incursions de la Police de Sécurité allemande dans l'Armée Secrète, et surtout met en lumière les graves conséquences des arrestations et de la saisie d'archives, en date de Mars 1943, par la police de Vichy. De ce fait, l'Amt IV du K.d.S. de Lyon à qui communication de ces documents a été effectuée, est en mesure de donner connaissance de cette mane par voie hiérarchique jusqu'au plus haut niveau. Ainsi ce rapport de KALTENBRUNNER peut apporter les détails essentiels de la structure de l'Armée Secrète, et même en définir l'organigramme.

22
Texte du rapport de Kaltenbrunner du 27 Mai 43: Annexe 4/2.


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A- Les ARRESTATIONS de FEVRIER 1943

Il est malheureusement classique de constater que trahison, négligence et imprudence sont les causes essentielles des catastrophes qui ont amputé la Résistance d'excellents éléments.
Les Groupes Francs, avec RENOUVIN, l'A.S. et les M.U.R régionaux à Brive, avec Edmond MICHELET, sont frappés du fait d'un V.Mann* de la Gestapo, SCHNEIDER, jeune Alsacien introduit à "Combat", ou bien sont les victimes de rafles organisées par la Gestapo. Lyon, Nice, Marseille, Tulle sur les indications de l'Abwehr renseignée par la trahison d'un ou deux officiers français (23), sont le théâtre de graves arrestations en ce mois de Février 1943 (24). Le réseau "Alliance" est décimé.

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1- Le 1° Février
Mais c'est bien le 1° Février, comme le précise le rapport de KALTENBRUNNER que les deux principales arrestations pour leurs conséquences au niveau de l'Armée Secrète ont eu lieu à Lyon, place Raspail. Le Capitaine d'aviation BILLON (Buisson), premier et merveilleux chef régional (R.1) de l'A.S. ainsi que son adjoint Pierre LAVERGNE (Baugé) en sont les victimes.
Malheureusement Buisson a gardé sur lui une liste de noms de chefs départementaux de l'A.S., ainsi que des instructions qui leur étaient destinées.

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2- Le 3 Février
Et GEISSLER, Chef de la Délégation de la Police allemande à Vichy, intervient en personne à Saint-Etienne, pour interpeller et torturer Robert LAPORTE et Gaëtan VIDIANI, l'ancien et le nouveau chef de l'Armée Secrète de la Loire (25).

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3- Le 10 Février
De même au Puy, c'est le responsable de l'A.S. de la Haute-Loire, Alfred SALVATELLI, qui tombe entre les mains du même GEISSLER, aidé d'un agent français de la Gestapo, BATISSIER, et de deux autres sbires, tous venus l'arrêter chez lui (26).
Si le Capitaine BILLON parvient à s'évader, place de la Comédie le 5 Février, il est malheureusement repris deux jours plus tard à son bureau clandestin. Cette fois, torturé et bien tenu, il ne peut supporter la responsablilité qu'il s'attribue dans ces arrestations, et se suicide dans sa cellule, le 19 Février.

*
Voir page 4/4.
23
Henneguier,Pierre,Le Soufflet de Forge. Paris Ed. de la Pensée Moderne. 1951. p.74.
24
Noguères,Henri, Tome III Op. cit. , p.214, 215.
25
Chauvy Gérard.Histoire secrète de l'Occupation, Paris, Ed. Payot, 1991,350 pages, p.38 à 40.
26
Salvatelli A. Un homme enchainé s'évade. Paris Ed.Debresse 1950. 237 pages. p.49-50.


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B- Les EVENEMENTS de MARS 1943

1 L'Arrestation d'un agent de liaison.

Tout commence par le souci de la constitution des maquis. Les jeunes français, appelés officiellement depuis Février au Service du Travail Obligatoire, en Allemagne, veulent rejoindre les régions montagneuses où l'on dit sous le manteau que des camps accueillent les réfractaires. La mission des chefs de la Résistance est bien "d'organiser ces jeunes gens", de les loger, de les nourrir, de les armer.. MORIN-Forestier part dans le Jura et en Savoie, pour "Combat". RAVANEL et JOINVILLE, pour "Libération" prennent le train pour Chambéry puis la Haute-Savoie; de son coté KRIEGEL-Valrimont part en Isère.
Celui-ci, au cours de ce déplacement envoie à Lyon, un agent de liaison à qui il confie tout un rapport. CURTIL (tel est le nom de l' agent de liaison) se trompe de train et arrive à la gare de Bourg-en-Bresse, assez tard le 13 au soir pour ne pas bénéficier de la dernière correspondance pour Lyon. Il passe la nuit dans la salle d'attente.
Une vérification d'identité permet à une patrouille de police française, puis à un inspecteur de constater que sa carte est manifestemment fausse. La fouille qui s'ensuivit fait découvrir le rapport et des papiers secrets. A l'interrogatoire, notre agent de liaison parle, donne les boîtes aux lettres, les rendez-vous..

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2 Le 15 Mars. (27)

Un de ces rendez-vous est capital.Il s'agit de celui de certains responsables des Mouvements Unis, de l'A.S. qui est fixé au 15 Mars au début de l'après-midi, en l'absence du Général DELESTRAINT. La réunion doit se tenir chez Monsieur BIARD, au 5° étage du 7 rue de l'Hotel de Ville, où une pièce est louée depuis quelques mois en vue des réunions. La police française a connu cette adresse depuis l'arrestation de CURTIL, dans la nuit du 13 au 14. RAVANEL, porteur de ses cartes Michelin, s'y rend, et tombe dans une souricière, où déjà AUBRAC et KRIEGEL-VALRIMONT se sont faits prendre. RAVANEL essaye de s'échapper et est arrêté au milieu de l'escalier après une courte lutte, avec deux inspecteurs venus en renfort.

AUBRAC, sous la fausse identité de Vallet, KRIEGEL sous celle de Fouquet, racontent la même histoire: leur rencontre n'avait qu'un but, celui de marchander un kilo de sucre au marché noir (28).
Ils sont emmenés au "Petit Dépôt" du Palais de Justice, avec RAVANEL.

27
Tous les témoignages s'accordent pour la date du 15 Mars à l'exception du rapport de Kaltenbrunner qui parle du 13 Mars.
28
Noguères,Henri.Histoire de la Résistance.Tome III.p.253-254. Se reporter à l'Annexe 4/3.


Ils y retrouvent plusieurs Résistants" déjà arrêtés, victimes des documents trouvés sur CURTIL, des adresses et boîtes aux lettres dévoilées.
Par exemple, la boîte aux lettres "Balzac", 59 rue de l'Hotel de Ville où le nommé STELLE se fait prendre, le 14 Mars, au moment où il la relève.

STELLE est au service de Christine DENOYER, elle-même secrétaire personnelle de MORIN, (alias Forestier, Méchin, Méletraz), chef d'Etat-Major de l'Armée Secrète. Rappelons que MORIN est un des lieutenants d'Henri FRENAY, chef de "Combat", placé par lui auprès de VIDAL, en décembre 1942.
Une perquisition, toujours par la Police française, au domicile de STEELE permet de découvrir une valise pleine d'archives de COMBAT, et particulièrement des documents concernant l'Armée Secrète. C'est Christine DENOYER qui la lui a remise, ce 14 Mars, avec 268.000 frs.
Elle doit venir la reprendre le lendemain.


Effectivement, le 15 Mars, Christine vient chercher la valise. Mais elle est accompagnée de..MORIN-FORESTIER. Tombés tous deux dans le piège, MORIN prétend être professeur de mathématiques, n'être au courant d'aucune des activités de son amie Christine, qu'il se contente d'accompagner.Quant à cette dernière, l'adresse de son secrétariat est rapidement découvert, 6 rue de l'Hotel de Ville. La police s'y précipite et découvre d'autres documents de "Combat" concernant l'Armée Secrète, de fausses cartes d'identité portant les noms de Mériel et de Médiel, mais avec la photo de MORIN (29).

MORIN est arrêté. Il porte sur lui une fausse carte au nom de Marchal. Identité que la police et le Parquet accepteront comme authentique.. curieusement, alors que Christine, interrogée, finit par avouer être la secrétaire d'un nommé Méchin, chef d'Etat-Major de l'Armée Secrète, et que la photo de MORIN est retrouvée sur de fausses pièces d'identité. Aucun inspecteur, aucun juge d'instruction ne fait le rapprochement entre le personnage arrêté et le fameux Méchin que l'on sait être un "gros bonnet".

En fin de compte, le Procureur, dans son rapport, estime que les individus interpellés "n'ont joué qu'un rôle de deuxième plan".

MORIN-Forestier retrouve donc au petit dépôt les Résistants interpellés 7 rue de l'Hotel de Ville, RAVANEL, AUBRAC, KRIEGEL-Valrimont. Ils seront rapidement transférés à la prison Saint-Paul, les femmes à la prison Saint-Joseph, dès leur présentation au Parquet. A la fin du mois, 21 Résistants seront sous les verrous à la suite de cette affaire.

29
Rapport du Procureur de la République au Procureur Général du 23 Juillet 1943. ADR. Série 3U.2010. Voir Annexe 4/5.


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3 L'interpellation du Capitaine GASTALDO (Mars 1943).

Après les arrestations du 15 Mars 1943, le Secrétariat de Forestier et sa boîte aux lettres de Villeurbanne, désormais connus, furent surveillés par la Police française.

Après guerre, GASTALDO relate l'évènement:

"Le 18 Juin 1943, me rendant à la boîte aux lettres de Forestier, chef d'Etat-Major de l'Armée Secrète, dont j'ignorais l'arrestation quelques jours auparavant, je suis arrêté sous une fausse identité par deux inspecteurs de la Sûreté française. Je réussis presque à les enrôler et ils me relachèrent sur les lieux mêmes de l'arrestation" (30).

Le Capitaine GASTALDO, profitant d'une remise de courrier, avec sa prudence et sa vigilance habituelles, vint m'informer, le soir même, 18 Mars, au 4 Avenue Leclerc, de l'aventure dont il avait si bien su se sortir, mais aussi de l'arrestation de MORIN-Forestier, d'Aubrac, de Valrimont. Il me mit, bien entendu en garde devant le danger que représentait cette boîte aux lettres, brûlée. Il me demanda de prévenir le Général dès son retour de Londres, si je le rencontrais avant lui.

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4 Les dernières archives saisies par la Police française.

Quelques jours plus tard, le 25 ou le 26 Mars, la police de sûreté en suivant Claudine BON, agent de liaison et courrier de FORESTIER découvre le dépôt du reste des archives de l'Armée Secrète, dans un entrepôt situé 77 rue Rolland à Villeurbanne, loué par un "soi-disant RIVAL". Documents et matériel y sont saisis. Claudine BON est arrêtée (31).

30
A.N. Fonds Armée Secrète. 72 AJ/36 A II 4. On retrouve ce même témoignage dans le fonds Appleton: 72 AJ/1910.
31
A.N. Fonds M.U.R. 72 AJ/65.A I 3.


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TEMOIGNAGES et DOCUMENTS. (4/II.A et B.)

L'importance du témoignage qu'apporte RAVANEL à Henri NOGUERES n'échappe à personne; il porte à la fois sur son déplacement des 13 et 14 Mars, ses contacts avec VALETTE d'OSIA, son retour en emportant ses cartes Michelin sur lesquelles des terrains de parachutage ont été marqués. Enfin, il connait par KRIEGEL-Valrimont les causes de l'arrestation (32).

Raymond AUBRAC, très concerné par ces évènements de Mars, en est le témoin, et acteur, comme RAVANEL. Par la plume de son épouse Lucie, il donne une version qui correspond à peu de choses près à celle de celui-ci, à l'exception du lieu de l'arrestation de CURTIL. Lucie AUBRAC, en effet, parle d'Ambérieux, et non de Bourg (33).

De son coté, le Colonel PASSY rapproche cette arrestation de l'affaire du maquis d'Annemasse, attaqué par des Gardes Mobiles, ce qui a justifié, de la part de l'Etat-Major de l'A.S., un appel au Général VIDAL, alors à Londres(34). Ce dernier obtint du Commandement britannique un parachutage d'armes. Six bombardiers participèrent à ce parachutage, mais l'arrestation d'un agent de liaison à Albertville, porteur d'un message de Pascal COPEAU aux maquis auraient alerté les Allemands. D'où l'échec de l'opération et trois bombardiers sur six abattus (35).

Henri NOGUERES, en s'appuyant sur le "Livre Blanc du B.C.R.A." estime que, bien que l'agent de liaison"ait été arrêté pour les uns à Albertville et pour les autres à Bourg, il s'agit bien d'un seul et même agent de liaison, d'une seule et unique affaire"(36).

Daniel CORDIER, qui, en tant que Secrétaire de Jean MOULIN,alors à Londres, lui a adressé le fameux télégramme du 12 Mars: "Soulèvement commence région Evian-Grenoble. Nécessité larguer urgence quantité d'armes", se contente de son coté, de mentionner que "l'agent de liaison, qui devait apporter les coordonnées établies par l'état-major de l'A.S. avait été arrêté par la police française".. sans aucune autre indication (37).

32
Noguères, Henri, Op.Cit. Tome III p.253-254.Son Annexe 17
33
Aubrac, Lucie. Ils partiront dans l'ivresse.Paris Ed. du Seuil, 1984. 259 pages. p.9. (Avant-propos).
34
Passy,Colonel, Souvenirs. Missions secrètes en France, Paris Plon, 1951,Tome III, 425 pages, p.72.
35
Voir plus haut: 3°Partie. 10.Londres.
36
Noguères, Henri. Op.Cit.Tome III. p. 256.
37
Cordier,Daniel,Jean Moulin,l'inconnu du Panthéon. Paris Ed. J.C.Lattès, 1989, Tome I, 880 pages,Préface p.145.


Il est vrai que CORDIER n'avait pas été réellement tenu informé des évènements du 15 Mars. Daniel CORDIER connut ces arrestations mais quelques jours plus tard, et d'après Henri CALEF, il en informa Max dès le retour de celui-ci de Londres (38).
Par contre, le Chef de "Combat", dans son livre (39), s'il mentionne les interpellations par la police de MORIN-Forestier, de sa secrétaire, de RAVANEL, de KRIEGEL, il n'apporte aucun renseignement ni sur cet évènement, ni sur l'agent de liaison. Il omet de citer AUBRAC parmi les Résistants interpellés le 15 Mars; par contre FRENAY mentionne l'arrestation de Marcel PECK, le 13 Mars, suivie de son évasion, cinq jours plus tard.
Ayant eu connaissance de cette interpellation en gare de Bourg-en-Bresse, ville où je me rendais très souvent, j'ai entendu moi-même parler à l'époque de cette arrestation.

A ce sujet, une autre source nous apporte un élément à retenir. Nous verrons plus loin que le rapport du Procureur de la République est formel: CURTIL, arrivé à Chambéry le 12, a été chargé le 13 par Gaillard (KRIEGEL) de porter un pli à Lyon. Il partit le soir même et fut arrêté à Bourg. Le pli fut retrouvé dans une chaussette (40).)

Il apparait donc indispensable de retrouver les traces de ces évènements dans les rapports du Parquet et de la Police de Vichy.

Notes et rapports de la Police et du Parquet français.

Ouvrir ici les archives de la police et de la Justice de Vichy, apporte un éclairage nouveau tant sur ces arrestations que sur l'importance des documents saisis. Plusieurs références ont déjà été citées. Sans en faire l'inventaire exhaustif, il est important de se pencher sur les archives que nous avons eu l'avantage de consulter:

a La Note de la Direction du Service de la Police de Sureté,

Ce rapport de Police retrouvé, fait allusion à cette arrestation, sans toutefois donner aucune précision. Il s'agit d'une Note de la Direction de Service de Police de Vichy en date du 22 Mars 1943, où l'on peut lire que "le Service Régional de Police de Sûreté de Lyon a intercepté, il y a quelques jours, un courrier des Mouvements Unis de Résistance, porteur d'un certain nombre de documents concernant ces derniers : Combat, Libération, Franc-Tireur, ainsi qu'une formation à caractère paramilitaire, relativement récente: l'Armée Secrète." (41).

38
Calef, Henri. Jean Moulin, une vie, Paris Plon, 1980, 408 pages p.329.
39
Frenay,Henri. La Nuit finira. Paris Robert Laffont. 1973. 599 pages, p.308 .0
40
A.D.Rhône. Parquet série 3 U 2010.Voir Annexe N°4/5.
41
A.N. Fonds Armée Secrète. 72.AJ.36.A.I.6. Voir le texte intégral en Annexe N°4/6.


La note se rapporte aux documents saisis et en fait l'analyse en ce qui concerne l'Armée Secrète, son organisation et sa mission. Cette saisie constitue une découverte pratiquemment fortuite de la police de Vichy.(42)

b Le message téléphoné ayant fait l'objet d'une Note de la Direction des Services de la Police de Sûreté, le Commissaire divisionnaire BARTHELET de Lyon adresse, le 26 Mars 43, ce message téléphoné à la Direction des Services de Police de Sûreté de Vichy, pour l'informer de la découverte du "reliquat des archives de l'Etat- Major des M.U.R. à Lyon-Villeurbanne" (43).
Ces archives comporte une documentation importante concernant les Mouvements Unis de Résistance, impliquant certains Résistants arrêtés ou recherchés dont FRENAY, et l'inventaire des "imprimés apocryphes" découverts (44).

c Le rapport de la Direction de la Surveillance du Territoire Ce rapport du 1°Avril 43,se base sur les documents trouvés dans la valise de Christine DENOYER (Secrétaire de MORIN-FORESTIER, un des lieutenants d'Henri FRENAY), documents qui assimilent l'organisation de l'Armée Secrète nationale à la formation paramilitaire de "Combat"(45). Il se fait le reflet de plusieurs confusions, relevées plus loin.
La lecture de ce document permet, dès le début, d'admettre que son interprétation a donné lieu à de nombreuses inexactitudes d'abord l'assimilation des Forces Françaises Combattantes aux Mouvements Unis de Résistance.
D'autre part, autre inexactitude, ces lignes laissent supposer que la fusion aurait été réalisée sous la direction de Combat. Il est vrai que les documents découverts provenaient essentiellement de ce dernier mouvement, et qu'ils ont été rédigés soit par Henri FRENAY lui-même, soit sous ses directives.

d Rapport de la Direction Générale de Police du 13 Mai 43.
Ce document apporte des précisions sur le Noyautage des Administrations Publiques,(N.A.P.), le Service de Renseignements (S.R.), les Groupes Francs, et le Service des Opérations Aériennes et Maritimes,(S.O.A.M.). Il est à noter qu'à l'exception de ce dernier service, ces organismes sont issus de "Combat", et que ces archives en proviennent, y compris celles concernant les formations paramilitaires de Combat, (soit A.S.Combat) (46).

42
Le Ministère de l'Intérieur de Vichy connaissait l'existence de Mouvements de Résistance, en Zone Sud, surtout celui d'Henri Frenay, mais n'avait peu d'informations sur les Mouvements Unis, ni sur l'Armée Secrète.
43
A.N. Fonds M.U.R.72 AJ/65.A I N°3. Texte:Voir Annexe N°4/7.
44
Voir page 13.
45
A.N.Fonds M.U.R. 72 AJ/65 A.I.N°3. Texte: Annexe N°4/8
46
Benouville (Guillain de). Le Sacrifice du Matin. Paris R.Laffont. 1946. 607 pages (Annexe I). Texte:Voir Annexe 4/9.


e Extraits du Rapport du Procureur de la République Ducasse au Procureur Général près la Cour d'Appel de Lyon.

Ce rapport, en date du 30 Mars 1943, reproduit toutes les informations que le Parquet de Lyon a pu obtenir des services de police (47). Document qui apporte d'importantes précisions sur le déroulement de l'action policière, à cette date.

f Extraits du Rapport du Procureur de la République Ducasse au Procureur Général près la Cour d'Appel de Lyon. (23 Juillet 1943).

En s'appuyant sur les précédents, ce texte rend compte du résultat de l'information, en présentant les inculpés.
Il insiste sur l'organisation et les buts de l'Armée Secrète, ainsi que sur les renseignements concernant certains inculpés(48).
Les détails que l'on y trouve permettent de préciser que l'agent de liaison CURTIL a bien été interpellé à Bourg-en-Bresse le 13 Mars, qu'il était porteur du message révélant la réunion du 15 .

g Extraits du Rapport du Procureur Général près la Cour d'Apel de Lyon au Garde des Sceaux,

Ce rapport (49) fait immédiatement suite à celui que le Procureur DUCASSE a adressé au Procureur général. Il reprend les informations de la police, il cite les noms des "personnes qui ont été arrêtées et actuellement détenues à Lyon", en notant plus loin que ces derniers paraissent avoir joué un rôle secondaire.

47
Chauvy Gérard. Histoire Secrète de l'Occupation. Op.Cit.p.44 p.44 à 47 et 85. Ainsi que A.D.R. Texte:Voir Annexe N°4/10.
48
A.D.Rhône. Parquet Série 3U.2010. Voir Annexe N°4/11.
49
A.N.Fonds M.U.R.72 AJ/65.A.I.Extraits : Voir Annexe N°4/12.


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QU'EN PENSER...(4/II.A. et B).

1° L'arrestation d'un agent de liaison.

Les témoignages de RAVANEL et d'AUBRAC concordent sur la mission qu'avait à remplir CURTIL, sur sa destination, à savoir Lyon, où devait se tenir la réunion du 15 Mars, sur les erreurs et imprudences fatales de cet agent.. Détenteur d'informations importantes, porteur de documents très secrets, celui-ci était-il apte à remplir ce rôle, qui peut paraître secondaire au sein de la Résistance, mais n'en est pas moins essentiel.
Il peut paraître d'ailleurs étonnant qu'on ait laissé à ce jeune Résistant le soin de remplir lui-même la fausse carte d'identité, qu'on ait donné une mission de confiance à un jeune homme au caractère assez peu solide pour révéler tout ce qu'il savait dès le premier interrogatoire de la police française, connue cependant pour être bien moins "musclée" que la Gestapo..
Il était très difficile d'évaluer les capacités de garçons faisant preuve, certes, de bonne volonté, mais mal préparés à une action clandestine, parmi les volontaires, si peu nombreux, à servir la Cause.
Où s'est effectuée l'arrestation de CURTIL ? Les rapports de police, du parquet, parlent de la gare de Bourg-en-Bresse mais jamais de celle d'Ambérieu. Quoiqu'il en soit, ce ne pouvait pas être à Ambérieux-en-Dombes, trop petite ville de l'Ain, pour avoir une gare.
Enfin, il apparait bien que l'affaire de l'arrestation de Bourg(50) soit à dissocier de celle d'Albertville où un agent de liaison fut bien interpellé, porteur d'un message donnant des informations sur le parachutage d'armes.
Il semble donc établi que l'interpellation de CURTIL, agent de liaison, se soit produite à la gare de Bourg-en-Bresse, et que les arrestations et les perquisitions de Mars en soient les conséquences.

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2° Le témoignage de Ravanel.

Quant aux arrestations du 15 Mars, nous disposons d'un témoignage précis.Il s'agit bien de celui de RAVANEL , et non de celui de MORIN-Forestier, à qui Gérard CHAUVY l'attribue, sans aucun doute par confusion (51). En effet, Henri Noguères précise bien que RAVANEL lui a apporté son témoignage pour son Histoire de la Résistance en France (52).
Cette même scène est d'ailleurs rapportée par Lucie AUBRAC, lorsqu'elle relate ces évènements, avec les mêmes détails sur la tentative d'évasion de RAVANEL (53).

50
Recherches entreprises aux A.D. de l'Ain.
51
Chauvy, Gérard. Op. Cit. p 41.
52
Noguères, Henri. Op. Cit. p.253
53
Aubrac, Lucie. Op.Cit. p.10.


Dans un rapport au B.C.R.A., MORIN-Forestier, une fois en Angleterre fait allusion aux arrestations du 15 Mars, sans apporter aucune précision, aucun témoignage réel (54).

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3° Les rapports de la Police et du Parquet.

A la lecture du rapport du Procureur Général près la Cour d'Appel de Lyon au Garde des Sceaux, daté d'Avril 1943,(55) il apparait que l' objectif reste bien l'arrestation des "dirigeants qui pourraient être identifiés et arrêtés"," dont on connait l'existence: le délégué en France du Général de GAULLE, le chef de l'Armée Secrète, les chefs des Mouvements de Résistance et principalement celui de "Combat".

Mais dans ce même rapport, une phrase lourde de conséquences retient l'attention: "Au moment de l'arrestation des inculpés et au cours des investigations de la police, les documents saisis ont été communiqués aux autorités de police allemande, qui ont manifesté tout d'abord l'intention de se saisir de cette affaire, en raison de la nature de l'activité déployée contre les troupes allemandes d'opérations (sic). Elles y ont renoncé et c'est Monsieur COHENDY, juge d'instruction à Lyon, qui est chargé de cette information..".

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4° La Gestapo.

Les Allemands du K.d.S. de Lyon feignent de négliger cette affaire, de ne pas vouloir s'en occuper.
Sans doute, s'intéressent-ils surtout aux documents remis par la Police française, mais, rusés, ils tiennent à endormir l attention du gouvernement de Vichy en n'exigeant pas qu'on leur remette d'un coup toute la moisson récoltée, documents et résistants appréhendés. D'autant plus que BOUSQUET est trop fier de garder une autorité virtuelle.
Cependant, le K.d.S. ne se désintéresse pas des détenus de Saint-Paul. D’ailleurs, après avoir été jugés par le Tribunal français de Lyon et condamnés à des peines de prison, les détenus sont incarcérés dans diverses centrales, et plusieurs le sont à celle d’Eysses. Au cours du dernier trimestre 1943, en vertu des fameux accords Oberg-Bousquet, ce dernier n’a aucun scrupule à les livrer au S.D. et à les faire déporter (55-b)

54
A.N. Fonds Combat. 72.AJ/46 A.7.III.
55-a
A.N.Fonds M.U.R.72 AJ/65.A.I. Voir Annexe N°4/12
55-b
Déposition du 14/04/1948 de Jean-Pierre Sussel: second procès Hardy: Cote 112.


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C- LE S.D. ALLEMAND INTERVIENT. COMMENT Y ECHAPPER ?

Depuis Août 1940, Otto ABETZ est l'ambassadeur du Reich à Paris et pour l'ensemble de la France. Il est en rapport constant avec son subordonné à Vichy, le Consul Général KRUG von NIDDA.
Le 20 Mars 1943, il transmet par télégramme à la Wilhem-strasse (Ministère des Affaires étrangères du Reich à Berlin) un message reçu du Consulat général de Vichy:

"KRUG communique: Des documents secrets du 2° Bureau français ont été découverts à l'Hotel-Dieu de Lyon.
Un français nous a indiqué ces documents qui contiennent des renseignements sur nos troupes, notre police, les fortifications, ainsi que sur les liaisons avec l'A.S. et l'I.S.(Armée Secrète et Intelligence Service).
Le Capitaine BILLON qui, arrêté, s'est suicidé, était le chef de la 1°Région de l'A.S. La Police française vient de remettre au S.D. une documentation importante sur l'A.S."(56).

Ce télégramme comporte trois informations:
-1° La découverte à l'Hotel-Dieu de Lyon des Archives du 2°Bureau français,, devenu pratiquemment clandestin sous le nom de S.S.M. (Service de Sécurité Militaire); dont un S.R. camouflé sous l'appelation d''entreprise Technica, démantelé par MERCK de l'Abwehr de Dijon, le 16 Février 43; la souricière du 36 Quai St Vincent entraina peu après la saisie des archives dissimulées à l'Hotel-Dieu (57).
-2° L'identification du Capitaine BILLON en tant que chef de R.1, ainsi que l'annonce de son suicide.
-3° La remise par la Police française au S.D. des documents de l'A.S. récemment saisis.
Ce dernier évènement, aux conséquences encore imprévues, mais certainement considérables, a donc pu se réaliser grâce aux accords Oberg-Bousquet et aux bons offices de la police de Vichy.

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a-Trois Résistants interrogés par le S.D.

Ainsi, d'après les accords OBERG-BOUSQUET, les Allemands sont non seulement tenus au courant, mais reçoivent communication immédiate des documents saisis et interrogent les prévenus, sans toutefois les détenir eux-mêmes.
C'est le "Sicherheitsdienst" (S.D.) allemand de Lyon, installé encore à l'Hotel Terminus, qui veut entendre les trois personnages arrêtés 7 rue de l'Hotel de Ville, après avoir pris connaissance des documents saisis et remis par la police française aux Allemands.
D'ailleurs un agent du S.D. accompagné de deux inspecteurs français vient à la prison St Paul. D'abord ils emmènent RAVANEL, sous l'identité de Asher.
Trois heures plus tard, c'est le tour d'AUBRAC et de KRIEGEL répondant aux noms de François Vallet et de Fouquet.

56
Télégrammes d'Abetz à la Wilhemstrasse:A.N.:72 AJ/72.
57
Paillole Paul. Services Spéciaux. Op.cit. p.504.


A l'Hôtel Terminus, les interrogatoires se déroulent fort bien pour nos amis, tant pour RAVANEL craignant toujours que ses cartes Michelin ne révèlent les indications d'aérodromes clandestins, que pour AUBRAC et KRIEGEL, finalement convaincus d'être de petits trafiquants. D'ailleurs KRIEGEL qui sait parfaitement parler l'Allemand, mais ne le révèle pas, entend l'un des trois allemands dire aux autres qu'ils perdent "du temps avec ces types, (qu') ils ne sont pas intéressants" (58). Heureusement, MORIN-Forestier n'avait pas été entendu par le S.D.

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b-Tentatives et projets d'évasion.
Si ces interrogatoires semblent n'avoir pas eu de suites immédiates, les détenus. ressentent bien la précarité de leur situation. "A peine arrêtés, nous n'eûmes qu'une idée: nous évader" se rappelle RAVANEL (59). D'ailleurs, celui-ci n'avait-il pas tenté de prendre le large dès son arrestation, le 15 Mars.
Quant à AUBRAC, puisque sa fausse carte d'identité, au nom de Vallet, porte l'adresse d'un petit appartement de la Croix-Rousse, 16 rue Sainte-Clotilde, (logis semi-officiel, semi-clandestin, surtout pour camoufler le véritable de l'Avenue Esquirol), la police française organise une perquisition, au cours de laquelle, il tente vainement une évasion.

Mais la chance veut bien sourire à certains d'entre eux.
En 1943, les hommes détenus à la prison Saint-Paul, présentant une affection reconnue, peuvent être transférés à l'hopital de l'Antiquaille, situé sur la colline de Fourvière; pour les femmes incarcérées à la prison Saint-Joseph, ce sera l'Hotel-Dieu. C'est bien le cas de Christine DENOYER, qui profite de sa grossesse pour solliciter et obtenir son transfert (60).
Comme il est manifestemment plus facile de s'évader d'un hôpital que d'une prison, il est "décidé, se souvient RAVANEL, avec la complicité des médecins et des infirmiers de Saint-Paul, que l'on nous ferait passer pour malades afin de nous y faire transférer". Soit AUBRAC (Vallet), MORIN (Marchal), KRIEGEL (Fouquet) et RAVANEL (Asher).
Et ces hospitalisations sont appuyées les très vagues diagnostics suivants:
"Asher: fièvre d'origine inconnue."
"Fouquet: état fébrile grave et prolongé."
"Marchal: état fébrile prolongé"(61).
Dans le rapport du Procureur où figurent ces motifs de transfert, ne figure pas le nom d'AUBRAC-Vallet. Et pourtant ce dernier est un des premiers à être transférés à l'Antiquaille(62).

58
Aubrac,Lucie. Op.Cit. p.22-23 (Annexe 4/16)
59
Noguères,Henri. Op.Cit. T.3. p.253-254.
60
Dans le rapport du Procureur du 23/07/43 (voir Annexe 4/11), il est question de l'Hopital Ed.Herriot. En fait Christine a été hospitalisée à l'Hotel-Dieu, comme le rapporte Ravanel, fait confirmé par les Archives des Hospices Civils de Lyon.
61
Rapport du Procureur de la République du 23/07.(Annexe 4/11).
62 Noguères,Henri. Op.Cit. T.3 p.374


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c-Raymond AUBRAC légalement libéré.

D'ailleurs Raymond AUBRAC ne reconnait-il pas que le juge d'instruction a été "relativement bienveillant".. Il est vrai qu'il a signé en bloc la détention. Et puis ces hospitalisations successives..Ces quatre Résistants qui se retrouvent au même hopital..MORIN a d'ailleurs rendu hommage au juge COHENDY (63).

A deux reprises, l'avocat de R.AUBRAC, Maître FAUCONNET, demande au juge d'instruction, Monsieur COHENDY, la mise en liberté provisoire de son client. La seconde fois, le Mardi 4 Mai,il étaye sa demande par le fait que "François Vallet", toujours à Saint-Paul a dû être placé à l'infirmerie de la prison pour affection pulmonaire avec réveil bacillaire (64).

Lucie AUBRAC, avec le concours d'André LASSAGNE et d'un Groupe-Franc monte une opération d'évasion par intervention extérieure, mais impossible d'être opérationnel avant le 20 Mai.
Or, Lucie tient absolument à la présence de Raymond auprès d'elle, le 14 Mai, anniversaire de leur rencontre (65).
Elle va donc voir le Procureur de la République et lui déclare que, mandatée par la Résistance, elle le met en demeure de faire libérer "François VALLET" avant le 14 Mai, et appuye sa demande par l'annonce d'un message devant passer le soir même à la B.B.C.. Elle en donne le texte qui correspond d'ailleurs à une autre signification. Dès le Mardi 11 Mai, Raymond AUBRAC en liberté provisoire, quitte l'Hopital de l'Antiquaille (66). Il vient volontiers signer le lendemain une déclaration par laquelle il s'engage à se tenir à la disposition de la justice (67), mais il sera libre le 14 Mai comme l'a souhaité son épouse Lucie.

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d-Les évasions.

Restent hospitalisés, à l'Hotel-Dieu Christine DENOYER, et à l'Hopital de l'Antiquaille: MORIN-Forestier, sous l'identité de Marchal, RAVANEL dont l'identité portée sur les régistres est "Asher", et KRIEGEL-Valrimont dont la carte porte le nom de Fouquet.

63
Noguères, Henri. La Vérité aura le dernier mot. Op.Cit. son annexe 9. page 268.
64
Noguères, Henri. Ibid. son annexe 6 rapportée ici: annexe 4/13.
65
Aubrac, Lucie. Op.Cit. p.34-35.( Voir annexe 4/16).
66
Archives des Hospices Civils de Lyon.
67
Noguères,Henri.Ibid. son annexe 8 rapportée ici: annexe 4/14.


A la prison St Joseph, Christine DENOYER a connu une toute jeune fille de 14 ans, Janine VISNIANSK, détenue à titre préventif, pour détention de tracts "d'origine étrangère". Le 18 Mai, cette dernière passe en Correctionnelle, est condamnée à 6 mois de prison avec sursis. Immédiatement relachée, elle prend contact avec Christine, alors hospitalisée à l'Hotel-Dieu .

La jeune Janine vient voir sa camarade le 21 Mai. L'agent DULYS qui garde Christine autorise la visite bien qu'aucun permis ne soit présenté. Une autre personne arrive puis, après avoir laissé un sac de voyage, s'en va. Christine, accompagnée de Janine manifeste le désir d'aller dans le bureau de la Soeur-Cheftaine.

L'agent DULYS accepte. Mais Christine, sans doute avec l'aide de la personne précedemment venue, parvient à sortir de l'Hopital. Par contre Janine est arrêtée, et écrouée ainsi que l'agent DULYS (68).

A l'Antiquaille, depuis l'évasion de Christine DENOYER, la surveillance était plus renforcée;
Aussi, transfera t'on RAVANEL dans une autre salle. Ce qui ne l'empêcha pas de recevoir le 23 Mai un message l'informant que l'évasion aurait lieu le lendemain.

C'est le lundi 24 Mai, dans l'après-midi, qu'un gendarme lui apprit qu'on venait le chercher. Deux personnages, dont l'un armé d'une mitraillette, le firent descendre les deux étages en le bousculant. Dans la cour les deux autres détenus, MORIN-Forestier et KRIEGEL-Valrimont, sous les noms de Marchal et Fouquet, étaient déjà là, sous la garde fictive de plusieurs agents soit-disant de la Gestapo. Embarqués dans plusieurs tractions qui démarrèrent rapidement, (dans l'une se trouvait Lucie AUBRAC), ils furent cachés dans la nature quelques semaines (69).

68
Rapport du Procureur du 23.07. Voir Annexe 4/11.
69
Noguères,Henri.Histoire de la Résistance.T.3.Op.Cit.p.374-375 et La Vérité aura le dernier mot. Op.Cit. page 228. De plus, voir le Témoignage de Ravanel: Texte intégral en Annexe 4/15.


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LES SOURCES PRINCIPALES.(4/II.C)

Les faits décrits ci-dessus sont surtout étayés par les témoignages de deux des principaux intéressés:
RAVANEL et AUBRAC. Mais après guerre, revenant de déportation André LASSAGNE apporta son point de vue.

1° Témoignages de Raymond et Lucie AUBRAC.

Par la plume de Lucie, son épouse, Raymond rapporte ses souvenirs en ce qui concerne l'interrogatoire par les Allemands (65). Lucie décrit les modalités de l' élargissement légal de son mari, et le coup monté par elle et André Lassagne qui aboutit à l'évasion épique de l'Antiquaille du 24 Mai.
Il semble bien qu'une erreur de dates se soit glissée dans le récit de Lucie AUBRAC. Si celle-ci ne peut pas se tromper quant à l'anniversaire du 14 Mai, les documents publiés en 1985 par Henri NOGUERES, en annexes de son ouvrage "La Vérité aura le dernier mot" (67), révèlent que l'avis de mise en liberté de St Paul est daté du 10 Mai; mais l'interessé étant hospitalisé, ce n'est que le Mardi 11 Mai que la sortie de l'Antiquaille est effective (70).

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2° Le témoignage de RAVANEL:

Il a rapporté à Henri Noguères une relation de l'interrogatoire par le S.D. suffisante pour comprendre les faits. Le poids de ce témoignage ne peut échapper. RAVANEL minimise beaucoup l'importance de la présentation à la Gestapo, et estime que si elle"n'[a] pas été grave" c'est grâce à la pression que la Résistance commençait à exercer sur la police. Il disjoint son propre cas, aggravé par les cartes Michelin, de ceux d'AUBRAC et KRIEGEL atténués, selon lui, par l'alibi-marché noir du kilo de sucre.. Il rapporte aussi ses souvenirs précieux de sa détention et de l'évasion de l'Antiquaille.

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3° Celui d' André LASSAGNE:

Il a révèlé après-guerre que début 43, au moment de la constitution des Groupes-Francs qu'il a commandés en partie, il avait avec lui quelques hommes déterminés qui ont participé au coup de l'Antiquaille. Cette affaire, précise-t'il, fut organisée par Lucie AUBRAC, les rôles principaux furent tenus par Raymond AUBRAC et par lui-même, André LASSAGNE, qui était ce jour-là l'inspecteur de la police de Vichy Lombard...(71).

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4° Enfin, bien qu'il ne s'agisse pas d'un témoignage, le rapport du Procureur de la République au Procureur général (48)apporte une base à cette relation. Ses éléments proviennent des rapports de police après les évasions.

70
Archives des Hospices Civils de Lyon.
71
A.D.Rhône.Témoignage d'André Lassagne. 31J. B.22.


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POINT DE VUE (4/II.C)

1° Les Accords OBERG-BOUSQUET, et certains fonctionnaires.
Ces accords mettent évidemment les Résistants dans une situation grave. L'exemple des arrestations du 15 Mars, de la saisie des documents de l'A.S., recueillis par "Combat", en est une démonstration.
Si le gouvernement de Vichy est rigide quant au respect des accords franco-allemands, certains membres de la police et de la justice ont sans doute le souci d'en limiter les conséquences, mais tiennent aussi à "obéir aux ordres". On peut prétendre que certains policiers n'étaient pas assez zélés pour faire part au S.D. des conclusions auxquelles ils avaient abouti. Les Allemands ont ignoré, semble-t'il, l'histoire de la carte Michelin, la tentative de fuite de Ravanel, ce qui expliquerait le certain désintérêt de la Gestapo pour ces trois détenus de Saint-Paul.
RAVANEL pense qu'"on avait réussi, au demeurant, à faire pression sur la police française pour ne pas être livrés aux Allemands. La Résistance commençait à pouvoir faire pression, et la police s'est battue pour nous".
La version présentée par AUBRAC et KRIEGEL, selon laquelle ils s'adonnaient à un trafic bien limité, est donnée comme valable aux agents du S.D. par certains policiers. Ils ont probablement invoqué ce prétexte pour ne pas les laisser aux mains des Allemands.
Quant à Raymond AUBRAC, il estime que le juge d'instruction COHENDY a été "relativement bienveillant". Il retient le délit de marché noir pour tous les trois. Du coup, le quatrième, MORIN-Forestier, bénéficie d'une détention globale, ce qui atténue son cas. Il n'est d'ailleurs pas présenté au S.D., lui le plus compromis.
Et puis, avec la complicité évidente des médecins de prisons, sur la demande du juge d'instruction COHENDY, ces 4 Résistants sont transférés de la prison St Paul au même hôpital, ce qui favorise grandement le projet d'évasion.
De même le Juge COHENDY, après la demande de l'avocat de "François Vallet" en date du 4 Mai, a adressé au Procureur, en vue d'une mise en liberté provisoire, une "Ordonnance de soit communiqué" le Samedi 8 Mai (72).
Loin de vouloir réhabiliter la Police de Vichy et sa Justice, il faut bien convenir que quelques policiers et magistrats ont (difficilement) réussi à rendre compatibles leur conscience de Français avec certains impératifs de leurs fonctions, en servant plus ou moins directement la Résistance.
2° Le Coup de main sur l'Antiquaille.
Resté célèbre, moins dans sa préparation, cependant minutieuse, que dans son exécution, il est en grande partie l'oeuvre d'André LASSAGNE, agrégé de l'Université, compagnon que j'ai toujours admiré.
Il n'hésitait jamais à monter et à participer aux coups de main. Trop souvent oublié, son nom mériterait d'être mieux honoré.

72
Noguères,Henri.La Vérité aura le dernier mot.Op.Cit. (son annexe 7 reproduite ici en Annexe 4/17)


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D- LE GENERAL DELESTRAINT et CES EVENEMENTS :

Le Général DELESTRAINT (VIDAL) se trouve à Londres avec Jean MOULIN (MAX), jusqu'au 20 Mars, date de l'atterrissage du Lysander qui les ramène en France.
Le dimanche 21 Mars, je rencontre le Général, chez lui à Bourg-en-Bresse et lui rapporte les informations que m'avait données le Commandant GASTALDO, son interpellation très récente et très provisoire, ce qu'il a appris sur les arrestations du 15, notamment celle de MORIN-FORESTIER, le chef d'Etat-Major qui lui a été attribué par Henri FRENAY, fin Novembre 1942.

Il sait déjà tout cela et même davantage, puisqu'il a rencontré le matin même GASTALDO . Ce dernier a mis l'accent sur l'importance que représente à ses yeux la saisie par la police de toute la documentation, effectuée au secrétariat de MORIN .
Le Général, justement inquiet quant aux suites de cette affaire, décide d'abord de reconstituer son Etat-Major, puisque MORIN-Forestier est définitivement hors-combat; précisément hors-combat pour l'A.S, puisqu'après avoir été libéré le 24 Mai, MORIN estime que, brulé en France métropolitaine, il souhaite gagner Londres le plus tôt possible. Il attend une place disponible dans un Lysander, ce qu'il obtiendra en Juillet.

Le remaniement de l'Etat-Major de l'A.S. a été abordé précédemment. Il convient simplement de rappeler que le Commandant GASTALDO, officier d'active breveté, récemment promu par le Général de GAULLE Chef d'Escadron, sera désormais le Chef d'Etat-Major de VIDAL, tout en restant à la tête du 2°Bureau où André LASSAGNE le secondera. AUBRY sera son Chef de Cabinet.(73)

Certes, le 25 Mai, lorsque André LASSAGNE lui apprend la réussite du Coup de main de l'Antiquaille, le Général DELESTRAINT se réjouit de ces libérations et du bon tour joué tant aux Allemands qu'aux Vichystes. Il félicite chaudement André d'y avoir largement participé. Ce qui ne fait que conforter la grande estime et l'absolue confiance qu'il voue à LASSAGNE. Sentiments qui ne seront jamais démenties.

73
Fassin (rapport du 22.06.43 au B.C.R.A. 2°Procès Hardy) dit que, chef de cabinet, Aubry remplit les fonctions temporaires de chef d'E.M. en attendant de Londres la nomination officielle d'un chef capable, sans savoir que Gastaldo est déjà nommé depuis Avril. Nous aurons souvent à revenir sur le quiproquo de ces attributions. Au reste, celui-ci est entretenu par Henri AUBRY, lui-même, puisqu'il a reçu des mains d'Henri FRENAY cette charge, en ce qui concerne l'A.S. de "Combat". Mais la confusion étant entretenue à ce niveau, elle demeurera aux échelons inférieurs.


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E- LES ALLEMANDS EXPLOITENT LES DOCUMENTS.

Mais la plupart des documents saisis par la police française sont bel et bien aux mains des agents du S.D. L'attention de ces derniers, au cours de ce mois de Mars, se concentre sur le contenu de la valise de Christine DENOYER, et des dossiers trouvés chez elle: 15 dossiers, en plus des archives et du matériel saisis à la suite de l'arrestation de Claudine BON à Villeurbanne.(74)

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a-L'importance de la saisie des Archives

Une illustration de cet évènement grave en est donnée par le rapport de Raymond FASSIN, Capitaine Barsac, alias Sif, officier du B.C.R.A., Chef du C.O.P.A pour la Zone SUD. Il a été rappelé à Londres après les arrestations de Juin (il sera tué par l'ennemi, en Z.N., fin 43).
Dans ce rapport du 28 Juin au B.C.R.A., où se glissent une inexactitude sur les circonstances de l'arrestation de Christine DENOYER, FASSIN s'inquiète du sort de ces documents, d'autant plus que, sans doute grâce à un policier résistant, il a eu en mains les copies de trois rapports se trouvant dans les archives saisies et retransmises par la police: (72)
1° un rapport complet sur "l'organisation actuelle de l'A.S."(75)
2° un rapport"sur le fonctionnement du S.O.A.M.", devenu depuis le C.O.P.A:Centre des Opérations de Parachutage et d'Atterrissage(76)
3° un rapport envoyé par FASSIN à FRENAY.(Sif à Nef)

Le Capitaine FASSIN dans son rapport écrit cette phrase: "Ces archives ont été saisies par la Police française, mais nous ne sommes pas en mesure de dire si la Gestapo en a eu connais- sance".
Malheureusement, les Allemands les connaissaient bien depuis Mars.

Si ces archives proviennent de Combat en très grande partie, si VIDAL même n'a pas eu connaissance de beaucoup de ces pièces, il sait qu'elles concernent aussi l'Armée Secrète, sa structure, sa hiérarchie, son armement, les services qui lui ont été adjoints par le B.C.R.A. et MAX, tel le S.O.A.M. Et puis, certains de ces documents vont permettre aux Allemands de connaître l'organisation interne de l'A.S., ses différents bureaux, les pseudonymes des chefs. Ils connaîtront l'existence du délégué du Général de Gaulle en France, les Mouvements Unis de la Résistance.

74
Le Chef de la Sûreté de Lyon aurait adressé à Vichy des copies de documents saisis, non transmis aux Allemands (Annexe XX) 75
Rapport sur l'organisation de l'A.S:Extraits. Voir Annexes 4/6 et 4/9.
76
Rapport sur le fonctionnement du S.O.A.M. Voir Annexe 4/9.


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b-Le Rapport de KALTENBRUNNER du 27 Mai 1943 sur l'A.S.

Dans la seconde quinzaine de Mars 1943,le successeur de HEYDRICH à la tête du R.S.H.A, depuis le 30 Janvier, donc depuis moins de deux mois, reçoit, à son bureau berlinois de la Prinz-Albrecht Strasse, des rapports et des documents capitaux sur l'existence, l'organisation et les buts de l'Armée Secrète en France. Ils proviennent de l'Amt IV de Lyon, en passant par voie hiérarchique, par Paris.

Ce sont ces documents qui lui permettent de faire établir et de faire rédiger:

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1° Le rapport de 28 pages, en 41 exemplaires, dont un est adressé au Führer, un autre, le N°3 retrouvé après guerre, destiné à Von RIBBENTROP. Il résume la somme des informations puisées dans les archives saisies par la police française et remises au S.D. de Lyon, en Mars 1943.(77)

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2° L'Organigramme de l'Armée Secrète en France-Zone Sud.

Ce document a été retrouvé à la fin de la guerre. Son titre allemand est: "Aufbau der "Armée Secrète" im neubesetzten Frankreich-Mârtz 1943." dont la traduction correspond à: Structure de l'Armée Secrète en France nouvellement occupée-Mars 1943 (c'est à dire dans la zone sud)(78), graphique dont Kaltenbrunner parle dans son rapport. Ainsi, par l'étude des documents saisis, les services de KALTENBRUNNER ont dressé cet organigramme qui révèle leur connaissance aiguë de la structure de l'A.S., hormis quelques erreurs.
Y sont retrouvés des pseudonymes de responsables de postes-clés, de bureaux. Et aussi le pseudo. BACCHUS par lequel nous désignions l'Armée Secrète, et attribué sur ce tableau au Comité de Coordination, (sous l'orthographe de Bachus).
La plupart des encadrés sont lisibles, et traduisibles, à l'exception de deux d'entre eux. Celui concernant le 3°Bureau qui ne peut être déchiffré, bien que ce document ait été présenté à des germanophones avertis. Quant à celui concernant le courrier et les boîtes aux lettres, quelques mots n'ont pu être compris.
La traduction de cet Organigramme (79) permet de comprendre à quel point les Allemands ont pu tirer partie des documents saisis par la police de Vichy, et remis au S.D.

Mais l'ampleur du désastre se mesure à la lecture du rapport lui-même.

77
Traduction du rapport du 27 Mai 1943 de Kaltenbrunner: 2° Procès Hardy. Voir Annexe 4/4.
78
Organigramme établi par les services de Kaltenbrunner. A.N. 40 AJ/1503/17. Voir Annexe 4/18
79
Traduction de l'Organigramme: Voir Annexe 4/19.


SOURCES et CONCLUSIONS

Ainsi dès le début du rapport du 27 Mai de KALTENBRUNNER il est révélé:
-que les Allemands depuis fin 1942 étaient informés de l'union des Mouvements de Résistance de la Zone Sud et de leur volonté de se mettre sous les ordres du Général de GAULLE ,
-qu'un officier français, devenu un agent spécial allemand de la Gestapo, un VertrauensMann, un homme de confiance,(80) avait appris à ses maîtres l'existence de l'Armée Secrète et s'y était introduit.
Après avoir mentionné les arrestations de Février par les services de GEISSLER,(81) le rapport en arrive aux 15 dossiers saisis par la police française et remis au S.D. de Lyon, dossiers provenant des Archives de Combat, ce qui amène normalement Kaltenbrunner à présenter l'historique de ce mouvement, à parler de son chef, Henri FRENAY, à qui il attribue la fusion, à partir de Septembre 1942, des groupes paramilitaires des Mouvements de Zone Sud pour former l'Armée Secrète, terme désignant déjà auparavant ceux de "Combat".

Toujours à la lumière des documents trouvés dans la valise de Christine DENOYER, chez elle et à Villeurbanne, Kaltenbrunner estime que c'est Henri FRENAY qui "réussit à subordonner" les trois Mouvements en un Comité Directeur qu'il dirigeait et à tenter de rallier les Mouvements de Zone Nord. Quant aux chefs de "Libération" et de "Franc-Tireur", ils se contentaient d'appartenir à ce Comité directeur.
C'est par l'éclairage des mêmes archives réunies par les chefs de "Combat" que le rapport présente la constitution de l'Armée Secrète, d'après la structure du Mouvement d'Henri FRENAY et révèle par contrel'existence du Chef suprême, le Général VIDAL, et de son état-major. Il découle de cette analyse l'élaboration de l'Organigramme.

A la suite de la description détaillée de l'armement, Kaltenbrunner développe les objectifs et la position de l'A.S., vis-àvis de l'Allemagne, de Vichy, de GIRAUD et du parti communiste, en passant sous silence le rôle des alliés, conceptions qui sont celles de Combat, en ce début 1943. Il est reconnu que l'A.S. est aux ordres du Général de GAULLE. En insistant sur la menace pour les Allemands que représente cette nouvelle force armée en France, il entrevoit les mesures à prendre contre elle. Le Sonderkommando envoyé en France pour la détection des postes émetteurs, en liaison avec l'Abwehr, fait aussi entrevoir la traque des chefs dont Kaltenbrunner connait désormais l'existence: FRENAY, Darthez (d'ASTIER de la VIGERIE), Gilles (Jean- Pierre LEVY), Vidal (DELESTRAINT), le représentant de de GAULLE (Jean MOULIN)..

80
Se reporter au Chapitre I: "L’outil de la Répression".
81
Se reporter au Chapitre II: "La répression frappe l’A.S."


Enfin, sur l'organigramme, reconstitution de la structure de l'A.S. au travers de la masse des renseignements obtenus, on constate que si au Commandement supérieur de l'Armée Secrète unifiée figure bien le nom du Général en Chef VIDAL, par contre l'Armée Secrète dépend du "Comité de Coordination", alors qu'en fait, celle-ci répond directement du Général de GAULLE. Cette contestation, nous l'avons vu précédemment, a constitué l'un des principaux conflits entre Vidal et "Tavernier"(H.FRENAY).(82) Ce dernier partisan de la subordination de l'A.S. aux M.U.R., en ce début 43, conception rejetée aussi bien par MOULIN que par DELESTRAINT, et définitivement par de GAULLE.

Si le S.D. a eu connaissance avant Mars 43, par l'officier français-V.Mann, de l'existence de l'A.S. et probablement de la constitution du Directoire des M.U.R., c'est bien les documents communiqués par les autorités françaises qui ont fourni l'essentiel des éléments nécessaires à ce rapport.

Gérard CHAUVY a pu faire le parallèle éloquent entre des documents de la valise de Christine et le rapport KALTENBRUNNER au sujet de la mission de l'A.S., et de la retranscription de l'ordre d'insurrection du 19 Février donné par Henri FRENAY s'intitulant en cette occasion chef de l'Armée Secrète. (83) Il parle avec raison de "troublantes similitudes, et de copie conforme"

La manne de renseignements sur l'Armée Secrète que les allemands ont reçu en ce mois de Mars 1943 des autorités françaises leur ont permis de mesurer le danger que représentait la constitution de l'Armée Secrète. Sachant dorénavant que l'Armée Secrète s'articule aux Forces Françaises Combattantes et donc aux Alliés, le S.D. allemand et l'Abwehr vont concentrer leurs efforts pour en savoir davantage et surtout pour frapper à la tête la Résistance française métropolitaine.

82
Quant aux pseudonymes, rappelons-en, ici, quelques-uns.
TAVERNIER désigne : Henri FRENAY.
MECHIN, MARCHAL : François MORIN- Forestier
RICHARD : Général DESMAZES
AVRICOURT puis THOMAS : Henri AUBRY
GALIBIER GARIN : GASTALDO
GAYET : KRIEGEL-VALRIMONT
MERCIER (BUISSON) : BILLON
83
Chauvy,Gérard. Histoire Secrète de l'Occupation. Op.Cit. page 46


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III- LE VOYAGE de VIDAL à PARIS.

1°- Pourquoi, ce séjour à Paris ?

Le moment est venu de commencer à mettre à exécution le projet du transfert de Lyon à Paris de l'Etat-Major de l'A.S., dans le même temps d'ailleurs où la délégation de Jean Moulin s'installera dans la capitale. Le Général tient à être sur place pour régler certains problèmes d'installation. Aussi le séjour parisien prévu pour ce mois de Juin n'est-il pas limité d'avance dans le temps.

Mais s'ajoutent à celui-là d'autres motifs tout aussi impérieux. Le Général VIDAL, investi par le Général de GAULLE de l'organisation et du commandement de l'Armée Secrète pour l'ensemble du territoire métropolitain depuis Mars, s'est déjà rendu à Paris en Avril. Il doit y retourner pour constater avec leurs chefs que les organisations paramilitaires des mouvements de la zone Nord ont réalisé leur fusion certes, mais prévoir le déroulement des opérations du Jour J.

Donc, étant donné l'importance que le rail va jouer dans le déplacement des divisions allemandes lors du débarquement attendu, la préparation du sabotage des voies ferrées constitue à cette époque l'action, sinon principale, du moins essentielle, attribuée à l'Armée Secrète et à son 3°Bureau.
L'élément essentiel de ce projet consiste donc à prévoir les destructions à réaliser lors du débarquement, ce qui le dissocie de " l'Action Immédiate", dont la direction incombe toujours à René HARDY, en ce qui concerne le sabotage des voies ferrées.

Sans avoir à y revenir, il est bon de rappeler que déjà, lors des rencontres de Vidal et de Sir Allen Brock chef de l'Etat-Major impérial britannique, à Londres, en Mars, un projet de plan de destructions ferroviaires avait été mis sur pied, à partir du travail du Commandant Saint-Jacques du B.C.R.A., de son "Plan Vert" (84).

84
Colonel Passy, Souvenirs du B.C.R.A., T.III, Missions secrètes Paris. Plon.339 pages. p.70.

C'est sur cette base, d'après les instructions reçues du haut commandement allié, que le général VIDAL avait demandé une étude approfondie du réseau de l'ensemble du territoire en vue des des-tructions ferroviaires qui pourraient y être réalisées le jour J.. Le chef du 3° bureau, récemment nommé sur proposition d'Henri FRENAY, René HARDY, est bien placé pour l'exécution de ce travail. Celui-ci, dans le cadre du Mouvement Combat auquel il appartient, avait sans doute entrepris déjà certains plans de sabotage des voies ferrées pour le compte du "Service N.A.P." de Combat (85).
Mais en l'occurence, le lieutenant de réserve HARDY (86) a reçu mission du chef de l'A.S., de procéder à cette étude, avec l'aide de ses adjoints, HEILBRONN et LACOMBE.

Une place de choix doit être réservée à HEILBRONN dont la compétence est incontestable: Ingénieur, Capitaine de réserve des Sapeurs des Chemins de Fer, il avait acquis une forte expérience lors de la guerre 1939-1940. Ses projets sur les méthodes de sabotage des voies ferrées diffèrent souvent de celles de René HARDY. Il demande plusieurs fois à celui-ci de rencontrer le Général VIDAL. Réponses dilatoires de HARDY, mais le 12 Juin il lui dit y renoncer, alors que le Général est déjà arrêté, ce qu'ignore HEILBRONN (87). Non pas HARDY.
Le rapport de HARDY et de HEILBRONN, a été dénommé à tort par certains "le plan vert"; disons, comme il fut rapporté au cours de l'instruction du 2° procès Hardy, qu'il s'agit du document "bloc-fer". Elaborés et dactylographiés dans une ferme du Gard "la Colle", durant la seconde quinzaine de Mai, les exemplaires arrivent à Lyon le 4 Juin, après de nombreuses tribulations. Au moins trois exemplaires, peut-être quatre, ont été tapés à la machine (88).
Un remis à Henri FRENAY, afin qu'il l'emporte à Londres.
Un remis à de BENOUVILLE, théoriquement pour les archives.
Un gardé par René HARDY. Placé dans une malette remise à HEILBRONN avec les annexes et le"manuel du parfait dérailleur", il tomba aux mains des allemand (89).

85
Le N.A.P.-Noyautage des Administrations Publiques- est un des meilleurs services du Mouvement Combat, repris par les M.U.R. la délégation et l'A.S.
86
René Hardy a prétendu avoir été nommé Lieutenant-Colonel, en Mai 43 par le Général Vidal. Ce qui est hautement contestable, le Général a été toujours très strict sur les attributions de grades. Même Gastaldo, capitaine d'active, ancien, officier breveté d'Etat-Major, n'a été nommé au grade de Commandant, par Vidal qu'à Londres en Mars 1943. (Déposition du Colonel Gastaldo): 2°procès Hardy. 68. 5
87
Déposition de Max Heilbronn du 7.04.48, près le Tribunal Militaire de Paris.
88
1-Témoignage du Général CHEVANCE-Bertin. Interwiew: 14.05 90.
2-Déposition de Maurice DUCLOS (Lt-Cl St-Jacques) au Tribunal Militaire de Paris en date du 23/10.48.
89
Chauvy Gérard.Histoire Secrète de l'Occupation. Op.Cit.p.196.


Il est peu probable que le Général VIDAL en ait reçu un. Certes, il a eu connaissance de son existence, mais s'il en avait reçu un, son Chef d'E.M., Galibier l'aurait su, Or il le nie (90). Quant à moi, je n'en ai pas eu connaissance. Il est certain que le Général n'a pas emporté ces documents volumineux à Paris. Alors que serait devenu cet exemplaire, étant donné qu'il ne l'a pas laissé Avenue Leclerc ?
Le Général, avant même d'avoir vu ce document, s'il l'a jamais vu, tient à mettre en rapport les principaux chefs des mouvements de Zone Nord avec le chef du 3° Bureau de son Etat-Major, c'est-à-dire de René HARDY qu'il connait sous le nom de DIDOT, et participer à ces entrevues. Effectivement, depuis son séjour à Londres, il tient à ce que le projet de sabotage-fer soit tout à fait au point dans les deux zones.

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2°- Le Projet du Rendez-vous.

Déjà, dès le 22 Mai le Général VIDAL demande-t'il au Commandant GASTALDO, son chef d'Etat-Major, d'être présent à Paris et de participer aux entretiens avec les chefs militaires des mouvements Zone Nord. Il voudrait que ce soit lui qui contacte certains d'entre eux, notamment le responsable militaire de l'O.C.M., celui des Francs-Tireurs et Partisans, le responsable de C.D.L.L. (Ceux De La Libération) (91).

Le lieutenant Jean-Louis THEOBALD, officier du B.C.R.A, sous le nom de Jean-Jacques TERRIER, mis à la disposition de MAX, est détaché depuis Avril auprès du Général. Il doit préparer une installation provisoire à Paris et se tenir à sa disposition en tant qu'aide de camp.

Par contre, le général a déjà prévu lui-même son gîte, 35 Boulevard Murat dans le 16° arrodissement. La concierge, Madame Flore SICARD, est une ancienne domestique des DELESTRAINT, à eux entièrement dévouée.
Dans cet immeuble, au 5° étage, logeait une américaine qui a été contrainte de fuir la France fin 1941, en laissant les clés à Madame SICARD, mais avec la possibilité d'en user au besoin. Voilà un appartement clandestin tout trouvé qui attend le Général (92).

90
1-Rapport du juge d'instruction Gonnot .Tr.Mil.de Paris, p.14
2-Déposition du Cl GASTALDO au Tr.Mil. A/7, du 20-10-48.
91
A.N.: 72.AJ/1910. Documents relatifs au Cl Gastaldo. et sa déposition lors du 2°procès Hardy: 68. 3/A.
92
Interwiew de Madame Dupont-Delestraint, le 8.02.90.


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3° Le Rendez-vous est fixé.

a- Faire prévenir HARDY.

A Lyon, au cours de la dernière semaine de Mai, le Jeudi 27, le Général VIDAL, reçoit dans un appartement sur un quai du Rhône -qui n'est pas celui de l'Avenue Leclerc- son chef d'Etat-major GASTALDO (Galibier), et son chef de Cabinet, Henri AUBRY (Thomas); ce dernier est accompagné de sa secrétaire, Madame RAISIN (93).

Le Général VIDAL charge son chef de cabinet, AUBRY, de prévenir Didot (René HARDY) du rendez-vous qu'il lui fixe à Paris, le Mercredi 9 Juin à 9 heures, à la sortie du métro, station La Muette, à l'angle de la rue de Passy et de la rue de la Pompe.
Le Général et HARDY (sous le nom de Carbon) se sont déjà rencontrés, deux ou trois fois, à Lyon, au début de l'annnée, puis le 3 Mai, chez André LASSAGNE, 302 Cours Lafayette. Il semble donc inutile que le Général, en signe de reconnaissance, tienne à la main la revue proallemande "Le Pilori". Aucune confirmation ne vient étayer cette précision apportée par KRAMER (93).
Après la mission donnée par Vidal, Thomas et sa secrétaire, "la petite Mad", quittent l'appartement (94).

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b- Prévoir les autres rendez-vous, l'organisation du séjour.

Vidal veut profiter des quelques jours prochains pour faire son programme et mettre à profit ce séjour parisien, qui ne doit pas être exclusivement réservé à Didot. Certes, il sera bon de le présenter aux chefs militaires, au moins à ceux qu'il connait déjà, par exemple de l'O.C.M., du C.D.L.L. Mais il ne connait pas ou connait mal certains autres. Il faudra demander à GASTALDO(Galibier) de mettre tout cela au point. Pour avoir plus de renseignements, il lui faudra en parler à Max, dès le retour de Paris de celui-ci. Il y est, ce même 27 Mai, rue du Four, à la première réunion du C.N.R. qu'il préside.. Vidal en parlera à Galibier début Juin avant leur départ, et puis ils se reverront aussi le 7 et le 8 Juin, à Paris.
D'ailleurs entre le dimanche 6 et le mercredi 9, d'autres rendez-vous sont à prévoir à Paris, Pierre DALLOZ, Jean-François PERRETTE et d'autres.. Le Général est déjà assuré de la présence à Paris de son aide de camp, le lieutenant THEOBALD qu'il connait depuis Avril, qui sera à sa disposition tout le long de son séjour.

93
Audition par la D.S.T. de Kramer de l'Abwehr, le 1.03.48.
94
Interwiew de Madame Raisin, le 25.05.90.


En ce qui me concerne, à la fois secrétaire personnel du Général Vidal et étudiant en médecine, je ne suis pas encore, en Mai-Juin 1943, en rupture de faculté. Après avoir passé en 1941-1942 le P.C.B. (Certificat de Physique-Chimie-Biologie) à la faculté de Sciences, je termine la 1° année de Médecine, et dois passer une série d'examens étalés du lundi 7 au Vendredi 11 Juin au soir. Un seul examen-concours clinique resterait alors à présenter au cours de la matinée du Vendredi 25 Juin.
Le Général sait parfaitement où j'en suis et tient absolument à ce que je sois présent à Lyon au cours de la semaine du 7 au 11. Aussi, il est convenu que si je ne l'accompagne pas à Paris, je continuerai par contre à exercer mes fonctions de secrétaire en ce qui concerne le courrier que je remettrai à André LASSAGNE. C'est lui, d'ailleurs, que je dois contacter en cas d'urgence. Par contre, le Général, après le 11 Juin, me demandera éventuellement de le rejoindre à Paris.
La période de l'installation de l'Etat-Major dans la capitale demandera la présence de tous et à temps plein.
Il est donc bien entendu qu'après cette année universitaire 42-43 à Lyon, je consacrerai tout mon temps au service du Général.

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c- La boîte aux lettres de la rue Bouteille.

Madame RAISIN, secrétaire d'AUBRY, affirme donc être présente lorsque le Général donne à son chef de cabinet la mission d'informer HARDY-Didot du rendez-vous de La Muette; elle quitte AUBRY en sortant de l'appartement, prend le tramway et y rencontre justement Didot. Difficile de lui donner de vive voix le message.
Y est-elle parvenue en descendant à la station suivante ? Elle ne peut s'en souvenir avec certitude (95).
Quoiqu'il en soit, une telle mission ne peut pas être remplie si légèrement.

Le même jour, Jeudi 27 Mai, Henri AUBRY rédige le message destiné à René HARDY, message non codé comme il est de coutume entre AUBRY et HARDY. Le texte est limpide: le Général veut rencontrer HARDY à Paris, le Mercredi 9 Juin à 9 heures, à la sortie du métro La Muette. Madame RAISIN (96) reçoit la lettre des mains de son chef et va la glisser, sans encombre, dans la boîte aux lettres de l'appartement qu'habite Madame DUMOULIN, 14 rue Bouteille, boîte qui est celle de Résistance-Fer, donc de René HARDY (96).
Mais cette boîte aux lettres est "brulée". L'appartement de Madame DUMOULIN est devenu depuis son arrestation du 24 Mai, une souricière où tombe, le lendemain Mardi 25 Mai, Marie RAYNOUARD, dite Claire, Secrétaire de Résistance-Fer, provenant de Combat comme tout le personnel de ce service.

95
Interwiew de Madame Raisin, le 25.05.90.
96
Dépositions de Mme Raisin au juge d'instruction Gonnot, les 12.04.48 et 9.06.48.


Une jeune femme, Madame DELETRAZ du réseau "Gilbert" du Colonel GROUSSARD, a accepté d'être un agent de la section IV de la Gestapo de Lyon, toutefois avec l'accord de son chef qui y voit une introduction dans le redoutable bastion ennemi. Elle est chargée par les Allemands d'ouvrir la porte de l'appartement de la rue Bouteille à chaque coup de sonnette; elle a pu prevenir plusieurs résistants qui s'y sont présentés que la Gestapo était là. ils ont pu fuir. Ont-ils donné l'alerte ? Quoiqu'il en soit,"Claire" n'a pas eu cette chance...

Comment cette boîte aux lettres -avec certaines autres- a-t'elle pu être donnée ? Il est possible d'apporter une réponse.. Peut-être deux..

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4° MULTON dit Lunel..et DUNKER dit Delage.

Début Octobre 1942, quatre poitevins se rendent à Marseille dans l'espoir de passer par l'Espagne.
Ils prennent contact avec des Chefs de Combat. Convaincus par ceux-ci que leur rôle dans la Résistance est capital, ils restent à Marseille. Mais parmi eux, Jean MULTON, qui a fui la Vienne où il a laissé sa femme et ses trois enfants, pour des raisons qui ne sont pas toutes en rapport avec la Résistance. Agent d'Assurances, la gestion de son portefeuille a connu un trou de 60.000 frs..

MULTON entre donc à Combat à Marseille. Il prend le pseudonyme de Lunel que lui attribue CHEVANCE-Bertin, dont il gagne si bien la confiance qu'il en devient le secrétaire.
Jusqu'à fin Avril, ses nouvelles fonctions ont exigé de lui des missions à Marseille, mais aussi à Lyon; il fit la connaissance de bien des Résistants de Combat, il apprend les adresses de lieux de rendez-vous, de boîtes aux lettres. Il a même participé à des réunions clandestines.

Ainsi début Avril il a participé à une conférence à Marseille qui réunissait CHEVANCE-Bertin, Mademoiselle BIDAULT, Madame FRAIZE-Mollard et Berthie ALBRECHT.

Marseille, où les services du Sipo-S.D. se sont enrichis depuis quelques mois de la collaboration d'un personnage hors du commun, même à la Gestapo.. Véritable truand, Ernst DUNKER, sergent-chef de la Geheime Feld Polizei, est versé en Septembre 1942 au S.D. de Paris, rue des Saussaies. Mais cédant à ses tentations d'homme du milieu, de trafiquant, il est inquiété par sa propre police qu'il déserte, pour se réfugier dans quelque bouge de Montmartre, avant de se rendre. Certes, il passe un mois en cellule, mais ce type d'homme est trop intéressant aux yeux de la police allemande pour le laisser moisir inactif en prison.. d'autant plus que DUNKER associe à ses connaissances du milieu, à ses méthodes de truand, un don de polyglotte; en dehors de l'allemand, il parle couramment le français, l'anglais et l'italien. Il est donc réintégré rue des Saussaies, peu de temps..

97-a
A.N.: Z6 244 N°2919. Procès Multon.


Un tel individu est plus utile à Marseille. Il y est affecté, début 1943, à la section IV E, sise 425 rue Paradis., sous les ordres du sous-lieutenant KOMPE. C'est alors qu'il prend le pseudonyme de Delage, et apprend réellement "le métier" grâce à un officier de l'Abwehrstelle de Paris envoyé à Marseille, le capitaine HASSE-HEYN. Une équipe marseillaise "efficace" se forme avec l'intégration d'éléments français, tels le patron de l'hotel du Musée où est descendu HASSE-HEYN, Antoine TORTORA; un ancien de la LVF, Gaston DAVEAU; la maîtresse de ce dernier, Marguerite MAGNO, plus connue sous le nom de Maguy.(9-b7)

Le Mercredi 28 Avril, à Marseille, le directeur d'école, SALTUCCI, fondateur du journal clandestin : Combat Universitaire, a rendez vous à 17 heures, Boulevard Dugommier, à la Taverne Charley à 17 heures, avec Lunel et Benjamin CREMIEUX, alias Lamy. Le chef de Lunel doit les rejoindre plus tard, au même endroit. Mais SALTUCCI a été arrêté chez lui, le matin même, par des agents français de la section IV E. de la Gestapo marseillaise. Elle a pu remonter à cet enseignant, après une série d'arrestations opérées sur un réseau de passage en Espagne par les Pyrénées. Un papier a été trouvé chez le directeur d'école où sont gribouillés l'heure et le lieu d'un rendez-vous: 17 heures, Taverne Charley.(98) De ce bar, DUNKER a vite fait d'en faire une souricière, en laissant son prisonnier seul à une table. Lamy, puis Lunel s'y font prendre.

Amenés au siège de la Gestapo, 425 rue Paradis, ils sont interrogés par le chef de la section IV E de Marseille, le sous-lieutenant KOMPE; quand vient le tour de Lunel, est abordée la question de la coopération éventuelle de celui-ci à la Gestapo. Loin de refuser, il demande un temps de réflexion; il sort du bureau de KOMPE, et quelques instants plus tard, il prend à part DUNKER sur le palier pour lui apporter son accord définitif(97-b).

Ainsi, sans aucune torture, sans la moindre violence physique, quelques heures après son arrestation, MULTON entre au service de la section IV de la Gestapo de Marseille, plus particulièrement attaché à DUNKER.
Les conséquences de cette trahison seront considérables (98).

Mais il se doit d'apporter immédiatement un gage à la Gestapo, prouver que la décision est bien irrévocable. Alors MULTON n'hésite pas, il donne l'adresse de son chef, CHEVANCE-Bertin, le chef de la Région 2 de Combat, ce fameux Barrioz, ou Bresse, ou Martin, ou Villars que la section IV E poursuit depuis de longs mois sans pouvoir mettre la main dessus.

97-b
Chauvy, Gérard. Op.Cit. p.135 à 140. et A.N. Z6.244. N°2919. Procès MULTON.
98
Chevance-Bertin. Vingt mille heures d'angoisse. Paris.Robert Laffont.1990. 250 pages. pages.116 à 118
.

Sur l'ordre de KOMPE de procéder, sans perdre un instant, à son arrestation, DUNKER accompagné de TORTORA, DAVEAU et de l'inévitable MAGUY, se rend au cours de cette même nuit du 28 au 29 Avril, à l'adresse indiquée, en se servant du coup de sonnette convenu, révélé par MULTON, et fait irruption dans l'appartement de CHEVANCE.

On sait comment ce grand Résistant, après avoir été roué de coups, profite de la perquisition des lieux, pour s'enfuir, se dissumuler après s'être fracturé la jambe en heurtant dans l'obscurité une bétonneuse; on sait comment il fut sauvé par un agent de police, puis caché et soigné clandestinement(99).

MULTON, encore détenu par la Gestapo, malgrè cette marque d'obédience, parle à DUNKER des "tuyaux" qu'il peut donner sur la Résistance à Lyon. Il peut fournir des renseignements sur l'activité de Combat dans la région R1, et sur le "Capitaine FRENAY", dont il ne connait pas cependant la résidence clandestine. Il est envoyé sous escorte auprès de Klaus BARBIE.
Après ce premier séjour, le K.D.S. de Lyon le renvoie à Marseille, en suggérant de le libérer, et de le renvoyer à Lyon dès que Marseille n'en voudra plus. Quelle marque d'estime pour ce contre-agent français de la Gestapo depuis le 30 Avril ! (100).
Cependant, KOMPE et DUNKER ont besoin de lui, le remettent immédiatement en liberté, lui octroient 20.000 frs par mois, avec les gratifications, en espérant que la moisson sera abondante.
Elle le fut, car Lunel reprend contact avec ses camarades de la Résistance, dès son retour à Marseille, le 12 Mai. Puisqu'il connait les boîtes-aux-lettres, pourquoi ne pas leur donner des rendez-vous dans des cafés qui seront autant de souricières, par exemple, le 13 Mai, au Bar des Glaces place Castellane. Y sont cueillis VEXLER, responsable des maquis de R.2, ZILLER, spécialiste des fausses cartes d'identité, et surtout LE COUSTER chargé du courrier des M.U.R. Celui-ci aurait eu déjà un contact avec Lunel, le 7 Mai, avant son départ pour Lyon. Se fiant à ce camarade, secrétaire de CHEVANCE, il lui aurait parlé alors de la boîte Résistance-fer, au nom de Madame DUMOULIN, 14 rue Bouteille à Lyon.

Deux raisons importantes motivent un nouveau séjour à Lyon de MULTON, maintenant libre et agent français de la Section IV E du B.D.S. de Marseille.
D'abord celui-ci se souvient parfaitement de la réunion de début Avril, où il fit la connaissance de Berthie ALBRECHT. Etant donné ses fonctions, il voulait savoir comment la joindre. Elle lui a conseillé d'adresser ses lettres à l'Hotel de Bourgogne de Mâcon. Par cette filière, maintenant, pourra-t'il la faire arrêter et du même coup Henri FRENAY ? Guet-apens à monter.

99
Chevance-Bertin. Op.Cit. p.117 à 125.
100
Chauvy, Gérard. Op.Cit. p.137 à 142. et A.N.Z6.244. n°2919.


Autre but: à Lyon, la boîte-aux-lettres Résistance-Fer, 14 rue Bouteille, constitue une information majeure que la section IV E du K.d.S-Lyon appréciera certainement. Une souricière y sera montée. Il arrive à Lyon le 24 Mai, pour se présenter à l'Obersturmführer SS Klaus BARBIE, porteur d'un pli de KOMPE pour lui (101).

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5° La rue Bouteille révélée aux Allemands.

Les Allemands peuvent connaître l'existence de la boîte "Résistance-Fer" de deux manières, si l'on s'en réfère aux témoignages d'après-guerre.

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a- Georges RANOUX aurait parlé...

A Lyon, Georges COTTON, chef avec le Colonel SCHWARZFELD du Mouvement "FRANCE d'ABORD", a révélé qu'un de ses agents de liaison, Georges RANOUX, a été arrêté le 7 Mai par la Milice à Lyon. Interrogé par le milicien "LACOSTE", il a "donné tous ses copains", et l'adresse des 6 boîtes-aux-lettres, où il remettait le courrier: celle de Résistance-Fer chez Madame DUMOULIN rue Bouteille, mais aussi celle d'AUBRY, 2 rue d'Oran, celle de GASTALDO Cours Tolstoï à Villeurbanne, une boîte de MAX rue Centrale, celle du Bulletin de la France Combattante, enfin celle de France-d'abord, 14 rue Pizay. Le milicien LACOSTE remit tout le dossier à la Gestapo. Ainsi selon Georges COTTON, dès le 8 Juin, ces boîtes ont été surveillées, le courrier lu, photographié et remis en place (102).

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b-Le Contre-agent du K.d.S-Marseille en sait long...

MULTON connait bien la boîte aux lettres de la rue Bouteille. Depuis le 11 Mai. Ce jour-là, Le COUSTER, sans savoir que Lunel est passé à l'ennemi, lui a révélé l'adresse de la boîte "Résistance-Fer".

Quoiqu'il en soit, Klaus BARBIE, est très informé, et il passe à l'action, dès qu'il reçoit le concours de MULTON; mais celui-ci est solidement étayé par MOOG. Cet ordre vient de plus haut, du Sturmbannführer S.S. Hans KIEFFER qui commande, pour la France,à Paris, la sous-section IV E, en se rappelant la hiérarchie verticale du Sipo-S.D..

Mais qui est MOOG ? Il semble indispensable de présenter cet homme que l'on voudrait être un pur Allemand, alors qu'il est né à Paris et se prétendait alsacien. Redoutable nazi et féroce agent allemand, il sut jusqu'au bout être d'une efficacité exceptionnelle pour la cause qu'il avait embrassée.

101
Rapport Flora in : A.N. Z6 244. n°2919: 1° procès Hardy.

102
Déposition de Georges Cotton: 2°Procès Hardy. 40-2/A.


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6° MOOG Robert. dit "Pierre".

Né le 28 Novembre 1915 à Paris-14°, mort en Allemagne.(103-a)
Probablement d'origine alsacienne, et bien qu'ayant été mobilisé, il aurait appartenu, au cours de la guerre 39-40, à la 5° Colonne (103). Pour étayer cette affirmation, il est pratiquemment établi qu'il aurait suivi avant guerre, en Allemagne des stages dans ce but. Dans la région de Toulouse, dès fin 1940, il est chauffeur de la Commission d'armistice N°3. C'est en 1941 qu'il renoue avec un camarade de Régiment, SAUMANDE (104).

René SAUMANDE, tel est son nom réel, militant du P.P.F. de DORIOT, va jusqu'au fond de ses convictions pronazies: Il s'enrôle à l'Abwehr, devient l'agent K.4, (K. comme KRAMER), l'agent de KRAMER Eugène, alias GEGAUF, officier de l'Ast-Dijon, section I H, mais dont le territoire de chasse n'est pas limité (105). Nous aurons à en reparler.

Robert MOOG entre à son tour à l'Ast-Dijon; il est recruté par son camarade SAUMANDE et devient en 1942 l'agent K.30.
En sa personne, c'est une "taupe" de l'Abwehr qui entre, le 25 Janvier 1943 à la Poudrerie nationale de Toulouse, en tant que chef d'équipe à l'essai. MOOG ne manque pas de parler autour de lui de son emploi dans cet établissement qui travaille, tout le monde le sait, pour les Allemands. Dès Mars, la Résistance entre en rapport avec lui, en la personne du lieutenant HITTER, du même réseau que DEVIGNY, réseau "Gilbert", un de ceux du Colonel GROUSSARD en liaison directe avec les Britanniques depuis la Suisse.

C'est d'ailleurs à Genève qu'avec les Anglais, GROUSSARD décide de mettre au courant le réseau Buckmaster; ses ramifications toulousaines sont fatalement concernées. HITTER, par excès de confiance, commet l'imprudence de parler à MOOG de l'ensemble du projet, en insistant sur la participation des réseaux du S.O.E. britannique, dont le réseau "Prunus" (106).

103-a
Second procès Hardy. Enquête sur Robert Moog: 16. 9/B.
103-b
Devigny, André. Je fus ce condamné. Paris. Presses de la Cité 1978. 329 pages. p.238.
104
Chauvy, Gérard. Op.Cit. p.98. Et surtout déposition 2°Procès Hardy: 109-1/A.
105
Déposition du Hauptmann Kramer de l'Abwehr: second procès Hardy. 134-4/A. et rapport du Commissaire Guyader: 134-2/A.
106
Devigny, André. Op.Cit. 173 à 176.


Les arrestations sont nombreuses, tant en ce qui concerne les réseaux français de GROUSSARD que ceux du S.O.E. Cette affaire sera appelée par les Allemands, Fall Jura. L'Ast-Dijon en tirera une grande fierté, et KRAMER rendra un hommage particulier à MOOG, son meilleur collaborateur, et ami, précisera-t'il.

KRAMER peut d'autant plus s'enorgueillir d'avoir un tel agent que MOOG ne s'est pas contenté de sévir à Toulouse (ou à Paris où il a fait arrêter HITTER). A Lyon, déjà en Avril, il est responsable de l'arrestation de Mr NOLLET, chez qui il a été présenté à DEVIGNY; et la fameuse blanchisserie de la rue Béchevelin, lieu de rencontre, boîte-aux-lettres du réseau "Gilbert", connue de lui, devient la trappe où tombent le Capitaine Claude BULARD, immédiatement abattu par MOOG. Ses papiers d'identité seront alors utilisés par son assassin.
Madame Edmée DELETRAZ sera, elle aussi, arrêtée à la blanchisserie de la rue Béchevelin, avec du courrier. Mais ses arguments seront assez convaincants pour qu'elle puisse repartir avec la promesse de servir la Gestapo à qui l'agent K.30 a laissé cette souricière (107).
MOOG jouit dorénavant d'une flatteuse réputation tant auprès des services de l'Abwehr que de ceux du Sipo-S.D et en sera un agent estimé, sans cesser d'être l'agent K.3O. de l'Ast-Dijon. Lors de l'instruction du 2° procès Hardy, des recherches ont été effectuées sur la personne de Robert Moog: On a ainsi découvert qu'après avoir fait partie de la 5°colonne, sa double appartenance à l'Abwehr (agent K.30) et au S.D. (Sonderfuhrer) a bien été réelle; il a travaillé pour le S.D. à Paris, Lyon, Toulouse, Reims. Il est responsable de très nombreuses arrestations. Replié en Allemagne à la Libération,, il a été tué à Francfort/Main dans un accident d'aviation, en Septembre 1944, alors qu'il devait être parachuté dans les lignes françaises, en tant qu'agent secret allemand.
En effet lorsque le Sturmbannführer KIEFFER, de la section IV.E du B.D.S. de Paris, supervisant toutes les sections IV E de France, avec lequel KRAMER -pourtant de l'Abwehr- entretient toujours d'excellentes relations, lui demande de lui prêter pour quelque temps K.30 (MOOG), en raison d'une affaire à Lyon, il accepte seulement à titre provisoire (109). Cependant, en ce qui concerne K4 (SAUMANDE), il lui donne l'ordre de faire le lien entre K.30 et lui-même, et lui rappelant qu'il appartient toujours à l'Ast. Il désire rester informé et garder les commandes. Enfin MOOG lui adressera des rapports sur ses activités au S.D. de Lyon (110).

107
Devigny, André. Ibidem .p.180.
108
Note de renseignements relatifs à Moog Robert. Tr.Mil. 16-6/B
109
Déposition du Capitaine Kramer de l'Abwehr. 2°pr.Hardy. Trib. Mil. 134-4/A.
110
Déposition de Saumande. Tribunal Militaire. 109-1/A.


Ainsi, fin Mai 1943 MOOG arrive à Lyon et se présente à nouveau à Klaus BARBIE. Il doit accompagner et surveiller MULTON, trop peu fiable encore aux yeux du S.D., au cours de deux missions.

La première de celles-ci va se dérouler à Mâcon. BARBIE apprend à MOOG que MULTON a retrouvé la trace de l'adjointe d'Henri FRENAY et peut-être celle de ce dernier (111). Bien que le drame de l'arrestation de Berthie ALBRECHT ne concerne pas notre propos, il convient de préciser que ce guet-apens est monté par MOOG, avec la participation active de MULTON qui en apporte les éléments indispensables, mais malheureusement aussi avec le concours de Madame DELETRAZ. Celle-ci, contrainte de jouer le double jeu, en obéissant à BARBIE, depuis que le chef de son réseau lui a ordonné de garder un pied à la Gestapo, en arrive à exposer des Résistants et non des moindres. Berthie ALBRECHT n'en sera pas la seule victime...

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7° Le Drame de la Rue Bouteille.

La seconde mission confiée à MOOG, qui utilisera le contre-agent MULTON: surveiller la boîte aux lettres de Madame DUMOULIN, 14 rue Bouteille, petite rue du 1° arrondissement blottie au pied de la Croix- Rousse.

Madame DUMOULIN y est couturière. Sans faire du marché noir, elle arrive à se procurer quelques denrées qu'elle revend. Mais par conviction, elle a mis sa boîte à la disposition de "Résistance-Fer" Les plis y sont déposés. Au début elle les prend avec son propre courrier.
Qui vient les chercher chez elle ? Cinq personnes sont qualifiées pour cela : les agents de liaison de HARDY, Charles THEVENON, ou Roger BOSSé, ou la secrétaire de HARDY, Marie RAYNOUARD alias "Claire", ou René HARDY lui-même, ou son adjoint René LACOMBE, alias BOTTIN (112).
Mais aller sonner chaque fois chez Madame DUMOULIN entraine un va et vient qui peut alerter les voisins, faire perdre du temps en cas d'absence de celle-ci. Aussi "Claire" s'est-elle arrangée avec Madame DUMOULIN pour faire confectionner d'autres clefs de la boîte. "Claire" en garde une, une autre est sans doute remise à un des deux agents de liaison de Didot.

Toujours est-il que dès que l'équipe de MOOG est au complet, le 24 Mai, elle se rend chez Madame DUMOULIN qui est arrêtée, la boîte aux lettres est surveillée, l'appartement transformé en souricière.

111
A.N.: Z6. 244 n°2919. 1°procès Hardy.Interrogatoire de Multon et rapport Flora.
112
Plusieurs sources d'information sur Madame Dumoulin et le fonctionnement de la boîte: surtout la déposition de M.Lacombe (2° pr. Hardy:79-6/A.)et celles de Lydie Bastien: 14-4/A, 7/A.


Par recoupements, quelques détails peuvent être apportés dans le déroulement de ces évènements que nous avons évoqués plus haut.
C'est donc Edmée DELETRAZ qui est chargée d'ouvrir la porte, et d'introduire les visiteurs. MOOG l'y a emmenée, avec MULTON. Ils la laissent avec trois allemands dans l'appartement: deux hommes et une femme, qui parlent mal le français. Edmée DELETRAZ affirme que des trois hommes et de la femme qui ont sonné et à qui elle a ouvert, personne n'a été arrêté; elle les avertissait à faible voix que les allemands étaient là (113).
Cependant, le 25 Mai "Claire" se rend chez Madame DUMOULIN, non pas pour une question de courrier mais pour la confection d'une robe. Et elle se fait arrêter.

Il apparaît qu'aucune des quatre personnes qui ont sonné au 14 rue Bouteille n'ait donné l'alerte, au moins ce même jour. Peut-être Roger THEVENON a-t'il précisé ses inquiétudes, sinon ses certitudes. Par contre René LACOMBE a rendez-vous le lendemain, le 26, avec "Claire", et elle n'y vient pas, ce qui est tout à fait inhabituel, d'autant plus qu'elle sait bien qu'elle doit lui remettre les clefs de la rue d'Enghien, P.C. de Résistance-Fer.
L'arrestation de Claire et la souricière de la rue Bouteille sont confirmées , deux ou trois jours après celles-ci, soit le 27 ou le 28 Mai, par les agents de liaison, et particulièrement THEVENON fils, alias Béruyer. Très rapidement alors, l'information est diffusée dans le milieu "Combat". L'appartement et la boîte-aux-lettres sont "brulés" (112).

Madame RAISIN, dite "La petite Mad", secrétaire de Thomas (Henri AUBRY), rédige le billet du rendez-vous, en clair comme d'habitude entre Aubry et Didot, et dicté par AUBRY; et lorsqu'elle porte le message sans doute le 27 Mai en fin d'après-midi, elle ne se doute pas du risque pris. Elle ne monte pas à l'étage, mais se contente de le glisser dans la boîte. Lorsqu'elle retrouve AUBRY, le lendemain matin, Vendredi 28 Mai, celui-ci lui demande si elle a rempli sa mission; sur sa réponse affirmative, il se récrie: "Vous avez de la veine, car il y a la Gestapo à l'étage". Entre temps, il en a été informé, par les services de "Combat" (114).

Ce même Vendredi 28 Mai, Henri AUBRY, prend en hâte le train pour Marseille. Alerté par "la petite Mad", il apprend que son épouse y est hospitalisée; elle souffre d'affections secondaires au récent accouchement ( un garçon), une fièvre puerpuérale et une phlébite (115).

113
Devigny, André. Op.Cit. p.239.
114
Dépositions de Mme Raisin à l'instruction du 2°procès Hardy: 100-1/A, 3/A, 9/A, Formelle quant au message en clair, Madame Raisin dans sa déposition précise bien les faits, moins bien les dates. Se reporter à l'Annexe 4/20.
115
Dépositions de Madame Raisin et interwiew du 25 Mai 1990.


Il ne reviendra que le 2 Juin à Lyon. "La petite Mad" fait d'ailleurs un voyage à Marseille, aller et retour dans la journée du 31 Mai, pour lui apporter le courrier (116).

Mais, dès le Jeudi 27 Mai au soir, MOOG a connaissance du message trouvé dans la boîte Dumoulin, dont le texte non codé est limpide (117). Le papier est remis dans la boîte. BARBIE et MOOG se concertent.

BARBIE sait bien que le pseudonyme "Vidal" désigne le chef de l'Armée Secrète. Il en a eu connaissance depuis que les documents, saisis par la police française en Mars, lui ont été remis, avant qu'il ne les expédie par voie hiérarchique à Paris, pour aboutir à Berlin. BARBIE informe son supérieur KIEFFER, alors que MOOG prévient KRAMER, auquel il est toujours rattaché officiellement. La scène de l'arrestation du métro La Muette se monte. Il est bien entendu que KRAMER et ses services de l'Abwehr prendront l'affaire en mains en ce qui concerne l'arrestation, avec l'aide du B.d.S. de Paris. Ensuite,le ou les prisonniers seront remis au S.D. du 84 Avenue Foch (118).

Pour la section IV E de Lyon, il s'agit d'ouvrir l'oeil avant le départ pour Paris, car HARDY va prendre le train d'un jour à l'autre pour se rendre à Paris. Mais même si HARDY-Didot n'est pas intercepté avant son départ de Lyon, il sera arrêté à "La Muette". La présence de MULTON qui l'a déjà rencontré, aux cotés de MOOG, est donc indispensable, à La Muette, le Mercredi 9 Juin.

Ils partiront tous deux, le lundi 7 Juin au train de 22 h,2O.
Ils seront accompagnés de deux agents allemands de Lyon, qui leur preteront main forte en cas de besoin. Ils ne voyageront cependant pas avec eux, mais dans de la Wagon suivant. Un seul compartiment de deux couchettes a été retenu à l'usage de MOOG et de MULTON. D'ailleurs, ne serait-il pas imprudent de voyager ensemble, pour ces quatre agents allemands, qui désirent, au départ de Lyon, passer le plus possible inaperçus ?

Le Mardi sera consacré à Paris à mettre au point l'arrestation du Général sous la direction de KRAMER, et de l'Abwehr.

116
Dépositions de Henri Aubry à l'instruction du 2°procès Hardy: 23.03 et 4.05.1948. (11-4/A et 5/A). Voir Annexe 4/21.
117
Le texte approximatif du billet: "Vidal te donne rendez-vous à Paris, le Mercredi 9 Juin à 9 heures, métro de la Muette". Aucune mention sur ce billet du journal "Le Pilori", lors du témoignage de Madame RAISIN. 118
Prise de Position de Gegauf (Kramer). Document découvert en Allemagne après guerre et joint au dossier 2°procès Hardy 116-125-8/A.bis.


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8° Entre Lyon et Bourg-en-Bresse. Derniers contacts.

Il est vrai qu'une certaine prémonition a existé chez ces deux hommes qui vont être arrêtés dans quelques semaines, dans quelques jours. Jean MOULIN a exprimé lucidement auprès de ses secrétaires et surtout dans son rapport du 7 Mai, sinon une inquiétude, tout au moins la sensation du danger imminent qui le menace :" Je suis recherché maintenant tout à la fois par Vichy et la Gestapo qui, en partie grâce aux méthodes de certains éléments des Mouvements, n'ignore rien de mon identité ni de mes activités. Je suis bien décidé à tenir le plus longtemps possible, mais si je venais à disparaître, je n'aurais pas eu le temps matériel de mettre au courant les successeurs" (119).
De son coté, Charles DELESTRAINT, depuis fin Mai, a eu un comportement qui, a posteriori, révèle le pressentiment de son arrestation imminente.
Il l'a manifesté particulièrement sur le plan familial. Si depuis longtemps déjà, il a envisagé les risques que son engagement pouvait entrainer, depuis plus d'un mois, il prend de plus en plus de précautions lorsqu'il vient dans sa famille à Bourg-en-Bresse. Il y vient de moins en moins souvent, dans le souci d'éviter de faire partager aux siens les dangers de sa vie clandestine (120). Mais par contre, il tient à vivre avec son épouse encore ce week-end des 29 et 30 Mai.. Se doute-t'il qu'il s'agit du dernier ?
Ne voulant donc pas retourner chez lui à Bourg, la réunion de ce couple très uni aura lieu à Saint-Amour dans le Jura. Une photo conservée précieusement par la famille, en constitue un document.

De retour à Lyon, le Général DELESTRAINT, dès le matin du lundi 31 Mai, reprend les préparatifs de son séjour parisien; il faut prévoir les réunions des chefs militaires de la Zone Nord, il apprend par un mot d'Yves FARGE que Pierre DALLOZ de passage à Lyon, veut le rencontrer, le Mardi 1° Juin à 15 heures (121). Il faut aussi et surtout envisager l'implantation de l'Etat-Major à Paris.
Pour ces divers projets, en ces dernières journées lyonnaises, il rencontre Jean MOULIN, revenu de Paris après la création du C.N.R..Max lui demande de prendre contact avec son représentant parisien, qui, pendant son absence, préside le Comité de Coordination des Mouvements Z.N., Pierre MEUNIER (Morlay). Ce dernier doit donner au Général des informations sur l'activité de la Résistance dans cette Zone et le mettre en relation avec ceux des chefs des mouvements qu'il ne connait pas encore. Le rendez-vous est fixé au Jeudi 10 Juin à midi, place Saint-Michel (122).

119
Fin du rapport de Jean Moulin au Général de Gaulle, en date du 7 Mai 43. Moulin, Laure. Jean Moulin. Paris Presses de la Cité 1982. 391 pages. p.352.
120
Témoignage de Madame Bibiane Tourtel-Delestraint.
121
Dalloz, Pierre. Vérités sur le drame du Vercors. Paris Ferand Lanore. 1979. 343 pages. p.85.
122
Lettre personnelle de Mr Pierre Meunier, du 2.Avril 1990.

Le fidèle Commandant GASTALDO doit s'occuper activement des rencontres avec les chefs militaires à Paris. Encore à Lyon, il était présent le Jeudi 27 Mai, lorsque le Général a chargé AUBRY d'avertir HARDY de se trouver le mercredi 9 Juin à 9 heures à "La Muette". En ces derniers jours de Mai, en ces tout premiers jours de Juin tous deux se rencontrent encore. Le 2 Juin, après la réunion de la rue Tête d'Or, il est décidé entre eux deux qu'une fois Didot contacté à La Muette, le Général, avec lui, se rendra à pied au Métro "La Pompe"où GASTALDO se joindra à eux. D'ailleurs, tous ces détails seront confirmés, à Paris, lors des rencontres préliminaires les 7 et 8 Juin (123).
Comme Vidal, Galibier va quitter Lyon le Samedi 5 Juin, mais au lieu de prendre le même train de Paris, il passe par Moulins, tant par sécurité que pour passer quelques heures avec sa famille. Le dimanche 6 Juin, vers minuit, il prend le train Moulins-Paris qui y arrive le lundi 7 à 6 heures.(123)

L'entrevue entre Max et Vidal se fait le Mardi 1° Juin, à Lyon, au cours de la matinée; est-ce la dernière ?
L'après-midi, à 15 heures, le Général ne peut être présent au rendez-vous prévu avec Pierre DALLOZ, mais celui-ci lui dépéche "Claudius" PETIT, responsable de "Franc-Tireur" en l'absence de Jean-Pierre LEVY. DALLOZ est convié à rencontrer le Général au cours du repas du soir, et surtout à participer à la réunion du lendemain, 2 Juin, 40 rue Tête d'Or, à laquelle assistent, outre Vidal, Galibier, Thomas et "Cavalier", c'est-à-dire le Commandant DESCOUR (124). Il est question, au cours de cette rencontre de différents maquis, dont celui du Vercors. Les officiers provenant de l'O.R.A. doivent dorénavant, insiste le Général, s'unir à l'A.S. de GAULLE, et en accepter l'obédience, sans jeter le moindre regard nostalgique vers Vichy. Certains noms sont écartés, d'autres acceptés, "pourvu qu'ils soient gaullistes". Avant de se quitter, DALLOZ le prend à part, un rendez-vous, à Paris, est fixé.
Encore quelques mots à Gastaldo, et la réunion se termine assez rapidement puisque Vidal doit prendre le train.
AUBRY-Thomas l'accompagne "jusqu'aux environs de la gare de Perrache" (125).

Le Général DELESTRAINT en effet, ce même Mercredi 2 Juin, m'a fait part de son désir de revoir encore son épouse, ce jeudi 3 Juin, jour de l'Ascension. Mais il ne doit pas passer la nuit au 41 du Boulevard Voltaire, la sombre prémonition est bien toujours là, menace non précise, virtuelle, mais véritable. Il me demande si, encore une fois, une chambre dans l'appartement de ma mère à Bourg pourrait lui être réservée, comme ce fut le cas à plusieurs reprises au cours du mois de Mai. Bien sûr il sera le bienvenu...
Nous faisons le trajet ensemble, le mercredi, par un train du soir. Il a fait connaître sa présence à Madame DELESTRAINT. Il la rejoint dans un restaurant (126).

123
Déposition du Colonel Gastaldo du 3.06.48 à l'instruction du 2°Pr.Hardy: 2/A, p.2 à 6.
124
Dalloz, Pierre. Op.Cit. p. 86 à 89.
125
Déposition de H.Aubry du 23.03.48. Op.Cit. 4/A. p.2.
126
Témoignage personnel.


Et le Général arrive, avant le couvre-feu, à l'appartement maternel où une chambre l'attend. Assez tard, coup de sonnette convenu entre quelques amis résistants. C'est Bob FORNIER, Virgile, alors chef de l'A.S. de l'Ain; il amène un aviateur anglais abattu en quête de refuge. Le Général apparait. Il connait bien Bob depuis longtemps, et il est navré de devoir refuser que ce combattant allié partage ce gîte. Le chef de l'A.S. ne doit pas multiplier les risques (127-a).

Le Jeudi de l'Ascension, 3 Juin, il retrouve son épouse et passe la journée avec elle en dehors de leur appartement. Il ne la reverra plus qu'entre les barreaux de Fresnes..(128) Avec moi, dans la soirée, il reprend le train de Lyon.

Le lendemain Vendredi 4 Juin, le Général a encore quelques contacts et notamment avec Thomas. Il m'emmène avec lui au début de l'après-midi; nous retrouvons Henri AUBRY cours de Verdun, devant Perrache, là même où je l'avais rencontré la première fois (127-c). Dans la conversation, il est question à nouveau du responsable de Résistance-Fer, avec qui il a rendez-vous à Paris, Didot. La conversation n'a pas abordé la question d'une quelconque boîte-aux-lettres. Je suis revenu avec le Général au 4 Avenue Leclerc. C'est au cours de ce trajet qu'il m'a fait ses recommandations de prudence et m'a confirmé son intention de me faire venir à Paris probablement, à partir du Samedi 12, c'est-à-dire à partir du moment où j'aurai terminé mes principaux examens.

Le lendemain, Samedi 5 Juin, le Général devait prendre le train de Paris de l'après-midi, celui de 13h30.
En fin de matinée, je vois arriver ma mère en compagnie d'un grand ami de ma famille, le docteur RENEVEY d'Orléans. Il doit prendre le même train de Paris que le Général. Présentés l'un à l'autre, le Général et le docteur RENEVEY décident de faire le voyage ensemble. Ma mère et moi les accompagnons à Perrache, jusqu'à leur wagon.
Par une nouvelle prémonition, juste avant le départ du train, le Général redescend pour embrasser ma mère, amie intime de son épouse. Le train part. Je ne devais plus revoir le Général DELESTRAINT (127-b).

127-a et b.
Témoignages personnels.
127-c
Témoignage personnel et celui d'Aubry (2° procès Hardy: 11. 5/A) Se reporter en Annexe 4/22.
128
Témoignage de Madame Tourtel-Delestraint.


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9° Paris...

Le train arrive à Paris Samedi soir à 21h30 (129). Le Général se rend rapidement au 35 Boulevard Murat où un appartement du 5° étage l'attend. Le dimanche 6 Juin, le général se rend à la messe de 7 heures à Notre-Dame d'Auteuil, une paroisse qu'il connait pour y être allé souvent avant guerre.

A 18 heures, ce dimanche 6 Juin, Vidal se rend au rendez-vous de DALLOZ, place de l'Alma à la terrasse de Francis. Il a pris du retard. Mais les contacts qu'il va avoir à partir de Mercredi le préoccupent Il faudra rencontrer tous les responsables militaires des mouvements.
Heureusement pourra-t'il être aidé efficacement par Gastaldo qui n'arrive à Paris que le lendemain.
Beaucoup de monde, ce dimanche soir de fin de printemps, des Allemands en uniforme qui se croient décidemment chez eux et croient pouvoir adopter Paris, des Français qui ne craignent pas de les cotoyer.
Cette table de "Francis" est occupée par deux Résistants, DELESTRAINT et DALLOZ; ils passent inaperçus. Pourtant DALLOZ n'est pas tranquille, il préfère discuter en marchant, et surtout l'emmener dans la chambre qui lui est réservé chez le Docteur DESCOMPS, 1 rue Lenôtre, pour pouvoir lui parler des incidents qui ont concerné les maquis du Vercors. Le Général lui avoue combien il est inquiet; l'opération "Les Montagnards" ne doit pas attirer l'attention des Allemands. Plus ce projet restera inconnu, surtout des ennemis, plus sa réalisation complète atteindra une efficacité valable. Le Général s'y intéresse particulièrement et ne désire pas qu'il soit gâché par des indiscrétions, des imprudences. Le Général le quitte après lui avoir conseillé de retourner en Vercors, sauf s'il y est "brûlé", auquel cas qu'il rejoigne donc Londres où il sera utile (130).

Le Lundi 7 Juin, le Général DELESTRAINT retrouve son Chef d'Etat-Major, le Commandant GASTALDO, arrivé à Paris le matin même. Il est vraisemblable qu'au cours de cet échange, sans doute Boulevard Murat, ils décident de se retrouver le surlendemain matin au métro "Rue de la Pompe", après la rencontre de Vidal et Didot à la station "La Muette" . Ils l'auront alors rejoint à pied, discutant déjà du "bloc-fer" pour la zone Nord.
Tous ces détails sont importants, puisqu'il faut surtout préparer la réunion qui suivra immédiatement ces rencontres au cours de laquelle Didot sera présenté aux responsables militaires de l'"O.C.M." et de "Ceux de la Libération". Avec eux, on envisagera le sabotage des voies de communication et principalement des voies férrées de la Zone Nord.

129
Les horaires de ce train, comme ceux du train pris le 7 Juin par René Hardy ont été confirmés par "La Vie du Rail".
130
Dalloz, Pierre. Op.Cit. p.89-90. et A.N. 72 AJ/89.


Ainsi ce même lundi 7 Juin, à un rendez-vous organisé par Galibier, celui-ci et Vidal rencontrent déjà le chef militaire de l'"Organisation Civile et Militaire", le Colonel SAUVEBOEUF, et le Chef de "Ceux de La Libération". L'ordre du Jour de la grande réunion du 9 Juin est mise sur pied. Il doit encore insister sur l'importance qu'il y a pour tous les mouvements d'accepter la fusion totale de leurs groupes paramilitaires, en une Armée Secrète nationale relevant du Général de GAULLE. On se donne rendez-vous pour le lendemain matin, 8 Juin, afin de parachever ce travail préparatoire.(131) Le Général retrouve son aide de camp, le lieutenant THEOBALD. Il est convenu que celui-ci les retrouvera au métro de la Pompe, vers 9h3O (132).

Le mardi matin 8 Juin, Vidal et Galibier retrouvent les chefs Zone Nord vus la veille; Galibier les informe de l'heure et du lieu de la rencontre du 9 Juin. Ce sera à 10 heures dans un bureau du 2° étage de la Mairie du 16° arrondissement, 71 Avenue Henri Martin, mais en y accédant par une porte plus discrète de la rue de la Pompe (133). Didot y sera donc amené par le Général et son Chef d'Etat-Major.
Dans l'après-midi de ce Mardi, DELESTRAINT reste dans l'appartement du 35 Boulevard Murat, après avoir conversé avec une vieille connaissance de la famille, la gardienne de l'immeuble Flore SICARD (134). Il travaille à la préparation de la réunion du lendemain. Et puis il attend la visite de son fidèle compagnon, le Commandant PERRETTE. Il l'avait chargé d'une mission: l'informer des exigences du gauleiter SAUCKEL sur le projet allemand de déportation des Chantiers de Jeunesse vers l'Allemagne dans le cadre du S.T.O.. L'échec de Vichy dans son opposition à cette menace avait été total. PERRETTE arrive à 16 heures. Le Général lui parait détendu, gai, "avac sa lucidité habituelle d'analyse, et son affabilité coutumière". Son projet est d'inciter les "Jeunes des Chantiers" à déserter pour rejoindre les maquis. La conversation porte ensuite sur l'Armée Secrète, de son rôle lors du débarquement, qui n'aura pas lieu cette année; il l'a appris à Londres. Il lui parle de son séjour en Angleterre, du Cdt Malagutti qu'il y a rencontré. Il dit au Commandant PERRETTE toute l'estime qu'il a pour Raymond AUBRAC de "Libération". Il compte bien lui confier un poste plus important à l'A.S. PERRETTE prend congé, d'autant plus que GASTALDO doit venir d'un moment à l'autre (135a.et 135b.).

131
Commissions rogatoires en date des 3 et 21 Juin concernant le Colonel Gastaldo en vue de l'instruction du procès Hardy près le Tribunal Militaire de Paris. 68-2/A et 3/A.
132
J.L.Théobald: instruction 2°procès Hardy. 114. 6/A
133
Gastaldo, Joseph: Instruction 2°procès Hardy.
134
Interwiew de Mme Dupont-Delestraint du 8 Février 1990.
135a
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Paris Presses de la Cité. 1972. 180 pages. p.127 à 129.
135b
Se reporter au témoignage du Cdt Perrette: Annexe 2/3.


Auparavant le Général va descendre acheter "de quoi écrire". Par cette carte, achetée dans quelque bureau de tabac du quartier, il tient, en un langage convenu, sous le nom de "Cousine Georgette" à donner des nouvelles, rassurantes, à son épouse restée, avec sa fille Bibiane, à Bourg-en-Bresse. Il l'a quittée le Jeudi précédent. Elle sait qu'il est bien parti à Paris le Samedi 5. Elle le sait par ma mère, Germaine GUILLIN, qu'il appelle dans sa lettre "notre cousine Germaine". Il parle de son gendre Pierre DUPONT, magistrat à Dreux,qui doit venir le voir dans cet appartement du 35 Boulevard Murat dans l'après-midi du Mercredi. Il espère que sa fille Odette l'accompagnera.
Cette lettre, il va l'écrire dans la soirée dès le départ de GASTALDO (136). Il aura le temps de la poster tôt le lendemain, avant 9 heures.

En cette soirée du Mardi 8, le Général est entouré de quelques fidèles qui viennent le voir tour à tour. Il peut parler amicalement et librement. D'ailleurs il révèle que le Chef de la France Libre vient de lui confirmer sa promotion au grade de Général de Corps d'Armée de la France Libre (137).

Il vient de voir PERRETTE, il voit arriver maintenant GASTALDO. Dernière mise au point avant la réunion du lendemain. Il s'agira de bien mettre les choses au point, de convaincre les chefs des groupes paramilitaires qui y seront que la fusion en une seule et unique Armée Secrète aboutira à l'Armée Secrète de la France Combattante, celle de de GAULLE.

Le Commandant GASTALDO, dans ses fonctions de Chef d'Etat-Major, vient préparer encore avec le Général cette réunion du lendemain. Elle sera capitale puisqu'il faut abattre les dernières réticences de certains. Ultérieurement, en une rencontre terminale à préparer aussi, les responsables militaires de tous les mouvements des deux zones accepteront la fusion, mais aussi la tutelle du haut commandement. Celui-ci n'est-il pas directement rattaché à de GAULLE, que tous les mouvements reconnaissent comme le symbole et le chef des Résistances françaises.

Le Mercredi 9 Juin 1943 arrive; la journée est superbe. Auteuil resplendit en ce matin de fin de printemps.
Comme chaque jour depuis Dimanche, il va entendre la messe à Notre Dame d'Auteuil, puis il revient prendre son petit déjeuner dans la loge de Flore, il se rend ensuite à pied, par l'Avenue Mozart vers le métro "La Muette". Il trouve, au passage, une boîte aux lettres, dépendant de la poste de la rue Singer; il y glisse la lettre adressée à Madame DELESTRAINT, 41 Boulevard Voltaire à Bourg-en-Bresse. Il continue son chemin vers son destin...

136
Le texte de la dernière lettre du Général Delestraint, en annexe N°4/23.
137
A.N.: 72.AJ/36. A.II.


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10° Le Piège.

Que savent les Allemands le Lundi 7 Juin lorsque MOOG et MULTON vont prendre le train à Perrache ?
A la lumière du message trouvé dans la boîte DUMOULIN, ils ont appris que Vidal donne un rendez-vous à Didot le Mercredi 9 Juin à 9 heures au métro de La Muette à Paris. Mais l'Obersturmführer BARBIE, chef de la Section IV E du Sipo-SD de Lyon sait bien quelles fonctions remplissent ces personnages désignés par leurs pseudonymes. Il le sait grâce aux documents remis en Mars par la police française; et puis l'organigramme de KALTENBRUNNER n'a-t'il pas résumé l'ensemble des déductions allemandes? Ainsi sait-il que le Général Vidal correspond au "Commandement supérieur", que Didot, chef du 3°Bureau, s'occupe des "sabotages des voies ferrées". Cependant il ne peut pas deviner que les pseudonymes de Carbon et de Didot désignent le même personnage: HARDY (138).

Cependant MULTON connait bien HARDY pour l'avoir rencontré à Marseille en Mars et en Avril.
C'est pouquoi il doit accompagner MOOG à Paris, où les Allemands et leurs agents pensent l'y arrêter en même temps que Vidal. Ils vont organiser sous les ordres du Capitaine de l'Abwehr III F. de Paris, KRAMER délégué à l'Ast-Dijon, mais avec l'aide du B.d.S. de Paris l'arrestation du Général Vidal et de ceux qui l'accompagnent. La section IV E de Lyon, en l'occurence, n'aura eu qu'un rôle d'informateur.
Par contre, KRAMER de l'Abwehr n'est pas seulement informé. Il tient à jouer le premier rôle. MOOG, son agent, a bien été "prêté" au S.D. de Lyon; il doit prendre contact avec l'antenne parisienne de l'Ast- Dijon dès son arrivée (139).

Ce lundi 7 Juin, l'amie de HARDY, Lydie BASTIEN, qui n' a pas pu obtenir de lui la faveur de l'accompagner, doit retenir pour lui une couchette de Wagons-lits. Mission remplie seulement à 17 heures à l'agence de la Place Bellecour (140). Le billet avait été pris la veille ou l'avant-veille, par son agent de liaison BOSSE, alias Leblond.

138
Se reporter aux annexes 4/18 et 4/19.
139
Hauptmann Kramer:Instruction et Prise de Position de Kramer.
140
Lydie Bastien: déposition du 28.03.48: 2°procès Hardy. N°14.


Vers 21h45 arrivent à la gare de Perrache MOOG et MULTON (141). Ils croisent HARDY sur le quai de la gare avant le départ du train de Paris de 22 heures pour arriver à 8h05 (130). Il s'agit d'un hasard. HARDY sait que celui qu'il connait sous le nom de Lunel est désormais un agent allemand. Il est accompagné d'un individu inconnu de lui. HARDY croise aussi un ami de de BENOUVILLE, rencontré il y a quelques jours dans un restaurant avec lui. Il s'appelle Lazare RACHELINE, pseudo Rachet. Au lieu de l'ignorer, il s'approche de lui, lui offre une cigarette, du feu, et en se penchant vers lui murmure: "Si je suis arrêté dans le train, prevenez notre ami (c'est-à-dire de BENOUVILLE) que Lunel s'y trouvait" (142).

HARDY, après cette imprudence, ne renonce pas à son voyage, mais entre dans son Wagon-lit, pour gagner son compartiment et sa couchette N°8. Dans le couloir où ils sont accoudés, HARDY retrouve MOOG et MULTON..Ce dernier a un mouvement de surprise. HARDY le regarde avec quelqu'insistance, ce qui n'échappe pas à MOOG, et sur la question de celui-ci, MULTON lui confirme qu'il s'agit bien de Didot.

René HARDY, placé par le "conducteur" des Wagons-Lits MORICE, entre dans son compartiment où l'autre couchette N°7 est occupée par Monsieur Roger CRESSOL, haut fonctionnaire d'une administration centrale de Vichy, déjà installé. MOOG et MULTON occupent dans le compartiment voisin les couchettes 9 et 10. Lors de l'arrêt en gare de Mâcon, MOOG alerte les deux policiers allemands, appartenant sans doute au S.D. de Lyon. En effet l'arrestation est décidée. Elle se déroulera lors de l'arrêt en gare de Chalon-sur-Saône.
MOOG fait garder les deux sorties du Wagon-lit par les deux policiers pour éviter toute évasion (143). Il téléphone au commissariat allemand de la gare de Chalon/Saône pour que des Feldgendarmes se présentent à ce Wagon-lit. A-t il aussi téléphoné à Barbie de Mâcon, de Chalon, ou de Paris ce qui est plus probable ?

Dans le compartiment des couchettes 7 et 8, CRESSOL et HARDY se sont endormis et ne se doutent pas de ce qui s'est passé à Mâcon. Ce n'est qu'à Châlon/Saône, vers une heure du matin, qu'ils sont réveillés par des Feld-Gendarmes, qui procèdent à un simple contôle d'identité. Pour eux deux, aucun incident ne semble marquer cette formalité (144).

141
Deux autres agents allemands les accompagnent.Ils ont pris place dans la voiture suivante: Témoignage du "conducteur" W.L Alphonse Morice. Déposition du 15.06.48.N°90.
142
Lazare Racheline: déposition du 22.05.48: Procès Hardy. N°99.
143
Multon à l'instruction de son procès: A.N.: Z6. 244. N°2919.
144
Roger Cressol: déposition du 8.04.48: Procès Hardy N°43.


Cependant 2 à 3 minutes plus tard MOOG et MULTON ouvrent la porte du compartiment, font lever et habiller HARDY et l'emmènent. Au moment de partir MOOG arrête aussi Roger CRESSOL, sans explication et malgrè ses protestations véhémentes (144).
Entourés des trois Feld-Gendarmes, de MULTON et surtout de MOOG qui conduit les opérations, emmenés avec leurs bagages au bureau du Commissaire de la gare, HARDY et CRESSOL entendent MOOG discuter en allemand avec le Commissaire. Première étape avant l'incarcération à la prison de Chalon, après être passés par le Greffe. C'est là que CRESSOL apprend l'identité de son compagnon.
Les deux agents allemands continuent leur voyage et reprennent le train de Paris, qui attendait leur bon vouloir pour repartir.

Depuis que le projet de rendez-vous de"La Muette" lui a été révélé, MOOG est venu en informer son chef KRAMER (dit Gegauf) à l'antenne de l'Ast-Dijon à Paris. Celui-ci en informe son supérieur parisien, le Commandant GLEICHAUF. Si l'affaire est désormais entre les mains de l'Astleit-Paris, Gegauf en garde l'initiative, et après s'en être entretenu avec son homologue parisien, le capitaine SCHMITT, il est décidé de contacter le Sipo-S.D. de la rue des Saussaies pour obtenir des renforts lors de l'arrestation et leur remettre le ou les prisonniers éventuels.

Ainsi lorsque le train arrive à 8h, 05 le Mardi 8 à Paris, et que MOOG va rapidement contacter son chef Gegauf, tout est paré. En plus de ses propres agents, c'est-à-dire K.30 et K.4 auxquels s'ajoute MULTON, KRAMER sait qu'il pourra disposer, le lendemain, du concours du capitaine SCHMITT de l'Ast-Paris et de quelques hommes de son service, ainsi que les agents du S.D.-Einsatz-Kommando von Gross-Paris. Mais c'est lui, Gegauf, qui va diriger l'opération (145).

Quant au traître MULTON, désigné par MOOG sous le nom d'André, dont le rôle initial n'a plus de raison d'être depuis que HARDY est arrêté, il aura une mission secondaire, il devra surveiller la porte du métro depuis l'intérieur. Il sera d'ailleurs oublié par les uns et les autres après l'arrestation, et ne retrouvera MOOG que le soir à la gare de Lyon au moment du retour.(146)

145
Traduction de la "Prise de Position" de Kramer, découverte après guerre et transmise au dossier du Tribunal Militaire de Paris, en vue du 2°procès Hardy.Rédigée le 10.09.43.(cote 125)
Se reporter à l'Annexe 4/24.
146
Interrogatoire de Multon, le 19 Mai 1945: Cour de justice du département de la Seine. Document versé à l'instruction du 2° procès Hardy. (cote 91)


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11° Les Arrestations.

Le Mercredi 9 Juin, bien avant l'heure, tout ce monde, en civil, se met en place autour de la station "La Muette".
Du coté de la Résistance, aucune précaution n'a été prévue, aucune protection, à la quelle les Allemands s'attendaient manifestemment. Le Général Vidal arrive seul à La Muette sans le moindre garde, sans le moindre témoin.

C'est juste après 9 heures qu'il apparait, homme d'un certain âge, à l'allure militaire. KRAMER l'identifie. Sur un signe de lui, un taxi s'arrête à sa hauteur; MOOG et SAUMANDE en descendent et vont vers lui. MOOG l'aborde en lui disant: "Mon général, vous attendez Didot.Il n'a pas voulu venir; il a jugé que l'endroit est trop dangereux. Nous devons vous conduire auprès de lui au métro Passy" (147).

Le Général ne se méfie pas mais est contrarié. On le conçoit puisque Gastaldo l'attend à la station de métro suivante. Se rendre maintenant à Passy c'est compromettre la réunion prévue ultérieurement. Aussi, ne convient-il pas d'avertir celui que HARDY lui délègue que quelqu'un l'attend "Rue de la Pompe" ?
Rassuré par MOOG, le Général est conduit à une voiture en stationnement à proximité-le taxi affrété-. Gegauf est à coté du chauffeur. Le Général est à l'arrière entre K.3O et K.4. La voiture démarre, mais Gegauf remarque que l'opération s'est faite si discrètement que ni les agents de l'Abwehr, ni ceux du S.D. n'ont rien remarqué, et qu'ils restent sur place. Il fait donc faire demi-tour à la voiture et arrive au niveau de celle du Capitaine SCHMITT. Lorsqu'il demande à celui-ci s'il faut se rendre au Lutétia ou rue des Saussaies, en Allemand, le Général pâlit et demande à être conduit chez le Préfet de Police. La voiture de KRAMER, suivie de celles de l'Abwehr et du S.D., prend la direction de la rue des Saussaies, où le Général est remis au poste de garde du S.D (148).

Dans quelle angoisse se trouve le Général pendant cette attente, entouré d'Allemands. Non seulement il est tombé dans le piège, mais mis en confiance, il a parlé du rendez-vous de la"rue de la Pompe" où l'attendent GASTALDO et THEOBALD...

147
Rapport du Cdt Gonnot, juge d'instruction près le Tribunal Militaire de Paris. 2° procès Hardy. page 7.
148
Traduction de la"Prise de Position" de Kramer.2°procès Hardy. Annexe 4/24.


Le Commandant GASTALDO qui a sur lui de faux papiers au nom de GARIN, professeur, vient au rendez-vous prévu. Il descend du métro à la station "Trocadéro" et suit à pied, vers "la Pompe", la portion de l' Avenue Henri Martin devenue actuellement l'Avenue Georges Mandel. A mi-chemin il rencontre Jean-Louis THEOBALD, qui muni de faux papiers au nom de Jean-Jacques TERRIER doit rester à la disposition du Général en tant qu'aide de camp. Ils cheminent donc ensemble, et presqu'arrivés à la station "Rue de la Pompe", vers 9h, 45, ils voient venir vers eux le Colonel Sauveboeuf, facilement reconnaissable par sa forte taille, qui l'aborde et lui demande si le Général sera présent à la réunion. Le Colonel s'éloigne en direction de la Mairie du 16°. Quelques mètres plus loin, GASTALDO et THEOBALD aperçoivent cinq ou six hommes accoudés à la rampe de la station de métro qui surveillent la sortie. Ils traversent alors et vont s'asseoir sur un banc de pierre au niveau du 65 de l'Avenue Henri Martin. Voulant quitter ce quartier jugé dangereux, c'est en traversant la rue de La Pompe, qu'ils sont arrêtés quelques instants plus tard (149).

KRAMER, en effet, après avoir laissé le Général au poste de garde de la rue des Saussaies, repart accompagné de son collègue le Capitaine SCHMITT, chacun muni de ses agents, et de deux hommes du S.D. Toutes les issues du carrefour sont surveillées ainsi que la bouche de métro. Ce sont MOOG et SAUMANDE qui arrêtent GASTALDO et THEOBALD, lesquels emmenés vers une voiture sont pris en charge par les agents du S.D. et conduits rue des Saussaies (150).

Une dernière arrestation parisienne eut lieu le Vendredi 11. Suzanne OLIVIER est secrétaire de Max depuis longtemps. Elle fait partie de ceux que, tel THEOBALD, Max a envoyés à Paris afin d'y implanter la délégation dans un avenir qu'il espère proche. Suzanne OLIVIER apprend le 11 au matin, par Hughes LIMONTI, l' arrestation du Général, de GASTALDO, de THEOBALD. Sachant que ce dernier a laissé documents et objets compromettants dans son appartement de la rue Tocqueville, elle veut s'y rendre avant l'arrivée des Allemands.
Mais quand, à 14 heures, elle sort du métro Villiers, elle est arrêtée par des agents du S.D., qui possédent sa photo prise sur Terrier. Parmi ces membres de la Gestapo se trouve un certain ORLOF, norvégien (151).
Par contre MOOG et MULTON n'y sont pas. Ils sont retournés à Lyon. Elle est immédiatement emmenée 84 Avenue Foch.

149
Dépositions du Colonel Gastaldo des 3 et 21 Juin 48: 2°procès Hardy.(Cote 68)
150
Déposition de J.L.Théobald du 18.03.48: Second Procès Hardy. et celle du Colonel Gastaldo:(note 149)
151
Déposition de Madame LEBON-OLIVIER du 7.07.48 à l'instruction du second procès Hardy.


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Les SOURCES. (4/III)

a- Généralités.
Ces évènements qui jouxtent ceux intéressant l'affaire Hardy, et souvent interfèrent avec elle, ont laissé en général leurs traces dans les mêmes sources. Les ouvrages les publications concernant cette période et précisemment cette affaire ont proliféré depuis l'après-guerre.
Les prises de position concordent en ce qui concerne Multon, Moog, tous les auteurs initialement s'étant référés aux mêmes sources: les deux rapports de Kaltenbrunner, le "Rapport Flora", les deux procès Hardy, et plus récemment celui de Barbie et ses suites.

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b- La rue Bouteille.
Le premier sujet de contestation où plusieurs témoignages s'affrontent est bien celui de la rue Bouteille.
-André DEVIGNY qui se fait le porte-parole de Madame DELETRAZ situe ces évènements en Mai, sans précision (152).
-Henri MICHEL s'appuie sur le"rapport Flora" (153) pour trouver les causes premières du drame de l'arrestation du Général, mais sans donner aucune date en ce qui concerne les arrestations de Madame DUMOULIN et de Claire, la remise de la lettre dans la boîte de la rue Bouteille.
-Henri Noguères qui reste fidèle à ses premières hypothèses, présente cependant dans son livre de 1985 un calendrier des évènements légèrement différent; cependant les hypothèses qu'il a émises initialement s'avèrent actuellement fondées en ce qui concerne le message non codé et la boîte Dumoulin (154)-René Hardy s'en tient évidemment à ce que Aubry aurait dit à la barre du second procès: il croyait que le message avait été glissé dans la boîte bien avant qu'elle n'ait été connue des Allemands, la chronologie étant tout autre (155).
-Daniel CORDIER reprend cette même version en insistant sur l'oubli de Henri AUBRY de prévenir le Général de son erreur.
-Pour Henri Noguères, "il semble que l'on puisse-que l'on doive-s'en tenir à la version donnée par le propre défenseur de René Hardy" (156). Lequel, Me Maurice Garçon, affirmait lors du second procès qu'"Aubry oublia de prévenir et d'annuler le rendez-vous" (157).

152
Devigny, André. Op.Cit. p.239.
153
Michel, Henri. Jean Moulin, l'unificateur. Paris.Hachette 1971. 252 pages. p.204-205.
154
Noguères, Henri. La Vérité aura le dernier mot. Paris Seuil. 1985.272 pages. p.175 à 178.
155
Hardy, René. Derniers mots. Paris Fayard. 1984.572p.p.192
156
Noguères, Henri. Histoire de la Résistance en France. Tome 3. Paris Robert Laffont. 1972.696 pages. p. 423.
157
Garçon, Maurice. Plaidoyer pour René Hardy. Paris Fayard page 84.


-Le Général CHEVANCE-Bertin, à l'appui d'une conversation avec Madame RAISIN, estime que la signification du rendez-vous de "La Muette" n'a pas été transmise par lettre non codée, mais oralement, lors d'une rencontre fortuite (158). Le Général CHEVANCE étaye cette prise de position en affirmant que de telles accusations contre AUBRY n'ont pas été formulées au cours du second procès lorsque celui-ci était à la barre.
-Par contre les dépositions lors de l'instruction du même procès font apparaître un sérieux doute quant à la seule transmission orale du message. Madame RAISIN reconnait à plusieurs reprises qu'une lettre a été remise dans la boîte de NAP-fer. et que le lendemain, AUBRY lui a dit qu'elle avait eu de la chance car la Gestapo était à l'étage. Elle précise en outre que les messages échangés entre Hardy et Aubry étaient en principe rédigés en clair, que les textes étaient dictés par AUBRY qui ne lui demandait pas de les chiffrer(159). Quant à Henri AUBRY, s'il est évasif lors de la première déposition, il reconnait à la seconde que "la date du 27 Mai.. peut être celle à laquelle le message a pu être passé à la boîte Dumoulin".Il pensait que le message avait été codé (160).

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c- La présence de Henri AUBRY à Lyon.
-La présence Thomas-AUBRY à Lyon, ses séjours à Marseille, ses rencontres avec Vidal fin Mai et Juin peuvent être précisés en comparant ses dépositions et celles de Madame RAISIN: A cette époque, AUBRY s'est rendu à deux reprises auprès de sa femme, malade, à Marseille; la première fois du 28 Mai (il est parti de Lyon ce Vendredi soir) au 2 Juin; c'est pendant ce séjour que sa secrétaire, Madame RAISIN est venue lui apporter le courrier (parmi lequel se trouvait une lettre de FRENAY), le lundi 31 Mai, là où il résidait à Marseille, chez Monsieur VIALLE, rue Frédéric Chevillon. La seconde fois, il s'absenta de Lyon du 12 au 18 Juin (161).
-D'après ses propres dépositions, d'après celles de GASTALDO et de DALLOZ, ainsi que mon propre témoignage, on peut conclure qu'au cours de cette même période, il rencontra Vidal à trois occasions: le Jeudi 27 Mai, lorsqu'en compagnie de Madame RAISIN et en présence de GASTALDO, il reçut du Général la mission de prévenir HARDY du rendez-vous de "La Muette". Le Mercredi 2 Juin, dans l'après-midi, se tient cette réunion, 40 rue Tête d'Or, à laquelle il assiste. Il parle à Vidal et à Galibier d'un projet d'inspection en Zone Sud dès le retour de Paris et très probablement de questions financières dont il avait la charge pour l'A.S.
De là, Thomas accompagne le Général, un bout de chemin vers Perrache où il va prendre le train de Bourg.
Quant à la dernière fois, c'est au début de l'après-midi du Vendredi 4 Juin que j'ai accompagné le Général Cours de Verdun où il a rencontré Thomas.

158
Chevance-Bertin, Général. Vingt mille heures d'angoisse. Paris Robert Laffont. 1990. 244 pages. p.233-234.
159
Mme Raisin: Dépositions des 12.04, 17-O6 et 9-12-1948 : instruction du second procès Hardy.
160
Henri Aubry: Dépositions des 23-03 et 4-05-1948: 2°Procès
161
Dépositions d'Henri Aubry et de Madame Raisin. Ibid.


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d- Le Cas HARDY.
Sans avoir à reprendre "l'affaire Hardy", il semble bon de rappeler que l'arrestation de HARDY dans la nuit du 7 au 8 Juin 1943, contestée par celui-ci jusqu'après son premier procès, fut révélée lorsque le conducteur des Wagons-lits Morice se rappela les faits et put les faire confirmer par la Compagnie Internationale des Wagons-lits une fois la feuille de contrôle retrouvée.
Les témoignages, les relations de cet évènement proviennent:
1° Des dépositions de MULTON, au moment de son propre procès, qui se termina d'ailleurs par une exécution bien trop hâtive, Ses "allégations", provenant d'un traître, ne furent pas retenues. Elles permirent ultérieurement de confirmer l'interpellation, et de conclure que la méfiance de Moog devant les réactions de Hardy et de Multon a été à l'origine de l'arrestation; elles apportent le point de vue de MULTON, trop souvent restrictif, sur les évènements de ce voyage(162).
2° Les dépositions du conducteur MORICE (163), ainsi que la fameuse feuille de contrôle OO5.773 (164).
3° Le témoignage de Mr CRESSOL, qui a partagé le compartiment de R.Hardy et a été arrêté avec lui (165).
4° Celui de Mr RACHELINE, non pas arrêté mais interrogé (166).
Si cette révélation a suscité nombre d' interprétations, de commentaires, les relations historiques sont moins nombreuses mais plus strictes:
5° Henri MICHEL admet bien que la présence dans le compartiment voisin de celui de René HARDY de MOOG et MULTON relève d'une étrange coïncidence; par contre il arrive à déterminer que CRESSOL a été relaché de la prison de Chalon, dans l'après-midi du Mardi 8, au moment où HARDY est emmené en voiture, par BARBIE (167).
6° Henri NOGUERES, de son coté, précise que HARDY et CRESSOL restent incarcérés à la prison de la ville les 8 et 9juin, et que ce n'est que dans l'après-midi du 9 qu'ils subissent leur interrogatoire, que c'est bien BARBIE en personne qui vient chercher Didot à Chalon, le jeudi 10 dans l'après-midi, au moment où CRESSOL est relâché.(168)

162
A.N. Z6.244.2919. Interrogatoire de Multon Jean le 19 Mai 1945. Instruction de son procès.
163
Déposition d'Alphonse Maurice, le 18 Juin 1948. Instruction du second procès Hardy. (Cote 90)
164
A.N. Z6.244.2919. Document inclus dans le dossier du 1°procès Hardy, et procès verbal de recherche: second procès. (Cote 90)
165
Déposition de Mr Cressol Roger du 8 Avril 1948. second procès Hardy. (Cote 43)
166
Déposition de Mr Racheline. ibid. (Cote 99)
167
Michel, Henri. Op. Cit. p.209-210.
168
Noguères, Henri. Op.Cit. Tome 3. p. 426-427.


7° Par ailleurs il est bon de rappeler que Jean-François PERRETTE, ne disposant pas alors de toutes les sources d'information, apporte une version qui présente plusieurs inexactitudes (169).
8° Gérard CHAUVY rapporte les principaux faits, maintenant éclairés par les nouvelles sources ici utilisées (170).

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e- Le Général Vidal à Paris
L'emploi du temps du Général Vidal, au cours des 6, 7 et 8 Juin, a pu être établi grâce aux rapports qu'en ont fait Pierre DALLOZ dans son livre. (171), et J.F. PERRETTE, grâce aussi au témoignage de Madame DUPONT-DELESTRAINT (172). Enfin les dépositions du Cl GASTALDO (173) et de J.L.THEOBALD (174).

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f- Les arrestations.
-Enfin, l'arrestation du Général a été évoquée assez souvent sans apporter beaucoup de détails. S'il convient de prendre avec discernement les témoignages allemands, il n'est pas question non plus de les occulter. Cet évènement, minutieusement préparé par Kramer de l'Ast-Dijon, appelle son témoignage . On y a fait référence, à l'occasion de l'instruction du second procès Hardy.(175) Une fois de plus, il est possible de confronter ces relations:
La position du Général DELESTRAINT est connue grâce aux témoignages de son épose, de ceux qui l'ont cotoyé aux camps du Struthof et de Dachau: Le Colonel GASTALDO s'est fort bien souvenu qu'à maintes reprises, au Struthof, de fin Mars au 20 Juillet 1944, le Général a répété devant André LASSAGNE, le docteur Lavoué de Rennes et lui-même qu'il estimait qu'il avait été arrêté du fait de la trahison de HARDY, qu'un" taxi" s'était arrêté à sa hauteur, qu "'un individu" en sortit, lui dit qu'HARDY l'attendait à Passy, le fit monter, que la voiture l'emmena à la "Gestapo, Avenue Foch" (176).
MULTON, au cours de son interrogatoire n'apporte aucune fait intéressant. Il a été réellement oublié dans la bouche du métro. Il a cherché à distinguer un homme à l'allure militaire qui arriverait par ce moyen de transport. Il n'a rien vu. Et pour cause (177).
Le Hauptmann KRAMER, par contre, apporte des précisions, dont certaines sont à prendre au sérieux. Il précise bien que K.30 (Moog) était accompagné de K.4 (Saumande). Il prétend que le Général portait à la main le journal "Le Pilori", il relate que Vidal a bien déclaré à MOOG qu'il avait un autre rendez-vous, une demi-heure plus tard "Rue de la Pompe". KRAMER donne de nombreux détails, inconnus jusque là semble-t'il (175).

169
Perrette, Jean-François: Op.Cit. p.135-136.
170
Chauvy, Gérard: Op.Cit. p.200 à 203.
171
Dalloz, Pierre. Op.Cit. p.85à 90.
172
Interwiew de Madame Dupont-Delestraint. Ibid.
173
Déposition du Cl Gastaldo. Op.Cit.
174
Déposition de J.L.Théobald. Op.Cit.
175
Prise de Position de Kramer. 2°procès Hardy. (cote 125)
176
Déposition Gastaldo. Ibid.
177
Interrogatoire de Multon: Ibid.
178
Déposition de Saumande: 19.03.48: 2°procès Hardy.


SAUMANDE, K4, l'autre agent de KRAMER, dans sa déposition conteste avoir été présent à La Muette (178). Ce qui est faux.

Henri NOGUERES estime que SAUMANDE, seul, s'était vu attribuer la mission d'approcher le Général et de lui proposer de le suivre (179).

-La relation détaillée de l'arrestation de GASTALDO et de THEOBALD à la station de métro suivante est trouvée uniquement dans les déclarations des deux intéressés, particulièrement celles de GASTALDO.(180).
KRAMER y fait allusion sans donner beaucoup de détails. Ainsi, en ce qui concerne la Rue de la Pompe, aucun autre témoignage n'a été apporté à notre connaissance en dehors de ceux de GASTALDO et de THEOBALD et de celui, succinct, de KRAMER (181).

-Dernière arrestation, peu connue, le lendemain, Jeudi 10 Juin, celle de Mademoiselle OLIVIER, au métro Villiers (182).

179
Noguères, Henri. Op.Cit. Tome 3. p.425.
180
Dépositions de Gastaldo à l'instruction du 2° procès Hardy. (Cote 68)
181
Kramer. Prise de position. Op.Cit.
182
Déposition de Madame Lebon-Olivier du 7.07.48.


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CONCLUSIONS. (4/III).

Cette confrontation met en évidence bien des différences, fondamentales, souvent lourdes de sens.

1°- Plan vert et Bloc-fer..?

Ainsi, la question du plan de sabotage des voies ferrées est l'objet d'une confusion souvent entretenue, en ce qui concerne la dénomination du "plan vert". Confusion et contestation entre René HARDY, de BENOUVILLE, Henri FRENAY d'une part, et les membres du B.C.R.A., d'autre part, opinion à laquelle s'est rallié le Général CHEVANCE-Bertin.
Le Commandant GONNOT, juge d'instruction au Tribunal militaire de Paris, dans son rapport, distingue le "Plan Vert" objet de l'étude du Lt-Colonel St-Jacques (DUCLOS) et de son adjoint le Capitaine MAMY, du "Bloc-Fer" travail de René HARDY, avec l'aide efficace sinon déterminante de Max HEILBRONN, par ses annexes et compléments dans le cadre du N.A.P.. Recueilli par Marie GRANET le 22 Décembre 1950, le témoignage de Max HEILBRONN, (au cours duquel il n'emploie jamais le terme de "plan vert") montre l'importance de sa participation à l'élaboration de ce "bloc-fer" (182).

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2°- Les exemplaires du plan bloc-fer.

Certes, le séjour du Général Vidal à Paris est donc, en partie seulement, motivé par la présentation en Zone Nord du plan de sabotage de Didot, qu'il faut appeler décidemment "bloc-fer", comme l'ont aussi dénommé le juge GONNOT, Henri NOGUERES, et bien d'autres.. Il est possible que le Général en ait pris connaissance, mais sans en avoir reçu une seule copie, malgrè ses fonctions. D'ailleurs le nombre d'exemplaires ne prévoyait pas qu'on lui en donnât un.
Selon HARDY, deux seules copies avaient été pratiquées, une destinée à Henri FRENAY qui devait l'emporter à Londres;(183a) l'autre remise à GUILLAIN de BENOUVILLE pour les archives de Genève; le document original fut conservé par HARDY; il fut saisi par la Gestapo.
GUILLAIN de BENOUVILLE, qui remit son exemplaire à la justice après guerre, affirme dans une déposition, qu'un quatrième destinataire dont il a oublié le nom "peut être Vidal" (183b).

182
A.N.397.AP-1. Texte du témoignage reporté en Annexe 23. 183 a
Henri Frenay affirme même avoir emporté à Londres deux exemplaires: Frenay, Henri: Op. Cit. page 337.
183 b
Pierre de Benouville: déposition du 7.10.48.: instruction du second Procès Hardy.(Cote 48. 3/A).


Nous avons vu plus haut qu'il est exclu que le Commandant en chef de l'Armée Secrète ait jamais touché un exemplaire. AUBRY lui-même pense que Vidal n'en a jamais reçu car c'est par son intermédiaire qu'il l'aurait eu (183 c). A posteriori, ce fait n'apparait que comme un simple élément de l'ostracisme dont le Général a été l'objet de la part de ceux qui contestaient ou voulaient ignorer, amputer ou simplement supprimer ses fonctions. Cependant Vidal a vu dans ce travail un outil assez important pour en discuter avec les responsables militaires des Mouvements de la Zone Nord. On ne peut que supposer l'intérêt qu'il aurait eu à entendre les explications de HEILBRONN, véritable ingénieur de la SNCF qui, de son coté, demandait vainement à rencontrer le chef de l'Armée Secrète.

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3°- La boîte Dumoulin.

Quant à la boîte de la rue Bouteille, la chronologie des faits apparait essentielle: l' arrestation de "Claire" c'est-à-dire de Marie RAYNOUARD, secrétaire de Résistance-fer, n'a pas pu avoir lieu début Juin comme le prétend Henri AUBRY (184), mais bien fin Mai. Une preuve parmi d' autres: Lydie Bastien, dans sa déposition du 27.04.48 déclare qu'afin de lui annoncer l'arrestation de Claire, elle a attendu avec impatience plusieurs jours le retour de HARDY (parti dans le midi pour la rédaction du plan Bloc-fer). Celui-ci est revenu de Nîmes le 2 Juin. D'autre part, le jeune Charles THEVENON est-il un de ceux qui auraient sonné à la porte que leur a ouvert Madame DELETTRAZ, et qui auraient pu se sauver grâce à elle ? Toujours est-il qu'à partir du 27 Mai des présences suspectes, des circonstances anormales, une ambiance peu ordinaire autour du 14 de la rue Bouteille, l'ont fait renoncer à ouvrir la boîte.

Avec Henri NOGUERES, avec Gérard CHAUVY, on peut conclure que Madame DUMOULIN a vu son appartement investi par MOOG et MULTON le 25 Mai, que Claire y a été arrêtée le lendemain, 26 Mai, alors qu'elle voulait rencontrer Madame DUMOULIN pour tout autre chose que la Résistance.

Un autre argument pourrait être avancé: Etant donné que "Claire" a été arrêtée le lendemain de l'irruption des allemands chez Madame DUMOULIN et de l'arrestation de celle-ci, on voit mal pourquoi MOOG et MULTON, à Lyon depuis le 24 Mai, auraient attendu jusqu'aux tout derniers jours de Mai ou début Juin 29 pour créer une souricière dans son appartement.
Ajoutons un simple détail qui a eu cependant son importance: Claire, au moment de son interpellation avait sur elle les clefs de l'appartement de la rue d'Enghien. Elle a su taire leur provenance; ainsi le P.C. de Résistance-Fer n'a pas été découvert par les Allemands, et de nombreuses arrestations ont pu être évitées grâce à elle, elle qui n'est pas revenue de déportation.

183 c
Henri Aubry: Déposition du 30.11.48.


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4°- La lettre de convocation

Il apparait bien établi que le général a chargé son chef de cabinet, Thomas, de prévenir Didot du rendez-vous prévu au métro "La Muette". Madame RAISIN a peut-être bien rencontré HARDY-Didot ce même jour dans le tramway (184), mais il aurait été imprudent qu'elle lui transmît alors le message. Il fallait l'en avertir formellement. C'est par la boîte aux lettres de la rue Bouteille, boîte de Nap-fer, que la lettre de convocation devait normalement atteindre Didot. Elle y fut glissée sans doute dans la soirée du Jeudi 27 Mai.
Elle a été écrite par Madame RAISIN, sous la dictée d'Henri AUBRY, sans être chiffrée ( procédé habituel entre AUBRY et HARDY ). Donc, ce message, en clair, est tombé entre les mains de MOOG, puis de BARBIE, puis plus tard de KRAMER: Le piège de "La Muette" est parti de là.

Henri AUBRY apprit l'état alarmant de sa femme, par l'intermédiaire de sa secrétaire; il décida sur le champ de partir à Marseille le Vendredi 28 au cours de l'après-midi ou le soir. C'est dans la matinée de ce Vendredi qu'il apprit l'arrestation de Madame DUMOULIN, soit par une information officielle de "Combat", soit par un agent de liaison. Il rencontra ensuite Madame RAISIN, (nommée"la petite Mad")et lâcha la phrase répétée par cette dernière, à l'occasion de plusieurs dépositions: "Vous avez eu de la veine, car il y avait la Gestapo à l'étage". Il est exclu qu'un autre scénario se soit déroulé, malgrè la prise de position récente du Général CHEVANCE-Bertin.
Henri AUBRY resta à Marseille, lors de ce premier séjour, du 28 Mai au 2 Juin. Il eut à rencontrer le Général le jour de son retour lors de la réunion qui se tint rue Tête d'Or. Il l'accompagna ensuite vers Perrache. Ils parlèrent du programme qui attendait le chef de l'Armée Secrète à son retour de Paris. Il le revit le Vendredi 4 Juin. Il est possible qu'il retourna voir sa femme à Marseille entre le 2 et le 4.

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5°- Les silences d'Henri Aubry.

Négligence dûe au souci de savoir sa femme malade ? Il a beaucoup pleuré lorsque "la petite Mad" lui a annoncé la nouvelle de l'état de son épouse (185). A-t'il perdu son sang-froid, au point de ne pas s'imaginer le guet-apens que les Allemands allaient monter le 9 Juin, dont Vidal serait à coup sûr la victime ?
Toujours est-il que du 28 Mai au 5 Juin -jour du départ du Général- il ne l'a pas averti du danger que constitue le papier écrit en clair fixant le rendez-vous, papier qu'il sait être aux mains de la Gestapo.

184
Il n'est d'ailleurs pas certain que Madame Raisin ait rencontré Hardy en sortant de la réunion où elle vit le Général, puisque dans sa déposition du 12.04.48, elle précise que cette "rencontre fortuite dans le tramway" se fit "alors que je devais lui remettre des fonds", dit-elle.
185
Interwiew de Madame Raisin du 25 Mai 1990.


Il est vrai qu'il est parti à Marseille dès qu'il a pu, après l'annonce de l'état de sa femme. Il y reste du 28 Mai au 2 Juin. Même de là-bas, il est possible d'avertir Vidal ou de le faire avertir, d'autant plus que "la petite Mad" est venue lui apporter le courrier à Marseille, le 31 Mai. Il ne fait rien, il ne dit rien.

Peut-être que depuis quelque temps ou depuis qu'il est au service du Général Vidal, il n'est pas aussi tonique qu'auparavant. Ses motivations semblent moins évidentes. Il est à la fois anxieux, hanté par les risques encourus, sans en avoir tout à fait conscience. Alors Henri AUBRY a autre chose en tête. Il est vraiment bouleversé de savoir son épouse aussi malade. Il revient à Lyon, et ne pense plus à cette histoire de rendez- vous avec Didot dont il a reçu du Général la mission de transmission; il ne dit rien.

Il n'y pense plus, même lorsqu'il le rencontre, car il le rencontre deux fois, et à l'une de ces occasions, le 4 Juin, j'étais présent. Il le dit lui-même. Mais un fait troublant: à notre connaissance, il n'aurait pas cherché non plus à prévenir son camarade de "Combat", René HARDY, avec qui il a, jusque là, de bons rapports. Il pourrait le contacter par la boîte-aux-lettres de la rue Paul-Bert qui permet de toucher tous les organismes de "Combat", ou par la nouvelle boîte près de Perrache. Il ne fait rien, il ne dit rien. Pourquoi ?

Est-ce un silence calculé ? Je ne le crois pas. Il s'agit, très probablement, d' une absence spontanée, d'origine dépressive. Au reste, l'explication pathologique est étayée, par son comportement ultérieur; nous aurons à y revenir à plusieurs reprises..

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6°- Le train de 22 heures.

Tout semble avoir été dit sur ce qui s'est passé à Perrache avant le départ du train. Faut-il accorder un certain crédit aux affirmations de BARBIE, lorsqu'il laisse entendre que l'arrestation de Hardy s'est produite à la suite d'une filature organisée par la section IV E de Lyon ? il apparait évident que c'est par hasard que MULTON et MOOG ont rencontré HARDY.
MULTON décrit bien la scène lorsque Hardy l'a dévisagé, ce qui n'a pas échappé à MOOG. Ce dernier lui a demandé:

-"Ne serait-ce pas Didot ?
- C'est possible, mais je n'en suis pas certain", aurait répondu MULTON, qui, peut-être ne connaissait pas le pseudo "Didot", mais "Carbon".

Cependant le rapprochement était facile, sachant que Carbon-Didot était à la tête de NAP-Fer, qu'il devait rencontrer Vidal, enfin BARBIE connaissait bien l'organigramme.

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7°- Les arrestations de Paris

Au moment où le Général croit qu'il va rencontrer au lieu de rendez-vous le chef de son 3° bureau, une question se pose: Le connait-il ? Il y en a au moins un qui est persuadé qu'ils ne se sont jamais rencontrés. C'est Gegauf (KRAMER) de l'Abwehr qui a organisé le guet-apens. Et il base son affirmation sur le fait, non contrôlé d'ailleurs, que le Général doit avoir un signe de reconnaissance: il serait entendu qu'il tiendra à la main la revue pro-allemande "Le Pilori".

En fait, le Général a rencontré René HARDY à plusieurs reprises. Il l'a connu en Janvier ou Février à l'occasion d'une réunion tenue au 302 Cours Lafayette, chez André LASSAGNE. C'est là qu'il lui fut présenté par Henri FRENAY comme un spécialiste des Voies ferrées. Il l'a revu à plusieurs occasions depuis son retour de Londres; il s'est intéressé à son travail, l'a intégré à son état-major, au 3°bureau. Sans pouvoir préciser le calendrier de ses rencontres, on peut cependant affirmer qu'à la rencontre du 23 Avril, au 107 Avenue de Saxe, étaient présents, entr'autres, Vidal, Galibier, Didot.. qu'à nouveau l'appartement d'André Lassagne du 302 Cours Lafayette réunit, le lundi 3 Mai, le Général, son chef d'état-major Galibier, Max (Jean MOULIN), Tavernier (FRENAY), Aubrac et Didot.(186)

Alors Vidal arrive à pied, voit s'arrêter un taxi, d'où un seul individu descend, rapporte-t'il à ses compagnons du Struthof au cours du printemps 1944. S'il n'y en a qu'un, ce ne peut être que MOOG. En fait, il semble bien que SAUMANDE (K.4) ait été présent, malgrè ses propres dénégations.

D'ailleurs KRAMER affirme que K.30 et K.4 ont participé directement aux arrestations de "La Muette" et de "La rue de la Pompe". Pourquoi KRAMER se serait-il passé d'un de ses agents alors qu'il avait besoin de tout son monde et qu'il a dû demander à Kieffer l'aide du S.D.?

Parce que c'est bien KRAMER de l'Ast-Dijon qui a minutieusement organisé le guet-apens les jours précédents, surtout la veille, avec son ami MOOG. C'est lui qui monte rapidement l'opération imprévue de l'arrestation de Galibier et de Terrier. (GASTALDO et THEOBALD)

186
Au cours de son interrogatoire par le S.D. Avenue Foch, les Allemands exhibèrent sous les yeux de Gastaldo, un télégramme provenant du K.d.S.de Lyon relatant la réunion du 3 Mai. Déposition Gastaldo du 3.06.48. 2°procès Hardy.


KRAMER, nous le savons par le document allemand retrouvé après guerre, très jaloux du rôle principal qu'ont joué ses agents K.4 et surtout K.30, (187) a écrit une "Prise de Position" dans laquelle il réfute les arguments du S.D. visant à s'en attribuer le mérite. Dans cette mise au point il rappelle l'opération "Jura", l'arrestation de Berthie ALBRECHT, les affaires du train Lyon-Paris du 7 Juin, du métro "La Muette" et "Rue de la Pompe", toutes opérations à mettre à l'actif de ses agents, donc de l'Ast-Dijon. Ce document apporte un éclairage nouveau sur ces derniers évènements, et confirme que l'Abwehr en a été le grand responsable. On devine au travers de ces lignes le danger que ressent Gegauf de la prépondérance que le Sipo-S.D. tente de prendre sur l'Abwehr de l'Amiral CANARIS.
Bien que le Capitaine KRAMER souligne qu'"en faveur de la cause", il ajourna les questions personnelles et consentit à prêter ses meilleurs agents au service du "Sturmbahnführer KIEFFER qui avait toujours été prévenant à notre égard et qui était en parfait égard avec nous", il ressort de ce texte une certaine aigreur de son auteur. Le texte du Sipo-en France auquel il répond est daté de Septembre 1943. Moins d'un an plus tard, après l'attentat du 20 Juillet 1944, la mainmise du S.D. sur l'Abwehr sera effective (188).

187
Les photographies de Moog (K.30) et de Saumande (K.4), ainsi que celles de Multon (Lunel) et de Doussot sont reproduites en annexe 4/25.
188
Le texte de la "Prise de Position" de Kramer: Annexe 4/24.


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IV APRES L'ARRESTATION

1°- Les suites immédiates

Le jour même, l'arrestation de Vidal est passée inaperçue de ses proches comme de l'ensemble des Résistants, hormis ceux qui l'attendaient à la mairie du 16°. Ces derniers se doutèrent d'autant plus du drame qu'ils venaient de rencontrer GASTALDO.
Les perquisitions de la Gestapo, secondaires à l'arrestation, ont fatalement donné l'alerte.

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a- à Paris

Nous verrons que le Général a été interrogé pendant 50 heures consécutives. S'il tut pendant cette période ses fonctions au sein de l'A.S., s'il ne révéla jamais ce qui pouvait compromettre qui que ce soit et surtout ses propres collaborateurs (ainsi il ne révéla jamais son adresse lyonnaise), il pouvait sans danger pour quiconque, tout au moins le croyait-il, dévoiler son adresse parisienne.

C'est au cours de l'après-midi du Mercredi 9 Juin que Pierre DUPONT, le gendre du Général, vient à Paris voir son beau-père. Il en profite pour apporter à Flore SICARD un peu de beurre qu'il lui avait promis et qu'il a pu se procurer à Dreux. Mais il trouve la loge envahie de gens, manifestemment des policiers allemands en civil, de la Gestapo. Flore, sans perdre son sang-froid, en voyant entrer Pierre DUPONT, lui dit très fort:
-"Ah! vous m'apportez mon beurre; ces messieurs prétendent que je cachais un Général qui vient de se faire arrêter. Au revoir et Merci, Monsieur".
Pierre DUPONT pose le beurre et quitte la loge, ayant ainsi appris que son beau-père est arrêté.
Malheureusement il ne peut pas informer immédiatement sa belle-mère.
Il rentre le soir même à Dreux pour apprendre à sa femme Odette la très mauvaise nouvelle. Flore SICARD est emmenée par les hommes du S.D. au 84 Avenue Foch où elle est retenue quelques jours. Non seulement cette femme intelligente ne révèle rien aux agents de la Gestapo, mais apprend le Vendredi ou le Samedi par les Allemands qui l'interrogent que le Général est transféré à Neuilly. Son mari, Marius SICARD qui peut lui rendre visite Avenue Foch transmet la nouvelle à Odette DUPONT (188).

188
Interwiew de Madame Odette Dupont-Delestraint, le Jeudi 8 Février 1990.


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b- à Bourg-en-Bresse

Lors de son arrestation, Vidal porte des papiers qui révèlent sa véritable identité. Les Allemands savent alors qu'ils ont affaire au Général Charles Georges Antoine DELESTRAINT, demeurant 41 Boulevard Voltaire à Bourg-en-Bresse.
Le Jeudi 10 Juin, entre 9 et 10 heures du matin, Mademoiselle Bibiane DELESTRAINT après avoir pris le courrier (189) parle à une amie devant l'immeuble du 41 Boulevard Voltaire à Bourg-en-Bresse.
Une voiture-402 Peugeot s'arrête devant la porte d'entrée, trois hommes en descendent, pénètrent dans l'immeuble; Bibiane monte derrière eux; l'un d'eux sonne à l'appartement, ils entrent et demandent l'identité de Madame DELESTRAINT, pendant qu'un autre se tourne vers sa fille, lui demande si elle connait "Vidal", ce qu'elle nie; puis le même homme leur déclare que le Général a été arrêté la veille à Paris au métro "La Muette". L'un d'eux précise que c'est lui-même qui l'a accosté. "C'est Didot qui nous a prévenus.." Celui qui parle ainsi (d'ailleurs, parfaitement bien le français) est MOOG; plus tard, Madame DELESTRAINT et sa fille le reconnaîtront formellement sur présentation de photos. Quant à MULTON, seule Madame croit pouvoir l'identifier (190).

La perquisition commence, quasiment complète. Ils trouvent des papiers militaires, des notes de conférences etc. mais aucun papier compromettant. Mademoiselle DELESTRAINT a pu cacher certains documents dans le grenier du pensionnat du Sacré-Coeur de Bourg.
Une seule lettre très certainement de Didot au Général a été confiée par ce dernier à son épouse. Elle l'a brûlée.
Les Allemands emportent donc quelques papiers militaires en vrac dans des valises ainsi que certains objets personnels qu'ils dérobent (191). La perquisition terminée, les Allemands leur interdisent de sortir de l'appartement. La maison sera gardée par deux policiers en civil à la porte de l'immeuble, jusqu'au Vendredi 11 au soir, peut-être au Samedi 12. Chaque personne qui y accède est interrogée, doit présenter ses papiers, chaque nom d'occupant de l'immeuble est vérifié sur la boîte-aux-lettres (192).

Madame et Mademoiselle DELESTRAINT n'ont pas reçu de visite particulière ce jeudi 10 Juin, peut-être une voisine qui les a ravitaillées. Toujours est-il que cette perquisition et la souricière automatiquement installée ne se sont soldées par aucune arrestation. Car la chance est intervenue.

189
Courrier où se trouvait la carte postée la veille rue Singer. Les Allemands l'ont lue sans y prêter attention.
190
Madame Delestraint: Déposition du 5 Mai 1948. 2°Procès Hardy.
191
Madame Tourtel-Delestraint: Déposition du 8 Mai 1948. second procès Hardy.
192
Interwiew de Madame Tourtel-Delestraint du 29.01.1991


Ma mère, Madame Germaine GUILLIN, habitait Bourg-en-Bresse depuis 1932, après son veuvage prématuré.
Nous l'avons dit, elle était devenue l'amie intime de Madame DELESTRAINT, et lui rendait souvent visite.

Le Vendredi 11 Juin, dans l'après-midi, à l'occasion de quelques courses à faire en ville, à bicyclette comme toujours, ma mère pousse jusqu'au Boulevard Voltaire. Selon son habitude elle va laisser sa bicyclette dans la cour de l'immeuble du 41, et dans ce but, sans mettre pied à terre elle emprunte le grand porche qui à 20 mètres de la porte de l'immeuble communique directement avec la cour intérieure.

Elle y laisse son vélo et rejoint l'escalier par la petite porte qui donne sur le hall d'entrée. Rien d'anormal n'attire son attention. Elle monte les deux étages et sonne à la porte des DELESTRAINT. C'est Madame qui ouvre, ne lui laisse pas le temps de parler et à voix basse lui dit d'une traite :
- "Comment as-tu pu venir jusque là ? La Gestapo garde la maison.. Carl est arrêté.." (193).
Une fois entrée et la porte refermée ma mère apprend que le Général a été arrêté l'avant-veille à Paris au métro "La Muette", que la perquisition n'a rien donné, mais que la police allemande leur interdit de voir quiconque, que leurs agents sont à l'entrée de l'immeuble.
Ma mère redescend les escaliers avec précaution. Au rez-de-chaussée elle devine, à travers les verres dépolis de la porte d'entrée principale le dos des deux sbires de la Gestapo qui y montent la garde. Doucement elle ouvre la porte de la cour, la referme aussi délicatement, monte sur son vélo et sort par le grand porche. Personne ne l'a remarquée.
Il faut alerter, donc d'abord m'alerter. Elle veut me joindre le plus vite possible, elle se rend directement à la gare. Mais le dernier train de Lyon est déjà parti. Elle devra attendre le lendemain matin, Samedi 12, pour prendre le premier train de Lyon, celui de 7 heures. Aucune autre possibilité n'est envisageable.

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c- à Lyon

Les examens de Médecine qui m'ont empéché de suivre le Général à Paris étaient concentrés du Lundi 7 au Vendredi 11 Juin au soir. Ensuite, une seule épreuve restait à présenter le Vendredi matin 25 Juin, examen clinique à l'hopîtal. Rappelons qu'entre le 12 et le 25 et après cette dernière date, j'étais à la disposition de Vidal.
Aussi, ces journées du 7 au 11 Juin se passèrent à la Faculté de Médecine. Je rentrais chaque soir au 4 Avenue Leclerc avec un vieil ami et camarade d'études, Louis JANNEL, qui disposait alors d'une chambre dans cet appartement.

193
Madame DELESTRAINT appelait ainsi son mari dans l'intimité; Carl est la forme normanno-picarde ou flamande du prénom Charles. ( Dauzat, Albert. Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France. Paris. Larousse. 1951. p. 88)


Cependant, mon camarade ayant rejoint sa famille dès les examens terminés, je reste seul ce soir du Vendredi 11 Juin au 4 Avenue Leclerc, et fatigué par cette semaine particulièrement chargée, je me couche tôt et m'endors profondément... pour être réveillé le Samedi matin, à 8 heures environ, par des coups de sonnette réitérés.
J'ai la surprise de trouver à la porte ma mère qui arrive de Bourg par ce premier train. Sans préambule elle me jette :
-"Les Allemands ont arrêté le Général.."
Sensation que tout s'écroule, que le sol se dérobe. Dans cette détresse, deux impératifs qui interfèrent d'ailleurs: Prévenir Max, Lassagne, puis tenter quelque chose pour sauver le Général.
Vite habillé, je prends le tram N°8 jusqu'à la place Tolozan, et de là je me rends au 1 place des Capucins, où se trouve le bureau et le secrétariat, que nous appelions "la boîte à Max". Je connais bien l'endroit depuis quelques mois lorsque j'y ai accompagné le Général. Là j'ai apporté quelques messages de Vidal à Max. J'arrive donc place des Capucins avant 9 heures.

Je grimpe à l'étage, parcours ce long couloir vitré, frappe à la porte au fond à droite. C'est Grammont (de GRAAF) qui m'ouvre la porte. Un autre jeune homme se trouve dans la pièce. Etonné, lorsque je lui dis que je veux parler immédiatement à son patron, il refuse d'abord et me demande ce que ce dont il s'agit.

- "Vidal est arrêté !".

L'atmosphère change. Bouleversé, Grammont frappe à la porte d'une pièce qui donne dans ce bureau. Et apparait Max, atterré par la nouvelle.
Pendant qu'il m'interroge sur ce que je sais et comment je le sais, il s'appuie sur le chambranle de la porte, il semble accablé. Nous sommes tous consternés et très émus. Après lui avoir transmis les informations bien succinctes que je possède, je lui pose deux questions:
-"Que peut-on faire pour le Général?" Autrement dit, une évasion est-elle envisageable?
-"Que dois-je faire maintenant, étant libéré de toute astreinte universitaire: aider à un coup de main ?"
Max, à cet instant, ne croit pas qu'il soit possible d'entreprendre quoi que ce soit, à Paris, pour tenter de faire évader Vidal.
-"Alors que dois-je faire, étant disponible ? être intégré à vos services ? être envoyé en Angleterre pour une formation ?"
-"Vous allez vous faire arrêter d'un jour à l'autre, me répond-il, N'ayez plus aucun contact avec la délégation."
Et il le dit avec toute son autorité, ne laissant place à aucune contestation.
Mais un moment plus tard, voyant sans doute mon désarroi, il ajoute qu'il va réfléchir à tout cela et me fera connaître sa décision définitive par un de ses secrétaires qui me joindra ce soir à 17 heures place Bellecour au niveau du Cinéma Royal.

Je quitte la place des Capucins, un peu déçu. Le vide devant lequel je me trouve depuis ce matin est encore accru par l'incertitude et il ne peut être partiellement comblé que par l'action. Chercher à faire évader le Général me semble, en ce matin du 12 Juin 1943, la seule possibilité.

Aussi j'essaie de contacter certains fidèles de Vidal, tant pour les informer que dans l'espoir plus ou moins conscient de voir un projet de coup de main s'organiser, en vue d'une évasion; mais GASTALDO, dont j'ignore l'arrestation, est à Paris; PERRETTE, je ne sais où il se trouve; André LASSAGNE, par contre, est bien à Lyon; je vais l'alerter, lui parler.
Par un mot dans sa boîte un rendez-vous lui est proposé pour le dimanche matin à l'endroit habituel; il sait qu'il s'agit du "Café du Touring" à l'angle du Quai Claude Bernard et de l'Avenue Berthelot, dans le 7°arrondissement, d'ailleurs à proximité du nouveau siège du Sipo-S.D.
Si je puis le joindre demain matin, quelles que soient ses intentions, j'aurais fait l'essentiel en ce qui concerne Lyon, et je pourrais alors me rendre dès l'après-midi à Bourg-en-Bresse, prévenir Richard (le Général DESMAZES, l'adjoint de Vidal).

A 17 heures, je suis place Bellecour et j'y trouve Grammont qui m'apporte la décision définitive de Max:
"Rien ne peut être entrepris actuellement pour Vidal. Quant à vous, disparaissez complètement. Vous allez vous faire arrêter. N'ayez aucun contact avec le secrétariat de la délégation."
J'ai rigoureusement obéï à Max en ce qui concerne la coupure de tout contact avec le secrétariat, je ne suis jamais retourné place des Capucins, même lorsque fin Juin, je recherchai désespérement un contact. Cependant, tout espoir de faire quelque chose pour le Général ne m'a pas abandonné.

Le lendemain matin, dimanche de Pentecôte, 13 Juin, la rencontre avec André LASSAGNE se fait bien au café habituel. Eprouvé par l'annonce de l'arrestation, il réprime vite le moment d'émotion. Mis au courant des quelques informations que je détiens, il réagit rapidement: il faut faire quelque chose pour essayer de sauver le Général, mais commencer par avoir des précisions. Réconforté par son désir d'action, je me mets à sa disposition.

D'abord faire une enquête sur le lieu de détention du Général. Pour cela, il est convenu que je partirai dès le lendemain à Paris pour essayer d'apprendre quelque chose, mais en passant d'abord par Bourg-en-Bresse, pour obtenir de Madame et de Mademoiselle DELESTRAINT quelques précisions sur ce qu'elles ont pu entendre des Allemands lors de la perquisition. Mais, bien entendu, il faudra agir avec prudence, en prenant des informations, peut-être indirectement, et s'assurer que toute surveillance est levée.
Avec André LASSAGNE, il est aussi décidé que si je parviens à obtenir à Paris quelqu'information tant soit peu importante, je lui écrirai une lettre en termes convenus. Il me rejoindra alors à Paris à un endroit et à une heure précisés, soit le Mardi 22 Juin, soit un des deux jours suivants. Dernier délai donc, le 24 .

J'inspecte minutieusement l'appartement du 4 Avenue Leclerc. Aucun papier compromettant ne traine. Le Général a bien eu soin de ne rien laisser à Lyon. Je peux fermer au moins provisoirement ce qui fut son domicile lyonnais clandestin. Désormais je redouble de précautions, bien que je sois convaincu que le général ne donnera pas l’adresse de l’Avenue Leclerc aux Allemands.

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d- Bourg-en-Bresse-Dreux-Paris-Lyon.

A Bourg le jour même, je rends visite au Général DESMAZES dès mon arrivée. Il n'a pu recueillir aucune information, et ne peut rien faire qu'alerter les responsables de l'Ain. Ils le sont déjà d'ailleurs, par l'intermédiaire de ma mère qui a rencontré Bob FORNIER (Virgile).
Avec mille précautions, j'entre en contact, indirectement, avec Madame DELESTRAINT, qui me fait savoir que, seule, sa fille ainée, Madame Odette DUPONT, habitant Dreux est susceptible de m'apporter une information sur le lieu de détention du Général. Elle me conseille de m'y rendre.

Le voyage Bourg-Dreux se fait dans la journée du Mardi 15 Juin. Pendant le trajet que je fais à pied de la gare à la maison qu'habitent les DUPONT, un peu en dehors de la ville, j'assiste aux évolutions à basse altitude d'un Messerschmitt allemand et d'un Spittfire anglais au cours d'un duel sans merci. Spectacle inoubliable particulièrement pour ce jeune lyonnais bien peu habitué à assister à un tel combat..

Madame Odette DUPONT, m'apporte une information capitale qu'elle tient sans doute de Mr SICARD, le mari de Flore: le Général a été transféré dans une villa de Neuilly/Seine, dépendance de la Gestapo, Avenue Victor Hugo. En quittant, le lendemain matin très tôt, la villa des DUPONT pour regagner la gare un convoi allemand me double; sur la plate-forme d'une remorque se trouve la carcasse d'un Messerschmitt; celui d'hier soir, sans aucun doute. Quelle satisfaction !

Une fois passés le barrage et la fouille totale de la police franco-allemande de la Gare Montparnasse, je puis écrire et envoyer la lettre convenue à André Lassagne. Au cours des jours suivants, il m'est possible d'aller à Neuilly/Seine reconnaître la villa du Boulevard Victor Hugo, qui, je l'ignore à cette époque, porte le nom de celui qui s'y est installé en maître, BOEMELBURG, le chef de l'Amt IV (194). La villa Boemelburg est fortement gardée et surveillée. Il n'est pas question de s'attarder à en observer les allées et venues; au plus, peut-on noter quelques entrées de voitures en passant devant une ou deux fois. La récolte de renseignements est assez maigre.

194
Se reporter au début de la 4° partie, "l’Outil de la Répression."


Le Mardi 22 Juin je me rends au rendez-vous fixé avec André LASSAGNE. Il n'est pas là. Attentes aussi vaines les Mercredi 23 et Jeudi 24. Faut-il rappeler qu'André Lassagne a été arrêté à Caluire le lundi 21 avec Max, Aubrac, Thomas et les autres.
Le 24 au soir, désolé, ne comprenant pas cette absence et voyant ce projet peut-être irréaliste devenir irréalisable, je me résigne à prendre le dernier train qui peut m'amener à Lyon pour être présent à l'heure de mes derniers examens le Vendredi 25. J'y parviens même avec une demi-heure de retard, heureusement sans conséquences fâcheuses.

L'isolement dans lequel je me trouvais à Paris, me poursuit à Lyon. En essayant de contacter André LASSAGNE chez lui, je constate la présence d'une "traction-avant" stationnée près du trottoir opposé au 302 Cours Lafayette. Un homme à coté semble surveiller l'entrée de la maison.. Même constation les jours suvants. André LASSAGNE a été certainement arrêté, son appartement probablement devenu une souricère.

Ne pouvant plus établir aucune liaison avec qui que ce soit,, je parcours les rues, les places où nous avions fréquemment des rendez-vous avec les membres de l'A.S., sans toutefois retourner à "la boîte à Max", comme celui-ci me l'avait enjoint. Je ne rencontre personne, sauf un des tout derniers jours de Juin, mon chemin croise celui d'un officier supérieur de l'O.R.A. avec qui, en Mai, le Général avait eu un entretien en ma présence (195).
Lui ayant fait part de l'arrestation du Général Vidal à Paris, il m'apprend à son tour celles du Général Frère et les principaux chefs de l'O.R.A.. Il sait aussi que s'est produit à Caluire un évènement très grave concernant la délégation, l'Etat-Major de l'A.S. Il me conseille vivement de quitter Lyon le plus tôt possible, sans pouvoir me donner un moyen de quitter la France.
Dèbut Juillet, je ferme définitivement l'appartement du 4 Avenue Leclerc . Quinze jours plus tard, il sera visité et perquisitionné par les agents du K.d.S.-Lyon. De retour à Bourg-en-Bresse, je rends à nouveau visite au Général DESMAZES et lui fais part des quelques informations que j'ai pu recueillir à Paris et à Lyon. Il ignore tout. Il n'a reçu aucune visite depuis mon précédent passage. Madame DELESTRAINT et sa fille ont quitté Bourg, fin Juin, pour Paris où, m'apprend ma mère, elles espèrent pouvoir rendre visite à leur cher prisonnier.

Par Bob FORNIER, j'essaye d'avoir une filière pour gagner l'Afrique ou l'Angleterre par l'Espagne. Il me promet de me donner des informations. En attendant celles-ci il ne peut être question de rester à Bourg en Bresse ni à Lyon. Je me présente aux Chantiers de Jeunesse où je suis appelé le 4 Juillet, sachant bien que d'une façon ou d'une autre je n'y resterai pas bien longtemps.

195
De Dainville, Colonel A.: L'O.R.A. Paris Lavauzelle. 1974. 324 pages. page 168. De l'enquête menée ces dernières années, et grâce aux indications du Général Roidot, il est établi qu'il s'agissait du Général Lenclud de l'E.M. de l'O.R.A.


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2° La guerre de succession n'aura pas lieu ou "Caluire".

Il n'est pas dans nos intentions de reprendre ici l'histoire de Caluire, bien que ce drame soit la suite de celui de "La Muette". Le sujet traité ici n'enveloppe plus les principaux évènements survenus à Lyon dans la seconde quinzaine de Juin.

Mais, les membres de l'Etat-Major de l'Armée Secrète qui ne sont pas encore entre les mains de la Gestapo sont concernés par la réunion capitale à laquelle Max les a conviés pour nommer un remplaçant au Général Vidal, et redonner une structure fonctionnelle à cet Etat-Major. Jean MOULIN ne veut plus de cette dualité de commandement qui paralysera immanquablement l'Armée Secrète en situation opérationnelle.
Henri FRENAY en tant que commissaire aux questions militaires des M.U.R. devrait être présent à cette réunion. Ses amis de "Combat" auraient vu en lui le rocher capable de s'opposer aux intentions de Max, qui, lui, tient plus que jamais à la légitimité gaullienne de la Résistance en métropole. Mais le départ d'Henri FRENAY pour Londres projeté depuis longtemps, toujours remis, se réalise en Juin. Il quitte Lyon quelques jours après la réunion des responsables de"Combat" qui se tient le 11 Juin quai St Vincent (196). Personne, alors, autour de la table, ne connait l'arrestation de Vidal, personne ne peut prévoir l'importance de la "réunion de succession". Le "Hudson"'enlève FRENAY du terrain "Marguerite" près de Mâcon dans la nuit du 15 au 16 Juin (197).
(Aubry n'apprendra d'ailleurs le drame de "La Muette" au plus tôt que le 16 par un courrier à Marseille, mais plus vraisemblablement par Madame Raisin, le Samedi matin 19, à son retour à Lyon (198).

Ainsi à la rencontre au sommet projeté par Max, la présence de Henri AUBRY est doublement indispensable, d'abord en tant que chef de cabinet du Général Vidal, mais, aux yeux de ses amis de "Combat", il convient de défendre le point de vue de ce Mouvement, et qu'un des leurs y soit promu. Mais sa présence suffira-t'elle ?
Les épaules de Thomas seront-elles suffisamment fortes pour soutenir le fardeau des arguments et de l' autorité de Max ? Surtout en ce moment où son état psychique, dépressif, ne semble pas très stable. D'autant plus que la rencontre qu'il a eu avec Max a montré ses limites.

196
Réunion présidée par "Charvet", dans son nouveau refuge:y assistaient Bourdet, de Benouville, d'Ivernois, Malacrida et Aubry; il y fut question "de choses et d'autres concernant la Résistance et a été fait allusion à l'imprudence de Hardy". (Déposition de Henri Aubry du 23.03.48: second procès Hardy).
197
Verity, Hugh. Nous atterrissions de nuit. Paris France-Empire 1988. 373 pages. pages 166 à 168 et 325.
198
Noguères, Henri. Op.Cit. T.3. p.439
199
Aubry, Henri: Déposition du 4.05.48 au second procès Hardy.


De BENOUVILLE intervient vivement auprès d'AUBRY afin d'éviter qu'il soit l'unique représentant de "Combat" à ce sommet. FRENAY, par lettre avant son départ, avait investi AUBRY "du commandement des Forces paramilitaires en France au titre de Combat". Ce dernier comprend bien la position de BENOUVILLE, "car, dit-il, seul, je n'aurais pas pu avoir gain de cause pour empêcher que les Forces armées de la Résistance intérieure passent brutalement sous le contrôle direct et aux ordres de la "French Section".(199) En fait ce qu'appelle Thomas la French Section n'est autre que les Forces rançaises Combattantes faisant partie intégrante des Forces alliées.
L'expression péjorative qu'emploie AUBRY donne la mesure de l'incompréhension initiale qui hypothèque déjà la rencontre au sommet.

C'est au cours de l'après-midi du Samedi 19 Juin que se tient la réunion préliminaire chez Mr LONJARET, à laquelle participent AUBRAC AUBRY et LASSAGNE qui a tout organisé; celui-ci ne donne pas le lieu de la réunion, mais la date et l'heure: ce sera Lundi 21, rendez-vous à 13 h. 45 en bas de la "ficelle" de la Croix-Rousse.
En sortant, AUBRY sait que seront présents Max, AUBRAC, SCHWARTZFELD, LACAZE, Xavier, LASSAGNE, AUBRY. Il n'a pas été question de Didot au cours de cet échange.

Barrès (de BENOUVILLE) a entendu parler, pendant l'absence de Thomas, d'une réunion importante en vue de la succession de Vidal. Barrès a donné à Madame RAISIN le conseil -à transmettre à son chef - d'y amener HARDY, afin qu'AUBRY ne soit pas seul. Celui-ci qui connait la teneur de la lettre de FRENAY par laquelle il a la responsabilité de l'A.S., ou des forces de "Combat"-l'équivoque subsiste- s'effraye quand on lui parle du Colonel SCHWARTZFELD, candidat favori de Max au poste de commandement de l'A.S. par interim, en attendant une nomination définitive de la part du Général de GAULLE. Le Colonel SCHWARTZFELD est le chef de "France-d'abord", petite organisation qui aurait l'avantage d'être indépendante des grands Mouvements de Z.S.
C'est Tony de GRAAFF qui a proposé sa candidature à Max (200). Barrès a donc conseillé à Thomas d'amener Didot et de faire état de la lettre de FRENAY, par la suite, même après la réunion au cas où l'on ne tomberait pas d'accord. Personne, en dehors de BENOUVILLE, BOURDET et lui AUBRY n'était au courant de cette lettre et de la désignation de Thomas au poste de responsable"de l'A.S." tant que FRENAY serait absent (201-a).

De son coté, Max a vite surmonté le désarroi ressenti après l'annonce de l'arrestation du Général. Après le week-end de Pentecôte chez les parents de Melle VERNAY à la campagne où le repos, la réflexion lui ont apporté un certain réconfort, il écrit au Général de GAULLE, le 15 Juin : "J'ai le triste devoir de vous annoncer l'arrestation par la Gestapo de notre cher Vidal. J'ai tenu secrète l'arrestation de Vidal. Il n'y a pas une minute à perdre. Tout encore peut être réparé" (202).

200
De Graff, Antoine: Déposition du 1°.06.48: second procès Hardy.
201-a
Henri Aubry: Déposition du 23.03.48 au second procès Hardy.


Alors Thomas, dès qu'il voit Didot le Samedi 19, lui parle de la rencontre capitale qui va se tenir pour désigner le remplaçant de Vidal. Sa présence, en tant que membre important de "Combat", même si elle n'est pas prévue, est indispensable à ses yeux et à ceux de Barrès. Il lui apportera d'autres précisions le lendemain. Qu'il vienne à 11 heures au Pont Morand. A ce rendez-vous, il ne peut pas lui parler librement, lui transmettre tout ce qu'il sait à ce moment, d'autant plus qu'il y a là trop de monde dont l'homme du banc (201-b). Il lui parlera plus tranquillement pendant le déjeuner où il l'entraine (201-c).
Didot, certes, lui apporte son entier accord. Il sera à la "ficelle Croix Paquet" à 13h.40. (Thomas lui donne même 5 minutes d'avance pour qu'il soit bien présent à l'arrivée de Lassagne). La collusion est prête. Aubry se sent épaulé.

Ainsi peut-on supposer les grands projets de Max, après le désastre qui vient de s'abattre sur l'Armée Secrète :

Dès le 16 Juin, Jean MOULIN tient donc à aller vite afin que de vaines querelles ne viennent encore aigrir l'atmosphère. Mais le Chef de cabinet de Vidal est à Marseille. Irrité de cette absence en un pareil moment, il prend la décision de nommer déjà un inspecteur général pour la Zone Nord, AUBRAC, et un pour la Zone Sud, LASSAGNE. Il est toujours difficile de présumer de l'opinion de celui qui ne peut s'exprimer, cependant on peut supposer que Vidal aurait approuvé cette décision.
D'autre part, la nécessité de réunir les principaux responsables militaires s'impose. Il en a parlé à AUBRAC, il a chargé LASSAGNE de l'organiser. En attendant que le Général de GAULLE nomme un titulaire au commandement de l'A.S, il faut désigner rapidement un chef par intérim, ce doit être le Colonel SCHWARTZFELD. Sont conviés à cette réunion, outre ce dernier, LASSAGNE et AUBRAC, AUBRY, le responsable du C.O.P.A., Bruno LARAT (Xavier), le nouveau chef du 4° bureau, le Colonel LACAZE. Jean MOULIN présidera en tant que délégué en France du Comité Français et Président du nouveau C.N.R. Ainsi la catastrophe pourrait être limitée dans ses conséquences au moins...(201-d)

René HARDY n'est pas convié. Pourtant il sera à Caluire. La tragédie du 21 Juin va décimer la Résistance française et au plus haut niveau.
"La guerre de succession n'aura pas lieu".

201-b
L'homme du banc n'est autre que Klaus Barbie.(Aubry. Ibidem)
201-c
Thomas pour pouvoir déjeuner avec Hardy renonce à l'invitation au repas de première communion à laquelle il est convié chez les Cornu. Il y délègue la "Petite Mad".(Aubry. Ibidem, et déposition de Madame Raisin du 12.04.48)
201-d
Cordier, Daniel. Op.Cit. page 251. Lettre de Max au Général de Gaulle, en date du 15 Juin.

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3° Suites immédiates et interférences de Caluire.

a- Lassagne et Aubry battus

Il est évident que BARBIE sait, lorsqu’il se rend à Caluire, que le délégué du Général de Gaulle se trouve à la réunion qu’il va interrompre; mais il ne sait pas qui est ce délégué. Aussi, s’en prend-il à AUBRY qu’il reconnaît pour l’avoir rencontré la veille au Pont Morand. Il le bat avec un pied arraché à la table de la salle à manger. Il croit que celui qu’on appelle Max est André LASSAGNE. Il laisse dans sa cellule Jean MOULIN, nommé Jacques MARTEL selon ses faux papiers (202-a) et prétendant toujours être venu consulter le docteur DUGOUJON.
D’ailleurs, n’était-il pas dans la salle d’attente ? André LASSAGNE, sérieusement torturé, se contente de nier être Max. Henri AUBRY est aussi battu chaque fois qu’il est amené devant BARBIE, particulièrement le Mardi 22.
Mais un détenu de Montluc observe à travers la fente de la porte de sa cellule les allées et venues. Il s’agit du docteur DUGOUJON. Il observe que le Mardi et le Mercredi matin on vient chercher Henri AUBRY. Il revient de ces interrogatoires "musclés" mal en point; puis les Allemands ne l’emmènent plus avenue Berthelot. Par contre, le docteur DUGOUJON constate qu’au milieu de la journée du Mercredi 23 on vient chercher celui qui se fait nommer Jacques MARTEL, c’est-à-dire Jean MOULIN. Le Mercredi soir, on ramène celui-ci très éprouvé.
Le Jeudi 24, les Allemands l’emmènent pour un nouvel interrogatoire; il en revient encore plus atteint, et le soir, on doit le porter lorsqu’on le ramène, et c’est bien pire le Vendredi (202-b) avant que les interpellés de Caluire ne quittent Montluc le soir de ce 25 Juin pour prendre le train de Paris sous bonne escorte, à l’exception de Max, intransportable dans ces conditions, et d’AUBRAC que BARBIE tient à garder à Lyon.
Ce ne sera que le lendemain que BARBIE, sur ordre formel de ses supérieurs, emmènera Jean MOULIN en auto à Paris. Nous verrons qu’il sera placé sous surveillance à la villa "Boemelburg". C’est là qu’on le présentera au Général DELESTRAINT et à André LASSAGNE. Il ne restera à Neuilly/seine que peu de jours avant d’être dirigé en train, agonisant vers l’Allemagne. A Frankfurt/Main, c’est son corps qui sera descendu du train !

202-a
Voir la photocopie de la fameuse page 50 du régistre d’écrou du Fort-Montluc sur laquelle est porté le nom de Martel Jacques/Jean Moulin: Annexe 4/26, provenant de:Basse Martin & Jo. Histoire de Caluire et Cuire, . Lyon Edit. Fot 1976. 281 pages. La page 50 du régistre, exposé sans protection au musée de la Résistance de Lyon, fut arrachée un jour. Heureusement, quelques publications ou livres l’avaient déjà publiée.
202-b
Témoignages oraux du docteur Dugoujon.


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b- L'arrestation de Madame RAISIN

Madame RAISIN, la secrétaire d'AUBRY, étonnée de ne pas avoir rencontré celui-ci le lundi soir, 21 juin, au rendez-vous prévu, vient dans la matinée du Mardi 22 chez Mr et Mme Paul CORNU, 13 chemin de Tassin, à Tassin la 1/2 Lune où AUBRY a sa chambre. Madame CORNU lui signale qu'elle n' a pas vu AUBRY depuis Lundi matin. "Mad" très inquiète apporte des documents que l'on dissimule dans l'horloge et sous la table de la salle à manger. Elle retourne chez elle, rue Paul Bert et revient entre midi et midi 30 à Tassin, sans document mais avec 175.000 frs qu'elle devait remettre à AUBRY. Elle se dirige vers la villa des CORNU, mais se méfiant elle ralentit le pas en passant devant le portail et regarde à l'intérieur du jardin. A peine passée, dit-elle: "Je me sentis toucher à l'épaule, et un individu sortant de la villa d'AUBRY me dit :"On vous a, la petite secrétaire de Thomas".
C'est STENGRITT, l'adjoint de BARBIE, qui, la voyant passer, la reconnait pour l'avoir vue l'avant veille au pont Morand. Elle nie fermement, affirme qu'elle a gagné à la loterie l'argent qu'elle détient, ne reconnait pas les adresses des boîtes aux lettres où BARBIE l'emmène, avant, avenue Berthelot, de la mettre en présence d'AUBRY, lequel se met à pleurer en disant: "Vous ici, mon pauvre petit !" Et "cela suffit évidemment à BARBIE pour comprendre qu'il n'avait pas fait erreur.." Il est vrai que les preuves s'ajoutaient pour confondre "la petite Mad", notamment la perquisition à son domicile, rue Paul Bert.(203)

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b- Le convoi vers Paris des Résistants arrêtés à Caluire.

Trois jours plus tard, soit le Vendredi 25 Juin, l'Obersturmführer Klaus BARBIE du K.d.S de Lyon, sur ordre de son supérieur direct, le Sturmbannführer KIEFFER de la section IV E du B.d.S. de Paris, doit envoyer à Paris les Résistants appréhendés à Caluire. Prennent le train de 22 heures ce soir là, fortement escortés par les Feldgendarmes, AUBRY, LASSAGNE, les Colonels SCHWARTZFELD et LACAZE, Bruno LARAT, le docteur DUGOUJON, auxquels s'ajoute Madame RAISIN. BARBIE tient à garder encore AUBRAC, et le lendemain il emmènera à Paris en auto Max dont l'état ne permet pas un tel voyage par le train.

Ainsi sont incarcérés à Fresnes les responsables de l'Armée Secrète, les secrétaires RAISIN et OLIVIER, l'aide camp THEOBALD et le docteur DUGOUJON Il convient de rappeler que le Général DELESTRAINT a été transféré à la villa "Boemelburg" de Neuilly, et que Max y a été transporté à son arrivée dans la capitale. Mais tous les interrogatoires ont lieu 84 Avenue Foch. Il en sera largement question ultérieurement.

203
Dépositions de Mr Cornu du 21.06.48 et de Mme Raisin du 19.11.48: Instruction du second procès Hardy.
Mais dès Juillet, à la suite de certains interrogatoires, d'autres arrestations ou tentatives d'arrestations, sans aucun doute consécutives à ces évènements, sont intervenues.


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c- L'arrestation de Jacques METIVIER
Il a été question de la première boîte aux lettres du Général Vidal, 57 rue de la Thibaudière à Lyon 7°.
Au nom de Jacques METIVIER et de sa soeur Madame MAC GUINESS, cette boîte fonctionnait parfaitement jusqu'en Avril époque à laquelle Jacques renonça à la laisser à la disposition de la Résistance.
Cette boîte était connue de plusieurs correspondants de l'Armée Secrète. Il leur fut demandé à cette époque d'oublier cette adresse, de la rayer des carnets, si tant est qu'elle y figurait, geste d'ailleurs contraire aux règles de sécurité. Est-ce un tel oubli, ou une révélation à la suite d'un interrogatoire?
Toujours est-il que le 15 Juillet des agents du K.d.S. de Lyon se présentent au 57 rue de la Thibaudière. Par la concierge ils apprennent que Jacques METIVIER, Madame Mc GUINESS et l'enfant de cette dernière sont en vacances à Fraize dans les Vosges. Ceux-ci y sont arrêtés. Ramenés à l'E.S.S.M. de Lyon où ils sont interrogés. Jacques METIVIER ne sait pas grand chose, sinon que sa boîte aux lettres a servi à la Résistance d'Octobre 42 à Avril 43. Malgrè cela, après une détention à Montluc, il sera déporté et ne reviendra pas de Buchenwald.(204)

Mon camarade de Médecine, GIRARD, qui, à la suite de la défection de METIVIER, a mis sa boîte aux lettres à la disposition de l'A.S., par mon intermédiaire, a été l'objet de poursuites, heureusemant vaines, de la Gestapo, en Août 1943.

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d- L'arrestation du Général DESMAZES
Le Samedi 24 Juillet, à 7h 45, la section IV E du K.d.S. de Lyon se présente 7 rue Pasteur à Bourg-en-Bresse chez le Général DESMAZES, l'accuse d'être l'adjoint de Vidal. Interrogatoire toute la journée à la Gestapo de Bourg pendant que son appartement est vainement fouillé. Le Général, qui a tout nié, est emmené à Lyon le soir à l'E.S.S.M, puis incarcéré le 25 à Montluc, où il rencontre René FRANCOIS, le futur professeur de Pédiatrie, appréhendé ce même 25 Juillet.(205-a) Ramené auprès de BARBIE, le Général nie avec obstination. On lui donne le nom de son dénonciateur. Il ne l'a jamais clairement révélé.
Transféré à Fresnes le 13 Septembre, menottes aux poignets, le Général DESMAZES est mis 4 mois au grand secret. Il tombe malade en décembre, est tranféré au camp de Plansee dans le Tyrol où il reste interné jusqu'en Mai 1945, date à laquelle il est libéré et rapatrié par la 1°Armée française.(205-b)

204
Page du livre d'écrou de Montluc du 19.07.43: Annexe 4/25. ainsi que l'interwiew de Mr Matry, codétenu de la cellule 117.
205-a
Interwiew du Pr René François, le 13.11.91.
205-b
Rapport du Gén.Desmazes au Ministre de la Guerre, du 3.07.45. A.N.: 72.AJ/36.AS.I.N°4.


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e- J'échappe à l'arrestation.

Alors que depuis quelques jours je suis incorporé aux Chantiers de Jeunesse, groupement 8 (Chatelard en Bauges), ce même Samedi 25 Juillet dans la matinée, deux agents de la Gestapo viennent m'arrêter à Bourg-en-Bresse, 4 Cours de Verdun, chez ma mère Celle-ci les croise dans l'escalier, et comprend à leur allure qui ils sont. Elle continue à descendre et en bas s'arrête et écoute. On sonne à la porte, la femme de ménage vient ouvrir:
-"Police allemande, nous voulons voir François GUILLIN".
-"Il n'est pas là, il est aux Chantiers de Jeunesse".
-"Où est ce Chantier de Jeunesse ?"
-"Je crois que c'est au dessus d'Aix-les-Bains.."
Ma mère n'hésite pas, elle va immédiatement prévenir notre ami Bob FORNIER, alors chef de l'A.S. départemental de l'Ain. Il enfourche une moto et fait le voyage jusqu'au Châtelard-en-Bauges où il rencontre mon frère, alors chef aux Chantiers. Dans un groupe en pleine montagne, je suis prévenu par lui avant midi, je déserte et prends le maquis. Les Allemands sont arrivés au Châtelard bien plus tard.
Ils étaient venus me chercher auparavant à Lyon, 4 Avenue Leclerc, à trois reprises, une perquisition qui ne donna aucun résultat. Sans comprendre à qui elle avait à faire, la concierge crut devoir leur signaler que j'étais sans doute chez ma mère à Bourg-en-Bresse. Et là, après le 25 Juillet, ils reviennent à deux reprises.
Ma mère, par un petit guichet donnant sur le palier, peut les voir sans être vue, ne leur ouvre pas, mais préférant n'avoir pas à répondre à leurs questions, elle quitte Bourg pour plusieurs mois.

Puisqu'il m'est donné de parler de ma mère, très engagée pour la cause, -une "Romaine"-,il convient, je crois, de rapporter ici un épisode la concernant. Dès l'arrestation du Général DELESTRAINT, elle se demande qui pourrait intervenir en sa faveur auprès des Allemands. Fille de militaire, elle a fort bien connu dans sa jeunesse deux officiers qui sont alors haut placés au gouvernement de Vichy.. et l'on sait leurs positions collaborationnistes, surtout l'un. Nommons le: le Général DELMOTTE, adjoint au Général BRIDOUX, a donné des gages importants aux occupants. L'autre, est le chef de cabinet du Maréchal, le Colonel BONHOMME.
Entre le 15 et le 20 Juin environ, elle part à Vichy, se fait annoncer auprès de ces deux officiers supérieurs qu'elle connait assez pour les tutoyer.
Elle parvient à les réunir dans un bureau:
-"Il faut que vous fassiez quelque chose pour un Général français, un vrai patriote, arrêté par les Allemands, actuellement détenu à Paris, le Général DELESTRAINT. Intervenez, usez de votre influence auprès des autorités allemandes..."
DELMOTTE lui coupe la parole:
-"Aucune démarche ne sera tentée auprès des Allemands en faveur d'un général "terroriste". Et, Germaine, c'est en souvenir de notre vieille amitié que je ne te dénonce pas. Prends la porte.."
Et elle fut éconduite.

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LES SOURCES. (4/IV).

1° Mes propres témoignages.

Il faut l'avouer: la documentation sur laquelle s'appuie ce chapitre est en grande partie étayée par mes souvenirs personnels et ceux rapportés par ma propre mère. Les évènements de ces journées de Mai, de Juin et de Juillet 1943 ont été souvent transmis oralement certes, mais aussi par écrit. Ainsi le témoignage demandée en 1971/72 par le Commandant Jean-François PERRETTE correspond à la présente relation des faits. Deux exceptions cependant sont à signaler:
1° une date, celle de mon propre retour à Lyon après mon périple à Dreux et Paris. Sur le livre de PERRETTE, est-ce une confusion, une erreur de transcription; je puis certifier être arrivé à Lyon, le Vendredi 25 Juin au matin et non pas le 28. D'ailleurs, ce Vendredi 25 Juin au matin, j'ai présenté l'examen à l'Hôpital Edouard Herriot, pavillon M. Service du Pr MALLET-GUY, fait vérifié.
2° une heure, j'ai écrit que le train qui a emmené le Général à Paris partait de Perrache à 16 heures. Autant pour moi.. après vérification auprès de la "Vie du Rail", qui recueille les archives de la S.N.C.F., et particulièrement celles du "Chaix", un seul train l'après-midi du Samedi 5 Juin partait à 13 heures 30. Au reste, à la commission rogatoire du 10 Juin 1948, je parle bien du train de 13 heures.
D'autre part, il convient de signaler ici avoir relaté par écrit, en Mai 1984, à Monsieur Henri CALEF sur sa demande les principaux évènements rapportés ici.

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2° L'arrestation du Général.

Il est vrai qu'à la libération, nous savions peu de choses, à part ce que Madame et Mademoiselle DELESTRAINT disaient à la suite de la perquisition et des visites à Fresnes. Le rapatriement des déportés, tel André LASSAGNE, nous ont apporté l'opinion du Général avant son exécution, et leur propre version des faits et des interrogatoires à Paris.
Les procès HARDY ont apporté une nouvelle lumière sur le déroulement des évènements.
Déformés au cours des audiences par une défense habile, par une presse cherchant le sensationnel, les témoignages n'ont pas toujours gardé leur importance. Et puis relevant de l'affaire HARDY ils se sont vite axés sur le drame de Caluire, du moment où l'on s'est aperçu que HARDY pouvait difficilement être le responsable de "La Muette", si "Caluire" lui était reproché très spécifiquement. Enfin, ces audiences, même celles du second procès, excluaient trop souvent systématiquement les témoignages des Allemands. Or, à la lecture des dépositions allemandes du second procès, bien des précisions nous sont apportées sur le piège monté, à partir de négligences d'abord incompréhensibles, aboutissant à l'arrestation du Général.

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3°-L'annonce de l'arrestation

A qui et par qui se fit l'annonce de l'arrestation du Général? Sujet de controverses.. Tout d'abord, les Allemands, bien entendu. Puis, lors de la perquisition, Madame et Mademoiselle DELESTRAINT ont appris la nouvelle les premières, au moins dans la région lyonnaise, dès le 10 au matin. Mais il leur était impossible de communiquer avec l'extérieur, jusqu'au Samedi matin. Madame TOURTEL-DELESTRAINT, en 1948 a reconnu formellement sur photo, MOOG. BARBIE, bien après, prétend avoir mené la perquisition de Bourg. La 402 aurait été sa voiture personnelle, dit'il dans son récent "testament".

C'est aussi le Jeudi 10, mais dans l'après-midi au plus tôt vers 16 heures que HARDY en fut informé, par BARBIE lui-même. Mais il s'est tu. Il n'en a parlé à aucun des Résistants rencontrés à partir du moment où il a été relâché, le 11 au soir, ou le 12 au matin. Au reste, il l'avoue lui-même, en prétendant que ce mutisme devait le servir à faire sa propre enquête sur l'arrestation du Général (206).

A Paris, Mademoiselle OLIVIER l'apprend le Vendredi matin de la bouche de Hughes LIMONTI. Mais auparavant sont-ce les chefs des groupes militaires qui attendent à la Mairie du 16° et qui, las d'attendre, commencent à se poser des questions, d'autant plus qu'ils ont rencontré GASTALDO, il y a un instant. Aucune précision à ce sujet. Mais Henri CALEF précise que Daniel CORDIER a commencé à prendre des mesures de précaution, et tente le lendemain matin d'avoir des informations sur le sort du Général (207).

Henri FRENAY en quelques mots avance avoir reçu "le 12 Juin, dans le courrier, un mot laconique l'informant des arrestations de Vidal et Galibier." (208). H.CALEF conteste cette information et s'étonne de la façon très légère dont elle est rapportée (209). Daniel CORDIER affirme que les responsables de "Combat" apprirent le 18 Juin seulement l'arrestation de DELESTRAINT, dissimulée jusque là par MOULIN (210).

206
Commandant Gonnot, Ordonnance de Transmission, page 63. Second procès Hardy.
207
Calef, Henri. Jean Moulin, une vie.Paris Plon. 1980. 391 pages. page 376.
208
Frenay, Henri. Op.Cit. page 333-334
209
Calef, Henri. Op.Cit. page 376.
210
Cordier, Daniel. Op. Cit. p.250-251.


Quant à la façon dont a été prévenu Jean MOULIN de l'arrestation du Général, Daniel CORDIER a contesté au cours d'un entretien téléphonique ma version des faits. Il soutient que Max n'a appris l' arrestation de Vidal que le lundi 14 dans la soirée, de sa bouche, s'étant rendu spécialement à Lyon pour l'en informer. Mais le lundi soir, Max n'était pas revenu à Lyon de son Week-end chez les parents de Melle VERNAY à Trévoux, il n'en est arrivé que le Mardi matin. On apprend par ailleurs par la lettre de Jean MOULIN au Général de GAULLE en date du 15 Juin qu'il y a eu un décalage entre le moment où il apprit la nouvelle et ce Mardi 15, puisqu'il écrit: "J'ai tenu secrète l'arrestation de Vidal". Ainsi, Max n'a rien révélé pendant le week-end de Pentecôte. Il a gardé la nouvelle pour lui, mais il veut cependant prendre d'abord des informations. Et pour cela, son secrétaire, de GRAAFF (Grammont) part à Paris dès le Samedi soir. D'ailleurs ce dernier dit avoir appris cette nouvelle ce même Samedi mais à midi, par un de ses agents "Léopold". Il semble que de GRAAFF ne se souvienne pas que je la lui ai apprise le Samedi matin. Quoiqu'il en soit, si le secrétaire de Max sait ce Samedi matin 12 que Vidal est arrêté, Max le sait aussi, il est encore à Lyon, puisqu'il envoie Grammont dès le soir à Paris, où celui-ci contacte CORDIER (Alain) le lendemain, reste à Paris le lundi 14 pour revenir à Lyon le mardi dans la nuit (211).

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4° La perquisition de Bourg

Lorsque mon témoignage m'a été demandé en 1971-72 pour le livre de Jean-François PERRETTE, j'ai émis l'hypothèse que la perquisition de Bourg ait été dirigé par BARBIE en personne. Mais, Madame TOURTEL-DELESTRAINT a reconnu MOOG sur photo. Cette dernière supposition semble plus vraisemblable, malgrè ce qu'en écrit BARBIE sur "son testament" (212).

Madame DELESTRAINT a affirmé que les mêmes individus ont pratiqué une nouvelle perquisition, huit jours plus tard. Aucune confirmation n'a été apportée.

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5° En général..

La documentation apportée par l'instruction du second procès Hardy est importante, car elle traite largement des suites de l'arrestation du Général DELESTRAINT et de la préparation de la réunion de Caluire. Elle n'estompe pas pour autant les travaux considérables d'Henri NOGUERES et collaborateurs, ainsi que ceux d'Henri MICHEL. Ils restent des outils de référence indispensables. D'ailleurs, la théorie qu'Henri NOGUERES a édifiée quant aux responsabilités des arrestations, reste entièrement valable. Depuis, la préface de 300 pages du "Jean Moulin" de Daniel CORDIER, dont l'ouvrage s'y rapportant est attendu, n'a pas contredit cette théorie qui devient une probabilité sinon une certitude.

211
Déposition d'Antoine de Graaff du 1°Juin 48: Instruction du second procès Hardy.
212
"Testament de Barbie". p.35.


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CONCLUSIONS.(4/IV).

1° La Famille apprend rapidement l'arrestation.

Ainsi, la famille du Général apprit assez rapidement son arrestation. Dès le Mercredi 9 après-midi, son gendre connut la nouvelle grâce à Madame Flore SICARD. Il en fit part à son épouse, qui ne put pas joindre sa mère à Bourg. Il est vrai que celle-ci, dès le lendemain matin Jeudi 10, en fut informée par MOOG venu perquisitionner avec ses sbires. Henri NOGUERES pose la question de la date de cette intrusion: le Jeudi 10 comme l'ont rapporté Madame et Mademoiselle DELESTRAINT, ou le Vendredi 11 lorsque ma mère est venue sonner à la porte ? Répétons-le ici: La Gestapo est restée dans la maison au moins deux jours, le Jeudi et le Vendredi. Ce dernier jour vraisemblablement, les Allemands n'ont pas perquisitionné, mais les dames DELESTRAINT ne devaient pas sortir, et l'immeuble était gardé. Ce qui revient à dire que ma mère a bénéficié d' une double chance: celle de ne pas se présenter à l'appartement le Jeudi lorsque les Allemands y perquisitionnaient, et celle de passer à bicyclette par la cour, le Vendredi.

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2° Jean MOULIN d'abord informé par la voie familiale.

Par qui, Jean MOULIN a-t'il été informé de l'arrestation de Vidal ?
Devant les témoignages contradictoires, je ne puis qu'affirmer l'exactitude de mes propos, et confirmer la relation des faits toujours tenue, oralement ou par écrit, et qu' Henri NOGUERES dans son Histoire de la Résistance en France a accepté comme véridique. Il s'avère très probable, qu'après ma visite faite place des Capucins, Jean MOULIN voulut avoir une confirmation et des précisions. Il est très possible qu'à midi, l'agent de Grammont, Léopold, soit arrivé apporter la nouvelle, déjà connue. Grammont eut alors pour mission de se rendre à Paris le plus tôt possible, mais après m'avoir rencontré place Bellecour où il me transmit les consignes de Max: Disparaître, car j'étais hautement menacé. Ne plus avoir de contacts avec la place des Capucins.

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3° HARDY suspecté à Paris d'être responsable.

Arrivé à Paris, Grammont rencontre, au moins le dimanche 13 , CORDIER-Alain, et le lundi certains responsables, qui possèdent déjà quelques informations, dont une hypothèse, transmise de bouche à oreille: se méfier de Didot. Ne sait-on pas que Vidal avait rendez-vous avec lui, qu'il y a trouvé la police allemande..!
Cette suspicion a sans doute été transmise à la délégation, lors du retour à Lyon de Grammont, le Mardi.
Il est étonnant, a posteriori, de constater que Didot a été suspecté à Paris d'un acte qu'en toute probabilité il n'avait pas commis, alors que dans le même temps à Lyon il commençait à devenir un instrument de la Gestapo. En entrant à nouveau en contact avec ses amis, il maniait le mensonge aux conséquences aussi funestes que considérables..

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4° Le projet de coup de main en vue de l'évasion du Général.

Lors de ma visite place des Capucins, Max ne parait pas décidé à envisager un coup de main, au moins sans réflexion. Faire prendre de tels risques aux groupes francs, ceux-ci apparait avec le recul, avec le contexte, un projet plus alléatoire, suicidaire.. Au reste, les groupes paramilitaires de l'A.S. en Zone Nord étaient-ils en mesure d'affronter en une telle aventure les forces allemandes d'abord de la police, puis rapidement de celles de la Wehrmacht ?

Cependant il demande, au cours du diner du 16 Juin, à Daniel CORDIER de repartir la nuit même à Paris "afin d' étudier l'organisation d'une action de force pour enlever le Général DELESTRAINT". (213) Le projet n'a eu aucune suite devant les trop grands risques encourus en comparaison aux chances minimes de succès.

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5° La date de départ d'Henri FRENAY.

Grâce à l'excellent livre de Hugh VERITY dont référence a été faite, on sait que le départ d' Henri FRENAY pour Londres par Alger s'est effectué dans la nuit du 15 au 16 Juin 43 et non pas dans celle du 17 au 18, selon l'auteur de"La Nuit finira", ni fin Juin, selon Pierre de BENOUVILLE.

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6° Le comportement de Thomas.

Les évènements qui se sont déroulés à Lyon, entre l'arrestation du Général et celle de Max, ne concernent pas directement l'histoire de Vidal, mais ils sont importants à plus d'un aspect: il s'agit, bien entendu, de la succession du chef de l'Armée Secrète et de l'avenir de cette formation militaire, mais au delà de cet intérêt ces faits permettent aussi de comprendre la mentalité, ou plutôt l'état psychique de Thomas et ses perturbations.
Il est apparu indispensable d'apporter un éclairage personnel sur cette période, sans toutefois se laisser emporter sur la pente de "l'affaire Hardy".

Le comportement pour le moins particulier de Thomas, avant l'arrestation de Vidal, que nous attribuons à son état psychique, s'est-il modifié à la suite des deux séjours à Marseille auprès de son épouse ? Peut-être ne connait-il plus ces périodes franchement dépressives du mois de Mai; cependant il a conscience de sa propre faiblesse; il la mesure assez lucidement. Bien qu'il soit investi du titre de "Commandant de l'A.S." par Henri FRENAY -qu'il reconnait comme son véritable et unique chef-, il ne se sent pas capable d'affirmer cette nouvelle fonction devant Max. Il le craint d'autant plus que lors d'une rencontre, le 18 Juin, celui-ci lui a vivement reproché son absence prolongée en un tel moment.

213
Calef, Henri. Op.Cit. page 378. d'après un témoignage de Daniel Cordier.


Et voilà que depuis son retour de Marseille, ce même Vendredi 18, il apprend que Max prévoit une réunion des responsables de l'A.S. pour procéder à la succession de Vidal.
Il va y participer, bien sûr, et devoir se présenter lui-même comme le candidat de "Combat" à ce poste. Ebranlé par Max, il estime indispensable de se sentir étayé par la présence d'un autre membre dirigeant du Mouvement.
Henri AUBRY se retrouvera seul représentant de "Combat", pour s'opposer au délégué du Comité Français. On sait que Max présentera un candidat interimaire, le Colonel SCHWARTZFELD de "France-d'abord", dont le nom a été avancé par de GRAAFF.

Et dans le même temps, AUBRY, conscient de sa fragilité psychique, ne retrouve pas son dynamisme, son esprit d'initiative, sa pugnacité alliée à la prudence qu'au cours des mois, des années antérieures, il manifestait aussi bien dans sa propre vie clandestine que vis à vis de celle des autres.

Et ces qualités, ses amis de "Combat" sont unanimes à en témoigner lorsqu'ils se souviennent de son action, de ses décisions heureuses au cours de la période "marseillaise". Certains, en dehors du Mouvement, auraient pu croire que ses fonctions auprès de Vidal ne lui convenaient pas, qu'"il trainait les pieds", que la dualité de commandement, que son chef de Combat a suscitée, l'a obligé à faire un choix, selon ou contre son gré. Mais il s'agit de bien autre chose, puisque ses oublis ont même concerné Didot. L'inhibition qu'il présente semble moins sélective. Les réflexes du Résistant apparaissent émoussés; et si Henri FRENAY, avant son départ, a promu AUBRY responsable de l'A.S., de BENOUVILLE semble bien avoir entrevu le problème, peut-être intuitivement.

Au reste, Pierre de BENOUVILLE/Barrès déjà a prévu la situation: Si ,en d'autres temps, AUBRY n'aurait pas craint d'aborder une telle situation, Barrès juge que Thomas ne peut pas, en l'occurence, faire le poids pour défendre sa propre alternative face à la proposition de Max. Il convient de conforter la position d'AUBRY de deux façons:
-Faire état de la lettre d'Henri FRENAY qui institue, dans ce but, Thomas chef de l'A.S. Certes Gervais veut parler au nom des M.U.R., mais il n'engage là que son propre point de vue. Et il est absent.. Comment Thomas sera-t'il jamais accepté, s'il est seul à défendre actuellement sa propre candidature ?
-Le faire épauler par un autre membre de "Combat".
FRENAY est déjà parti à Londres.
De BENOUVILLE, lui-même, n'est pas habilité à participer à la rencontre; d'ailleurs lui aussi doit partir pour le Cantal.

. Pour lui, Didot est tout trouvé. Il est son ami depuis qu'ils ont partagé la même cellule à Toulon en 1941. Il connait bien la position du chef de "Combat". Il fait partie de l'Etat-Major de Vidal et est en rapport constant avec Thomas, le chef de cabinet. Même si Didot n'est pas invité à participer à la réunion, il faut que Thomas l'y amène.

Thomas, contacté par Barrès est conscient de la situation. Il accepte volontiers la solution qui le met à l'abri d'être mis dans une position qu'il ne pourra pas défendre.. Et s'il n'a pas le temps d'en parler à Didot le Samedi 19 quand il le rencontre, s'il n'est pas prudent d'en faire état le 20 au pont Morand, il l'invite à déjeuner ce même dimanche, afin d'avoir le temps de lui exposer l'affaire. Didot accepte volontiers..

Autre manifestation en faveur de l'état dépressif d'un homme qui, selon Henri FRENAY, était rompu aux règles de la clandestinité. Certes, les Résistants arrêtés à Caluire sont entre les mains de BARBIE. Ce sont tous des responsables de l'Armée Secrète. Sans avoir à revenir sur les détails de l'incarcération des détenus, sur le détail des exactions auxquelles s'est livré Klaus BARBIE, il convient de rappeler que Thomas a été sérieusement frappé par celui-ci, ce qui semble avoir eu, on s'en doute, un effet sérieusement aggravant sur son état fragile.

Ainsi, s'explique sa curieuse réaction, dans les locaux de la Gestapo de l'avenue Berthelot. Mis en présence de Madame RAISIN qui, depuis son arrestation du 22 Juin, essayait de camoufler ses fonctions de secrétaire devant BARBIE et son adjoint STEINGRITT, il ne put retenir ses larmes et lui dit: "Vous aussi, ma petite Mad". Madame RAISIN conclut: "Cela suffit évidemment à Barbie pour comprendre qu'il n'avait pas fait erreur" (214). Il faut reconnaître que toutes les preuves convergent pour confondre Madame RAISIN.. Elles affluent de toutes parts dans le bureau de Klaus BARBIE, surtout depuis la perquisition de la rue Paul Bert.
Ainsi, dans cette dernière circonstance, l'irréflexion d' AUBRY n'aggrave pas les choses, elle les confirme seulement. D'autres évènements, ajoutés à ceux-ci, conforteront cette position.

Les périodes d'effondrement avec pleurs, même avant Caluire, les oublis d'Henri AUBRY en ce qui concerne la fiche de rendez-vous glissée dans la boîte Dumoulin, les inhibitions plus ou moins totales, suivis d'actes peu conformes aux consignes reçues par le Résistant dans ses moindres gestes, surtout en cas d'arrestation, font conclure à un état dépressif prononcé. Il aura, nous le verrons, à Paris un comportement très lourd de conséquences, qui confortera cette déduction, sinon ce diagnostic.

Il n'est pas question d'accabler Henri AUBRY, bien au contraire. Il est habituel, chez les Résistants, qui, comme moi-même, ont eu la chance de ne pas être arrêtés, d'estimer que la modestie doit être la règle. Personne ne peut savoir quelles auraient été ses propres réactions en cas d'arrestation. Mais, ici, ne convient-il pas de chercher à établir un diagnostic en tant que médecin, une explication en tant qu'historien ?

214
Déposition de Madame Raisin du 19.11.48.


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7° Un mot sur Caluire.

Il a été déjà précisé qu'il n'est pas de notre propos, ici, de parler ni même d'aborder les causes du drame de Caluire et les responsabilités de René HARDY dans la génèse de celui-ci. Cependant le sujet traité lui est tellement connexe qu'il est difficile de ne pas s'en faire une opinion précise. Par contre, sans rien enlever aux charges qui pèsent sur lui dans les évènements du 21 Juin, il semble complètement exclu qu'il ait pu dénoncer le Général DELESTRAINT, à moins d'avoir été un agent allemand dès avant le 7 Juin, ce qui est tout à fait improbable. Nous rejoignons à ce sujet la version présentée à plusieurs reprises par Henri NOGUERES (215).

Quant à la responsabilité de René HARDY dans l'affaire de Caluire, ce qui dépasse notre propos, il suffit de reprendre les dépositions des principaux témoins, des Résistants arrêtés chez le Docteur DUGOUJON, des passants ayant assisté à la scène, pour se faire une opinion.
Il a fallu d'ailleurs la juridiction militaire qui laisse une large place au bénéfice du doute, pour que René HARDY fut acquitté une seconde fois. Enfin, grâce au privilège qui nous a été accordé, il apparait évident à la lecture des dépositions et surtout des conclusions du Commandant GONNOT, juge d'instruction militaire, qu'il a existé un énorme fossé entre l'instruction et les audiences de ce procès.

Expliquons-nous: Nous disposons de nombreuses coupures de Presse relatives aux procès Hardy, et d'autre part nous avons pu consulter les dossiers d'instruction. A la lumière de cette étude, un hiatus apparait entre ce qui a pu être dit et retenu par la presse au cours des audiences d'une part, et l'instruction des procès d'autre part -particulièrement en ce qui concerne le second. Les interrogatoires des témoins, souvent renouvelés sinon multipliés, par un juge d'instruction soucieux de la vérité, serrent davantage l'évènement dans sa réalité que les audiences d'un procès public au cours des quelles les témoignages sont contestés par les parties, et retransmis plus ou moins fidèlement par la presse. En outre, "l'Ordonnance de Transmission" du juge GONNOT constitue un document particulirement bien documenté, des conclusions dignes de référence.

Terminons sur Caluire par une hypothèse: Ayant entendu à Paris que Didot était suspecté d'être à l'origine de l'arrestation de Vidal, Grammont à son retour à Lyon en a certainement fait part à Max. Que se serait-il passé si ce dernier accompagné d' Aubrac en arrivant à Caluire n'avait pas été conduit, par erreur, dans la salle d'attente du docteur DUGOUJON, mais au premier étage avec ceux arrivés avant lui, parmi lesquels était Didot..?

215
Noguères, Henri. La Vérité aura le dernier mot. Op.Cit. p.38-39.


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Cette quatrième partie de notre travail appelle en outre certains commentaires:

1°-La formidable efficacité de la Police allemande. Nous avons essayé de la présenter, dans ses détails et dans ses diversités. Il apparaît vain de s'attarder sur les antagonismes manifestées chez ces différentes polices, et principalement entre l'Abwehr et le Sipo-S.D. La concurrence réelle qui a pu exister en 42-43, a engendré bien plus une émulation qu'une lutte entre ces deux organismes, qui pour obtenir davantage d'efficacité ont su s'allier efficament. La victoire du Sipo-S.D. sur l'Abwehr ne se réalisera qu'à la faveur de l'échec de l'attentat du 20 Juillet 1944.

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2°-Cependant devant ces mécanismes bien huilés, il apparaît que la brutalité, sinon la férocité, qui constitue la technique de base du Sipo-S.D. n'a pas été toujours payante, en dehors du soulèvement des peuples libres que la barbarie nazie a soulevé contre le régime. On s'en est aperçu a posteriori, certes,. Le martyre infligé à nombre de Résistants, dont le premier est Jean MOULIN, n'a fait qu'imprimer plus profondément encore la résolution de la lutte chez les peuples opprimés.
Celui qui tombe est remplacé par dix qui se lèvent. Il s'agit là d'une constatation séculaire, sur laquelle les communistes comptaient d'ailleurs. La répression féroce est vouée à l'échec. Ainsi le plan SAUCKEL du Travail obligatoire en Allemagne a finalement couté plus cher aux Allemands que l'abstention ou le travail sur place comme le préconisait le ministre SPEER, mais bien trop tard.

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3°-La Résistance en Zone Sud, devant cette répression, n'en a mesuré le danger qu'avec un retard, bien compréhensible, par rapport à la Zone Nord, étant donné le décalage de deux ans et cinq mois de l'occupation de ces zones par les troupes ennemies.

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4°-L’impréparation de la Résistance, face à cette police allemande exceptionnellement compétente, rigoureuse, voire féroce, la Résistance Française, dans son ensemble, à quelque niveau que ce soit, n'était pas préparée. Les Résistants comptaient beaucoup d'amateurs, dans tous les mouvements, parfois sans grandes ni fortes motivations, mais aussi trop peu d'officiers, formés strictement en Grande-Bretagne pour être ensuite parachutés en France. Effectivement la préparation en Grande-Bretagne apparait comme la seule vraiment valable, par sa technique, par sa rigueur, par les moyens employés que les Résistants en France ne pouvaient qu'exceptionnellement réunir.

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5° La médiocrité de certains agents: Devant la pénurie d'agents motivés, compétents et formés, il a fallu intégrer dans les mouvements et les réseaux certains personnages qui ont été à l'origine de catastrophes, par imprudences, par négligences plus ou moins coupables, par trahison. La faiblesse psychologique de quelques-uns explique certaines motivations velléitaires, qui s'avérèrent hautement dangereuses.

6° La solitude du Général DELESTRAINT. Pour la personne du Chef de l'Armée Secrète, cette impréparation n'aurait pas été essentielle s'il avait pu être protégé comme il se devait. Son rôle qui se confinait dans l' organisation et le commandement n'exigeait pas certains impératifs de la vie clandestine, à laquelle il n'était fatalement pas préparé. Mais cet état de choses aurait pu être modifié dans la mesure où il aurait été efficacement protégé et secondé. Le Général réclamait auprès de lui le Commandant St-Jacques, il ne l'a pas obtenu.
Dans son rapport du 4 Juin à PHILIP, Max le dit lucidement: "Le Général fait en ce moment un travail considérable. Mais il le fait pratiquemment seul et prend des risques excessifs du fait qu'il n'est pas secondé". Pas secondé et pas protégé.
En fait Vidal a souffert d'une solitude chronique, laissé à son propre destin. Alors que la protection du Général aurait dû être prise en charge, par le B.C.R.A., par les Mouvements Unis, par tel ou tel mouvement, il resta seul devant les menaces, les adversités de toutes sortes. Nous avons vu qu'au printemps 43, le C.D.L.L., prit conscience de l' insuffisance de surveillance de la personne du chef de l'A.S., et essaya d'organiser au pied levé, en faveur du Général, "démuni de tout et peu habitué à la vie clandestine", pour ses séjours parisiens, un début d'aide, de couverture, malheureusement débutant lors des évènements de Juin.
Les mêmes observations pourraient être faites en ce qui concerne Jean MOULIN.

La solution se trouvait dans la formation des cadres en Angleterre. Nombre d'officiers auraient accepté cette préparation auprès de spécialistes du S.O.E. Fallait-il encore pouvoir les y amener !

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