2° PARTIE
CHARLES DELESTRAINT
(me désapproprier de moi-même)
A- L'HOMME
Signalement à l'Armée: Cheveux et sourcils: Chatain clair. Front découvert. Nez moyen. Menton rond. Visage
ovale. Taille: 167 cms.
les yeux bleus.. Mais! la profondeur du regard..!
Parler d'un homme que l'on a admiré, comporte un risque réel, dans le fond et dans la forme:
manquer d'impartialité, surtout lorsque, par ailleurs, le personnage est l'objet de critiques mal fondées; risque de
verser dans l'emphase, voire dans la grandiloquence.
Aussi, ne vaut-il pas mieux laisser parler les autres témoins s'ils vivent encore, ou relire leurs écrits s'ils
nous ont quittés, avant d'exprimer son propre sentiment, de rapporter ses propres souvenirs ?
Près de cinquante années après les évènements, la grande majorité des témoins oraux, survivants,
ont gardé un souvenir semblable dans ses grandes lignes, de Charles DELESTRAINT
De même on retrouve le plus fréquemment dans les documents de ce demi-siècle, biographies, lettres,
exposés, le même attachement à sa mémoire, et un jugement qui peut se résumer en quelques mots:
Charles DELESTRAINT était un homme de Foi, d'Honneur, de Devoir et d'Abnégation, et aussi homme d'Action, d'Engagement.
1° Les Témoins
Le Commandant Jean-François PERRETTE.
Ancien des Chars, engagé volontaire pendant la guerre de 14-18, en modifiant son âge,
actuellement seul survivant de la première attaque "de chars d'assaut" de Berry au Bac, le 16 Avril 1917,
J.F.PERRETTE a connu entre les deux guerres DELESTRAINT, alors Lieutenant-Colonel, adjoint du directeur de l'Ecole des Chars, le Colonel FRERE. PERRETTE était son élève aux cours d'officiers de réserve à Versailles, en 1932.
Au cours de la campagne de France de 1940, le Général DELESTRAINT lui manifesta à plusieurs reprises sa considération et son estime au cours des trois semaines de combats des Ardennes à la Somme à la 2° division cuirassée.
Blessé en Juin 40, prisonnier, évadé en Octobre, il rejoignit la zone non occupée. Il se mit à la disposition
du Général DELESTRAINT, et répondit à ses appels, quand il s'est agi de rameuter les Anciens des Chars pour les préparer entre 40 et 42 à la reprise de la lutte, en des rencontres mémorables en Zone Sud dont nous aurons à reparler longuement dans les pages suivantes.
A partir de Septembre 1942, le Général demanda à Jean-François PERRETTE de se tenir disponible. Sans adhérer à aucun mouvement de Résistance, PERRETTE a servi la Cause dans les missions que DELESTRAINT lui donnait à travers les deux zones. Entr'autres missions, il fut son intermédiaire auprès du maire de Lyon, VILLIERS,
auprès du Général FRERE pour sonder ses intentions, auprès du Général AUBERTIN à Nantes au sujet de l'A.S. en Bretagne, et le Commandant PERRETTE sera un des derniers à rencontrer le Général, encore libre, à Paris la veille de son arrestation. (1)
En 1972, Jean-François PERRETTE a écrit le seul ouvrage à ce jour retraçant la vie de Charles DELESTRAINT (2)
Dans une lettre personnelle qu'il m'adressa en Juillet 1984, le Commandant PERRETTE que je
connais depuis fin 1942 me livra son opinion profonde sur son ancien chef, lettre qu'il convient de retranscrire, au moins dans sa première partie:
"..Grand méconnu, le Général DELESTRAINT mériterait d'être non seulement connu, mais d'être donné en exemple non seulement à l'Armée, mais à toute la Nation."
"Célébrer les mérites d'un Général, c'est, selon une orthodoxie classique, énumérer des "états de service", ponctués de victoires, de promotions et de succès flatteurs, pavoisés de décorations et d'honneurs. Le Général
DELESTRAINT échappe à ce processus banal."
"...-Vaillant soldat, stratège lucide, on ne l'appela que beaucoup
trop tard au commandement d'un dérisoire Groupement Cuirassé fait des fragments irrécupérables des Divisions Cuirassées disloquées, malgrè ses avertissements et ses protestations, par la faute du Commandement, bien plus que par l'action de l'ennemi."
"-Caractère droit, nature loyale et conscieuse, son ardent patriotisme l'obligea à désobéir, à "trahir officiellement" et à opter pour la lutte dans l'Ombre."
"-Chef doué, né pour le commandement le plus élevé, il acheva son étonnante destinée dans l'avilissante servitude des bagnes nazis."
"Mais tout au long d'une "Passion" marquée des plus déprimantes épreuves, il n'a cessé de s'imposer à tous -même à ses adversaires et à ses géoliers- par son extraordinaire rayonnement, comme un HOMME au sens le plus noble du terme par sa constante probité morale, son inflexible droiture, son Esprit de SERVIR, son sens de la Charité puisé dans une Foi profonde qui l'anima jusqu'au Martyre."
"Il ne détint jamais son autorité de galons ou d'étoiles qui ne brillent souvent que superficiellement. Mieux que par une quelconque délégation de pouvoirs, il s'imposait par cet inexprimable ensemble de vertus dont les Fées favorisent parfois des êtres d'exception."
1
Perrette, Jean-François. Le Général Charles Delestraint, in Bulletin de l'Union Nationale de l'Armée Blindée-Cavalerie-Chars. Deux Numéros Printemps et été 1988 (Voir Annexe 2/1).
2
Perrette, Jean-François. Le Général DELESTRAINT. Paris Presses de la Cité. 1972. 180 pages.
"Plutôt petit et frêle d'apparence, il portait son regard droit, les lèvres marquées aux coins d'un pli
volontaire; la parole était brève, parfois presque sèche; sa manière de dresser la taille et de tenir la tête haute exprimait la confiance en soi..Mais la sévérité apparente, dès que le contact était établi, ne parvenait pas à masquer sa chaleureuse sensibilité; et cette confiance qu'il affichait n'était que le reflet moral d'une confiance collective
qu'eurent tous ceux qui servirent sous ses ordres, qui coopérèrent à ses activités ou qui souffrirent à ses cotés."
"Dans les temps de la débâcle, partout où le commandement se révélait défaillant, partout où, plus tard
dans la détresse, les souffrances risquaient d'engendrer le désordre et le désespoir, il apparaissait comme un patron, comme un phare."
"Il en avait une haute conscience. Il croyait profondément en Dieu, en la Patrie."...(3)
Au cours de ce travail, sera souvent évoquée la figure assez exceptionnelle de Jean-François PERRETTE, de ce féal, agé actuellement de 94 ans, qui tient toujours à honorer son ancien chef, pour lequel il a toujours manifesté un dévouement incomparable.
Le Commandant PERRETTE est membre d'honneur de notre Association "A la mémoire du Général
Delestraint".
Le Colonel Joseph GASTALDO (Galibier).
Au cours de la 1° Partie de ce travail, nous avons fait la connaissance de cet officier breveté et avons suivi son parcours depuis 1939. Très atteint par la déportation et les pires traitements subis, il nous laissa
prématurement à la fin des années 50. Nommé Chef d'Escadron par le Général de GAULLE le 1°Mars 1943, il fut chef d'Etat-Major du Général VIDAL à partir de fin Mars 1943. Arrêté avec lui, déporté, évadé du train le 13 Février 1945 lors du transfert de son camp. Arrêté par la police allemande qui le prit pour un parachutiste anglais, il s'évada à nouveau, rejoignit un maquis tchèque dont il prit le commandement, jusqu'à la fin des hostilités.
Après guerre, il retourna à Prague en tant qu'attaché militaire; c'est avec le gouvernement communiste tchécoslovaque qu'il eut alors des ennuis, car il connaissait trop ce pays. La police organisa l'enlèvement de sa fille, ce qui provoqua un tel incident diplomatique qu'elle fut rapidement relâchée.
Il a laissé des lettres, un recueil de poèmes écrits à Fresnes, des témoignages que Madame Appleton a recueillis (4))mais surtout le souvenir qu'il a transmis reste présent dans la mémoire de ceux qui l'ont connu.
3
Lettre du 21.07.84 du Cdt Perrette à l'auteur.
4
A.N..72 AJ/36.AS A.II.4. et 72 AJ/1910. Fonds Appleton.
A l'occasion des dépositions qu'il fit aux procès HARDY il insista aussi sur la personnalité du Général, à
laquelle il resta fidèlement attaché, en condamnant l'attitude à son égard de quelques dirigeants d'un mouvement dont il était pourtant issu.(5)
Dès son retour de déportation, le Colonel GASTALDO exprimait souvent l'admiration qu'il avait pour le
Général DELESTRAINT.
Dans une lettre personnelle il parle du "chef inoubliable" que nous avions. Dès que le Général Vidal l'a
choisi pour organiser et commander le 2°Bureau de son Etat-Major, Galibier n'a pensé qu'à le servir.
Lorsque Vidal revint de Londres et apprit l'arrestation de MORIN-FORESTIER jusque là son chef d'Etat-Major, il choisit immédiatement Galibier pour remplir ces fonctions. Celui-ci était un officier d'active sortant de l'Ecole de Guerre,
Vidal ne l'ignorait pas. Il était donc tout désigné pour devenir le Chef d'Etat-Major de l'Armée Secrète. Le Général lui demandait de conserver ses fonctions de Chef du 2°Bureau; il y faisait merveille, ayant mis au point un réseau d'informations à travers les deux zones, et en Suisse, où il était entré en rapport avec anglais et américains.
Nous verrons combien cet officier était apprécié du Général, par son mérite personnel, son intelligence, son activité efficace, et par la concordance de leurs points de vue.
La fidélité de GASTALDO au chef de l'A.S., à la personne du Général ne s'est jamais démentie, bien
qu'appartenant initialement à "Combat" en tant que camarade de son fondateur.
Joseph GASTALDO a été témoin du dévouement de Charles DELESTRAINT au Struthof.
"Le Général Vidal était le chef de tous les internés sans distinction d'opinions. Il ne perdait pas une
occasion de parler en termes touchants et convaincants de la France et du seul chef qui nous convenait, le Général de GAULLE. Il se montra toujours d'un courage exemplaire dans les multiples épreuves du camp de concentration et il était plein d'espoir. Désigné pour partir avec les autres généraux, Lassagne et moi-même le 19 Juillet 1944
pour Breslau, où nous devions être jugés devant le "Volksgericht", il parvint à dissocier l'équipe de l'A.S. en restant à l'infirmerie de Natzweiler et à retarder ainsi le jugement jusqu'à l'arrivée des alliés en Allemagne." (6)
Le Commandant GASTALDO est revenu en France sans connaître la fin tragique du Général. Je l'ai
rencontré à cette époque. Il venait d'apprendre la nouvelle et j'ai vu cet homme énergique pleurer, désespéré par la perte de son chef..
5
Second procès Hardy: Déposition de J.Gadtaldo du 3.06.48: 2/A.
6
A.N. 72 AJ/36. Fonds Armée Secrète. A.II.4. et 72 AJ/1899. Fonds Appleton.
André LASSAGNE.
André LASSAGNE, dès son retour de déportation jusqu'à sa mort en 1953, a donné son sentiment
sur le Général DELESTRAINT, toujours avec une émotion révélant la considération particulière qu'il avait conservé pour lui.
- Dans une lettre à Madame Antoinette SACHS, André rappelle qu'il est resté un mois dans la même cellule que le Général à Fresnes, en Février-Mars 1944, avant leur déportation:
"La vie en compagnie du Général DELESTRAINT dans une cellule de Fresnes m'a permis de voir les choses sous un jour singulier."(7)
Cette lettre confirme ce qu'André LASSAGNE me confia lors d'une visite que je lui fis lorsqu'il était hospitalisé à Hauteville; La profondeur spirituelle de Charles DELESTRAINT n'échappait pas à ses compagnons de cellules ou de camps de déportation.
Toujours en traitement à Hauteville, André prononce des conférences sur la Résistance, sur l'Armée
Secrète et bien entendu sur le Général DELESTRAINT. C'est dans une de ses lettres que j'ai conservée
précieusement qu'il écrivit cette phrase, fin décembre 1945:
"Je commence à me déplacer et à porter la bonne parole dans les sanas des environs. J'ai eu l'occasion de parler de notre cher Général hier au cours d'une conférence sur l'organisation de la Résistance et j'ai pu mesurer combien cette figure si attachante était comprise et aimée de mon auditoire..."(8)
Raymond AUBRAC.
Raymond AUBRAC, inspecteur de l'Armée Secrète, a rencontré souvent le général DELESTRAINT dès
l'automne 1942. Celui-ci avait pour AUBRAC une grande estime. Ce fut réciproque. Il a porté témoignage dès la fin de la guerre sur son courage, son abnégation, son rôle de chef qu'il sut mener à bien.
Il a su à maintes occasions prononcer des paroles qui prouvent à quel point il avait compris la valeur de ce chef.
Ainsi, ancien commissaire de la République, à Vannes, en Juin 1947, lors de l'inauguration du monument à la mémoire du Général, il témoigne:
7
Second procès Hardy. Lettre d'André Lassagne à Madame Sachs. 82 7/A
8
Lettre personnelle inédite du 21.12.45.
"Ce fut donc pour tous un extraordinaire réconfort que d'entendre et de suivre cet homme dont la foi
paisible, l'ardeur souriante, les instructions précises, étaient toutes solidement fondées sur une parfaite
connaissance des conditions de la bataille.. Car ce n'était pas l'automne 1942 qu'il avait attendu pour reprendre le combat." (9)
Raymond AUBRAC, inspecteur de l'Armée Secrète, était très apprécié du Général DELESTRAINT, qui
avait manifesté jusqu'à la veille de son arrestation son estime et sa confiance pour lui.
Raymond AUBRAC est membre d'honneur de l'Association "A la mémoire du Général Delestraint"
Le Général DESMAZES
Adjoint du Général DELESTRAINT, le Général DESMAZES a servi celui-ci avec passion. Bien
que n'étant pas préparé à la lutte clandestine, il a su apporter son aide très précieuse. A son retour de déportation, dès Juillet 1945, il a adressé un rapport au Ministre de la guerre (10) dont nous aurons à reparler.
Il y exalte le dévouement du Général DELESTRAINT.
A l'occasion d'un interwiew le 11 Avril 1946, il en parle en ces termes :
"DELESTRAINT qui est droit comme une lame ne voit pas le danger. Un jour, je l'avertis des menaces.
DELESTRAINT répond:
"Je m'en fous, j'irai jusqu'au bout".(11)
Robert SHEPPARD
Officier du S.O.E. britannique, arrêté et déporté au Struthof puis à Dachau, Robert SHEPPARD a été un
des plus proches du Général surtout à Dachau. En termes authentiques, dans une plaquette de 10 pages à l'intention de l'Association, "Bob" SHEPPARD relate ses souvenirs sur la vie du Général dans les camps de la mort. Les contacts qu'il a eus avec lui pendant ces longs mois ont marqué sa vie. (12)
Il est membre d'honneur de notre
Association "A la mémoire du Général Delestraint".
Grâce à lui, à ses nombreuses démarches, le nom du Général
est entré au Panthéon en Novembre 1989.
9
Allocution de Rennes de Raymond Aubrac,le 28 Juin 1947, à Vannes lors de l'inauguration du monument du Général Delestraint.
10
A.N. 72 AJ/36. A.I. N°4.Fonds A.S.
11
A.N. 72 AJ/36. A.II. N°7.
12
Sheppard, Robert. Le Général Delestraint, La dernière étape..Le texte intégral est reporté en Annexe 2/2.
Le Général Alain LE RAY.
Ancien chef militaire du Vercors, le Général LE RAY a gardé du Général DELESTRAINT un
souvenir très précis. Alors qu'il était capitaine, il rencontra le Général lors de sa visite au Vercors. Il a été frappé par son écoute, par la netteté de ses instructions, par son désir de servir "la cause". Celui qui venait de réussir l'exploit de s'évader de "Colditz" était impatient de servir. Il a compris de quelle trempe était forgé le Général, déjà agé de 64 ans:
"Vidal, c'est le général Delestraint, délégué militaire national du général de Gaulle..d'allure vive, brûlé d'une flamme patriotique ardente,..s'est mis spontanément sous les ordres du général de Gaulle, beaucoup
moins ancien que lui, ce qui, chez les professionnels, représente beaucoup d'abnégation. Et il a plongé dans la plus dangereuse des clandestinités sans le moindre souci de sa sauvegarde.."(13)
Le Général de Corps d'Armée du Cadre de Réserve LE RAY a su en quelques mots esquisser le portrait de Charles DELESTRAINT: allure vive, ardent patriote, pétri d'une rare abnégation.
Le Général LE RAY est administrateur de notre Association.
Le Général Jacques de WITASSE
Au cours de ce travail, le nom du Général de WITASSE reviendra à plusieurs occasions. Alors
lieutenant d'un régiment de Chars de Combat, il fut fait prisonnier au cours de la campagne de France. Il réussit une évasion sensationnelle, pour revenir du fond de la Haute-Silésie jusqu'en Zone non occupée.
L'accueil qu'il reçut des généraux qu'il rencontra tant à Lyon qu'à Vichy eut un caractère commun, glacial. Un évadé génait les vichystes,
compromettait la politique de collaboration. Certains, même, lui conseillaient fermement de se constituer
prisonnier auprès des autorités allemandes. Un seul d'entre eux le félicita chaudement et nous verrons dans quelles conditions il alla jusqu'à le faire ovationner par une assemblée de militaires: C'était le Général DELESTRAINT.
Jacques de WITASSE n'a jamais oublié l' hommage public qui lui a redonné courage. Il n'a céssé de parler du Général tant à la 2° D.B. qu'il a rallié en Lybie, qu'après la guerre.
Le Général de WITASSE est le dynamique président de l'"Association à la mémoire du Général
Delestraint". En de nombreuses occasions, il a rappelé la grande figure de celui qu'il n'oubliera jamais. (14)
13
Le Ray, Général Alain. La Résistance du Vercors. in "Le Pionnier du Vercors. Supplément au N°71. Juin 1990. p.5.
14
Extraits du discours du Général de Witasse à l'occasion de la cérémonie d'entrée du nom du Général Delestraint au Panthéon, le 9 Novembre 1989: Annexe 2/3.
Le Capitaine de Vaisseau J.L. THEOBALD.
Le Capitaine de Vaisseau Jean-Louis THEOBALD, alors étudiant, arrêté aux cotés de GASTALDO,
pendant un certain temps compagnon de cellule du Général à Fresnes, a été marqué par cette période.. Il a permis ainsi au Commandant PERRETTE de réunir certains éléments dans la rédaction de son ouvrage.
Dans celui-ci, Jean-Louis THEOBALD apporte un témoignage émouvant de la captivité du Général à Fresnes: "Jamais, se souvient-il, le
Général DELESTRAINT ne se départit de son calme et de sa dignité.. sa défense devant la justice allemande fut empreinte de grandeur et de sérénité.. Mais je n'oublierai jamais les larmes que je vis dans les yeux du général de GAULLE, lorsqu'à mon retour je lui parlai de cet homme qui, à l'époque où nombre de ses contemporains s'étaient retirés du combat, et malgrè son âge qui aurait pu lui conférer, à Londres ou ailleurs, une position confortable et dorée, n'avait pas hésité à retourner en France occupée, à s'enfoncer dans la nuit et à y mourir." (15)
Jean-Louis THEOBALD fait partie du Conseil d'administration de l'Association "A la mémoire du Général Delestraint".
Parmi tous ses compagnons de captivité, de déportation, nombreux et unanimes, nombreux sont ceux qui ont tenu à apporter leur témoignage.
Parmi eux, il en est un qui tint à faire connaître la figure de celui que les
Français de Dachau connaissaient bien.:
Edmond MICHELET
Edmond MICHELET, déporté à Dachau, qui, dès l'arrivée du Général dans ce camp lui a laissé sa qualité de chef-responsable des Français internés. Dans les pages de "La rue de la Liberté", il évoque magnifiquement sa figure.
"Vidal ! Je revois avant tout l'azur profond de ses yeux, son regard à la fois impérieux et rempli de bonté.
Je ressens l'énergie de l'homme à la vigueur de sa poignée de main, son affabilité à la façon de s'excuser pour accepter le menu service qu'on lui propose." (16)
15
Perrette, Jean-François. Op. Cit. p. 139-140.
16
Michelet, Edmond. Rue de la Liberté. Dachau 1943-1945. Paris.Editions du Seuil. 1955. 248 pages. p. 189 à 191.
Pierre DALLOZ
Pierre DALLOZ est l'instigateur du maquis du Vercors; c'est lui qui, avec Yves FARGE s'est rendu
auprès de Jean MOULIN en Janvier 1943 et l'a convaincu. Le Général Vidal a pris l'idée en mains et en a constitué un projet militaire, qui hélas n'a pas été suivi. Nous aurons à en reparler amplement.
Pierre DALLOZ a donc rencontré souvent le Général, à Bourg-en-Bresse, à Sassenage, à Lyon, à
Paris. Il fut d'ailleurs un des derniers à le rencontrer, libre. Il lui a gardé une reconnaissance et un respect
inaltérables. Lors de l'inauguration du "Mémorial du Pont Charvet" aux côtes de Sassenage, le 4 Août 1984, il prononça une allocution dont les termes reflètent parfaitement la profonde estime qu'il garde toujours pour Vidal..:
"Le général Charles Delestraint reste pour moi le modèle de l'officier général français dont la haute valeur a ses racines dans son sens du devoir, dans son patriotisme et dans sa foi."..
Il rappelle ensuite cette fameuse soirée au cours de laquelle les généraux DELESTRAINT et DESMAZES rencontrèrent à Bourg DALLOZ et FARGE:
"Je ne puis me rappeler sans émotion cette réunion insolite, l'attention passionnée, l'absence totale de
préjugés avec lesquelles deux grands chefs militaires, nettement nos aînés, écoutèrent l'exposé du civil que j'étais."(17)
Le sens de l'écoute de Vidal, cette volonté de vouloir s'adapter aux exigences de cette nouvelle vie, Pierre DALLOZ les a ressentis puisqu'il ajoute un peu plus loin:
"Le général DELESTRAINT, qui avait plus de soixante ans, se pliait de son mieux aux nécessités de la vie clandestine, alors que sa nature lui faisait préférer la franchise d'un combat à découvert."
La famille FORNIER et tant d'autres..
Ici, ont été cités quelques-uns des compagnons du Général qui ont tenu à exprimer leur respect,
leur hommage à sa mémoire. Pensons à ses amis et particulièrement à toute la famille FORNIER qui lui a réservé un dévouement absolu. Le père, les deux fils ainés, André et Charles l'ont toujours servi dans la Résistance. Déjà, dans les Chars, Charles était auprès de lui.
"Ceux des Chars" comme les anciens déportés ont gardé son souvenir,
Il est touchant de relever les marques de fidélité de ceux qui l'ont connu, l'ont suivi, l'ont aimé.
17
Dalloz, Pierre.Allocution du 4 Août 1984: Voir Annexe 2/4
Ce seront des signes posthumes de reconnaissance et d'admiration,
- de ses subordonnés militaires, depuis le Colonel AYME (18), jusqu'à l'adjudant-chef Maurice BEURTHERET (19),
- de ceux qui l'ont rencontré dans la Résistance
- à Bourg-en-Bresse, comme Bob FORNIER et son frère Charles, leur père qui l'a tant aidé,, le docteur Rémond CHARVET, (20) Madame APPLETON (21) Monsieur Paul DUBOURG (22) et tant d'autres..
- à Lyon, tels ceux de la délégation tels que Daniel CORDIER (23), FASSIN (24), Francis-Louis CLOSON, et principalement Jean MOULIN..
- à Paris, les témoignages de Mr BRISSOT dans son rapport, (25), de Monsieur BEUCHON (26) et de tant d'anciens Résistants..
- des anciens déportés:
L'abnégation du Général, son souci des autres ayant connu son apogée dans les camps de la mort, il devient naturel que ses anciens compagnons de déportation soient encore plus nombreux à exprimer leur fidèle attachement,
tel Monsieur Jean JAVELIER affirmant que le soutien que lui a apporté le Général lui a sauvé la vie,
tel Monsieur Pierre BELLIER qui a gardé jusqu'à son décès un souvenir précis, et dont le fils, Monsieur Paul BELLIER est membre actif de l'Association.
L'ensemble des témoignages coïncident chez les auteurs que nous auront à citer, tels le Docteur SUIRE, le Docteur TISSEAU, Joseph ROVAN, Edmond MICHELET déjà cité, mais aussi chez ses compagnons de géhenne qui ont apporté leurs souvenirs, tels le Dr BOHN, le Colonel de LA CHAPELLE, M.LAPORTE, et tant d'autres. (27)
18
Extraits du discours du 23 Juin 1945 à Bourg-en-B. Annexe 2/5.
19
Monsieur M.Beurtheret par sa correspondance à tous les membres dirigeants de l'Association a su manifester depuis longtemps son attachement exceptionnel au souvenir du Général.
20
Charvet, Rémond. Souvenirs des débuts de la Résistance à Bourg in "La Voix du Maquis" (Anciens de l'A.S. et des maquis de l'Ain et Haut-Jura) 1° trimestre 1988. N°93.
21
Appleton, Mme. A.N.: 72 AJ/36. A.I. N°9.
22
Dubourg, Paul. Mémoire sur l'Armée Secrète du Secteur de Chatillon/Chalaronne. Lyon Copy-Service. 70 pages. p.6 à 10.
23
Cordier, Daniel. Jean Moulin, l'inconnu du Panthéon. Paris-J.C.Lattès. T.I. 1989. 755 pages. p. 87 à 92.
24
Fassin. Second procès Hardy. Rapport au B.C.R.A.. p.2.
25
Brissot, Pierre du C.D.L.L. Rapport.: A.N.:72 AJ/36 A.I.N°2.
26
Beuchon, Pierre du C.D.L.L. Lettre personnelle.
27
Ces derniers témoignages ont été essentiellement recueillis aux Archives Nationales: Struthof: A.N. 72 AJ/338 et Dachau: 72 AJ/326.
enfin de sa famille..
Après la disparition de Madame Delestraint, le témoignage des filles du Général est bien sûr essentiel à plus d'un titre.
Sa fille ainée, Madame DUPONT-DELESTRAINT, a joué un rôle important lors de l'arrestation de son
père; elle l'a fait connaître à quelques privilégiés, et a contribué avec son mari, après la guerre, à révéler la grande figure de son père.
Mais particulièrement ont su participer activement à ce mouvement irréversible qui veut honorer et
perpétuer sa mémoire, la seconde fille du Général, Madame Bibiane TOURTEL-DELESTRAINT, et son mari, Roger TOURTEL.
Rappelons que Madame Bibiane TOURTEL-DELESTRAINT est un témoin "de première intention" des évènements de 1943. Les pages suivantes le diront. Rappelons aussi que Monsieur Roger TOURTEL-DELESTRAINT a été un des officiers du Général. Il s'est convert de gloire au cours de la Campagne de France, et y a été très grièvement
blessé. (28)
Tous deux ont prouvé par leur activité incessante, combien est profonde leur piété filiale.
Madame TOURTEL-DELESTRAINT est vice-présidente de l'Association, son mari, Roger, en est administrateur.
mais aussi l'auteur !
Certes, il est difficile de se faire juge et partie. J'ai dit déjà que mon état de médecin bien incrusté après
quarante années de pratique, me permet toujours de juger avec empathie et non sympathie. Même par rapport au Général DELESTRAINT, avec qui j'ai eu, il faut bien le dire, des rapports de fils à père. Conscient de ses faiblesses, j'ai connu ses points forts, dominants, et je l'ai admiré. Il m'a été donné de vivre avec lui de longs mois
en tant que son secrétaire, aussi dois-je ajouter mon témoignage à celui des autres, vivants ou disparus.
Mais parler de soi-même met mal à l'aise. On en parle trop quand il faut être discret, trop peu quand il faut développer un fait où l'on est directement concerné..
Depuis de nombreuses années maintenant comme d'autres pour faire connaître qui était le Général j'ai
évoqué son nom à l'occasion de conférences, de causeries, de biographies publiées dans le cadre de l'Association dont j'ai été l'un des fondateurs, et dont j'assure -fonction qui décidemment me poursuit- le Secrétariat général.
28
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Op. Cit. p.91-92.
J'ai exprimé en 1972 dans le livre de J.F.PERRETTE, avec certains souvenirs de cette époque, la très forte impression que j'ai ressentie, lorsque je fis la connaissance du Général.
Je rapporte ici ces lignes puisqu'elles définissent mon sentiment profond :
"Avoir rencontré le général Delestraint en Septembre 1940, alors qu'en soi, à dix-neuf ans à peine,
germent l'espoir et l'intransigeance de la Résistance à l'oppression, constitue plus qu'une chance, la réalisation précoce des aspirations essentielles qu'un jeune Français pouvait ressentir à cette époque."
"Il est impossible d'oublier ce regard décidé et qui vous invitait à l'être; ce regard ferme, miroir d'une âme droite qui ne défaille pas, mais d'une bonté infinie; regard du chrétien sûr de sa foi; regard de l'homme intelligent et regard du chef conscient, déterminé qui vous entraine pour une cause valant la peine d'être vécue et de mourir pour elle."(29)
Il est vrai que Charles DELESTRAINT savait écouter, sans s'encombrer, comme certains haut-gradés ou haut-fonctionnaires, des préjugés sclérosants de leur virtuelle importance. Il s'est toujours mis à la portée des autres, conscient d'ailleurs de ses propres lacunes dans le domaine de la clandestinité. Au reste, il recherchait et demandait dans ce domaine de recevoir des conseils.
On retrouve là son souci, déjà évident lorsqu'il se mit sous les ordres de son ancien subordonné, souci de repousser toute vanité personnelle au profit de l'efficacité.
Mais autant Vidal avait la possibilité d'écouter, de recevoir les notions pour certaines desquelles il était
conscient de son insuffisance, d'ailleurs relative, autant il n'acceptait pas les reproches acerbes, stériles, que certains lui servaient non sans vouloir l'accabler aux yeux de ses subordonnés.
Ce sera, j'en suis témoin, une des plus amères découvertes que fit Vidal dès les premiers mois de son
commandement de l' l'Armée Secrète: la prévention dont il était l'objet de la part de certains dirigeants qui étaient sensés l'aider dans sa tâche, alors qu'il aurait espéré une coopération féconde de tous dans la lutte contre l'ennemi.
Ces opinions convergentes de contemporains qui l'ont connu et estimé trouvent cependant des
échos contradictoires provenant de quelques dirigeants d'un seul mouvement. Ces critiques seraient prises en considération, si elles se bornaient à relever le manque de préparation à la vie clandestine du Général.
Bien qu'elles aient été publiées longtemps après la disparition de Charles DELESTRAINT, nous aurons à nous pencher sur ces prises de position écrites ou télévisées, parfois agressives, et toujours délibérement subjectives.
29
Perrette, Jean François. Ibidem. p. 107-108.
Ainsi, les points forts qui définissent Charles DELESTRAINT se résument en l'honneur, le devoir, l'action,
la foi, l'abnégation. Certains de ces caractères demandent cependant à être précisés.
2° L'Homme d'Honneur, donc d'Abnégation.
Quand le don de soi l'emporte sur l'image de soi.
L'Honneur est une notion non pas actuellement périmée, mais soumise à une réelle évolution, depuis
quelques décades.
Déjà Montaigne écrivait que "Toute personne d'honneur choisit de perdre son honneur [plutôt] que de
perdre sa conscience".(30) S'il l'eût perdu, ces mots auraient pu s'appliquer à DELESTRAINT. La conscience n'implique pas l'honneur et l'honneur n'engage pas toujours la conscience.
Chez Charles DELESTRAINT, la conscience primait bien "cet absolu qu'est l'honneur", selon Bernanos.
Si l'honneur est une image de soi, il est abimé du moment où il est dominé par un narcissisme ambiant. Tout dépend
de la notion de cette image de soi qu'il réfléchit ici. "Celle-ci doit s'efforcer de ressembler à un modèle surhumain; l'homme y est supposé se dépasser.
Cette élévation va amener à un état de plus en plus spirituel.."(31). Le don de soi l'emporte sur l'image de soi.
Pour les contemporains de Charles DELESTRAINT, il s'agissait d'une qualité faite de probité et de vertu.
Pour lui, il existait en outre l'abnégation. L'honneur ne peut pas ne pas se référer aux autres, à la société, non seulement à son jugement par rapport à soi, à la démonstration d'estime et de respect, mais disait-il, à la satisfaction intime d'avoir fait ce qu'il fallait vis-à-vis des autres.
La frontière entre Devoir et Honneur est bien là. Le devoir est de faire ce que l'on est obligé de faire en
toute conscience, dimension morale; l'honneur n'ayant pour juge souvent que soi. DELESTRAINT a toute sa vie cherché à déterminer son devoir, ce qui pour un militaire, et un chrétien tel que lui, pouvait paraître relativement facile jusqu'en 1940.
Mais si beaucoup estimaient, en cette période exceptionnelle, que le devoir consistait uniquement à se contenter d'obéïr à l'autorité en place, le Général (il n'était pas le seul) se référait surtout à sa conscience. Débat intérieur, certes déchirant, puisqu'en l'occurence il l'amènait à la désobéissance..mais à admettre, dès Juin 40, que le refus était son devoir. Une fois engagé dans cette voie, il la suivit sans regarder en
arrière. Son devoir était tracé.
Lorsqu'il a fallu prendre la décision d'accepter le commandement de l'Armée Secrète que lui proposait
Jean MOULIN par l'intermédiaire d'Henri FRENAY, il demanda que lui soient accordés quelques jours de réflexion, pour pouvoir situer où se trouvait son devoir, entre son rôle familial et cette mission hautement dangereuse. Désigné pour la remplir il savait que la France Combattante l'attendait. Là était son devoir tracé,irrévocable, incontournable, droit jusqu'à l'abnégation, au sacrifice du reste pressenti lucidement depuis la décision d'Août 1942.
30
Montaigne,Michel de. Essais. Chap.16.
31
Green, André. Entretien sur l'honneur et le narcissisme in . L'Honneur Paris Autrement. 1991. 229 pages. p.37 à 39.
3° Homme d'action, d'engagement.
(Vivre intensément...)
Mais aussi homme d'Action. Charles DELESTRAINT le fut toujours depuis son enfance.
Embrasser la carrière militaire en est un argument s'il n'en est pas une preuve. Sa captivité de 14 à 18 fut loin d'être passive: il entreprit des études linguistiques approfondies de l'Allemand. Au cours des années 3O, il combattit fermement les théories que le Haut Commandement voulait imposer à l'arme blindée. Homme d'action, homme de
combat, il est évident que sa nature, ô combien dynamique, fut une composante dans son choix de résister à l'ennemi et au gouvernement de Vichy, dès Juin 1940. Mais accepter la Cause gaulliste n'était pas une simple adhésion philisophique. Le refus ne serait alors qu'une option négative à un principe. Il faut y ajouter l'action, la mise en oeuvre. Déjà, de 1940 à 1942, il participa à la Résistance en préparant ses anciens subordonnés à la reprise du combat, et surtout, en Août 1942, malgrè ses 63 ans passés, "il descendit dans l'arène" en s'engageant totalement.
Au reste, chez DELESTRAINT, le corollaire de l'Action consciemment entreprise est bien l'Engagement,
en toute connaissance de cause et pour une Cause, pour "la Cause", les dangers lucidemment acceptés.
4° Le Chrétien
(pour Dieu...)
Le R.P.RIQUET, dont le nom n'a pas encore été évoqué, a souvent parlé de Charles DELESTRAINT.
Codétenu à Fresnes, il l'a retrouvé à Dachau. C'est lui qui a prononcé l'homélie à Saint-Louis des Invalides le 9 Novembre 1989, lors des cérémonies d'entrée du nom du Général DELESTRAINT au Panthéon.(32) Il nous apportera son témoignage au fur et à mesure de ses rencontres. Mais il se souvient des conversations qu'il eut avec lui, à l'insu des SS ou des Kapos, d'un block à l'autre, il se souvient de la profondeur de la vie spirituelle de Charles DELESTRAINT.
"Je bénéficiais de sa sérénité et de sa confiance face à l'avenir"(32). Bien entendu il ne s'agissait pas de son propre avenir, mais de celui de la France, de l'issue de la guerre.
Rappelons le dernière phrase de l'homélie du R.P. RIQUET:
"Comment, je vous le demande, ne pas envier d'entrer, comme lui, DROIT, dans la Gloire éternelle".
32
Homélie du R.P.Riquet du 9 Novembre 1989 à St-Louis des Invalides. Texte intégral en Annexe 2/6.
Tous ceux qui ont connu tant soit peu Charles DELESTRAINT en dehors de contacts purement officiels,
professionnels, ou clandestins, et à plus forte raison ceux qui ont vécu dans son intimité, ont compris qu'il
s'agissait d'un chrétien mettant toujours en accord ses convictions et sa vie.
Certes, par la pratique religieuse, mais surtout il le fut par son comportement, par la remise en question de sa vie.
a- La pratique religieuse.
Bien sûr, sa famille, ses intimes, ses compagons détenus avec lui l'ont vu prier, se recueillir, entendre la
messe.
Sa famille, c'est-à-dire ses filles insistent sur la pratique religieuse, quotidienne, constante, de leur père.
Madame DUPONT revoit son père prendre le chemin de l'église chaque matin en Allemagne lors de
l'occupation, ou à Versailles, ou à Vannes. (33)
Madame TOURTEL que ce soit à Metz, ou à Bourg-en-Bresse; elle ne tait pas d'ailleurs quelques mauvais souvenirs d'enfance qui lui en sont restés..(34)
Madame Suzanne THIAM une voisine de Metz, se souvient fort bien du Général dans les années 1936 à
1939, passant sous ses fenêtres en se rendant à pied, chaque matin, avant 7 heures à Notre-Dame; après la messe le chauffeur militaire venant le chercher pour l'emmener à l'Etat-Major.(35)
Pendant les mois de commandement de l'Armée Secrète à Lyon, aussi régulièrement que le jour se lève, le général Vidal se rendait à la paroisse Saint-Michel, la plus proche de l'avenue Leclerc.
Comment ne pourrais-je pas me le rappeler, puisqu'il m'invitait souvent à l'y accompagner.
A Londres, chaque matin, il se rendait à Brampton Oratory.
La prison de Fresnes..Le R.P. Riquet a révélé qu'il y servait sa messe clandestine. Les codétenus en ont
témoigné.
Ainsi, tout au long de sa carrière de militaire, de sa vie de Résistant, de Déporté et jusqu'au dernier jour, il entend la messe, ou la sert dès qu'il le peut. Ni Fresnes, ni le Struthof, ni Dachau n'ont modifié ce rendez-vous du matin, qui pour être habituel n'avait rien d'une habitude vide de sens, d'une simple pratique religieuse.
32
Texte intégral de l'Homélie du R.P.Riquet: Voir Annexe 2/5.
33
Entretien avec Madame Dupont-Delestraint, 8 Février 1990.
34
Entretiens avec Madame Tourtel-Delestraint, Août 1989 et Mars 1991. Madame Tourtel rapporte que son père l'a parfois contrainte à l'accompagner à l'église. Plus tard, il fit part -à Fresnes ou à Dachau- de l'incident au R.P. Riquet.
35
Conversation avec Madame Thiam de Metz.(Nantua Septembre 1990)
Mais son christianisme s'est-il borné à cette pratique qui, dépouillée d'un approfondissement
intérieur et d'une réalité extérieure, d'une concordance entre vie et foi, n'aurait été qu'une vaine démonstration ?
b- Le Tiers Ordre de Saint-François.
Un engagement discret sinon secret de Charles DELESTRAINT est bien son appartenance au
Tiers-Ordre. Sa famille le savait, mais nombre de ses amis l'ignoraient. Approfondir sa foi s'imposait à lui tout le long de sa vie.
C'est en sortant de Saint-Cyr en 1900 que jeune sous-lieutenant il décida d'entrer au Tiers-Ordre de Saint-
François. Il s'agit d'une "Fraternité laïque" ayant donné place aujourd'hui à "La Fraternité Séculière de Saint-François". Le Curé d'ARS, le père CHEVRIER, Joseph FOLIET s'y affilièrent, bien que cette compagnie religieuse soit réservée aux laïcs. Elle "plonge ses racines jusqu'au XIII° siècle". La réforme officialisée en 1893, selon les recommandations de Léon XIII, rénove le Tiers-Ordre.: La Fraternité se penche dorénavant sur les problèmes sociaux. Chaque Fraternité doit avoir sa vie propre, tout en continuant à être pénétrée de l'esprit de St François, d'avoir la mentalité franciscaine: dévouement aux autres, pénitence. Des "Congrès" se tiennent, des Fraternités deviennent locales, régionales, professionnelles. Le souci de la justice sociale est essentielle dans chaque fraternité.(36)
En adhérant à différentes fraternités selon ses affectations, Charles DELESTRAINT suivit le Tiers-Ordre
de Saint-François tout au long de sa carrière.
Mais en dehors des manifestations cultuelles et des retraites qu'il s'imposait, le Christianisme de Charles
DELESTRAINT se concrétisait chaque jour par son mode de vie, ses actions, ses rapports avec les autres, s'étendant à ses propres notions sociales et leur évolution, sans qu'il soit question ici de ses débats de conscience dont il ne faisait que rarement état.
c- La foi vécue.
Revenons à cette lettre qu'André Lassagne écrivit à une amie après la guerre. Faisant allusion au
mois passé avec DELESTRAINT à la prison de Fresnes, il affirme avoir vu depuis les choses de la vie sous un aspect singulièrement différent.
J'ai revu André LASSAGNE à son retour de déportation. Il a évoqué au cours d'une de nos conversations cette période de Février-Mars 44, et m'a dit combien il avait été impressionné par la profondeur spirituelle qui émanait de notre chef.
36
Allaire, Geneviève et Rossi, Jean-Pierre. Des Laïcs dans l'Eglise. Paris Fayard-Le Sarment. 1987. 242 pages. p.156-157.
Mais, avant son arrestation, tout le long de sa vie, Charles DELESTRAINT témoigne de sa foi. Au
cours de sa carrière militaire, il a pu faire cohabiter la compréhension des autres avec l'autorité que lui conférait ses fonctions dans l'Armée. Un de ses anciens chauffeurs à Metz, Monsieur PONCET, comme tant de ses subordonnés, officiers, sous-officiers, simples soldats, a rapporté avec émotion la bonté, l'indulgence, l'affabilité qu'il manifestait envers tous, quelque soit le grade.(37)
Cependant, le chrétien qu'il était se trouve bien souvent en conflit avec lui-même. Une
incompatibilité entre sa foi chrétienne et la rigueur avec laquelle il devait exercer son commandement pouvait parfois apparaître.
André LASSAGNE et moi-même en avons eu la demonstration un jour d'Avril ou de Mai 1943. Nous
avions rendez-vous avec le Général dans ce café, "Le Touring", où nous nous rencontrions parfois.
André LASSAGNE fit part à Vidal d'un message qu'il venait de recevoir de Galibier depuis la Zone Nord.
Il existait dans un département, l'Yonne peut-être, un camp clandestin de formation de cadres; un traître français s'y était infiltré. Il avait été démasqué. Le chef du camp s'en remettait au chef de l'A.S. quant à la sanction à prendre: le poteau ?
Nos regards convergèrent sur le Général. Nous le vîmes fermer les yeux, non pas hésiter ouvertement,
mais se recueillir. Pouvait-il hésiter d'ailleurs.. Quelle alternative existait-il ? Un internement aléatoire ? Où donc ? dans quelque cabane ? L'évasion aurait été plus que probable. ..Le général relève la tête, s'explique: Il ne faut pas risquer la vie des résistants du camp. On ne peut pas attendre la Libération pour le juger, car l'évasion aurait équivalu à la dénonciation indubitable. Et puis, il s'agissait d' une trahison, en temps de guerre..Sans haine, mais déterminé malgrè son bouleversement intérieur manifeste, le général prend la décision. Oui, le poteau ! Mais quel combat intérieur !
Il peut paraître difficile, cinquante années plus tard, en temps de paix, de comprendre une telle décision
chez un chrétien ; cependant, son devoir de chef imposait à la fois la sanction et la sauvegarde des résistants. Il a arrêté la décision en toute conscience; Sans oublier sa foi il a agi en chef responsable.. Le chrétien implique l'homme, mais l'homme conscient, responsable devant Dieu de tous ses actes. A Lui d'en juger..
37
Lettre personnelle adréssée par Mr Gaston Poncet, le 15.08.90.
Charles DELESTRAINT n'a jamais négligé la réalité des questions sociales. Ses origines modestes, les difficultés qu'ont connues ses parents ont certainement contribué à cette ouverture précoce. Son christianisme l'y a grandement aidé. Il aura des échanges avec Jean MOULIN qui lui apportera sans doute une vue plus concrète des objectifs sociaux. La Libération du territoire pourra les faire coïncider avec l'expulsion des Allemands et le renversement du gouvernement de Vichy.
d- L'apogée en camp de concentration.
Sa foi, au cours de la vie quotidienne dans les camps, s'est épanouie. Trop actif pour être purement
mystique, trop conscient du don de soi aux autres pour être dévôt, mais trop chrétien pour ne pas vivre sa foi,
Son comportement au Struthof, à Dachau a été rayonnant. Il avait toujours le souci des autres.
Tout de suite considéré comme le chef, le conseiller, le phare de l'espoir, par ces hommes totalement démunis, douloureux, confrontés à la désespérance, il s'en est senti responsable devant Dieu. Il les aimait et ne voulait pas les abandonner, tant pour leur psychisme que pour leur état physique. Il s'est oublié au profit des autres.
Celui-ci rapporte qu'un mot du Général lui redonnait espoir, une tape sur l'épaule accompagnée d'un "Courage, on les aura!!";
celui-là dit: "Que de fois le voyions-nous tirer furtivement de dessous son vêtement de bagnard un légume nécessaire à celui d'entre nous que menaçait le scorbut, ou un morceau de pain qui prolongeait le plus débile.." (38)
Combien de prêtres eux-mêmes édifiés, ont rapporté des épisodes de cette vie..(39)
Ainsi Homme de Foi, Charles DELESTRAINT l'était fondamentalement, une foi profonde imprégnant sa vie. Il vécut sa foi. Le milieu familial de l'enfance est, comme très souvent, favorable à une telle
empreinte définitive. Il est évident, nous le verrons, que la solide personnalité de sa mère a fortement marqué sa jeunesse, particulièrement dans la découverte et la formation religieuses. Mais il a trouvé dans le christianisme le ressourcement spirituel contrebalançant son dynamisme originel, qui, sans vie intérieure, n'aurait été qu'une vaine
agitation.
Chez Charles DELESTRAINT existait une soif contemplative évidente et un besoin de prière que tous ceux qui ont tant soit peu partagé sa vie ont pu constater. L'adhésion au Tiers-Ordre de Saint-François n'en est qu'une manifestation, mais a développé chez lui le sens social. Sans atteindre jamais un mysticisme extatique, il jalonnait sa journée de périodes de méditation spirituelle, de réflexion et de prière.
Il ne quittait pas pour autant le domaine réel de la foi vécue.
39
Lettre personnelle du R.P.Riquet. Annexe 2/7.
et Michelet, Edmond. La rue de la Liberté. Op. Cit. p. 149.
B- LES ORIGINES. LA FAMILLE.
(Dieu, à qui je confie ma famille..)
Les Origines, la Famille, deux valeurs dont le caractère commun relève sans doute de l'hérédité,
mais qui différent, a- t'on besoin de le préciser, par les époques et par les puissants liens de l''affectivité humaine.
Encore que les Origines lointaines géographiques, sociales, peuvent expliquer tant de comportements.
A l'inverse, conjoint et descendants constituent la vie, l'avenir, pour lesquels le sentiment affectif
est le plus profond, et en conséquence l'instinct de défense le plus vivace.
Instinct de défense qui est loin d'être absent dans les marches picardes et artésiennes, couloir des
invasions séculaires.
Cependant les origines et la famille représentent un tout, possèdent un dénominateur commun, la notion de Patrie. Même si, dans le cas des DELESTRAINT, l'origine lointaine se retrouve dans le Tournaisis belge, la notion de patrie est trop ancrée -en particulier chez la mère du jeune Charles- pour en négliger les implications les plus profondes.
Ainsi, sans vouloir anticiper, nous arrivons à cette notion de Patrie, étroitement liée à celle de la
Famille, perçue avec une particulière acuité chez ces populations du Nord, comme celles de l'Est.
Idées ancestrales, parfois inconscientes, issues du naturel et éternel réflexe humain de conservation, de
défense, de solidarité, face à l'agresseur éventuel quelqu'il soit, réflexe mélé à celui de la pérennité de la Famille, enfin élargi à celui de la Patrie." La dévastation d'une ville et la ruine d'un hameau ont beau n'appartenir qu'à l'horizon limité, c'est l'horizon des hommes" remarque justement Jean FAVIER (40). C'est aussi l'horizon de leur famille, et par leur solidarité, de leur patrie.
Charles DELESTRAINT, sur l'éducation duquel il convient d'insister pour le comprendre, intégrait
ces notions à celles de son devoir d'Homme conscient, de Français, de Soldat, de Chrétien.
1°- Les Origines.
Ses origines étaient modestes. La famille Delestraint n'était pas noble. Beaucoup l'ont cru et le
croient encore en persistant à mettre la particule "de L'Estraint".
En fait, ce patronyme provient précisément de "Estrain" qui, en vieux français signifiait "paille". On peut
en déduire qu'un lointain ancêtre exerça la profession de "Couvreur d'estrain" qui consistait à recouvrir de chaume le toit des maisons-(41)
D'autres(42)) pensent que "l'estraim ou l'estrain" désignait entre les XII° et XVI° siècles la paille
servant de litière, sinon la litière elle-même, pour s'étendre, sans doute, à la profession.
La famille Delestraint est originaire du Nord, plus précisément de Tournai, en Belgique.
40
Favier, Jean. La Guerre de cent ans. Paris Fayard. 1980. 643 pages. Introduction: p. 7 (à 12.)
41
Leleux, Marc, généalogiste, descendant d'une branche latérale de la famille a bien voulu nous confier son remarquable travail généalogique que l'on trouvera en ANNEXE 2/8. Il a publié ses travaux: Un fils du Nord au Panthéon. in Nord-Généalogie. N°100. p. 414 à 419.
42
Grandsaignes d'Hauterive R, Dictionnaire d'ancien français. Paris. Larousse. 1947. 592 pages. p.270.
Ainsi, le généalogiste, Marc LELEUX retrouve qu'en 1699, dans cette ville du Hainaut, Jean-
Louis DELESTRAIN, épousa Marie Hélène DUBOIS. Il ajoute que ce mariage de la fin du XVII° siècle d'un DELESTRAIN réduit à néant la légende selon laquelle le nom aurait été attribué à un ancêtre pour avoir donné de la paille au cheval de Louis XV, lors de l'étape du roi dans cette ville le 7 Mai 1745. (43)
Nous apprenons aussi que le grand-père de Charles, Antoine-Charles DELESTRAINT, musicien
de talent,, devint professeur de musique à Lille, officier d'académie, directeur des fanfares de Loos et de
Wasquehal, il épousa Rosine SIX, aussi musicienne que lui.
Leur fils, Georges-Antoine-Charles, père du Général naquit le 28 Avril 1851 à Wazemmes (banlieue
rattachée à Lille en 1858). Comptable à Lille, engagé volontaire en 1870-1871, il épousa Marie-Antoinette
LEGAY (née en 1846), veuve de Louis-Edouard PERO,* officier; elle avait trois enfants de ce premier lit.
Du second mariage, elle n'eut que Charles en 1879.
Nous savons que Georges DELESTRAINT, comptable, dut s'installer quelques années à Biache-Saint-
Vaast. Il y trouva un emploi à la fonderie, spécialisée dans la fabrication de la monnaie de cuivre.(44)
Toujours est-il que c'est dans cette petite ville que le jeune Charles vint au monde.
La famille retourna à Lille plus tard et s'installa 54 rue Colbert. C'est dans cette maison que mourut Marie-
Antoinette, le 16 Novembre 1929.(45)
Le père du Général, Georges, y décéda aussi, après guerre, le 2 Janvier 1947. Il avait près de 96 ans. (46-a)
La famille ne l'avait pas informé de la fin tragique de son fils, Charles, à Dachau, le 19 Avril 1945, afin de lui éviter une trop grande émotion.(46-b)
* D'après la famille: PERO. D'après le S.H.A.T.: PERROT.
43
Les sources généalogiques proviennent essentiellement de Mr Leleux,Marc. Un fils du Nord au Panthéon. in Nord-Généalogie. N°100. p. 414 à 419. De lui nous tenons la référence N°44.
44
Dictionnaire historique et archéologique du Pas-de-Calais.1874
45
Les précisions sur la généalogie de la famille Delestraint sont reportés en Annexe 2/9.
46-a
Un article de "La Voix du Nord" du Dimanche 5 Janvier 1947 relate le décès de Monsieur Georges
Delestraint"qui devait être le doyen de la population lilloise et un des très rares survivants de la guerre 1870-1871".
Ce journal rappelle la carrière et la fin de son fils à Dachau, sans éviter toutefois l'erreur classique consistant à attribuer la mort du Général aux privations, aux sévices qu'il eut à subir, ou à la maladie. Annexe 2/10.
46-b
Interwiew de Madame Bibiane Tourtel-Delestraint.
2° La Naissance. L'Enfance.
a- La Naissance.
Georges DELESTRAINT était donc comptable à Lille, mais devant les charges familiales qui lui
incombaient depuis son mariage avec Marie-Antoinette veuve et mère de trois enfants, il dut chercher un autre emploi, plus remunérateur quoique provisoire. Par son épouse, originaire d'Arras, il eut connaissance d'un emploi disponible dans la fonderie de Biache-Saint-Vaast, petite ville industrielle à dix kilomètres à l'Est d'Arras, au bord de la Scarpe. Cette fonderie, aujourd'hui disparue, était spécialisée dans la confection des pièces de monnaie de cuivre. Il accepta ce travail; la famille s'installa donc dans un logement situé dans une rue dénommée actuellement
rue Paul Doumer à Biache. Cette maison fut entièrement détruite en 1917, par fait de guerre.(47)
C'est dans cette demeure que Marie-Antoinette, agée de 32 ans, mit au monde, le 12 Mars 1879,
à cinq heures du matin, un garçon, que son père, Georges DELESTRAINT, agé alors de 27 ans, présenta le même jour à six heures du soir à l'officier de l'état civil de Biache-Saint-Vaast. Il déclara qu'à cet enfant son épouse et lui avaient donné les prénoms de CHARLES GEORGES ANTOINE.
Ont signé l'acte: Georges Delestraint, Henri Blanchet, Maire de Biache-Saint Vaast, deux témoins:
François Carpentier instituteur, François Couture journalier.(48)
b- Les Parents. L'Education.
Penchons nous, à nouveau, sur le couple de Georges et Marie-Antoinette, non plus dans une fin
généalogique, mais pour avoir un éclairage sur l'enfance, la jeunesse de Charles Delestraint.
Georges Delestraint, sans ressources, a mené une vie rigoureuse, laborieuse. Avec une abnégation
réelle, il a su, nous l'avons vu, prendre en charge une famille déjà constituée, en épousant une veuve, mère de trois enfants. Le voilà, maintenant encore jeune, devoir nourrir une femme et quatre enfants. Le travail à la Fonderie de Biache n'est pas de tout repos. Il l'assumera jusqu'à ce qu'il trouve un poste de comptable à Lille.
47
En ce qui concerne Biache-Saint-Vaast, les informations proviennent aussi bien de Mr le Maire, que de Monsieur Leleux, qui a bien voulu apporter son aide précieuse.
48
Acte de naissance de Charles Delestraint: A.N. 72 AJ/173. Sa photocopie est reportée en Annexe 2/11
Enfant, Georges DELESTRAINT, par la tradition orale, comme tous ceux du Nord au cours du XIX° siècle, a reçu l'empreinte des guerres dont sa province a été le théâtre; il n'a pas accepté l'envahissement prussien de 1870, bien que le Nord n'ait pas été occupé, et a contracté un engagement volontaire à 19 ans.
Cette détermination a été admirée par son fils; le jeune Charles a pu s'identifier à ce père qui avait pris parti, s'engager, "ne pas être veule"(49). Ce père, n'avait-il pas, d'autre part, manifesté une réelle générosité en prenant en charge la famille de Marie-Antoinette, en l'épousant..(50)
Celle-ci, Marie-Antoinette LEGAY, avait passé sa jeunesse à Arras; nous avons vu que, mariée
très jeune à un officier, Louis-Edmond Pero, elle eut de lui trois enfants. Il fut tué au cours de la guerre de 1870.
Marie-Antoinette douée d'une forte personnalité, était très attachée à certaines valeurs morales. Ses convictions touchaient trois domaines principaux. Trois piliers sur lesquels reposaient les principes de l'éducation apportée à ses enfants:
- La Foi chrétienne.
- Le respect de la Patrie.
- La Famille.
Ces bases inculquées étaient assorties de la notion de devoir pouvant aller jusqu'à l'abnégation
totale, la prise des responsabilités, l'engagement dans ces domaines qu'elle concevait primordiaux.
1- La foi chrétienne.
Issue elle-même d'une famille très croyante, Marie Antoinette était certes fort pieuse, mais de plus elle
savait "vivre sa foi". La famille du Général en a gardé le souvenir. Aucune hypocrisie dans la pratique religieuse.
Aucune trace de superstition dans le voeu qu'elle formula lors de la captivité de son fils Charles en 1914,
d'effectuer le long pèlerinage de Lourdes avec toute la famille dès sa libération, mais une foi authentique,
profonde..(51) Le jeune Charles, à la personnalité certes aussi incontestable que solide, reçut inévitablement le lait de cette foi, de cette éducation religieuse dont il garda l'empreinte, indélibile mais faite sienne, toute sa vie.
49
Terme volontiers employé par le Général pour désigner ceux qui craignaient de s'engager.
50
Interwiew de Madame Odette Dupont-Delestraint du 8.02.1990.
51
Marie-Antoinette put réaliser ce voeu en 1919. Sa petite fille, Odette,, alors agée de 8 ans, se souvient toujours de ce long voyage vers les Pyrénées. (Interwiew de Madame Odette Dupont-Delestraint le 8 Février 1990).
2- La Patrie
Autre notion que Marie-Antoinette apporta à ses enfants, au jeune Charles, la Patrie représente pour elle
une valeur à la fois essentielle et naturelle, particulièrement à une telle époque et dans une telle province.
Marie-Antoinette avait souffert, elle aussi, de la guerre de 1870; l'invasion allemande d'une partie de la
France, si elle n'avait pas concerné le Nord et le Pas de Calais, avait coupé ces deux départements de la mère patrie jusqu'au 15 Juillet 1871, soit jusqu'à l'évacuation par les Prussiens de la Seine Maritime et de la Somme. Comme beaucoup de ses contemporains, elle en avait ressenti un amer souvenir, une profonde humiliation. Veuve de son premier mari, officier d'active, elle était fière du second, ancien engagé volontaire contre le Prussien.
Le corollaire logique de cette notion apportée au jeune Charles par sa mère, fut tout naturellement
l'Armée. "La ligne bleue des Vosges" symbolisait, pour nombre de Français, la spoliation de l'Alsace-Lorraine par l'Allemand, redevenu l'ennemi. De ce fait, l'Armée ne représentait-elle pas l'élément salvateur, réparateur, rédempteur, dans l'espoir conscient ou non, mais vivifiant, de la revanche, malgrè tous les dangers que cette situation comportait face à la puissante Allemagne de Guillaume et de Bismarck.
Cette pulsion patriotique dans la France renaissante des années 1880, était exacerbée dans de nombreuses familles de tous milieux sociaux, de toutes les provinces de France, plus particulièrement de celles des marches de l'Est et du Nord.
La conjonction de ces données, la patrie blessée, l'idéalisation de l'armée,(52) apparaissait sous l'aspect de l'élément pur, la concrétion salvatrice de la nation, et révélait la carrière militaire comme la voie où pouvait s'engager le jeune chrétien en restant fidèle à sa mission; elle contribua à affermir la vocation militaire du jeune Charles.
Il avait pour sa mère une admiration qui confinait à un véritable culte; celle-ci, femme de
caractère, avait ce que l'on appelait alors, "la fibre patriotique sensible", sentiment sans doute généralisé à cette époque dans ces provinces, mais particulièrement développé chez Marie-Antoinette.(53)
En un mot, la fille ainée du Général est convaincue que Marie-Antoinette DELESTRAINT a
largement contribué à inculquer à son fils la vocation militaire.
52
On a retrouvé après la défaite de 1940 le même réflexe des Français cherchant auprès des restes de son armée, même vaincue, la planche de salut.
53
Interwiew de Madame Odette Dupont-Delestraint, Ibid.
3- La Famille.
La troisième idée forte était la Famille. Marie-Antoinette y était d'autant plus attachée que son
veuvage avait correspondu chez elle à une période difficile, après la guerre de 1870. Elle restait alors, seule avec ses trois enfants.
La cellule familiale représentait, pour Marie-Antoinette, un bastion de défense devant les difficultés sociales qu'elle connut, mais le souvenir de la guerre franco-allemande de 70 restait en elle fort vivace(54) Au cours de sa vie ne devait-elle pas connaître deux conflits avec l'allemand.. Georges en connaîtra trois.
Le jeune Charles, appelé dans l'intimité "Carl", ce qui était habituel en Picardie et en Flandre (55) grandira au sein de cette famille unie.
Charles Delestraint ressentira ce besoin, certes bien humain, de retrouver force et équilibre dans le milieu familial, de s'y ressourcer, mais jamais au risque d'y voir affaiblir les engagements de sa vie d'homme.
3° Les Etudes.
Tout d'abord, il apparait bien que le rôle des parents du jeune Charles et particulièrement celui de
Marie-Antoinette ait été déterminant sur ses études, comme sur son orientation. Marie-Antoinette et Georges sont conscients des possibilités de leur fils. Ils y veilleront.
Certes, au cours de ses études, tant primaires que secondaires, le jeune Charles Delestraint
apporta la rigueur, la constance et l'intelligence qui lui étaient propres. Mais sa mère attentive, sévère, a su donner à sa famille une ambiance de labeur.(54)
a- Les études primaires.
Nous avons très peu d'informations sur la première période scolaire de Charles.
Cependant, nous savons qu'il entama au moins cette scolarité à l'école libre de Biache-Saint Vaast,
tant que ses parents y restèrent. En quelle année la famille quitta-t'elle cette ville pour s'installer à Lille ? Il semble que ce fut à la fin des années 80. Termina-t'il ce premier cycle à proximité de la rue Colbert de Lille dans quelqu'école primaire ? Nous l'ignorons. Le jeune Charles y fit preuve, sans doute, de ses qualités studieuses.
54
Les interwiews des deux filles du Général constituent les sources essentielles concernant son enfance.
55
Dauzat, Albert. Dictionnaire des Noms et Prénoms de France. Paris Larousse 1951. 604 pages. p.88.
b- Les Etudes secondaires.
A partir de la sixième, en Octobre 1889, il entra chez les Pères Maristes, à Haubourdin-lès-
Lille, où il suivit toutes ses études secondaires. Ses parents avaient choisi cette institution de la banlieue sud-ouest de la métropole du Nord étant donné la relative proximité de leur domicile de la rue Colbert, qu'ils avaient réintégré depuis que Georges avait trouvé un emploi de comptable à Lille. De plus la solide réputation d' Educateurs qu'avaient acquise les Maristes du Collège d'Haubourdin, contribua fortement à ce choix. Collège où les années d'étude passèrent rapidement, pour se terminer par le diplôme de bachelier Lettres-Mathématiques obtenu brillament en Juillet 1896.
Alors, en jugeant le terme de ses études secondaires, son directeur certifia qu '"Il a été le modèle des
élèves de son cours", que ce baccalauréat "prouve qu'il possédait parfaitement son programme de l'enseignement moderne et qu'il a de sérieuses aptitudes pour les mathématiques et les sciences. Je suis heureux, poursuit-il, d'ajouter que je ne le crois pas moins doué pour les lettres et que ses professeurs lui ont décerné, chaque année, le
premier prix de littérature." (56)
c- Parlons un peu Musique !
Avant qu'on ne le voie quitter sa famille, il convient d'ajouter que le jeune Charles Delestraint
n'était pas seulement doué pour les Mathématiques, les Sciences, la littérature et l'histoire. Il possédait le don inné de la musique.
D'ailleurs, ses grands parents paternels ne l'étaient ils pas aussi ? Peut-être, aura-t'il profité, très jeune, des leçons de son grand-père Antoine Delestraint. Quoiqu'il en soit sa grand-mère, Rosine, professeur de piano, elle aussi à Lille, lui donna des leçons de cet instrument.
Il semble bien que le jeune Charles mit moins..d'assiduité dans les études musicales qu'il n'en fournit dans son travail scolaire. Une grand'mère, au reste, est-elle un bon professeur pour son petit-fils..? Et puis, n'avait-il pas d'autres destins ?
Charles Delestraint n'avait pas une base musicale très solide. Jamais il n'a su bien déchiffrer.
Mais, il avait un don réel. Il possédait une mémoire musicale étonnante; il savait retrouver un mouvement qu'il venait d'entendre à la "T.S.F." et le jouer au piano.(57) Tout au long de sa vie, il a vivement apprécié la musique classique. Il assistait volontiers aux concerts quand il le pouvait.
56
Document provenant des archives familiales de Madame Tourtel-Delestraint.
57
Interwiew de Madame Dupont-Delestraint. Ibidem.
Enfin, il savait et aimait chanter. Tous ceux qui ont vécu avec lui- et j'en suis- peuvent en
témoigner. Les airs d'opéras (Carmen), d'opérettes (Offenbach), de certaines chansons anciennes ou à la mode...figuraient à son répertoire.
Terminons ce propos, en citant son compagnon de Dachau, Robert Sheppard, lorsqu'il relate un souvenir de détention dans ce camp de concentration:
"Le Général aimait la musique vive, il adorait l'opérette. La vie commune, aussi intime, permet, en effet,
de se bien connaître. J'aimais, moi aussi l'opérette; et combien de fois -je le revois encore- n avons-nous pas chanté ensemble, pour.faire de "l'exercice" dans la cour du "bloc", un de ses airs favoris, tiré de " La Belle Hélène" d'Offenbach :
"Ce roi bar-bu qui s'avance,
-bu qui s'avance,
-bu qui s'avance..." (58)
58
Sheppard,Robert. Le dernier épisode. plaquette éditée par l'Association "A la Mémoire du Général Delestraint". 1989.
C- LE JEUNE MILITAIRE
1°- Préparation à Saint-Cyr.
Georges et Marie-Antoinette, fiers de la réussite de leur fils Charles, ont décidé d'accéder à son
voeu de faire une carrière militaire. Malgrè leurs moyens modestes, il fallait lui donner toutes ses chances en vue de son accession à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.
Il a été admis en Classe préparatoire de Saint-Cyr, "la Corniche", de l'Ecole Sainte-Geneviève, 18 rue
Lhomond, celle que l'on continue à désigner par l'ancien nom de la rue. Il entre donc "rue des Postes" en Octobre 1896.
Travailleur, sérieux, intelligent, remarqué par ses professeurs, il lui fut conseillé de présenter Polytechnique en même temps que St-Cyr. Il réussit le concours d'entrée à l'ECOLE SPECIALE MILITAIRE dès la première année, c'est à dire celui présenté en Juillet 1897.
Ce succès fut annoncé officiellement à ses parents par le directeur de l'Ecole Sainte-Geneviève en Août
1897.(59) On conçoit leur joie et leur fierté. Voilà que s'était réalisée la consécration de leurs efforts, de leur profond désir, la réalisation de ce que souhaitait leur fils, dont la vocation militaire s'était confirmée depuis son entrée à Sainte-Geneviève.
59
Lettre de l'Ecole Ste-Geneviève: Voir Annexe 2/12.
2°- L'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.
Avant d'intégrer l'Ecole Spéciale Militaire, chaque impétrant était tenu de contracter un
engagement volontaire de trois ans, ce que fit le jeune DELESTRAINT le 21 Octobre 1897 à Versailles.
C'est une semaine plus tard, le 28 Octobre qu'officiellement il entra à l'Ecole, avec le rang d'admission,
n°368, sur 550 élèves. Son numéro matricule: 3 314 (60)
A l'une de ses premières permissions de sortie, sinon la première, son père, Georges
DELESTRAINT, vint de Lille. Il lui apporta un superbe cadeau, pour l'époque, en l'honneur de cette réussite: un appareil photographique. Ils se promenèrent dans Paris, tous les deux. Le Saint-Cyrien voulut sans doute retourner "rue des Postes", montrer à ses anciens professeurs son uniforme, son "casoar". Très certainement, car les DELESTRAINT, père et fils se rendirent sur la montagne Ste-Geneviève. Et rue Soufflot, Charles prit sa toute première photo..le Panthéon, ce Panthéon où son nom sera inscrit en lettres de bronze, quatre vingt douze ans plus
tard..(61)
A cette époque, le Saint-Cyrien avait à effectuer deux années de scolarité, à l'issue desquelles il
sortait sous-lieutenant. Mais au cours de la présence à l'Ecole, il prenait des grades de sous-officier selon son ancienneté, ou son mérite.
a- 1897-1898: L'année perdue.
Les élèves qui intégrèrent l'Ecole en ce mois d'Octobre 1897 devinrent "La Promotion Bourbaki". 1897-
1898: La première année de l'Ecole s'annonçait bien. Charles, à la 5° compagnie, se révélait à Saint-Cyr être un aussi bon élève qu'à Sainte-Geneviève. Une photographie de lui,jeune St-Cyrien, a été conservée. (62)
Mais le Jeudi 17 Février 1898, au Gymnase couvert de l'Ecole, lors d'une séance de gymnastique, en fin
de journée," à 7 heures et demie su soir", précise le rapport, lors d'un saut "en largeur et en profondeur"[!], il ressentit une violente douleur à la jambe gauche. Plus précisément au genou gauche. La marche était impossible. Il dut être admis à l'infirmerie.
60
Service Historique de l'Armée de Terre. (S.H.A.T.) 616/GX.
61
Photographie retrouvée par Mme Dupont-Delestraint et confiée par Mme et Mr Tourtel-Delestraint. Voir Annexe 2/13.
62
Photographie du St-Cyrien Charles Delestraint : Annexe 2/14.
Le Médecin militaire HACQUARD constata que l'état de ce genou gauche ne lui permettait pas de
reprendre sa place à la cinquième compagnie et porta le diagnostic suivant sur le certificat d'origine en date du 13 Mars 1898:
" L'élève Delestraint, le dix sept Février 1898, a été atteint de déchirure de l'aileron rotulien interne du genou gauche.."(63-a)
La douleur persistait. Charles DELESTRAINT, la mort dans l'âme, dut renoncer à poursuivre son année. Il demanda un congé préférant perdre une année que de renoncer à sa carrière.
Actuellement, on peut porter un diagnostic différent, mal connu à cette époque. Selon toutes probablités,
il s'agissait d'"une déchirure du ménisque interne du genou gauche". Faute d'intervention chirurgicale, le repos prolongé, la rééducation, appélée alors la mécanothérapie, pouvaient redonner à cette articulation sa fonction normale, mais ce fut long, très long. L'année était perdue..
b- 1898-1899: La véritable première année.
Après des mois de traitement, d'hospitalisation et de repos dans sa famille, de méditation
profonde aussi..l'élève Charles DELESTRAINT retourna à St-Cyr-l'Ecole, en Octobre 1898. S'il était toujours "Elève de deuxième classe", Il n'avait pas perdu son temps, et avait mis à profit ce repos forcé pour travailler, mais aussi pour approfondir sa foi.
Au reste, ses efforts lui permirent de gagner rapidement des places dans le classement et des grades dans la hiérarchie des élèves-officiers:
Nommé élève de Première classe le 28 Mars 1899.
Caporal le 15 Août 1899.(63-b)
Et la veille, le 14 Août, le Colonel commandant en second l'Ecole de Saint-Cyr donna le classement de
cette première année de l'E.S.M., qui venait d'être baptisée : "Général Bourbaki".
Le Bulletin concernant l'élève DELESTRAINT pour l'année 1898-1899, comporte les annotations
suivantes:
Conduite: Très bonne.
Santé : Bonne.
Classement: 6° sur 555 élèves. (64)
63-a
Certificat d'origine de blessure reçue en service commandé, conservé par Madame Tourtel-Delestraint. Voir Annexe 2/15.
63-b
Service Historique de l'Armée de Terre. Dossier N° 616/4.GX.
64
Document confié par Mme et Mr Tourtel-Delestraint.
c- 1899-1900 : La seconde année.
Depuis le 14 Juillet 1880, il a été décidé par décret que les élèves de seconde année de l'Ecole Spéciale Militaire de St-Cyr forment désormais "le Premier Bataillon de France".
L'élève-officier Charles DELESTRAINT aborda cette seconde année avec une ardeur renouvelée. Il fut
nommé en cette fin de siècle:
Sergent: le 1° Décembre 1899.
Sergent-major: le 15 Décembre 1899.
Une photographie de cette époque nous montre d'ailleurs le Sergent-Major DELESTRAINT.(65)
Son genou gauche le laissait relativement en paix, bien qu'il en souffrit toute sa vie. Les efforts physiques
demandés aux élèves étaient très intenses, et les blessures, les entorses, les synovites des articulations, fréquentes.
Il se fit d'ailleurs une entorse de la cheville gauche, le lundi 29 Janvier 1900, à huit heures du matin, lors
du rassemblement pour l'exercice. Entorse péronière gauche, précise le médecin principal de deuxième classe Landriau, le lendemain.
Heureusement il en guérit rapidement, sans grandes séquelles.
L'année 1899-1900 se termina bien. Le fameux "Triomphe" de la Protion Bourbaki se déroula en Juillet ou début Août. C'est le 13 Août 1900 que le Bulletin de 2° année concernant l'élève DELESTRAINT fut signé par le Lt-Colonel-Commandant en second l'Ecole, avec les mentions suivantes:
Conduite : Très bonne.
Santé : Bonne.
Classement: 12° sur 552 élèves.
Le Général, commandant l'Ecole porta sur lui une appréciation fort élogieuse, le 13 Septembre:
"Tournure élégante, se présente très bien, nature très ouverte, très équilibré, beaucoup de coeur, d'entrain et de décision. Très bien doué et travailleur, sera un brillant officier qui a tout pour réussir".
Le décret du 25 Septembre 1900 nomma Charles DELESTRAINT Sous-lieutenant et une décision ministérielle du même jour l'affecta au 16° Bataillon de Chasseurs à Pied. Il reçut ce premier galon d'officier le 1°Octobre. Il quitta alors l'Ecole Spéciale militaire de St-Cyr. (66)
65
Photographie du Sergent-Major Delestraint (fin 1899-début 1900) Collection de Mme Tourtel-Delestraint. Voir Annexe 2/16.
66
Les sources des informations obtenues concernant le St-Cyrien Charles Delestraint proviennent aussi bien des Archives militaires du S.H.A.T. de Vincennes, que des Archives des familles Tourtel-Delestraint et Dupont-
Delestraint, la plupart du temps concordantes.
3° Au 16° B.C.P. de Lille.
a- La première garnison.
Le Sous-lieutenant DELESTRAINT rejoignit le 1° Novembre 1900 au 16° Bataillon de Chasseurs
à pied "à la suite", c'est-à-dire qu'aucun poste fixe ne lui fut encore réservé dans ce Bataillon. Il avait demandé cette
affectation et l'avait obtenue étant donné son très bon classement de sortie de l'Ecole. En effet, cette Unité était
stationnée à Lille. Il y habitera, son adresse personnelle étant 29 rue André.
Nous avons très peu de renseignements sur cette première garnison. L' affectation au 16° B.C.P. dura 13
années, au cours desquelles il ne resta pas toujours dans son Corps à Lille, puisqu'il effectua de nombreux stages.
Il apparait que ce soit au cours de ces premières années de garnison, Charles Delestraint profite de ses
temps libres pour faire des études de droit.. Il devient licencié.
Rappelons qu'à cette époque, c'est-à-dire au cours du dernier trimestre 1900, Charles Delestraint entra au
Tiers-Ordre de Saint François et devint le Frère Delestraint.
L'année 1901 n'apporta pas de grandes modifications à sa carrière militaire, en dehors d'une "mise en
possession d'un emploi de son grade" dans le Corps dont il faisait partie à partir du 25 Avril de cette année. Ainsi, il
remplaça le sous-lieutenant Theurey, décédé. Autrement dit, il ne fut plus sous-lieutenant "à la suite", mais titulaire
d'un commandement officiel dans ce Bataillon.
Toujours affecté à cette Unité, il fut promu Lieutenant le 1° Octobre 1902, (67) et y exerça son
commandement sans interruption jusqu'à la fin de l'année 1906.
b- Les stages
Le lieutenant DELESTRAINT désirait présenter l'Ecole Supérieure de Guerre. Dans cet objectif, il fut
appelé à effectuer des stages dans différentes armes:
1- Tout d'abord, il fut détaché à l'Etat-Major du 1° Corps d'Armée de Lille pendant près d'un an, de Décembre 1906
à Novembre 1907. Le Général Hürstel commandant la 1° Brigade d'infanterie demanda que le Lt Delestraint fut
détaché à l'E.M. de cette Brigade.(68)
67
Etat des Services de Delestraint Charles-Georges-Antoine. Archives du S.H.A.T. Vincennes. Dossier 616/4 GX.
68
Les demandse des Généraux Hürstel et Chamoin furent refusées par le Gén. de C.A. Durand. Voir Annexe 2/17.
S.H.A.T: Dossier administratif de 616/GX 4°série.
2- Il fut ensuite appelé à suivre les cours de l'Ecole régionale de tir du Ruchard du 12 janvier au 18 février 1908.
Un "Témoignage de satisfaction" lui fut décerné à la suite du premier cours .
3- Presqu'immédiatement après, du 6 mars au 15 Avril 1908, il suivit les cours de travaux de campagne du
3°Régiment de Génie.
4- Enfin, il fut détaché au 6° Régiment de Chasseurs à Cheval, pour y accomplir un long stage du 1° Janvier au 30
Septembre 1910.(69-a)
c- Nouvelle blessure
Au cours de dernier stage au 6° régiment de Chasseurs à Cheval de Lille, le 14 Mai 1910, lors
d'un exercice à cheval sur le terrain de manoeuvre, le lieutenant DELESTRAINT reçut une forte contusion au genou
droit par une ruade. Le Médecin Major DHAUTHEVILLE constata" une érosion des téguments au niveau de la
tubérosité antérieure du tibia se prolongeant vers la tête du péroné, mais surtout un gonflement articulaire et du
tiers supérieur de la jambe droite.
Voilà Charles DELESTRAINT à nouveau blessé, mais à l'autre genou, le droit, alors qu'il est mal
remis de la blessure du genou gauche de Février 1898. Il en souffre encore parfois, mais le traumatisme violent dû
à la ruade a eu des conséquences importantes sur l'articulatuion. Le médecin militaire lui parle d'un traitement
thermal pour ses genoux, principalement pour le droit qui reste gonflé.
L'établissement thermal de Saint-Amand-les-Eaux dans le Nord connait alors une réelle vogue. A
39 kms seulement de Lille, il présente de grands avantages notamment dans le traitement des douleurs articulaires,
des rhumatismes, par ses eaux chaudes, ses boues que l'on ne sait pas encore radio-actives.
C'est par ce traitement crénothérapique qu'il est traité; plusieurs cures sont prévues. La première se situe dès la fin du mois de Mai 1910. Il doit revenir en Juillet.(69-b)
69-a
Archives familiales et du S.H.A.T.: Ibidem.
69-b
Interwiew de Madame Dupont-Delestraint, le 8 Février 1990.
D- MARIAGE
(tous ceux qui me sont le plus chers)
1°- Une rencontre!
Le lieutenant Charles DELESTRAINT entame sa deuxième cure à Saint-Amand-les-Eaux en
Juillet 1910. Le résultat de la première cure est positif, mais insuffisant.
Le lieutenant, comme à son habitude, se rend chaque matin à la messe. Il apprend qu'il existe une chapelle
privée à l'Etablissement thermal. A l'occasion d'un office, un choeur interprete des chants religieux dont la beauté
attire son attention; il remarque particulièrement une toute jeune fille dont la voix lui parait délicieuse. Il s'enquiert
de son identité. Il apprend qu'il s'agit de la fille du Directeur de l'Etablissement thermal, Mademoiselle Raymonde
GILLET. Débute alors l'admiration qu'il ressentira pour celle-ci; elle sera constante.
Le lieutenant se fait présenter aux parents; les jeunes gens se rencontrent et se plaisent.
Mademoiselle Raymonde GILLET est la fille unique de Monsieur et Madame Emile GILLET. Quelques
années auparavant, elle faisait encore ses études au Collège de jeunes filles de Valenciennes.
-Sa mère, née Céline COQUELAER, est née 50 années plus tôt à Cantin, près de Douai.
-Son père, Emile GILLET, du même âge, est né à Raismes. Après avoir travaillé à 'L'"Impartial du Nord" journal de
Valenciennes, puis directeur d'un établissement de bains de la rue "Derrière-la-Tour" il devint le directeur-
administrateur de l'établissement thermal de St-Amand-les-Eaux. Il occupe une fort belle situation et est très
honorablement connu. (70)
70
Rapport du Cne Leseure: S.H.A.T. 616/GX: Voir Annexe 2/18.
2°-Encore des formalités !
Très rapidement le mariage est décidé. Si les convenances familiales sont respectées, si Monsieur Georges
DELESTRAINT vient demander pour son fils la main de Mademoiselle GILLET, si les familles se rencontrent à St-
Amand, les fiançailles sont courtes. Charles DELESTRAINT entame les formalités militaires en Septembre.
En effet, comme il se devait à l'époque lorsqu'un officier désirait se marier, une enquête de moralité sur la
famille GILLET fut entreprise par la Gendarmerie, dès que Charles DELESTRAINT demanda par voie hiérarchique
au Général Chamoin, commandant la 1° Division d'Infanterie, l'autorisation de se marier. Le rapport du Capitaine de
Gendarmerie de Valenciennes, en date du 18 Septembre 1910, concernant l'enquête sur la famille de Melle
GILLET, fut fort élogieux,(70) ainsi que celui du maire de St-Amand.
La demande officielle présentée par le fiancé fut bientôt suivi d'un avis favorable donné par le Général de
Corps d'Armée, le 27 Septembre, précédé de celui du Commandant le 16° B.C.P., du Général de Brigade puis du
Général de Division. (71)
3°- Un bien grand jour.
Les Cérémonies du mariage se déroulèrent à Saint-Amand-les-Eaux, le 4 Octobre 1910. Le
mariage civil fut célébré à la Mairie de la ville par Monsieur le Maire lui-même.
Il fut suivi de la Cérémonie religieuse, non pas à St-Amand, mais à la petite église de "La Croisette", petit
hameau à moins de deux kilomètres à l'Est de St-Amand, à l'orée de la forêt de Raismes-St Amand-Wallers, devenu
actuellement un parc régional.
Marie-Antoinette et Georges étaient heureux et fiers. La grand-mère Rosine n'a pas pu assister au mariage.
Elle y délégua sa gouvernante. Plusieurs supérieurs de Charles étaient présents, dont le Général LALORRE et le
Chef de Bataillon LAIGNELOT, commandant le 16° B.C.P; ils étaient venus de Lille en train. De nombreux amis de
promotion de Charles y assistaient.
Une bénédiction pontificale avait été adressée aux jeunes époux, sans nul doute en raison de son
appartenance au Tiers-Ordre. Ce fut un superbe mariage.(72) Son beau père avait bien fait les choses, racontait-on..
"Un mariage d'amour" disait-on.. "Amour, toujours", prédisait-on.
On ne se trompait pas !
Le jeune ménage s'installa à Lille.
Le premier enfant, une fille, Odette, naquit le 24 Août 1911.
71
Documents du S.H.A.T. Op. Cit.: Voir Annexe 2/19.
72
Interwiew de Madame Dupont-Delestraint.
E- ECOLE DE GUERRE ET GUERRE...(14-18)
(pour ma patrie...)
Toujours affecté au 16° B.C.P., toujours lieutenant, Charles DELESTRAINT voit alterner les
périodes de stages avec celles où il peut rester dans ses foyers à Lille. Il prépare l'Ecole de Guerre, mais semble
être oublié au niveau de l'avancement.
1°- 1913: Enfin Capitaine !
Arrive l'année 1913. En Octobre, voilà 11 ans qu'il reste lieutenant. C'est le 21 de ce mois que le Général
de Brigade EXELMANS adresse au Ministère une note à son sujet:
" Lieutenant DELESTRAINT, officier de premier ordre, tout à fait de choix qui doit être promu capitaine à
l'ancienneté. Excellent serviteur, est à la hauteur de toutes les missions. A faire rattraper et à pousser."(73)
Il lui est demandé de présenter, en vue de sa prochaine promotion, une liste d'unités dans lesquelles il
désirerait être affecté. Bien sûr, une garnison de la région parisienne -du fait de la perspective de l'Ecole de
Guerre-, ou du Nord ( retourner au 16° B.C.P., pourquoi pas !) auraient sa préférence. Mais un avis défavorable du
22 Novembre du Général d'Amade du 6°Corps d'Armée, fait renoncer à ce projet. Une garnison de l'Est sera sans
doute imposée devant la conjoncture du moment.(74)
La nomination au grade de Capitaine est enfin officielle, par décret du 23 Décembre 1913.
Et le même jour, une décision ministérielle affecte le Capitaine DELESTRAINT au 151° Régiment
d'Infanterie de Reims.(75)
L'aube de cette sombre année 1914 voit donc un certain changement chez les DELESTRAINT. Il semble
que Charles, devant présenter bientôt le concours de l'Ecole de Guerre ait laissé épouse et fille dans sa belle
famille à St-Amand-les-Eaux et ne les ait pas emmenées à Reims. Au reste, cette affectation étant très provisoire,
une nouvelle décision du Ministère de la Guerre le fait passer au 18° B.C.P. le 10 Janvier 1914.
73
Note du Gén.Exelmans du 21.10.13. S.H.A.T. Op. Cit.
74
S.H.A.T. Ibidem.
75
"Etat des Services de M.Delestraint (Charles Georges Antoine)" S.H.A.T. Ibidem.
2°- Ecole de Guerre
Ces divers changements s'effectuent dans le cadre de la préparation au Concours, qu'il présente au début
de 1914. Le Capitaine Charles DELESTRAINT est reçu brillament à l'Ecole Supérieure de guerre le 18 Mars
1914.(76) Il entre immédiatement dans ces locaux de l'Ecole Militaire, où il suit les cours de disciplines diverses,
mais très vite, il est envoyé faire de nouveaux stages dans divers régiments:
Au 42° Régiment d'Artillerie, il est affecté pendant 2 mois, à partir du 3 Avril 1914.
Au 28° Régiment de Dragons, il arrive le 3 Juillet, pour bien peu de temps..
3°- "La Grande Guerre".
a- Au 58° B.C.P.
Dès la mobilisation, le 31 Juillet, il quitte les Dragons, et est affecté au 58° Bataillon de Chasseurs à Pied,
unité de réserve très nouvellement formée. Ce nouveau 58° B.C.P. fait partie de la 52° Division de Réserve,
comptant avec celles de la IV° Armée.
Lui, officier d'active, "a contribué efficacement à la mise sur pied de cette unité de formation ".(77) Il y
commande la 9° Compagnie.
b- L'affrontement.
La IV° Armée entame son offensive initiale au Nord de Charleville-Mézières, dans les Ardennes,
les 22 et 23 Août; la 52° division y participe, puis se replie "le 24, sur ses positions de la Meuse". Le 58° B.C .P.
qui a été au contact avec l'ennemi, aux "Hautes Buttes" au Nord de Montherme, a été ramené sur Renwez. Première
retraite éprouvante.(78)
76
Etat des Services. S.H.A.T. Op. Cit.
77
Notes de Guerre. Dossier 616/GX. 4°série. S.H.A.T.
78
Rapport du Capitaine Delestraint, alors déjà en captivité, en date du 1° Octobre 1914. S.H.A.T. Op. Cit.
c- Une action d'éclat.
La 9° compagnie du Capitaine DELESTRAINT est envoyée dans la nuit du 24 au 25 Août, par la rive
gauche de la Meuse, sur Fumay. Cette petite ville est attaquée depuis la rive droite, ainsi que Haybes et Fépin, par
une brigade saxonne appuyée par de l'artillerie. La Meuse commence à être franchie. La compagnie Delestraint
grossie de quelques éléments d'infanterie rencontrés, attaque l'ennemi depuis les hauteurs de la rive gauche. La
surprise est totale. L'ennemi est refoulé en désordre, mais l'effectif de la compagnie ne permet pas d'exploiter
l'avantage devant toute une brigade.
Delestraint ne pouvant pas à lui seul dégager Fumay va plus au Nord, à l'Ouest de Fépin -au Mesnil- il y
rencontre le 1° Corps de la V°Armée en pleine retraite. Il rapporte ce qu'il a vu au Lt-Colonel LEVI, au Colonel
PETAIN, au Général MANGIN. Aucune action ne peut plus être entreprise sur Fépin, ni sur Fumay.(79)
La seule Compagnie Delestraint a permis la jonction des IV° et V° armées françaises. En effet, les Saxons en
remontant la Meuse sur les deux rives ne risquaient-ils pas de s'infiltrer entre ces deux armées ?
Mais la 9° Compagnie de Delestraint, se bat toujours, le 26 à Bois-Fidèle, encore le 27, rejoint le
Bataillon le 28 pour le combat de Villers/Bar près de Sedan, et du bois de la Marfie.(80)
Ce ne sera qu' après guerre que cette action sera connue des hautes autorités militaires, à la suite des
rapports du Général Lévi, du Général Mangin. (81) Ce fait de guerre du 25 Août 1914 aura sa consécration, le 14
Juin 1919, nous le verrons, par la nomination au grade de Chevalier de la Légion d'honneur du Capitaine
Delestraint, avec attribution de la Croix de Guerre avec palme.(82)
d- Le guet-apens du Chesnoy.
Devant la forte pression allemande, la retraite des IV° et V° armées se poursuit en cette fin d'Août 1914.
La 52° Division se trouve autour de Rethel. Des combats d'arrière-garde sont envisagés. Delestraint est envoyé
avec sa compagnie vers le Nord, pour couvrir la retraite de la division. (83)
79
Rapport complet du Capitaine Delestraint, le 1° Octobre 1914, alors prisonnier de guerre. S.H.A.T. Voir Annexe
N°2/20.
80
Rapport du Chef de Bat. Renand, cdt le 58°B.C.P. en 1914.(rapport du 10.04.20). S.H.A.T. Op. Cit.
81
Rapports des généraux Mangin et Lévi. Voir Annexe N° 2/21.
82
Nomination dans l'Ordre de la Légion d'honneur au grade de Chevalier, avec citation. signé Pétain. Voir Annexe N°
2/22.
83
Notes du Dossier du Personnel. S.H.A.T. Ibidem.
Il s'agit d'une "mission de sacrifice" précise après guerre, son ancien supérieur, alors Cdt Renant.(84)
La 9° Compagnie, au Chesnoy-Auboncourt, tombe dans une embuscade. Encerclés par les Allemands
"trois fois supérieurs en nombre", le Capitaine Delestraint et ses hommes résistent, jusqu'au moment où il doit,
pour épargner la vie de ses hommes, cesser le combat.
Tous les survivants de la 9° Compagnie du 58° B.C.P. sont faits prisonniers de guerre, ce 30 Août 1914.
Ils ont été encerclés par les Saxons, ceux-là mêmes du 134° Régiment d'infanterie faisant partie
de la Brigade saxonne, surprise le 25 par cette compagnie.(85) Leurs officiers ont rendu hommage au Capitaine Delestraint.
La jeune Madame DELESTRAINT reçoit à St-Amand, en Septembre l'avis de la disparition de son mari,
fait prisonnier de guerre. Et en Octobre arrive une lettre du Capitaine RENAUD, Commandant le 58° B.C.P., lui
adressant la copie manuscrite de l'Ordre du jour daté du 8 Octobre 1914, signé du Général de Corps d'Armée
HUMBERT, rendant hommage au courage de son mari.(86)
e- Captivité en Allemagne
Commence alors pour Charles DELESTRAINT sa première captivité. Il en connaîtra
d'autres..toujours de la part des Allemands.
Il semble bien qu'il ait été blessé dans l'affaire du Chesnoy, puisqu'un document officiel d'Avril 1919,
entr'autres informations, nous apprend qu'après avoir été fait prisonnier au Chesnois-Auboncourt, il fut admis à l'
"Ambulance allemande de Mazerny". Mazerny se situe à moins de 5 kms du Chesnoy-Auboncourt. Il y resta du 31
Août au 15 Septembre. (87)
Le Capitaine DELESTRAINT est ensuite acheminé vers l'Allemagne. Peut-être passe-t'il quelques jours
par un camp de transit, puisque par le même document nous savons qu'il restera captif en Allemagne "du 25
Septembre 1914 au 3 Décembre 1918 inclus."
Nous disposons de bien peu d'informations sur la captivité de Charles DELESTRAINT en Allemagne.
84
Rapport du Cdt Renant, S.H.A.T. Ibid.
85
Rapport du Capit.Delestraint. S.H.A.T. Ibid.
86
Document confié par Mme Tourtel-Delestraint. Voir Annexe 2/23.
87
Document confié par Mme Tourtel-Delestraint. Voir Annexe 2/24.
Certes, les lieux de détention du Capitaine DELESTRAINT sont connus:
Il a attendu d'être envoyé dans un camp fixe, l'Oflag d' Ingolstadt, Fort N°9, en Bavière, pour écrire son
rapport sur l'affaire de Fumay.(88) Celui-ci est daté du 1° Octobre 1914.
Combien de temps y est-il resté ? Nous l'ignorons. Il est établi qu'il a été transféré à
l'Oflag de Plessembourg-Hohenback.
Officiellement, le Capitaine DELESTRAINT a été porté disparu le 30 Août 1914, et n'a été considéré prisonnier de
guerre seulement par l'avis officiel du 16 Avril 1915, sans doute par l'intermédiaire de la Croix-Rouge.
Madame Raymonde DELESTRAINT, au cours de ces années de guerre, est restée avec sa fille Odette chez
ses parents, Monsieur et Madame GILLET, à St-Amand-les-Eaux, malgrè l'occupation allemande. La source fut
réquisitionnée par les Allemands qui reprirent l'embouteillage à leur profit. Des prisonniers russes y travaillaient.
Monsieur GILLET fit de la Résistance dans l'organisme de Louise de Bettignie. Il ne fut pas appréhendé pour ce
motif, mais fut pris en otage plusieurs fois, sans conséquences graves. Madame DELESTRAINT a reçu quelques cartes provenant d'Allemagne. Le courrier pendant ces quatre années était très restreint.
Charles DELESTRAINT, toujours très confiant dans la victoire finale, a occupé une partie du temps de sa
captivité à se perfectionner en allemand, mais aussi en anglais. La connaissance parfaite de ces deux langues, et
particulièrement de l'allemand lui servira grandement, lorsqu'il présentera à nouveau l'Ecole de Guerre.
Nous ne disposons d'aucun témoignage concernant cette période de plus de quatre années de captivité.
Libéré officiellement le 3 Décembre, le Capitaine Charles DELESTRAINT est rentré en France le 4
Décembre 1918.
88
Voir Annexe 2/20.
89
Etat des Services du Capitaine Delestraint délivré à son retour de captivité. Document confié par Mme Tourtel-
Delestraint. Annexe 2/25.
F- LA CARRIERE
Noël 1918, le Capitaine DELESTRAINT peut donc le passer dans ses foyers, auprès de son
épouse et de sa fille qu'il retrouve à St Amand. Il revoie, bien entendu, ses chers parents, Georges et Marie-Louise,
à Lille.
C'est d'ailleurs au 54 rue Colbert qu'il se fait domicilier. Il dépend très provisoirement du dépôt du 18°
B.C.P., tout en restant affecté officiellement au 58° B.C.P.
Détente, repos, mais aussi contacts avec les autorités militaires de la région lilloise, de l'Etat-Major, du
Ministère de la Guerre, de l'Ecole de Guerre dont il n'a pas achevé en 14 la période de formation, représentent les
occupations du Capitaine pendant les mois qui suivent son retour de captivité.
1°- 1919: l'Année des Promotions.
a- Détaché au G.Q.G. de l'Est.
Si Charles DELESTRAINT a su remplir la période de captivité par des études, il a conscience du
temps perdu. Après les sombres années d'Ingolstadt et de Plessembourg, il a eu la joie de retrouver son pays et sa
famille; vient alors le temps de la nouvelle affectation, lorsqu'il reçoit à Lille la lettre officielle, datée du 4 Avril
1919, l'informant qu'il est détaché au Grand Quartier Général de l'Est. Est-ce le premier pas d'une carrière qui
reprend le départ.
C'est encore à Chantilly que ce G.Q.G. de l'Est est installé. DELESTRAINT est mis à la disposition du
commandant en chef, le Maréchal Pétain. Et d'abord, au Bureau du Personnel, au service des décorations et
récompenses posthumes. Il y a "fait preuve, de dons d'organisation, d'activité, de commandement et de jugement",
nous apprend une note de service..(90)
A peine arrivé à Chantilly Charles DELESTRAINT est informé des promotions qui le concernent.
90
Lettre de la Présidence du Conseil et Ministère de la Guerre au Général Commandant la 1° Région de Lille. Voir
Annexe 2/26. et S.H.A.T. (Dossier du Personnel. Notes ).
b- Chevalier de la Légion d'honneur
L'Ordre N° 19.155 "D" du G.Q.G des Armées françaises de l'Est en date du 14 Juin 1919,
concerne la nomination du Capitaine DELESTRAINT, Charles-Georges-Antoine, dans l'ordre de la Légion
d'Honneur au grade de Chevalier. Cette nomination comporte l'attribution de la Croix de guerre avec palme et est
accompagné d'une citation rappelant le coup de surprise de Fumay et Haybes.
Le 22 Juillet à 11,h 15 il reçoit les insignes de cette décoration des mains du Maréchal Pétain en une
cérémonie qui se déroule à Chantilly, dans une grande intimité.(91)
c- Chef de Bataillon.
Au cours du mois de Mai 1919, une proposition au grade de chef de bataillon a été présentée en
faveur du Capitaine DELESTRAINT. La promotion officielle parait au journal officiel du 28 Juin 1919. Le Chef de
Bataillon DELESTRAINT reste encore officiellement affecté au 58°B.C.P., mais détaché au G.Q.G. de l'Est.(92)
d- La première promotion de l'Ecole de Guerre.
Ayant posé sa candidature à l'école supérieure de guerre, il est l'objet d'une enquête (93-a). L'Ecole ouvre
ses portes à l'Ecole Militaire. Aucun concours n'a été institué au cours du récent conflit. Les cours de la première
promotion d'après-guerre, la 40°, doivent s'ouvrir le 4 Novembre 1919. Le Journal Officiel du 22 Juillet 1919
stipule que le "Capitaine DELESTRAINT" est du nombre des officiers devant se présenter le 2 Novembre. Ils
ameneront chacun un soldat ordonnance; les officiers supérieurs, ainsi que les officiers subalternes des troupes
montées devront avoir un cheval..(93-b). Ainsi DELESTRAINT, promu Chef de Batillon depuis le 22 Juin, (bien que l'administration de l'Ecole l'ignore encore), devra se munir, le 2 Novembre, d'un ordonnance et d'un cheval..Il fait
partie de la 40° promotion de l'Ecole de Guerre et du 8°groupe.
91
Ordre N°19.155 "D" du G.Q.G. de l'Est du 14.06.19, et Note du 21.07.19, concernant la cérémonie du 22.07.
Documents transmis par Madame Tourtel-Delestraint. Voir Annexe 2/27-a.
92
Mémoire de Proposition et Extraits de J.O. du 28.06.1919: documents confiés et transmis par Madame Tourtel-
Delestraint.
93-a
Documents de l'Ecole supérieure de guerre. Voir Annexe 2/27-b.
93-b
Extrait du J.O. du 22 Juillet 1919. Document confié par Madame et Monsieur Tourtel-Delestraint.
e- et autres décorations.
Le Commandant DELESTRAINT a déjà intégré l'Ecole supérieure de Guerre, lorsqu'il reçoit, le
1° Décembre 1919, l'avis que l'instruction ministérielle du 2 Novembre précédent le concerne. Il s'agit de
l'attribution de la Médaille de la Victoire.
Quelques jours plus tard, le 8 Décembre de la même année, il reçoit la Croix de Guerre
Belge.(94)
2° "Stagiaire" à l'Ecole Supérieure de Guerre.
Après avoir installé son épouse et sa fille à Paris, 2 rue Antoine Roucher, dans le 16°
Arrondissement, le Commandant DELESTRAINT intègre l'Ecole de guerre, sis à l'Ecole Militaire de Paris, le 2
Novembre; les cours commencent deux jours plus tard. Cours et stages se succèdent comme avant guerre, mais
ceux-ci portent l'empreinte, l'expérience du conflit récent qui en ont transformé alors le fond et la forme
didactiques. Malheureusement, la stagnation de cet enseignement de l'après-guerre triomphant sera la règle des
années suivantes.
Il est affecté au 1O4° Régiment d'Infanterie, dès le 19 Novembre.
Et les stages d'Etat-Major reprennent, pour l'artillerie à Stenay, pour la cavalerie à Sedan, puis pour la
section technique des chars à Versailles. Très certainement ce dernier stage révèle au Commandant la nouvelle
arme. Son attention est désormais attirée par le Char.
Au cours de toute l'année 1920, considérée comme la 2°année, entièrement consacrée à l' Ecole
Supérieure de Guerre, en vue du Brevet direct "accéléré", il a été noté comme très sérieux, réfléchi, travailleur,
ayant des connaissances solides, rédigeant avec netteté et méthode, voyant juste, de la décision et du
commandement.."(95-a et b)
Ayant satisfait aux examens de sortie de l'Ecole Supérieure de Guerre, le Chef de Bataillon
DELESTRAINT obtient le Brevet d'Etat-Major, le 7 Décembre 1920.(96)
95-a
Notes de l'Ecole Sup. de Guerre: S.H.A.T. Complément du dossier du Personnel.
95-b
Grâce au Lt-Colonel Bernède, professeur à l'Ec.Sup. de Guerre, nous apportons les notes du Cdt Delestraint:
Annexe 2/27-c.
96
S.H.A.T.: Dossier administratif. Op. Cit.
3°- Intermède à l'Etat-Major de l'Armée.
Dès avant l'obtention du brevet d'Etat-Major, le Commandant DELESTRAINT est stagiaire à l'Etat
Major de l'Armée, à partir du 20 Octobre 1920. Il est alors attaché au 2° Bureau, dans la Section des Armées
étrangères. Il y restera à sa sortie de l'Ecole Supérieure de Guerre en 1921 et jusqu'en Mai 1923. Il y est fort bien
noté, pour "ses qualités de travail et de réflexion".
Au cours de l'année 1922 et des premiers mois de 1923, il est chargé au 2° Bureau de l'E.M.A. de suivre le
développement de la situation militaire en Russie.
On sait à l'E.M.A. que le Commandant DELESTRAINT possède l'Allemand à fond, l'Anglais et le Russe,
qu'il est un très bon officier du 2° bureau; très gros travailleur, il possède des "qualités de conscience, de méthode
et de perspicacité" et est d'"une "nature très sensible et très fine". En dehors de son service, il traduit un important
ouvrage de Von KLUCK, commandant la première Armée allemande en 1914. Considéré comme un très gros
travailleur; en un mot, DELESTRAINT est fort apprécié et est particulièrement bien noté. (97)
4°- Alors, les Chars de Combat.
a- L'Option
Si l'année 1923 représente le tournant décisif du Commandant DELESTRAINT vers les Chars de
Combat, il semble bien que le stage effectué en 1920 dans le cadre de l'Ecole de Guerre lui ait révélé l'importance
de cette arme; il a compris les possibilités de cette forteresse mobile "tout terrain".dans une confrontation
éventuelle, ou tout au moins en tant que machine de guerre dissuasive. Les formations blindées et l'Aviation ne
sont-ils pas à ses yeux les Armes de l'avenir.
Dans les circonstances de l'après-guerre, deux attitudes sont adoptables par les militaires de carrière de
haut niveau, ayant une formation d'officiers d'Etat-Major.
97
S.H.A.T. Dossier N° 616/Gx 4°série. Complément du dossier du Personnel.
Ou bien estimer que la stratégie appliquée depuis Juillet 1918 qui a amené à la victoire doit être reconnue comme
toujours valable dans le cas d'un conflit éventuel, comme celle de Napoléon le fut pendant plus d'un siècle.
Ou bien imaginer que le Char de Combat, nouvellement créé et encore dans la première enfance, présente des
possibilités révolutionnaires dans la stratégie moderne.
"La mécanisation de l'armée et l'emploi des chars ont donné lieu à une véritable querelle des anciens et des
modernes.. elle a opposé en sourdine, au sein de l'Etat-Major, une poignée de spécialistes au cénacle des généraux
vainqueurs de 1918".(98)
Un des mérites du général PETAIN, fut de croire aux "chars d'assaut" alors qu'ils n'étaient qu'à l'étude en
1916, et de laisser au Colonel ESTIENNE le soin de développer les possibilités offensives que ce nouvel engin
pouvait réveler.
La première et fameuse attaque des chars à Berry-au-Bac, dans l'Aisne, le 16 Avril 1917, fut l'illustration
de l'efficacité de l'arme.
Depuis, le Général ESTIENNE ne cessa jamais d'imaginer les perspectives que le char d'assaut pourrait
apporter à la future Armée Française, et d'en parler largement, avec un résultat mitigé.
"Les Chars d'assaut ont bien mérité de la patrie" précisait l'Ordre Général du 30 Juillet 1918 N°114, signé
Pétain.
Malgrè cettea reconnaissance les chars furent certainement oubliés dès après guerre, à tel point qu'en 1921 le
général NIESSEL fut chargé par le Maréchal PETAIN d'enquêter sur cette indifférence. La cavalerie, certes, était la
première arme à se sentir frustrée depuis la naissance du "Char". Confortée par de réels soutiens à l'Etat-Major
Général, "après 1918, elle avait toujours voulu conserver de nombreux régiments à cheval".(99) et constituait un
obstacle réel à l'essor de la nouvelle arme.
Tout changea quand le Général ESTIENNE fut nommé inspecteur général des chars de combat. Il en créa la
direction d'Etudes techniques, qui comportait une "Section technique des Chars de Combat". (100)
C'est encore le Général ESTIENNE, qui, en 1921, imagina que l'Armée française devait se doter d'un corps
de combat blindé servant de force d'intervention".(98) Même parti à la retraite, celui que l'on appela "le père des
chars", continua à prôner jusqu'en 1933, l'intérêt du Char, et particulièrement du Char lourd. Nous aurons à y
revenir d'ailleurs.
98
Crémieux-Brilhac, Jean-Louis. Les Français de l'an 40. Tome 2:
Ouvriers et Soldats. Gallimard 1990; 715 pages. page 383.
99
Delmas, Général Jean, Président de la commission française d'Histoire militaire.
100
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Paris Presses de la Cité. 1972. 180 pages. p. 38-39.
b- Au Centre d'Etudes des Chars de Combat.
Donc, c'est à ce moment, au tout début 1923 que le Commandant DELESTRAINT demande à être
versé dans les Chars de Combat.
Avant d'avoir un commandement dans cette arme, il doit suivre les cours de la Division d'Instruction de
Centre d'Etudes des Chars de Combat du 1° Mai 30 Septembre. Pour cela, il est affecté provisoirement au 101°
Régiment d'Infanterie en tant que stagiaire au Centre d'Etudes qui se trouve à Versailles. Cette affectation est
automatique depuis la décision ministérielle et de l'Etat-Major du 12 Juillet 1920, qui rattache les chars de combat
à l'infanterie, et dénomme leurs soldats, les "chasseurs".101)
C'est le Général de RIANCOURT qui commande le Centre, mais le Général-Inspecteur ESTIENNE en fait
son port d'attache. Il multiplie les contacts, les conférences dans lesquelles il développe ses points de vue
prophétiques. Le commandant DELESTRAINT est séduit par l' ouverture et l'imagination de ce chef d'exception.
Ses notions de la nouvelle arme, il les fait siennes. Avec toutte son intelligence, son enthousiasme, sa puissance de
travail, il adhère à l'option "char".
Le Général ESTIENNE l'apprécie particulièrement ainsi que son supérieur direct, le Général de RIANCOURT. Ce
dernier fait part de son jugement, le 25 Août 1923 au Haut Commandement lorsqu'il le désigne en ces termes très
élogieux: "Officier supérieur très bien doué, à l'intelligence vive, au jugement sûr". Il a compris que le
Commandant DELESTRAINT "s'est parfaitement assimilé ..à toutes les questions de technique, de mécanisme de
combat, d'emploi des chars.."(102) Il est évident qu'il a partagé l'enthousiasme positif et lucide du "grand
visionnaire", le général ESTIENNE.
c- En occupation en Allemagne.
Après le Centre technique, la pratique. Il doit effectuer son temps de commandement. Ayant quitté
Versailles début Septembre 1923, Charles DELESTRAINT est affecté au 517° Régiment de Chars de Combat, à
l'Armée Française du Rhin, autrement dit en occupation en Allemagne. Sur trois régiments proposés, il a choisi le
517°.
Il part avec sa famille vers le 15 Septembre pour s'installer en Rhénanie, à Düren. Il prend son service le 3
Octobre. Il y restera deux années. La garnison est à Duisburg, mais le bataillon de chars qu'il commande est détaché
à Mülheim.
C'est à Dusseldorf que son épouse, le 2 Décembre 1924, mettra au monde une seconde fille, Noëlla,
Maria, Bibiane. Le prénom usuel sera le dernier.(103)
101
PERRETTE, Jean-François. Op. Cit. p.38.
102
S.H.A.T. 616/GX. II Complément du dossier de Personnel.
103
Interwiew de Madame Tourtel-Delestraint.
Son supérieur, le Colonel GRASSE, commandant le 517° R.C.C., fait part des notes du Général de Brigade
MARGOT qui estime cet "officier supérieur de la plus haute valeur morale et militaire.." et le "pousse"; dès Mars
1925 il le propose pour le grade de Lieutenant-Colonel.
Malgrè l'appréciation de ce supérieur qui juge son "bataillon admirablement tenu et instruit",(104) bien
qu'il soit noté au Haut Commandement "comme esprit distingué, très instruit, jugement droit, très militaire, a su,
malgrè des difficultés, faire de son bataillon une unité modèle", Charles DELESTRAINT restera encore chef de
bataillon près de trois années.
Celui qui s'engage, qui croit réellement à sa mission, qui refuse d'être passif, laisse immanquablement
derrière lui des jalousies, des rancunes. DELESTRAINT en ressentira, tout au long de sa vie, les effets.
Lorsque les DELESTRAINT quitteront la Rhénanie en Octobre 1925, ils seront regrettés. Madame s'est
fait des amis parmi les épouses des officiers. Lui, dans son travail est très apprécié de tous. Le personnel du bureau
du Bataillon, à l'occasion de la St Charles 1924 lui fait un cadeau, accompagné d'une lettre qui témoigne de
l'attention que Charles DELESTRAINT savait porter à ces subordonnés.(105)
d- Puis à la Section Technique des Chars
Dès le 22 Octobre 1925 et toute l'année 1926 Il est affecté à la Section technique des chars, qui,
nous l'avons vu, fait partie du Centre technique. Il s'aperçoit que les conceptions du Général ESTIENNE, qui depuis
déjà plusieurs années lutte pour la réalisation d'un char lourd et de la force d'intervention, se heurtent à des
restrictions, voire à des oppositions tant de certains membres de l'E.M. que du ministère. Déjà l'idée du "Père des
Chars" d'un corps blindé avait reçu une fin de non-recevoir dès l'instruction confidentielle du 29 Mai 1922, en des
termes qui resteront parfaitement constants jusqu'à la guerre: "l'emploi de grandes unités de chars semble
aujourd'hui prématuré".
Chargé de cours dans le cadre de la Section technique des Chars de Combat, installé à Rueil, il est très
apprécié de son supérieur, le Général MATTER, qui, lui aussi, propose, le 1° Novembre 1926, l'inscription de
DELESTRAINT au tableau d'avancement. De plus, il est chargé de la mise au point du Réglement des Chars. Sous
tous les différents aspects, pour toutes les missions confiées, il est fort apprécié de ses supérieurs comme en
témoignent les notes de 1926.(106)
104
Lettre du 28 Mars 1925 du Colonel Grasse. Archives familiales transmises par Mme Tourtel-Delestraint.
Voir Annexe N°2/28.
105
Archives familiales de Mme Tourtel-Delestraint: Annexe 2/29.
106
"Excellent officier supérieur breveté; rend les plus grands services à la section technique...A inscrire au tableau dès
que possible."
S.H.A.T. Op.cit. Compl.du dossier du Personnel.
e- Commandant en second de l'Ecole d'Application.
La décision ministérielle du 22 Mars 1927, relatée par le Journal Officiel du surlendemain,
nomme le Chef de Bataillon DELESTRAINT, commandant en second de l'Ecole d'application des Chars de Combat,
rue Royale à Versailles. Il prend ses fonctions le 8 Avril. Il est l'adjoint du Colonel FRERE, commandant l'Ecole.
dont il se révèle un "collaborateur précieux, à l'esprit élevé, à la tenue irréprochable, à l'attitude très militaire, qui
connait à fond toutes les questions techniques ou tactiques touchant les chars."(107) Quinze ans plus tard, ils se
retrouveront tous deux à Fresnes, aux mains de leurs bourreaux.
Le 25 Décembre 1927, Charles DELESTRAINT est promu Lieutenant-Colonel.
Cette période de commandement en second de l'Ecole d'Application de Versailles reste privilégiée pour
Charles DELESTRAINT. "Au contact permanent des jeunes officiers, qu'ils aiment tant et qui seront toujours sa
jouvence, il mûrit ses idées sur l'emploi des blindés en pleine communion de pensée avec de GAULLE, et il
commence à essayer de les répandre, mais il se heurte à l'inertie intellectuelle et aux routines".(108-a) Il reçoit des
officiers étrangers qui viennent s'informer des techniques françaises sur le char de combat, tel le Colonel
commandant l'Ecole Militaire danoise. (108-b)
En 1929, le Lt-Colonel DELESTRAINT est maintenu à l'Ecole d'Application, comme commandant en
second; il y est en effet considéré comme un adjoint précieux par le Colonel Frère, eu égard aux méthodes de
travail qu'il demande aux stagiaires de tous grades, aux exercices qu'il leur propose et qui les intéressent vivement.
Le Colonel FRERE estime aussi qu'il faut "pousser" ce brillant officier..
Brillant officier, il l'est bien, par son passé. Malgrè quatre années de captivité, il est arrivé depuis
son retour par son travail incessant et son intelligence, à mettre à profit ces dix années, pour devenir un officier
d'Etat Major. très compétent, un technicien et un théoricien stratégique de l'arme blindée. Se faisant le fils spirituel
du Général ESTIENNE, il commence à demander à la hiérarchie militaire de se pencher sur l'urgence à mettre au
point et à généraliser le char lourd "B", dont le premier prototype vient de sortir en 1929.(109)
107
Note donnée par le Cl Frère au Lt-Cl Delestraint, le 1°.10. 28 à Versailles: S.H.A.T. Op. Cit. Compl. Dossier du
Personnel.
108-a
Malaguti, Général. "Le Général Delestraint" in Bulletin des Amis de l'Ecole supérieure de Guerre. Octobre 1959.
N°6.
108-b
Lettre du Colonel Rönning. Voir Annexe 2/30.
109
PERRETTE, Jean-François. Le Général Delestraint. Opere Citato. p.48.
Depuis 1929 le Lieutenant-Colonel Charles DELESTRAINT est classé et breveté de l'E.M.P.I.,
soit de l'Etat-Major Particulier de l'Infanterie.
f- A l'Inspection des Chars.
C'est le Général BEZU, inspecteur des Chars, qui demande le 13 Mars 1930, que le Lt-Colonel
DELESTRAINT lui soit adjoint, en raison de son service dans les chars depuis plus de 7 ans, mais aussi"en raison de
ses connaissances très étendues concernant les chars"(110) de ses très solides qualités. Il est affecté en Avril 1930
à l'Inspection des Chars, et devient "un précieux collaborateur du Général Inspecteur", le Général BEZU.
Il assiste à ses cotés à diverses manoeuvres et y révèle "une intelligence vive, un esprit précis, un jugement
sûr, un très grand sens tactique" note le Général Inspecteur, dès le 23 Septembre 1930. D'ailleurs, il demande que
DELESTRAINT soit inscrit au tableau pour le grade de Colonel. Proposition qui est d'ailleurs très appuyée par le
Général PHILIPOT, inspecteur général de l'Infanterie, et donc des chars de combat.(111)
Ce ne sera que le 7 Novembre 1930 que le Maréchal de France PETAIN, vice-président du Conseil
supérieur de la guerre, se prononcera sur l'avancement à accorder au Lt-Colonel DELESRAINT, par la simple note:
1/2, c'est-à-dire la prochaine fois.(112)
Le Général BEZU comprend fort bien la pensée de son adjoint quant aux positions qu'il prend sur la
théorie de l'Arme blindée, et fait siennes ses demandes aux autorités supérieures.
C'est ainsi que Charles DELESTRAINT rapportait qu'en 1931, il avait été chargé par son supérieur, le
général inspecteur, "de convaincre le directeur de l'Infanterie de l'époque,, le Général MATTER, de l'intérêt
d'adopter et de généraliser ce nouvel et puissant engin [le char B], pour acquérir une supériorité immédiate de
manoeuvre sur toutes les autres armées; son interlocuteur coupa net, sur un ton qui n'admettait aucune réplique: "Le
Char B ne m'intéresse pas; ça n'est pas un char d'accompagnement d'infanterie!".(113)
Les avis des généraux PEZU et PHILIPOT datés de Septembre 1930, quant à la promotion de
DELESTRAINT au grade de Colonel, ne seront donc pas suivis d'effet immédiat, bien que le Général DUFIEUX,
inspecteur général de l'infanterie, ait appuyé particuluèrement cette proposition le 16 Octobre 1931. Avant cette
promotion,, une nouvelle affectation lui sera attribuée.
110
S.H.A.T. Op. Cit. Complément du dossier administratif.
111
S.H.A.T. Op. Cit. Complément du dossier du Personnel.
112
S.H.A.T. Op. Cit. Dossier Administratif I.
113
Perrette, Jean-François. Op. Cit. p.49.
g- Vannes.
La décision ministérielle du 21 Avril 1932 comporte, dans les mutations, l'affectation du Lt-
Colonel "DELESTRAINT, breveté de l'E.M.P.I...de l'E.M. du général Inspecteur de l'Infanterie (Chars de Combat),
inscrit au tableau d'avancement, au commandement par intérim du 505° R.C.C." de Vannes.(114) Ce régiment n'est
muni que de Chars F.T., bien dépassés.
Deux grandes raisons à cette affectation: arrive le moment où cet officier supérieur doit exercer un temps
de commandement, ce qu'il n'a pas effectué depuis l'occupation en Allemagne, et puis, ce régiment, de l'avis des
supérieurs, a besoin d'être repris en mains. DELESTRAINT est l'officier qu'il faut.
Vannes sera une période intéressante, privilégiée à bien des points de vue, dans la vie de Charles
DELESTRAINT:
1-Pour la carrière,
il appréciera ces années pendant lesquelles il ne sera l'adjoint de personne, où il pourra mettre en pratique quelques
unes de ses idées, quelques unes seulement, où il pourra organiser son régiment comme il l'entend, c'est-à-dire
parfaitement. Lientenant-Colonel, il arrive fin Avril 1932 au quartier Senarmont du 505 R.C.C.(115) et en fait
bientôt "une unité de premier ordre", affirme le général DUFIEUX.
Certes, il est promu Colonel le 21 Décembre 1932. Il a le grade de ses fonctions. Tous s'en réjouissent,
supérieurs et subordonnés.
D'ailleurs, à Coëtquidan, ont lieu du 20 Mai au 15 Juillet 1933, des "expériences" de motorisation sur
terrain qui sont convaincantes pour ceux qui y ont assisté. D'autre part, il est affecté, au cours de cette époque, à
l'arbitrage d'autres manoeuvres de motorisation, devant le Général de MONTMARIN à qui il apporte un concours
particulièrement précieux. (116)
Mais vis à vis des hommes de troupe, des subordonnés, il est aussi aimé, respecté, apprécié comme un
homme rigoureux exigeant certes, mais juste et bon. (117)
"Il faut, rapporte le général MALAGUTI, alors capitaine,avoir vu le Garde-à-Vous et le salut au Drapeau du
Colonel DELESTRAINT devant son 505° R.C.C. à Vannes, lors d'une cérémonie qui fut si belle que l'Illustration à
cette époque en fit une double page: son Garde-à-Vous était l'offrande de sa vie à sa Patrie" (118).
114
S.H.A.T.616./GX 4°série:I Complément du dossier administratif.
115
Ce quartier porte actuellement le nom du Général Delestraint.
116
S.H.A.T. Op. Cit. II Complément du dossier du Personnel.
117
Les témoins de cette époque deviennent rares. Cependant le général Mercier qui a été sous-officier du 505° à cette
époque en témoigne.
118
Malaguti, Général. Le Général Delestraint. in Bulletin trimestriel de l'Association des Amis de l'Ecole Supérieure
de Guerre. N°6. Octobre 1959.
Le Colonel du 505° R.C.C. s'intéresse particulièrement à la formation des cadres, officiers et sous-
officiers, mais aussi des "chasseurs". Un différent se manifeste au niveau du haut commandement en ce qui
concerne le 505° et son colonel.
En Septembre 1935, le Général HERLANT, commandant la 4°Brigade de Chars, dont dépend le 505°,
n'apprécie pas les méthodes nouvelles, originales, "personnelles" que préconise DELESTRAINT pour l'instruction
des cadres inférieurs et de la troupe. Il pense que le Colonel "commande de trop haut et ne s'occupe pas assez des
détails du service, en particulier de l'amélioration du bien-être des chasseurs".
Il présente dans ce sens un rapport au général FESSART, Commandant la XI° région militaire, dans lequel il précise
que "ces méthodes, sans doute dans un excellent but, ne sont pas conformes aux prescriptions réglementaires". Le
chef de la XI° région signe ce rapport, le fait sien. Et ces deux généraux interviennent fermement auprès du
Colonel du 505°.
Le relevé de notes de Septembre 1935 concernant DELESTRAINT porte la trace de cet incident, puisque le
Général HERLANT, tout en reconnaissant ses grandes qualités, conclue que "quoique très jeune de caractère" (!) il
peut être appelé à un commandement supérieur, mais seulement "par intérim", précise-t'il (119).
Les accusations, à peine voilées sont sérieuses. Elles intéressent plusieurs aspects de sa personnalité. Les
méthodes d'instruction qu'il emploie, une certaine négligence vis à vis de la troupe, le manque de contact direct
avec les chasseurs.
Il est surprenant de constater les réactions que ce "relevé de notes", très critique, sévère et bien peu
habituel pour Charles DELESTRAINT, a déterminé dans la hiérarchie militaire.
Si le Général KARCHER, nouvellement arrivé, ne veut pas prendre position, l'Inspecteur de l'Infanterie, le Général
LEFORT, dès le 20 Octobre, intervient fermement. Il a connaissance, en effet, des méthodes de commandement et
d'instruction du Colonel du 505°. Aussi tient-il à rectifier les notes données par HERLANT, en apportant les
siennes:
" Je ne partage pas la manière de voir du Général commandant la 4° Brigade de Chars. J'ai parfaitement apprécié la
manière de commander du Colonel DELESTRAINT. Je ne lui ai ménagé ni mes encouragements ni mes critiques et
le considère, dans l'ensemble, comme un excellent chef de corps: à pousser le plus tôt possible".
(Nantes, le 20 Octobre 1935, signé Lefort) (119).
Quelques semaines plus tard, le 9 Novembre 1935, c'est au tour du Général DUFIEUX, alors membre du
Conseil Supérieur de la Guerre, à donner son avis sur cet incident; et il en profite pour apporter son opinion et
"ses notes" sur DELESTRAINT:
" Brillant officier supérieur, réussissant aussi bien dans la troupe que dans l'Etat-Major, quoiqu'en dise le
Commandant de la 4° Brigade de Chars. Intelligent, actif, connaissant bien la tactique des chars modernes, doit être
poussé aux étoiles sans tarder. Très appuyé".(Paris, 9 Novembre 1935 signé Dufieux) (119).
119
Toute la documentation officielle intéressant cet incident, provient essentiellement du S.H.A.T. 606/GX. II Dossier
du Personnel: Relevé de notes.
Mais il n'y a pas seulement la hiérarchie pour venir contredire l'opinion du Général HERLAND, même s'il
est appuyé par le Général Commandant le XI° Corps. Ce dernier n'a d'ailleurs que les notes de HERLANT pour se
faire une idée de la question.
La Troupe, les sous-officiers et les officiers peuvent témoigner de l'attention que leur prête leur Colonel.
Tous pensent que le jugement du Général commandant la Brigade est hatif et erronné. La cohésion existe,
d'ailleurs,à tous les niveaux (120).
Les témoignages recueillis infirment ces reproches qui voudraient montrer un Colonel DELESTRAINT
planant dans une ambiance théoricienne en rejetant au second plan les besoins matériels de ses hommes . Par
lettres, par voie orale, les cadres subalternes et la troupe du 505° R.C.C. témoignent de leur attachement à ce chef,
pour lequel ils gardent le souvenir d'un homme incapable de négliger le soldat (121).
La prise de pouvoir par Adolf Hitler, en Janvier 1933, l'armement de l'Allemagne ne laissent pas
DELESTRAINT indifférent. Il ne cesse d'être irrité par les lenteurs de l'arrivée du Char B. Trois seulement sont
sortis en 1935.
Déjà, à cette époque, il semble qu'en dehors de certains grands initiés, tel Charles DELESTRAINT qui
apparait un des plus compétents en ce qui concerne le Char de Combat, tant au point de vue de la technicité que de
la stratégie, tel le théoricien de génie en train de se révéler, Charles de GAULLE, les grands supérieurs
hiérarchiques, maintenant que ESTIENNE est à la retraite et oublié, aient une compétence très relative. Certains
comme le général BEZU sont très valables, mais lui partira bientôt à la retraite. Les grands chefs d'infanterie dont
dépendent les chars ont bien peu de notions de cet arme, et pas du tout d'imagination sur son emploi..Le Général
DUFIEUX a compris puisqu'il essaye de pousser le Char B., mais pour les autres, le rideau s'est baissé sur la scène
de la guerre le 11 Novembre 1918, il se relèvera le 3 Septembre 1939.. même décor...
2-Pour la famille,
les années passées à Vannes restent parmi les souvenirs les plus agréables avant la tempête. Epoque merveilleuse,
la plus belle dans les souvenirs des deux filles DELESTRAINT. Leur mère, après avoir connu bien des difficultés,
trouve à Vannes une vie assez facile qu'elle apprécie particulièrement.
Elle est charmante, jolie, adorée par son mari. Elle reçoit fort bien et ça ne lui déplait pas. Sa fille ainée, Odette,
s'est toujours beaucoup occupée de sa jeune soeur, Noella, que, décidemment, tous appelent Bibiane.
La famille habite, rue de la Loi, une maison dans une grande propriété. Assez éloignée de la route de
Rennes où se situe le Quartier Senarmont du 505°R.C.C.. (122)
121
Témoignages du Général Mercier, alors sous-officier, de Mr Bescond.
Une carte collective de ceux qui regrettent
son départ a été conservée. Se reporter en annexe 2/31.
122
Interwiew de Madame Bibiane Tourtel-Delestraint du 29.12.1990.
De 1932 à 1936, le milieu militaire va organiser des fêtes.
Pour le Colonel, comment résister à ce
courant lorsque sa propre épouse l'incite à cette ambiance.
Parfois, les officiers et les épouses vont danser, en costume breton, dans les villages environnants. Les habitants,
très heureux, y participent, sans soupçonner que ces beaux danseurs sont des militaires.
D'autres fois, la fête se passe chez les DELESTRAINT; pour le Carnaval on est déguisé, Madame DELESTRAINT
en bohémienne, le Colonel..en ours.
Pour Noël, chaque année, Madame DELESTRAINT se rend à Paris et achète des cadeaux pour tous.. c'est-à-dire
pour chaque homme du Régiment. Et une grande fête est organisée au quartier. Le Colonel n'est-il pas le Père du
Régiment..?
Une famille de Vannes, les DUPONT, est fort connue. Deux fils, l'un jeune médecin, Jacques, fait la
connaissance de la fille ainée des DELESTRAINT, Odette; mais bientôt, c'est le second des DUPONT, Pierre,
jeune magistrat, qui est présenté et comme il se doit, demande officiellement la main de la jeune fille au Colonel.
(123)
Le mariage civil a lieu à la mairie de Vannes, le 6 Février 1934. par Monsieur le Maire de Vannes.
Le mariage religieux est célébré le lendemain, 7 Février, à St Paterne, par Mgr TREIHON, évèque de
Vannes.
Un grand mariage, certes, merveilleux mais assombri par les nouvelles des évènements de Paris. Et si l'on
se rapporte onze ans plus tard, on apprend que le Maire de Vannes sera déporté, que l'évèque sera fusillé par les
Allemands, que le père de la mariée enfin sera assassiné en camp de concentration..(123)
Parlons un peu de l'ambiance familiale. Charles DELESTRAINT est sévère pour ses deux filles,
jamais vis à vis de son épouse. Il lui arrive de s'emporter contre Odette ou contre Bibiane; il exige des résultats
scolaires, comme il l'aurait exigé des garçons qu'il aurait désirés mais n'a jamais eus. Madame DELESTRAINT
essaye toujours de mettre un peu d'huile dans les rouages des rapports entre père et filles. Elle y arrive en fin de
compte, sauf au début de l'affrontement.
Par contre, à la maison, en dehors du travail, en dehors de certains emportements, il est très gai, et surtout lorsque
ses filles atteignent 18 ans. Odette, plus particulièrement, a gardé des souvenirs fort agréables de son père.(124)
Que dire de sa joie lorsqu'Odette lui donna son petit-fils en Juillet 1935.
Vannes reste donc dans les souvenirs des dames DELESTRAINT comme une époque bénie; Vannes, la
riante bretonne est agrémentée de ce vent de l'Océan, une certaine insouciance prédomine en ces légères années où
l'on ne distingue pas encore les lourds nuages venant de l'Est..
123
Interwiew de Madame Tourtel-Delestraint.
124
Interwiew de Madame Dupont-Delestraint.
5°- Metz
a- Nomination.
1936 ! Le danger se précise. Hitler, le 7 Mars, fait occuper la Rhénanie, en violation du traité de
Versailles. . Un seul Corps d'Armée aurait fait reculer le Chancelier du Reich dès le début de son ascension
dominatrice. Le gouvernement français se contente de protester.
Le 2 ou 3 Mai 1936, le Colonel du 505° R.C.C. reçoit d'un de ses amis, le Colonel Ménard,
adjoint au Général chef du Cabinet du Ministre de la Guerre, une lettre datée du 1° Mai, l'informant que le ministre
a l'intention de le nommer au commandement par intérim de la 3°Brigade de Chars, en voie de constitution à Metz.
Accepterait-il ce poste ? (125)
La réponse ne se fait pas attendre. Il est disposé à prendre le commandement de cette Brigade qui
va être créée le 15 Juin.
Le 8 Mai 1936, tard le soir, un télégramme provenant de Paris, adressé au "Colonel
DELESTRAINT 505 Vannes", parvient au quartier Senarmont. Un planton est envoyé au domicile du Colonel Le
texte en est simple : "Nommé intérim 3° Brigade Chars Metz Félicitations: Gerbaud Hebrard Tailleur.".(126) Des
officiers du Ministère, amis de DELESTRAINT, le lui ont adressé, dès qu'ils ont eu connaissance de la nomination.
La décision ministérielle parait le 9 Mai au Journal Officiel. Il doit prendre son commandement à Metz, le
15 Juin de cette année 1936. Les préparatifs de départ se font dans la plus grande hâte. Le Colonel sera regretté
certes, et tous reconnaissent le travail qu'il a effectué. "Au moment où le Colonel DELESTRAINT quitte le 505°
R.C.C. dit le futur Général MARTIN remplaçant le général HERLAND à la tête de la 4° Brigade,, je constate qu'il
laisse à son successeur un régiment parfaitement discipliné et instruit. C'est l'oeuvre du Colonel DELESTRAINT
qui ajoute à ses qualités de chef et d'administrateur une connaissance profonde de la technique des chars et un sens
tactique très développé".(127)
125
Lettre du Ministère de la Guerre en date du 1° Mai 1936 : Voir Annexe 2/31.
126
Télégrammes du 8 Mai 1936. Voir Annexe 2/32.
127
S.H.A.T. Op. Cit. II Dossier du Personnel.
b- Le Proconsul et l'Apôtre du Char.
Toutes les forces françaises de l'Est sont sous le commandement du Général d'Armée GIRAUD, véritable
proconsul, dont l'autorité effective est incontestable, peut-être plus sensible que celle du Commandant en chef
GAMELIN. Le Colonel DELESTRAINT, commandant par intérim la nouvelle 3° Brigade de Chars, dépend de lui. Il
reste encore six mois dans ce grade, bien que sa fonction ne lui corresponde pas.
La 3° Brigade recouvrait trois régiments de Chars de Combat: le 507° à Montigny-les-Metz, le 511° à
Verdun et le 512° à Châlons/Marne.
Sa Brigade participe déjà au cours de l'été 1936 à des manoeuvres importantes au camp de Suippes dans la
Marne. Il en profite pour présenter un rapport important sur l'emploi des chars en formation et non pas éparpillés,
seulement en soutien de l'infanterie.
Le Général GIRAUD, bien qu'il n'intègre pas la nouvelle thèse, veut "lier le char à l'infanterie" et s'en tient
aux théories officielles, reconnait très vite la valeur de son nouveau subordonné.
Dès le 8 Octobre, il écrit :"Le Colonel DELESTRAINT est un des officiers des plus complets qui mérite
de recevoir le plus tôt possible les étoiles. Connaissant à fond le matériel et ses possibilités il peut tirer des unités
de chars modernes qu'il a sous ses ordres le rendement maximum en mettant au point leur coopération avec
l'infanterie et l'artillerie. Son rapport sur l'emploi des chars aux manoeuvres de Suippes est rempli des aperçus les
plus précieux et les plus pratiques. Je demande instamment sa promotion prochaine.."(128)
c- Pour le Char Lourd.
En fait, est-il besoin de le dire, le Colonel DELESTRAINT, fort de ses connaissances, reste fermement
attaché à sa position: le char de bataille, lourd,c'est-à-dire le Char B.; attaché à son objectif: la fabrication en grand
nombre; attaché au but à atteindre : constituer plusieurs véritables divisions cuirassées. Il prend de plus en plus
partie, en faveur de la "politique" du Char de Combat, à l'encontre de la politique attentiste, de la stratégie
uniquement défensive, à l'abri illusoire de la Ligne Maginot. il le dit, à toutes occasions, rapports, conversations
d'Etat-Major, exposés militaires.
Mais, la stratégie officielle du Haut Commandement impose toujours aux Chars une seule mission,
l'accompagnement de l'Infanterie; selon les consignes des hautes autorités militaires, le char restera "léger, de 6 à 9
tonnes, médiocrement armé et à faible rayon d'action."(129)
128
S.H.A.T. N°616/GX. II Dossier du personnel.
129
Perrette, Jean-François. Op. Cit. p. 51.
Ainsi le nouveau programme de fabrication des chars à partir de 1935 se concentrera sur les Hotchkiss,
les Renault R.35 de 12 tonnes, et les D.2 de 20 tonnes qui équiperont presque totalement les unités françaises en
1939. Ces chars sont très valables, surtout les D. mais moins bien conçus que les B. pour structurer les grandes
formations cuirassées,
Quant au Char lourd..le général Dufieux avait appuyé en 1932 la demande de l'Inspecteur général des Chars
Martin, c'est-à-dire la mise en chantier immédiate du "B". Sept lui furent accordés, et en 1935, trois seulement
étaient sortis des usines, d'ailleurs encore inachevés. De ces chars B, il en existait assez en 1937, pour former une
Compagnie. Ils retinrent l'attention du Général CATROUX, commandant le Corps d'Armée de Nancy, lors des
manoeuvres qu'il organisa. Il s'enquit auprès de l'Etat Major de l'Armée de la théorie d'emploi de ces engins
impressionnants. "Aucune!" lui répondit-on "ces chars ne servaient pratiquemment à rien, qu'ils n'existaient que
pour satisfaire l'opinion publique et un certain courant d'idées dans l'armée.." (130)
d- Avec de GAULLE: première conjugaison des efforts.
Au crépuscule de cette année 1936, l'avant-veille de Noël, la nomination au grade de Général de Brigade
de Charles DELESTRAINT est officielle. (Le J.O. la relate le 24 Décembre)(131)
1937 ! Et pourtant voilà déjà trois années qu'est paru le livre de Charles de GAULLE, "Vers l'Armée de Métier".
Mais qui l'a lu en France où trois cents exemplaires ont été vendus (et plusieurs milliers en Allemagne..). L'an
dernier, juste après le 7 Mars 1936, le Conseil Supérieur de la Guerre n'a-t'il pas rejeté la demande de GAMELIN
de créer un grand corps blindé ? (132) Faut-il comprendre que ses membres étaient peu habitués à une telle
opinion du Généralissime, pourtant hostile aux thèses de Charles de GAULLE, mais ébranlé par le coup d'audace de
HITLER sur la Rhénanie..L'inertie des vainqueurs de 18 n'est toujours pas vaincue..
Le Lieutenant-Colonel de GAULLE est nommé, par intérim, à la tête du 505° Régiment de Chars de
Combat, à Montigny-lès-Metz, le 13 Juillet 1937. Il en prend le commandement effectif au début de Septembre. Il
sera promu Colonel le 24 Décembre. Le théoricien de l'arme cuirassée aspirait depuis longtemps à toucher au
concret en prenant un temps de commandement.
130
Lacouture, Jean. Charles de Gaulle. T.1 Le rebelle. Paris Seuil 1984. 838 pages. p. 262.
La citation que reprend
Jean Lacouture provient du livre de Georges Buis: Les fanfares perdues : Paris. Seuil 1975. p. 38.
131
S.H.A.T.. Etat des Services et lettre du Ministre de la Guerre en date du 30.12.1936. Voir Annexe 2/33.
132
Lacouture, Jean. Ibidem. p.252.
Les incidents entre le Général GIRAUD, maintenant gouverneur de Metz, commandant le Corps
d'armée, et le Colonel de GAULLE sont fréquents. Au cours de manoeuvres, le Général
GIRAUD se fait l'avocat de certains officiers supérieurs de l'Infanterie protestant de ne pas être protégés par les
chars, trop en avant. De GAULLE réplique: "Quand les chars seront passés, il ne restera plus rien !" et devant
l'approbation du Général de la PORTE du THEIL, GIRAUD, furieux, crie: "Vous, mon petit de GAULLE, tant que je
commanderai le Corps d'Armée..".(133)
Dans son livre sur le Général DELESTRAINT, Jean-François PERRETTE rapporte l'incident de la revue du
14 Juillet 1938, à laquelle assistait le ministre de la "Défense Nationale et de la Guerre", Edouard Daladier. Le
défilé allait commencer devant la tribune où se trouvait le ministre, et le gouverneur enfourchait son cheval pour en
prendre la tête lorsque le Colonel de GAULLE s'étant glissé à l'intérieur d'un Char D1 manipulait le canon du char
armé à blanc, et fit,,..par inadvertance, partir le coup..
Le cheval du Général GIRAUD, effrayé, partit au galop, avec son cavalier, à peine mis en selle..ce qui divertit
beaucoup de participants, y compris Charles DELESTRAINT..mais pas le Général GIRAUD..(134)
Les jalousies ne sont pas absentes. Pour la place au commandement du 507° R.C.C. de GAULLE a vu,
quelques mois auparavant s'opposer vivement à lui un candidat sérieux, le Colonel Pérré. Celui-ci avait de très gros
appuis dans les ministères. Ce fut une surprise pour tous de voir de GAULLE l'emporter. Cette adversité persistera,
bien entendu, au cours de la guerre. D'aucuns pensent qu'un ministre -ou son entourage- soit pour se débarasser de
lui, soit pour éprouver ce théoricien mis au niveau de la réalité, ait donné à de GAULLE le 507°, tel un cadeau
empoisonné..Depuis qu'il a quitté le Secrétariat Général de la Défense Nationale, ses conceptions des grandes
formations cuirassées qu'il tient à faire accepter lui entrainent de fortes inimitiés parmi certaines hautes autorités
militaires. Le général MAURIN est du nombre et fait rejaillir sur DELESTRAINT l'aigreur qu'il ressent pour de
GAULLE et ses théories rejetées en bloc par lui.
Enfin, loin d'avoir convaincu les principaux responsables militaires, les de GAULLE, les MARTIN, les
DELESTRAINT voient se dresser contre leurs théories de grands noms de l'Etat-Major de l'Armée, et d'abord "le
plus illustre des Français" le Maréchal PETAIN, qui prêche d'autant plus la prudence à l'égard des "idées de de
GAULLE" qu'il est en froid avec lui depuis la parution de "La France et son Armée". Et puis, n'a-t'il pas appuyé de
son nom la ligne Maginot ? L'a-t'il dessiné comme certains l'affirment ? Crémieux-Brilhac rappelle qu'il a préfacé,
en 1939, le livre du Général CHAUVINEAU, "Une invasion est-elle possible", dans lequel on lit que "les grandes
unités cuirassées appartiennent au domaine du rêve". De bien gros obstacles à surmonter pour nos "Chars"(135)
133
Lacouture, Jean. Op.Cit. p.266.
134
Perrette, Jean-François. Op. Cit. p. 66-67.
135
Crémieux-Brilhac, Jean-Louis. Op. Cit. p.388.
Il est évident, alors, que DELESTRAINT ait à se réjouir, en voyant arriver sous ses ordres ce Colonel qui a
tant fait parler de lui chez les "chars" depuis son livre de 1934, "Vers l'Armée de Métier", et qu'il a lu avec passion..
Les contacts se font de plus en plus fréquents. Au cours de ces 18 mois, de Septembre 1937 à Mars 1939, ces deux
hommes, passionnés par leurs conceptions de l'arme blindée, constatent certes rapidement q'elles coïncident, mais
désirent coopérer étroitement afin d'en affiner la théorie, et d'en rendre applicable la pratique.
Chaque jour, en fin de matinée, racontera le Général à son fidèle PERRETTE, le Colonel de GAULLE lui
téléphone pour s'assurer qu'il ne le dérange pas, et il vient discuter avec lui de problèmes relatifs aux chars, (136)
ou de sujets dont le niveau n'a d'égal que celui de leur esprit et de leur habitude de la réflexion ou de la méditation.
Ils peuvent aussi échanger leurs opinions, voire leurs vues prophétiques, sur les évènements qui jalonnent cette
période précédant l'orage imminent: après la Ruhr, ils voient arriver l'Anschluss de l'Autriche, le 15 Mars 1938, et
surtout, six mois plus tard, l'annexion par Hitler de la partie de la Tchécoslovaquie correspondant aux Sudètes,
acceptée honteusement par l'Angleterre et la France à Munich.
Ces contacts quotidiens privilégiés laisseront leur marque indélibile, et bien que séparés par la distance
depuis 1940, l'identité de leur refus de l'armistice sera évidente, et de GAULLE, de Londres, pourra commencer sa
lettre du 22 Octbre 1942 à DELESTRAINT par ces mots:" Mon Général, on m'a parlé de vous..J'en étais sûr."
"L'alliance ne cessa de s'approfondir" dira Jean Lacouture. (137). Elle permettra à DELESTRAINT de faire
connaître de GAULLE autour de lui après la défaite et de dire: "Croyez-moi, on peut faire confiance en un tel
homme! "
e- La vie de la famille à Metz
Les DELESTRAINT habitent, de Juin 1936 à Mars 1939, une villa d'une petite rue de Metz, la rue
de Londres. Comme toujours chaque matin, le général se rend à la messe, à pied, à Notre Dame, puis il revient chez
lui où un chauffeur militaire vient le chercher pour l'emmener à l'Etat-Major. Souvent, il faisait faire un léger
détour pour accompagner sa fille Bibiane, à son collège.
136
Perrette, Jean-François. Op. Cit. p. 65.
137
Lacouture, Jean. Tome 1. Op. Cit. 267.
L'ambiance de la vie à Metz, confiera celle-ci, est très différente de la précédente garnison. Beaucoup plus
austère, elle n'a rien de commun avec l'atmosphère détendue, joyeuse de Vannes. Une ambiance mondaine au sens
restrictif du mot, un peu compassée, -"pas drôle" se souvient-elle-, fige les familles d'officiers dans un respect
protocolaire tourné vers le Général GIRAUD, le "proconsul". On y rencontre de grandes figures encore peu
connues, mais appelées à être célèbres: de LATTRE de TASSIGNY, de GAULLE, DELESTRAINT.
Ces dames ont "leur jour" où elles reçoivent les femmes des officiers supérieurs de la garnison. Il est
entendu que ces messieurs doivent venir rejoindre leur épouse dans l'ordre inverse de leur grade ou de leur
fonction, afin que le Général GIRAUD puisse arriver en dernier lieu. Le bouquet final..
Madame DELESTRAINT "reçoit" deux jours par mois. Justement bientôt le jour sera là..C'est un
souci de plus, car Madame DELESTRAINT est tourmentée par la disparition de son chat, qui répond (ou ne répond
pas) au nom de "Kiki". Car ce chat, un bel Angora, est plutôt ce que l'on peut appeler "un chaud lapin", et rien ne le
retient quand il veut "faire le mur".
Le jour de la réception arrive et Kiki n'est toujours pas de retour ! Ces dames attendent et voient arriver
leur mari, le Colonel de GAULLE, le Général de LATTRE, et bien d'autres sont déjà dans le salon de la maîtresse
de maison. Enfin, on annonce le Général GIRAUD dont la haute stature s'encadre dans la porte du salon. C'est ce
moment que choisit Kiki pour revenir et entrer en deux bonds au salon, en passant entre les jambes du Général..
Et Madame DELESTRAINT s'exclame :"Ah!, voilà Kiki..!" (138)
138
Témoignage de Madame Tourtel-Delestraint, le 29.01.1991.
G- PREMIERE MISE AU CADRE DE RESERVE
Arrive le 60° anniversaire du Général DELESTRAINT. Le Ministère de la Défense Nationale et
de la Guerre et le Grand Etat-Major n'ont rien fait pour donner non seulement une promotion, mais un poste en
conséquence à ce général extrêment compétent dans le domaine de l'Arme Blindée, un des très rares généraux à
connaître à fond cette spécialité.
Les manoeuvres de l'automne 1937, au camp de Sissonne, avaient démontré combien
DELESTRAINT avait raison dans sa théorie. Le Général GIRAUD certes a relaté dans les "notes données" le 20
Novembre que le Général de Brigade "a dirigé les expériences de Sissonne avec autant de bienveillance [!] que de fermeté et a permis d'établir les bases d'une doctrine dont les unités cuirassées ont le plus grand besoin". (139)
La doctrine existe, mais aucun grand responsable n'est vraiment convaincu, mais le haut commandement n'y croit
pas. Pétain d'abord.. Lorsque le Général Chauvineau, ancien professeur de l'Ecole de Guerre dans son livre affirmait
que,"juif errant obligé de marcher sans arrêt, le char ne saurait être un engin redoutable", comment penser que
certains députés, la majorité, puissent s'opposer à l'Etat-Major. En effet, Paul Reynaud, le 2 Février 1957 présente
le projet de de GAULLE à la Chambre. DALADIER, résolument opposé, n'eut aucun mal à faire enterrer la
division cuirassée..-124 députés ont voté pour elle. (140)
Et DELESTRAINT termine sa carrière sans pouvoir se faire entendre.
Le Général GIRAUD, son supérieur, peutaffirmer le 12 Octobre 1938, c'est-à-dire quelques mois avant
son départ, "regretter dans l'intérêt de l'Armée et des chars d'assaut que la limite d'âge l'atteigne l'an prochain", mais
comme pour de GAULLE, il tient à faire apparaître que la doctrine du Conseil supérieur de la Guerre est la seule
valable, quand il écrit dans cette phrase louangeuse qu'"il ne se paie pas de mots et sait demander à une arme ce
qu'elle peut donner, dans le cadre des décisions du Commandement, et les contingences de la bataille
moderne."(141)
139
Notes du Général Giraud (20.11.1937). S.H.A.T. 616/GX. II. Dossier du Personnel.
140
Cartier, Raymond. La seconde guerre mondiale Tome 1. Paris. Larousse. Tome 1. 1965. 367 pages. p. 47.
141
Notes du Général Giraud (12.10.1938). S.H.A.T. Ibidem.
Ce qui rappelle que le Haut Commandement, ayant le dernier mot, a toujours raison, et sous entend que la
théorie de la grande unité blindée reste utopique, face aux contingences que connait bien l'Etat-Major. Surtout
lorsqu'on se souvient que le Général GIRAUD ne cesse d'affirmer que le"Char" doit toujours rester lié à
l'Infanterie.
La grande idée de de GAULLE, de DELESTRAINT, en ce début de 1939, semble vouer à l'échec.
Aucune division n'est encore en voie de formation. Aucune ne sera en voie de fonctionnement lorsque de GAULLE
quittera le 507 au début de l'été, alors que Hitler dispose déjà en Mars de cinq Panzerdivisionnen, et de trois autres
en formation..(142)
Le 12 Mars 1939, atteint par la limite d'âge, Charles DELESTRAINT quitte le commandement de
la 3° Brigade de chars de combat. Il est informé officiellement qu'il est placé dans la 2° Section (Réserve) du
Cadre de l'Etat-Major Général de l'Armée par l'avis du Ministère en date du 27 Février, signé du Général Decamp,
Chef de cabinet. Cependant il lui est demandé de faire connaître le lieu de sa nouvelle résidence.(143)
Disposition qui sera particulièrement nécessaire quelques mois plus tard..
Charles DELESTRAINT, avec sa famille, se rend à Saint-Amand-les-Eaux, où il réside à partir du
12 Mars 1939. Les DELESTRAINT reprenne la maison de la famille GILLET, le Clos de l'Abbaye, à Saint-Amand
les Eaux, dans le Nord.
Depuis le décès de Monsieur GILLET, un directeur de l'établissement thermal a été nommé
provisoirement. Dès son arrivée, le Général DELESTRAINT, incapable de rester inactif, prend la direction de
l'établissement.
Il gardera cette fonction quatre mois seulement..
142
Lacouture, Jean. Op. Cit. T.1. page 271.
143
Lettre du Minsistère de la D.N. et de la Guerre du 27 Février 1939,
comportant la réponse manuscrite du Général.
Voir Annexe 2/34.
H- LA GUERRE 39-40.
1°- La "drôle de guerre".
Oui, Charles DELESTRAINT reste bien peu de temps au cadre de Réserve. Il est rappelé à
l'activité dès le 1° Septembre 1939; il le pressentais depuis plusieurs semaines, et surtout, depuis le pacte
germano-soviétique. C'est pour lui le début de la lutte contre l'Allemand, contre le nazi qui a déjà annexé l'Autriche
et la Tchécoslovaquie et envahit, ce même 1° Septembre, la Pologne. Il laisse sa famille à Saint-Amand, et est
présent à la convocation.
Après une première affection toute transitoire au Commandement des Chars de la nouvelle 7° Armée du
Général GIRAUD, à la frontière belge, il est très vite convoqué à La Ferté-sous-Jouarre, au G.Q.G. des armées du
Nord-Est, du Général GEORGES. Le Général KELLER, inspecteur des chars qu'il connait bien l'a demandé à son
Etat-Major du château de Montapeine. Officiellement nommé au Commandement des "réserves des chars", il est
chargé de "hâter la fabrication et l'organisation des engins en nouvelles unités"(143).
Où en est la constitution des fameuses divisions cuirassées ?
- La fabrication des chars, jusque là, en est particulièrement lente. Le Char B1, certes, est amélioré; il est
désormais désigné sous le nom de B1 bis. A partir d'Octobre 1939 le rythme de sortie du B1 bis sera de 20 par
mois.
- L'organisation des divisions cuirassées est enfin acceptée par le Haut commandement. La 1° D.Cr. verra sa
constitution se réaliser à partir de Septembre, elle sera confiée au Général BRUNEAU. Les 2° et 3° verront le jour
au printemps 1940. (la 2° sous les ordres du Général BRUCHE, la 3°,général BROCARD) .
143
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Paris
Presses de la Cité. 1972. 180 pages. p. 69.
Quant à la fameuse 4° Division dont le Général GAMELIN avait confié l'organisation au Colonel de GAULLE en
Avril 40, pour la "mettre sur pied" le 15 Mai,(144) elle sera constituée "d'un ramassis d'éléments dispersés" (145)
Aucune n'aura un entrainement suffisant.
Et en Mai, dix Panzerdivizionnen parfaitement au point entreront en France.
A l'automne 1939, la stratégie devant être confiée aux futures divisions blindées n'est toujours pas
adoptée par le Haut-Commandement français,
-ni par le général GAMELIN, retranché à Vincennes, qui détient tout le pouvoir, sans exercer son autorité,
-ni par le G.Q.G. installé à La Ferté-sous-Jouarre.
Malgrè les avertissements de tous les spécialistes de l'Arme Blindée, malgrè les avis donnés en Septembre par le
général FAURY, attaché militaire à Varsovie et du Lt-Colonel Albord attaché à Prague et replié à Budapest, sur la
stratégie allemande des groupements blindés, puissamment aidées par leur aviation (146).
Au niveau de la troupe des "chasseurs", apparait une certaine déception. Ceux-ci étaient fiers
d'appartenir à des régiments de Chars importants, tels le 505 R.C.C., le 507 R.C.C. etc..A partir de Septembre
1949, les régiments sont "brisés", et leurs bataillons sont dispersés. Ainsi un ancien raconte qu'avant le 1°
Septembre 39, il appartenanit au 1° Bataillon du 507° R.C.C. du Colonel de GAULLE. Cette unité devint le
19°Bataillon et allait cantonner à Goetzenbruck, petit village situé à 10 kms de Bitche en Moselle (147). Ce
bataillon est loin d'autres unités de chars. Il couvrira des formations d'infanterie, lors de la campagne de France,
jusqu'au moment où il pourra rejoindre la 4°D.Cr. (à laquelle il sera d'ailleurs enlevé au moment de l'affaire
d'Abbeville).
Ainsi, loin de créer de grandes unités de chars, des régiments existants seront "désossés" en
bataillons, en Septembre.
Le Général DELESTRAINT se dépense sans compter au Quartier Général de Montapeine. Il n'y reste
guère, d'ailleurs, en se rendant lui-même au Ministère de la Guerre, de l'Armement. Il va voir les constructeurs, les
arsenaux, les Parcs d'équipement, d'entretien, de réparation.
144
Delmas, Général Jean. "La drôle de guerre ou l'attentisme français" in Historia Janvier-Février 1990.
145
Lacouture, Jean. De Gaulle. Paris Seuil. Tome 1. Le Rebelle. 1984. 838 pages. p. 271.
146
Delmas, Général Jean. Ibidem.
147
Témoignage de Mr René Jugniot.
Ce répit de huit mois fut mis à profit par DELESTRAINT pour essayer d'organiser ces trois divisions;
malheureusement la stratégie, ou plutôt le manque de stratégie, qu'on allait leur imposer allait rendre caduque la
valeur réelle des engins qui les composaient.
Il se rend vers chacune des trois divisions qu'elle soit presque formée, telle la 1° D.Cr près de Chalons
autour du camp de Suippes, ou en formation, telle la 2°D.Cr entre Chalons et Sainte-Menehould,(à partir de Janvier
40), ou la 3° en Mars autour de Mourmelon (148).
Mais il ne cesse d'insister à toutes occasions sur l'emploi des chars en grandes formations, combiné avec
l'aviation. Ainsi, rapporte un journal, quelques semaines avant l'offensive allemande, en Avril 1940, au cours d'une
manoeuvre au camp de tSatory, il expose cette théorie devant de nombreux officiers supérieurs. Dès qu'il a
terminé, le général très étoilé, "qu'il vaut mieux nepas nommer" dit le journaliste, reprend la parole pour s'adresser
à l'aréopage: "A présent, Messieurs, redescendons des nuages!..." (149).
On lui donne le 16 Avril, en tant qu'adjoint de l'Inspecteur des Chars, le commandement de la réserve des
chars. Pas pour longtemps..
2°- La Campagne de France.
Le 10 Mai arrive, avec son cortège de "blitz", de foudre, d'ordres et de contre-ordres, d'offensive
française intempestive vers la Belgique, de percée des Ardennes, de bombardements incessants.. "Délaissant lui-
même, dès les premières alertes, sa position confortable à la tête des "réserves de chars", le général
DELESTRAINT s'impose au milieu des chars en plein combat" (150). Le général BILLOTTE, commandant le
groupe d'armées Nord, le 15 Mai, ne sait plus où se trouve la 1°D.Cr. Il envoie DELESTRAINT rameuter ses restes.
Par des officiers isolés, le 16, il apprend qu'elle n'existe plus (151). En fait, la 1° D.Cr a été presque entièrement
détruite dès le premier soir de l'offensive allemande, et la 2°D.Cr. est déjà très atteinte, lorsque le Général
KELLER la met sous les ordres de DELESTRAINT.
148
Perrette, Jean-François. Op.Cit. p. 75.
149
Delcourt, André. La voix du Sang. in "La Croix du Nord" du 16 Septembre 1945.
150
Perrette, Jean-François. Ibidem. p. 80.
151
Crémieux-Brilhac, Jean-Louis. Les Français de l'an 40. T.II. Paris Gallimard. 1990. 715 pages. p. 617.
Le commandant PERRETTE est officier de renseignements à la 2° D.Cr. Il est un des témoins
essentiels de l'épopée de cette unité lors de la campagne de France. Le général Bruché a déjà disparu, dans la
nuit du 13 au 14. Le général Delestraint le remplace effectivement; il parait posséder le don d'ubiquité, rend
visite aux équipages, leur redonne confiance; à l'Etat-Major de la division, il fait le point lucidement, malgrè la
confusion de la situation, donne des ordres en conséquence (152).
A peine investi du commandement de la nouvelle 4° Division constituée de formations éparses, que le
Colonel de GAULLE lance, à l'aube du 17 Mai, la contre-offensive de Montcornet, avec l'appui du Bataillon du
Commandant BESCOND, formé de B1 bis. Le réultat est foudroyant. Voilà que la 1° Panzer est menacée dans
sa ligne de communication. Le Général DELESTRAINT rejoint de GAULLE à son P.C. de Bruyères; et
enthousiaste "lui dit qu'ils sont en train de vivre la revanche sur l'aberration officielle". Malheureusement, la
10° Panzer intervient pour dégager la 1° Pz de ce mauvais pas, et de GAULLE doit se replier le 19 sur Laon, le
Commandant BESCOND trouve la mort dans ces derniers combats(153).
Les 2° et 4° divisions cuirassées, ou ce qu'il en reste, coopèrent; un état de fait s'installe; le général
DELESTRAINT d'un commun accord commande les deux divisions. Il n'est pas étonnant que l'officialisation du
commandement du groupement cuirassé ait connu un décalage de plus d'une semaine. Le 24 Mai le Général
DELESTRAINT devient le Commandant du Groupement cuirassé "à titre provisoire", et le 2 Juin à titre
définitif.. (154).
Des compagnies autonomes, des bataillons de chars jusque là destinés à l'accompagnement, arrivent
de l'arrière pour renforcer ces deux divisions.
Lorsque, le 27 Mai, l'ordre parvient à la 4° D.Cr. de réduire la tête de pont d'Abbeville, le général
DELESTRAINT demande que ce soit l'ensemble du groupement qui participe à cette action, et il suggère
qu'elle se porte sur la tête de pont d'Amiens. Il lui est retourné un refus sans appel. La 4° Division du tout
nouveau général de Gaulle, (division à laquelle le Haut commandement vient d'enlever le 19°B.C.C) parvient du
28 au 30 Mai à jeter le trouble chez l'adversaire qui laisse 500 prisonniers et un important matériel, et la tête
de pont de la rive gauche de la Somme si elle existe encore est très réduite (155-a). Le commandant
PERRETTE, témoin exceptionnel, apporte quelques précisions sur les évènements de ces journées et explique
pourquoi le succès d'Abbeville ne fut pas total (155-b)
152
Perrette, Jean-François. Ibidem p. 82.
153
Lacouture, Jean. Op. Cit. p.311.
154
S.H.A.T. I.Complément du dossier administratif. (Rens. divers)
155-a
de Gaulle, Général. Mémoires de Guerre. Tome I. L'Appel. Paris Plon. 1954. 680 pages. p.38.
155-b
Extrait d'une lettre personnelle du Cdt Perrette: Se reporter à l' Annexe 2/36.
Devant les pertes importantes, la contre-offensive doit s'arrêter alors que les résultats obtenus par de
GAULLE sont considérables (156). Nul doute que les têtes de pont d'Amiens et d'Abbeville auraient été
totalement réduites si l'ensemble du groupement de chars y avait été engagé. Ainsi "le commandement se rend
coupable une fois de plus d'erreur de jugement malgrè les avertissements compétents" (157).
D'ailleurs ce même commandement dissocie une fois de plus le groupement de chars, en
ordonnant à la seule 2° D.Cr de poursuivre le but de colmatage de la poche, devant un ennemi maintenant
renforcé. L'attaque s'engage le 4 Juin. Ce sera un échec fatal.
Le Général DELESTRAINT écrira dans son rapport relatant l'action du groupe cuirassé: "Il est incontestable
que si, au lieu de dépenser les deux divisions cuirassées l'une après l'autre, à plusieurs jours d'intervalle et sous
un commandement différent, on les avait employées simultanément les 29 et 30 Mai, la poche d'Abbeville
aurait été réduite avec un minimum de frais".
Comme chaque matin, DELESTRAINT, le 6 Juin est debout dès l'aube, lorsqu'il entend à la
T.S.F. que de GAULLE est appelé au gouvernement. Il lui annonce en lui téléphonant à son P.C. de Marseille-
en-Beauvaisis (158). Certes, satisfait d'apprendre qu'un tel homme entre au gouvernement, sans doute trop tard,
il ne peut que déplorer de voir quitter le combat un tel chef en un tel moment.
D'autant plus que l'offensive allemande de la Somme des 6 et 7 Juin bouscule les défenses de l'armée française.
DELESTRAINT ne renonce pas à opposer à l'avance allemande le combat d'arrière garde des chars qui sont
encore disponibles au groupement des 2° et 4° D.Cr. Il peut ainsi couvrir le repli de la X° et de l'Armée de
Paris.
Au reste, lorsque de GAULLE suggère au Général WEYGAND de concentrer les formations de chars
qui nous restent en un groupement pour défendre Paris, il précise que c'est à DELESTRAINT qu'il faut le
confier..Mais il est trop tard. Il a bien envoyé le lieutenant TOURTEL* au G.Q.G. demander désespérément les
impossibles renforts, mais il a compris au retour de celui-ci qu'il doit désormais agir par lui-même pour sauver
ce que l'on peut sauver de l'Armée, de la Nation.
Il organise le passage de la Loire pour les troupes en pleine retraite. Ses deux divisions vont couvrir
l'une (la 2°) de Nevers à Orléans, l'autre (la 4°) d' Orléans à Blois. C'est à Meung/Loire que le lieutenant
TOURTEL est grièvement blessé au cours d'une patrouille où il s'illustra (157).
*
Roger Tourtel devint le gendre du général Delestraint.
156
Lacouture, Jean. Ibid. p. 315.
157
Perrette, Jean-François. Ibid. p.87.
158
Lacouture, Jean Ibidem. p. 322.
Le 17 Juin, le Maréchal PETAIN annonce à tous les échos qu'il demande l'armistice, ce qui sape
inévitablement l'énergie de ceux qui veulent encore résister à l'ennemi dont les lignes de ravitaillement
s'étirent alors difficilement. Bien des soldats français, pensant que la guerre est terminée, s'arrêtent dans leur
retraite, et sont faits prisonniers.
Le 18 Juin, le Général DELESTRAINT, à son P.C. de la Mairie de Valençay, est un des rares à avoir
entendu à la B.B.C. la voix qu'il connait bien, celle de son subalterne, devenu son ami, celui que, désormais, il
est décidé à suivre. Il entend son appel d'espoir, d'engagement pour une cause qu'il fait sienne (159).
A l'issue du récit de la Campagne de France, où l'on voit le Général DELESTRAINT souvent
avec les hommes qui vont se battre, méprisant le danger, il serait vain de considérer l'homme dans la peau d'un
simple "baroudeur". Charles DELESTRAINT est d'abord un homme conscient, pénétré de ses responsabilités,
de son devoir de soldat, de chef. Il y a chez lui une conotation intellectuelle évidente qui fait rattacher sas actes
d'abord à la volonté d'exprimer la théorie qu'il a élaborée, pensée, et qu'il veut faire admettre à ses supérieurs.
Il veut se montrer persuasif..et il échoue, comme a échoué de GAULLE par ses écrits.
Alors, dans cette douloureuse campagne de France qui devient malheureusement la confirmation de
ses prévisions, il se bat tant qu'il peut, il fuit le poste tranquille qu'il avait, pour faire son devoir de soldat, en
voulant éviter la souffrance inutile de ses soldats, en faisait son devoir de chef.
Dans cette retraite difficile, déprimante, sans perdre jamais courage, Charles DELESTRAINT
mène les restes des deuxième et quatrième divisions jusqu'au camp de Caylus en Tarn-et-Garonne, dans les
Causses du Quercy, où les équipages, officiers, sous-officiers, chasseurs, souvent sans leur engin, tous
épuisés, peuvent retrouver le repos. Ils n'ont pas été pris par l'ennemi. Ils ont gardé toujours, au cours de cette
période éprouvante, une certaine cohésion grâce au contact constant que leur chef leur a prodigué. Quelques
jours passent avant que le Général doive les quitter.
Le décret du 15 Juillet 1940 "libère" le Général DELESTRAINT (déjà du Cadre de Réserve)
de toutes obligations actives à partir du 16 Juillet.
159
Les sources concernant la retraite du groupement cuirassé proviennent en grande partie du livre de Jean-
François Perrette.
Le Général KELLER, ancien inspecteur des Chars, est nommé au commandement militaire de
l'Ain, où s'est replié la 7° Région militaire. DELESTRAINT, mal à l'aise à l'idée de vivre au contact des
Allemands, décide de rester en Zone non occupée. Le Commandement ne l'autorise pas à rentrer à Saint-
Amand, dans ce Nord, zone interdite. Le "Clos de l'Abbaye" ne peut pas recevoir les DELESTRAINT. D'autant
plus que certaines informations parvenues par la voie militaire font état de grandes destructions subies à la ville
de Saint-Amand et peut-être bien à la maison familiale.
Pourquoi, alors, ne pas suivre le Général KELLER à Bourg-en-Bresse, puisqu'il n'existe pour cette
famille picarde, aucun havre familial ou professionnel en Zone Sud ?
Au moment de l'offensive allemande du 10 Mai, un chauffeur vient chercher à Saint-Amand Madame et
Mademoiselle DELESTRAINT pour les emmener en Normandie chez des parents. Puis, devant l'avance
allemande, le périple dans une voiture surchargée s'est poursuivi. Le général a pu les faire prévenir et leur faire
savoir que le point de rencontre est fixé à Bourg-en-Bresse.(160)
Avant de quitter le camp de Caylus, le Général DELESTRAINT apprend qu'il vient d'être nommé
Général de Division. Cette troisième étoile, tant méritée, arrive à une période tragique. Bien qu'il soit le seul
Général de l'Armée française à avoir bénéficié d'une promotion après l'armistice, il ne la considère pas avec
beaucoup de satisfaction.
Cependant, malgrè une certaine amertume passagère, malgrè une rancune devant l'insouciance du
commandement des dernières années, une force nouvelle supplée celle qu'il a connue dans le combat au cours
de cette malheureuse campagne de France, une force exaltante, celle de la Résistance à l'ennemi, d'autant plus
qu'il sait que ce flambeau est tenu par Charles de GAULLE qu'il connait si bien, qu'il juge comme un homme
exeptionnel, l'homme de la Providence..
Dès ce moment, mû par la même motivation profonde, la Patrie, Charles DELESTRAINT ne pense
plus au combat qui l'a mobilisé pendant dix sept ans, les Chars, idée désormais négative qui n'engendrerait alors
qu'amertume et aigreur, objectif raté bien malgrè lui, mais dont la fixité sclérosante ne pourrait alors
qu'alimenter des conversations de salon ou de café du commerce. Mais apparait une cause, combien actuelle et
essentielle à la France; cette cause justifiant un engagement progressivement total, la cause de la Résistance à
l'envahisseur, et au gouvernement de Vichy pour cette fin de campagne de France, pour cette politique qui lui
semble déjà suspecte.
160
Interwiew de Madame Tourtel-Delestraint, se souvenant fort bien de cet "exode", fuyant Saint-Amand en ce
mois de Mai.
Aussi, lorsqu'il adresse ses adieux à ses hommes, il emploie des mots au travers desquels se manifeste
à la fois le chrétien, le patriote fondamental mais aussi le rebelle qui se révèle. Il veut déjà redonner l'espoir à
ses compagnons de combat, à ceux qu'il va quitter, comme il le fera au Struthof ou à Dachau. Mais se dévoile
aussi le Militant qui veut reprendre la lutte, le Résistant qui refuse les mots d'ordre gouvernementaux, dont les
mots vont à contre-sens de la dialectique officielle..
"La France s'écroule aujourd'hui dans un désastre effroyable. La veulerie générale en est la cause.
Il dépend de nous, cependant, il dépend de vous surtout, les jeunes, que la France ne meure pas. De
grands soucis, de durs sacrifices, dont nous ne mesurons pas encore toute la portée, nous attendent.
Allons au devant de ces nouvelles épreuves avec courage, avec énergie, avec confiance.
Ainsi que nous le disait si bien l'Abbé, Dimanche dernier, la Résurrection glorieuse de Pâques a suivi
de près le sanglant et douloureux calvaire du Vendredi Saint.
Si nous conservons la foi dans les destinées de notre pays; si nous nous comportons en Français, et
non avec une mentalité de chiens battus ou d'esclaves; si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour,
elle aussi du calvaire présent.
En vous faisant les adieux je dis à tous Courage, je répète à tous, Confiance, confiance encore,
Confiance toujours. " (161).
161
Il s'agit là du texte intégral de l'allocution prononcée à Caylus le 8 Juillet par le Général Delestraint.
Ce texte, conservé par la famille, sera reproduit par Monsieur Aubrac lors de sa conférence du 28 Juin 1947, à Vannes.