A- PRINCIPAUX SIGLES ABREVIATIONS ou SYMBOLES.
(utilisés dans cet ouvrage)
A.D.R. : Archives Départementales du Rhône. (Lyon)
A.I. : Action Immediate.
A.M. : Affaires Militaires.
A.N. : Archives Nationales. (Paris)
ARQ : Arquebuse: Colonel Passy
A.S. : Armée Secrète
B.B.C. : British Broadcasting Corporation. (Radiodiffusion britannique)
B.C.A. : Bataillon de Chasseurs Alpins
B.C.P. : Bataillon de Chasseurs à Pied.
B.C.R.A. : Bureau Central de Renseignement et d'Action.
B.d.S-France : Befehlshaber der Sicherheitspolizei: Commandant de
la Police de la Sécurité. Chef du R.S.H.A-France
B.I.P. : Bureau d'information et de Presse.
B.M.A. : Bureau des Menées Antinationales.
B.O.A. : Bureau des Opérations Aériennes.
BRU : Brumaire (Pierre Brossolette).
B.S.M. : Bureau de Sécurité Militaire.
C.A.D. : Comité d'Action contre la Déportation.
C.A.S. : Comité d'Action Socialiste.
C.C. : Comité de Coordination.
C.D. : Comité Directeur (ou Directoire).
C.D.M.U.R. : Comité Directeur des Mouvements Unis de Résistance
C.D.L.L. : Ceux De La Libération (Mouvement de Zone Nord).
C.D.L.R. : Ceux De La Résistance (Mouvement de Zone Nord).
C.D.M. : Camouflage du Matériel.
C.E. : Contre-Espionnage.
C.F.L.N. : Comité Français de Libération Nationale.
C.G.E. : Comité Général d'Etudes.
C.G.T. : Confédération Générale du Travail
C.I.D. : Comité International de Dachau.
C.I.G.S. : Chief of the Imperial General Staff: Chef d'Etat- Major Impérial. (Sir Alan Brooke).
C.N.D. : Confrérie Notre-Dame (Réseau de Rémy).
C.N.F. : Comité National Français. (Londres)
C.N.R. : Conseil National de la Résistance.
C.O.P.A. : Centre d'Opérations Parachutage et Atterrisage.
D.B. : Division Blindée. (à partir de 1943).
D.Cr. : Division Cuirassée. (de réserve) (en France jusqu'à 1940)
D.C.A. : Défense Contre Avions.
D.F. : Défense de la France.
D.G.E.R. : Direction Générale des Etudes et Recherches.
D.S.T. : Direction de Surveillance du Territoire.
E.K. : EinsatzKommando: Commando d'engagement, d'action (du SicherheitDienst)
E.M. : Etat-Major.
E.M.A. : Etat-Major de l'Armée.
E.M.P. : Etat-Major Particulier (du Général de Gaulle).
E.M.Z.O. : Etat-Major de Zone Occupée.
F.F.C. : Forces Française Combattantes.
F.F.I. : Forces Françaises Combattantes.
F.F.L. : Forces Françaises Libres.
FLAK : D.C.A. allemande.
FRIT : Pseudo de Monjaret, attaché à FRanc-TIreur.
F.T.P.[F] : Francs Tireurs et Partisans [Français].
GESTAPO : Geheime StatsPolizei (Police Secrète d'Etat).
G.F. : Groupes Francs.
G.M.R. : Groupes Mobiles de Réserve.
G.Q.G. : Grand Quartier Général.
I.H.T.P. : Institut d'Histoire du Temps Présent. (Paris)
I.P.S. : Instruction Personnelle et Secrète.
I.S. : Intelligence Service.
K.d.S-Lyon : Kommando der Sicherheitspolizei: Kommando Police Sécurité-Lyon.
LIBE : Libération (Mouvement de Résistance et journal clandestin de Zone Sud).
L.V.F. : Légion Volontaires Français contre le Bolchevisme.
M.L.N. : Mouvement de Libération Nationale.
M.O.F. : Mouvement Ouvrier Français.
M.O.I. : Main d'Oeuvre Immigrée.
M.U.R. : Mouvements Unis de Résistance
N.A.P. : Noyautage des Administrations Publiques
. N.A.P.-Fer : N.A.P. Chemins de Fer.
O.C.M. : Organisation Civile et Militaire.
O.K.W. : OberKommando der Wehrmacht
O.R.A. : Organisation de Résistance de l'Armée.
O.S. : Organisation Spéciale
O.S.S. : Office of Strategic Service: (S.R. américain)
O.V.R.A. : Opera Vigilanza Repressione Antifascismo; Service (italien) de Surveillance
et de répression antifasciste).
P.C. : Poste de Commandement.
P.C.F. : Parti Communiste Français.
P.P.F. : Parti Populaire Français.
P.R.O. : Public Record Office:Archives Britanniques Londres
P.U.F. : Presses Universitaires Françaises.
Pz (D) : Panzer Division (Division blindée allemande)
Q.G. : Quartier Général.
R.A. : Régiment d'Artillerie.
R.A.F. : Royal Air Force. (Aviation militaire britannique)
R.C.C. : Régiment de Chars de Combat.
R1 : Région 1 : Région de Lyon.de la Résistance Zone Sud.
R2 : Région 2 : Région de Marseille.
R3 : Région 3 : Région de Montpellier.
R4 : Région 4 : Région de Toulouse.
R5 : Région 5 : Région de Limoges.
R6 : Région 6 : Région de Clermont-Ferrand.
R.I. : Régiment d'Infanterie.
R.I.C. : Régiment d'Infanterie Coloniale.
R.O.P. : Recrutement. Organisation. Propagande. ("Combat")
R.S.H.A. : Reichssicherheitshauptamt: Office Central de Sécurité du Reich.
S.A.P. : Section d'Atterrissages et de Parachutages.
S.D. : Sicherheitsdienst: Service de Sécurité (des S.S.).
SIPO : Sicherheitspolizei: Police de Sécurité (des S.S.).
S.O.A.M. : Service des Opérations Aériennes et Maritimes.
S.O.E. : Spécial Opérations Exécutive. (Direction des opérations spéciales britanniques).
S.O.L. : Service d'Ordre de la Légion.
S.R. : Service de Renseignements.
S.S.M. : Service de Sécurité Militaire.
S.T.O. : Service du Travail Obligatoire.
TIRF : Franc-Tireur (nom donné par Jean Moulin au mouvement de Z.S.).
T.R. : Travaux Ruraux: camouflage du C.E.
T.S.F. : Télégraphie Sans Fil : (Radio)
U.N.A.B.C-C : Union Nationale de l'Arme Blindée-Cavalerie-Chars.
U.R.S.S. : Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
U.S.A. : Etats-Unis d'Amérique.
U.S.Air Force : Aviation militaire américaine.
W.T. : Wireless Télégraphy:Service Radio de la Délégation
Z.N.O. : Zone Non Occupée, devenant Z.S. Zone Sud.
Z.O. : Zone Occupée, devenant Z.N: Zone Nord
Retour au sommaire de la 1ère partie
B- PSEUDONYMES ET ALIAS
Pour distinguer du pseudonyme la fausse identité celle-ci sera présentée entre crochets.Moulin [Jacques Martel]
ARMEE SECRETE: Bacchus.
ASTIER (d')de la VIGERIE: Merlin, Bernard.
AUBRAC: (Pseudo devenu patronyme), [Mr Ermelin]
AUBRY: Thomas, Avricourt.
AYRAL: Pal.
BERNARD, J.G.: Thélis.
BOURDET, Claude: Lorrain.
BOUTOULE Sif B.
BRIANT, Jean: Pal W.
BROSSOLETTE, Pierre: Brumaire.
CHAMBONNET: Didier.
CHEVANCE: Bertin.
CLOSON: Coullanges, Vincent.
COMBAT: Lifra.
CORDIER, Daniel: Alain, Bip W.
COPEAU, Pascal: Salar.
DEJUSSIEU: Pontcarral.
DELESTRAINT Général: Vidal, Mars,Chevalier, [Monsieur Duchêne].
DESCOUR: Bayard.
DESMAZES Général Richard.
DEVIGNY A.: Valentin.
DUCLOS, Maurice: Saint-Jacques.
FASSIN: Capitaine Barsac, Sif, Comète.
FORNIER, André: Bob, Virgile.
FOURCAUD, Boris: Froment.
FRANC-TIREUR: Tirf.
FRENAY: Charvet, Gervais, Nef,Tavernier, Lefebvre
GASTALDO, Joseph: Galibier, [Monsieur Garin]
GEYER: Thivollet.
GORCE: Franklin.
GRAAFF, (de): Tony.
GUERISSE Dr: Pat O'Leary.
GUILLAIN de BENOUVILLE: Barrès, Lahire.
GUILLIN, François-Yves: Mercure, Barry.
HARDY, René: Carbon, Didot,
LA COMBE, René: Bottin.
LARAT, Bruno: Luc, Xavier. [Mr Parisot]
LASSAGNE, André: André.
MANUEL: Pallas.
MORIN, François: Forestier, Méchin, Mélétraz.
MONJARET: Frit.
MORINAUD: Marchal.
MOULIN, Jean: Max, Rex (B.C.R.A) [Jacques Martel], Régis, Guillaume, Mercier.
MULTON, Jean: Lunel.
de WAVRIN: PASSY:(Pseudo devenu patronyme), Arquebuse.
PECK, Marcel: Battesti, Verther.
PETIT: Romans
PINEAU, Christian: Francis.
RACHELINE Lazare: Rachet.
RIPOCHE: Dufour.
RIVIERE, Paul: Sif bis, Marquis.
SALVATELLI: Napoléon.
THEOBALD, Jean-Louis: [Terrier].
VINCENT Colonel: Veny.
VISTEL: Alban, Magny. ("Alban-Vistel" devenu patronyme)
VOGÜE Jean de: Madelin.
ZARAPOFF: Arnaud.
Retour au sommaire de la 1ère partie
LES GRADES DE LA WEHRMACHT, DES S.S. ET LEUR CORRESPONDANCE FRANCAISE

1 - SOLDATS et SOUS-OFFICIERS

WEHRMACHT
S.S.
GRADE
CORRESPONDANT
EN FRANCE
SchützeSS-Mann Soldat
GefreiterSturmmann Caporal
ObergefreiterRottenführer Caporal-Chef
UnteroffizierUnterscharführer Sergent
UnterfeldwebelScharführer Sergent-Chef
FeldwebelOberscharführer Adjudant
OberfeldwebelHauptscharführerAdjudant-Chef
HauptfeldwebelStabsscharführer Adjudant-Major
StabsfeldwebelSturmscharführer Aspirant

2 - OFFICIERS

LeutnantUntersturführer Sous-lieutenant
ObersleutnantObersturmführer Lieutenant
HauptmannHauptsturmführer Capitaine
MajorSturmbannführer Commandant
ObersleutnantObersturmbannführer Lieutenant-Colonel
OberstStandartenführer
Oberführer
Colonel
GeneralmajorBrigadeführerGénéral de Brigade
General-LeutnantGruppenführerGénéral de Division
General des Inf.Obergruppenführer Général de Corps d' Armée
GeneraloberstOberstgruppenführerGénéral d' Armée


Retour au sommaire de la 1ère partie
AVANT-PROPOS

Il serait vain de dissimuler l'intérêt majeur que représente à mes yeux le sujet choisi, de diminuer l'importance qu'il prit dans ma vie même; il s'agit d'un sujet fondamental, d'une aventure extraordinaire, passionnante et tragique, à laquelle j'ai été mélé, qui a laissé en moi sa marque indélibile, depuis maintenant un demi-siècle. Bien d'autres ont reçu l'empreinte de ces années tragiques, et souvent bien plus que moi, puisqu'ils l' ont porté dans leur chair. Pour moi, cette époque exceptionnelle m'a fait accéder à la lutte pour mon pays et pour la Liberté, mais m'a aussi permis de rencontrer des hommes hors du commun, de travailler pour eux, de les admirer, mais de ressentir, avec douleur et désespoir, le vide immense de les voir disparaître, tombés dans le piège allemand. Avoir pu en réchapper comporte certes une satisfaction, mais aussi la même désolation que ressent le rescapé du naufrage qui a vu périr ses compagnons.

Je raconterai plus en détail comment j'ai eu le privilège de connaître le Général DELESTRAINT, d'entrer dans son intimité à Bourg-en-Bresse, où il m'a confirmé dans cet esprit de Résistance à l'Allemand, à l'écoute de la France Libre, du Général de GAULLE, qu'il connaissait et faisait connaître autour de lui, pendant ces années 1940-41-42. Je raconterai aussi comment j'ai eu l'honneur d'être choisi par lui pour devenir son agent de liaison, puis son secrétaire personnel, jusqu'à son arrestation de Juin 1943.

J'ai conscience de la grande chance qui m'a été donnée à cette époque de pouvoir passer entre les mailles du filet serré du Sipo-S.D., mais ma plus grande chance est bien celle d'avoir connu le Général DELESTRAINT et d'avoir vécu avec lui. Connaître un homme de cette envergure est un privilège; partager sa vie, comme je l'ai fait, est une faveur du destin.

D'abord agent de liaison, rôle qui me poursuit puisqu'il m'est donné de faire revivre aujourd'hui le passé que j'ai vécu, j'ai rempli auprès du Général DELESTRAINT, quelques mois plus tard, les fonctions de Secrétaire personnel, jusqu'à son arrestation.

Secrétaire est une fonction que je retrouve aussi, après le très long intermède de ma carrière médicale qui a rempli et comblé ma vie -le mot n'est pas trop fort-. J'ai donc retrouvé cette fonction, puisque j'ai pris la charge du Secrétariat général de l'Association "A la Mémoire du Général Delestraint", association qu' avec quelques anciens j'ai créée en 1985; mais je revis grâce à mes recherches actuelles, ce que j'ai connu dans l'intimité du Général. Je retrouve sa personnalité, ses réactions devant les problèmes rencontrés, devant l'adversité quotidienne impitoyable.

En un mot, au cours de ces cinq années de travail, il m'a été donné de vivre à nouveau avec lui...
Retour au sommaire de la 1ère partie
INTRODUCTION

Faire un sondage auprès du grand public sur la personne du Général DELESTRAINT donnerait des résultats curieux. Combien de Français, un demi-siècle après sa nomination à la tête de l'Armée Secrète, savent qui était ce Général? Bien des auteurs ont cité son nom au cours de leurs travaux sur la Résistance, sur la Déportation, mais rares sont ceux qui ont donné une vue d'ensemble de sa vie, de ses luttes constantes, c'est-à-dire les Chars, la Résistance à l'ennemi.

Cependant, un de ses fidèles compagnons de l'arme blindée, puis de la Résistance, le Commandant Jean-François PERRETTE, a écrit en 1972 un "Général DELESTRAINT", excellent, concis, mais peu diffusé, maintenant épuisé. Son ouvrage a permis à beaucoup de découvrir la personnalité de Charles DELESTRAINT; il reste encore un travail de référence.

D'autres, à l'occasion d'une commémoration, d'une cérémonie ont écrit, qui une plaquette, qui un article, qui un discours sur le Général. Ces parutions, aussi valables soient- elles, n'ont pas développé dans le grand public la connaissance du personnage. Et pourtant, il mérite d'être mieux connu, d'abord de "l'Histoire".
D'abord "l'Histoire", puisque quelques ouvrages ont apporté une image imparfaite, voire déformée, de sa personnalité, de ses options, de ses combats, jusqu'à les altérer complètement. Il ne conviendrait pas que "l'Histoire" entérinât à jamais ces interprétations erronées.
Partant de là, les motivations qui, à mon âge, m'ont conduit à entreprendre ce travail sont plus précises. On peut écarter ce qu'on aurait sans doute la tentation de prétendre; soit qu'il s'agisse de meubler une retraite après une vie professionnelle trop intense, soit qu'apparaîtrait pour moi l'occasion d'entrer, sournoisement, dans une polémique qui ne voudrait pas dire son nom. Le simple désir de révéler la figure d'un tel homme a été mon moteur.

Je n'avais pourtant pas oublié la période de zizanie de 42-43 qui a troublé les rapports entre certains chefs de l'ex-Zone-Non-Occupée d'une part et Vidal et Max d'autre part, période si mal vécue par le Général; je pensais naïvement qu'une fois la guerre terminée les passions se seraient éteintes et que nos morts héroïques auraient droit au respect et au souvenir que leur sacrifice méritait. Des lectures, trop tardives, je le reconnais, m'ont apporté une profonde déception.

Au reste, sur ces années de lutte, dès après guerre, la vérité historique ordonnait qu'on s'y penchât. Mais ne convient-il pas d'apporter tous les éclairages sur ces situations difficiles, sur ces drames qui ont secoué l'ensemble de la Résistance française, puisqu'il s'agissait de son plus haut niveau ?

L'Etat-Major de l'Armée-Secrète a été décimé en Juin 1943 par les drames de "La Muette" et de "Caluire". Ceux qui sont revenus de déportation et dont les responsabilités et la compétence pouvaient en faire après-guerre les porte-paroles ont été rares. Deux hommes répondaient à ces conditions, le Colonel GASTALDO et André LASSAGNE; ils en avaient l'un et l'autre l'envergure: Joseph GASTALDO en tant que Chef d'Etat-Major de l'A.S., officier de haut niveau, breveté; André LASSAGNE, Inspecteur de l'Armée Secrète, agrégé de l'Université.
Certes, ils ont laissé aux Archives Nationales et Départementales des documents, des témoignages développés, mais ils auraient l'un ou l'autre, sinon l'un et l'autre, été aptes à publier leurs mémoires, l'histoire de l'A.S., de son chef. Tous deux sont morts prématurément. Leur disparition laisse un immense vide.

Rémy a écrit:"Mes Camarades sont morts; à mon tour je pourrais dire: "Mes Chefs sont morts". L'occasion m'est donnée, sans doute moins bien qu'ils ne l'auraient fait, d'essayer de dire ce qu'ils ont exprimé, ce qu'ils auraient sans doute écrit s'ils avaient survécu quelques années de plus.

Certes, objectera-t-on, je n'ai pas une formation d'historien; je suis un médecin de conception plus scientifique que littéraire; n'ai-je pas passé il y a cinquante-deux ans un "bac de Math-Elem" ! C'est pourquoi j'ai tenu, surtout depuis ma retraite hospitalière, à m'initier, tardivement il est vrai, cependant depuis déjà cinq années, au domaine de l'Histoire, à suivre des cours...

Autre objection: Il pourrait apparaître difficile- a priori-d'apporter au travail que j'ai entrepris toute l'impartialité que l'historien se doit de manifester: acteur certes modeste, mais réel, c'est en observateur que je me dois d'observer ces évènements vécus.

Il est vrai que j'ai admiré le Général Delestraint; il est vrai que je l'écoutais, que je le comprenais, et qu'à la fin une relation de père à fils s'était établie. Quelle fierté n'ai-je pas ressentie chaque fois que le Général m'emmenait avec lui rencontrer en un coin de Lyon un membre de la Résistance ! Il me disait alors qu'ainsi nous passions plus certainement pour le père et le fils que pour des conspirateurs !

Bien des années se sont écoulées depuis; je suis devenu médecin, ai exercé pendant quarante ans, ayant vite compris que, dans la pratique, le médecin ne peut se permettre de manifester un sentiment profond à l'égard du malade, voire une sympathie au sens étymologique du terme-souffrir avec-.

Par contre, l'empathie permet de comprendre les réactions du sujet, sans s'impliquer soi-même, ce mode de compréhension que le médecin connait bien vis à vis de son malade, cette connaissance plus ou moins intuitive, "une attitude envers autrui, faite de présence, une attention centrée sur ce qu'éprouve l'autre, un effort de compréhension de ce qu'il exprime, excluant l'entraînement affectif personnel autant que le jugement moral, préservant ainsi l'objectivité" dit Mucchielli (1). Le chemin que doit emprunter l'historien semble bien parallèle.

Si le sujet de ce travail est plus axé sur les années de Résistance du Général DELESTRAINT et plus particulièrement sur la période de commandement de l'Armée Secrète, il est nécessaire pour la bonne compréhension de l'homme de décrire le personnage, son enfance, ses origines, ses vocations, sa vie militaire et familiale. Il existe chez Charles DELESTRAINT un aspect monolithique essentiel qui ne permet pas de se contenter de l'analyse d'une seule tranche de sa vie.

Charles DELESTRAINT avait une nature forte et ardente, conditionnée par ses antécédents. Sa carrière militaire n'est-elle pas à l'origine de son engagement, de sa désignation de chef de l'A.S. ?. Son sens religieux n'est-il pas inclus dans cet engagement ?. Son éducation n'est-elle pas la matrice de ses vocations ? Enfin, la passion pour une cause, pour une idée forte, ne l'a-t-il pas déjà ressentie quand il a lutté en faveur de l'emploi de l'arme blindée ?
Il s'agit de "démonter pour démontrer". Démonter le mécanisme de l'époque qui fut la sienne, de son contexte, parfois dès son enfance, pour comprendre son comportement, pour démontrer ce qu'a été sa conduite, ses réactions aux évènements vécus, ses convictions, sa foi, parfois sa vie, voire sa mort.

Aussi, après avoir développé ce qu'attendaient le Général de GAULLE et Jean MOULIN du futur Chef de l'Armée Secrète, ce travail incluera la biographie de Charles DELESTRAINT. Cependant ces pages ne se contentent pas d'être biographiques, elles insistent sur le Résistant. DELESTRAINT, aussi strict soit-il, se veut rebelle, rebelle contre la domination nazie dont il a horreur,, contre l'occupation allemande du pays, mais surtout rebelle contre PETAIN. C'est pourquoi la partie essentielle de cette étude sera celle du "Résistant".

Les Sources utilisées proviennent de recherches multiples, de documents, de lectures, de témoignages, de dépositions au cours d'instructions de procès, enfin, en ce qui me concerne, de souvenirs personnels précieusement conservés.

1
Mucchielli, Roger, L'Entretien de face à face dans la relation d'aide. Paris, Librairies techniques Edit.Sociales françaises.

Les Documents dont nous avons pu nous servir pour ce travail ont des origines diverses. Précisons tout de suite qu'en ce qui concerne la période de commandement à la tête de l'Armée Secrète, aucun document personnel du Général relatif à ses fonctions n'a pu être conservé par lui ou sa famille, à l'exception de la lettre de nomination de la main du Général de Gaulle. L'ensemble de ses archives personnelles a disparu; aucune pièce de l'Armée Secrète n'a été saisie par le S.D. au cours de la perquisition. Les papiers relatifs à la Résistance dissimulées en dehors de l'appartement ont été brûlés après l'arrestation du Général.

Nous avons bénéficié de l'apport inestimable que la fille du Général et de son gendre, Madame et Monsieur TOURTEL-DELESTRAINT ont mis à notre disposition. Ces archives familiales nous ont aidé particulièrement pour avoir des renseignements sur la jeunesse de Charles DELESTRAINT, et sur une grande partie de sa carrière militaire.

Pour parfaire cette documentation, nous avons eu la chance de pouvoir être mis en relation avec un généalogiste, Monsieur LELEUX, qui avait déjà entrepris une étude sur les origines du Général, issu lui-même d'une branche collatérale de la famille Delestraint.

Les sources utilisées pour s'informer davantage de la Vie militaire proviennent bien sûr du Service Historique de l'Armée de Terre auquel il nous a été autorisé d'avoir accès.

Ajoutons à ces sources militaires, les photocopies de documents qui nous ont été aimablement transmises par le Lt-Colonel BERNEDE, professeur d'Histoire à l'Ecole Supérieure de Guerre, concernant la période au cours de laquelle Charles DELESTRAINT a suivi ses stages et cours, après la guerre de 1914-1918.

La documentation concernant la période de commandement de l'Armée Secrète n'a pas la richesse de celle de Daniel CORDIER qui a bénéficié de l'apport des archives du B.C.R.A. et de son chef. Comme il ne nous a pas été permis d'en prendre connaissance, nous avons eu recours aux Archives Nationales où grâce à l'amabilité de Madame de TOURTIER- BONAZZI et de Monsieur Jean FAVIER nous avons pu avoir accès à nombre de Fonds qui exigent une dérogation. Nous les en remercions encore. Aux Archives Nationales nous avons donc trouvé une documentation importante concernant l'Armée Secrète, les Mouvements Unis, et bien d'autres sujets, mais aussi des documents exceptionnels du Tribunal militaire allemand de Paris.

Les Archives Départementales du Rhône nous ont permis de prendre connaissance de nombre de documents capitaux. Nous en remercions Monsieur DUPOUGET..

Il n'est pas question d'omettre l'Institut d'Histoire du Temps Présent où j'ai trouvé un accueil aimable et une aide efficace par la communication de documents importants.

Nous avons consulté les Archives britanniques du "Public Record Office" de Londres, pour la période du voyage du Général et de Jean MOULIN dans la capitale du Royaume Uni en Février-Mars 1943. Nous y avons trouvé des éléments fort intéressants.

En dehors des papiers allemands essentiels découverts aux Archives Nationales qui ont constitué les éléments de base de la documentation concernant la présentation du Général et "comparses" devant le Tribunal allemand de Paris, nous n'avons pu obtenir que peu de choses des archives allemandes. Le "Bundesarchiv" n'ont pratiquemment rien concernant notre sujet. L'"Institut für Zeitgeschichte" de Munich, nous a transmis le seul témoignage du Pasteur NIEMÖLLER.

Enfin, Monsieur Paul RIVIERE a bien voulu nous transmettre des photocopies de pièces de valeur et inédites, qu'il conserve précieusement.

Cependant la plus importante partie de notre documentation concernant cette période et même celle des arrestations et de la détention du Général provient des Archives du second procès Hardy. Grâce à l'obligeance de Monsieur l'Avocat Général VIOUD, et à celle de Monsieur le Doyen des juges d'instructions HAMY, que nous remercions encore ici, nous avons pu avoir accès à cette documentation exceptionnelle. Les dépositions des principaux témoins français mais aussi allemands éclairent ces évènements d'une lumière nouvelle; de plus, l'ordonnance de transmission du juge d'instruction militaire réalise une synthèse fort différente des conclusions que l'on aurait pu tirer des audiences du même procès.

La Presse, au cours de ces procès du moins, sans être inintéressante donne des informations moins riches que cette précédente source. Cependant nous avons recours à elle, à cette occasion comme nous le ferons dans d' autres circonstances.

Certes, l'information médiatique en général a souvent évoqué le Général, liant sa figure à celle de Jean MOULIN, aux procès de René Hardy, à celui de Barbie, ou bien lorsque tel ou tel journaliste découvre que ce personnage, pourtant historique, est vraiment par trop méconnu.

L'Audio-Visuel est loin de constituer une source négligeable, dans la mesure où, touchant un public nombreux, il fait appel à nombre de témoins, dont quelques-uns sont plus ou moins crédibles, et émettant souvent des jugements spontanés à l'emporte-pièce, mais dont la plupart sont authentiques et encore passionnés devant des évènements survenus il y a un demi-siècle.

Les Témoignages ont été nombreux et importants. Nous les avons sollicités de plusieurs façons; soit de façon orale, au cours d'une conversation pendant laquelle nous avons pris des notes; soit la plupart du temps, nous avons interwiewé les témoins en enrégistrant leur déclaration, ce qui nous a permis, après les trois ou quatre années de recherche, de réentendre ces témoignages avec une oreille nouvelle, nous étant nous-mêmes enrichi de connaissances plus approfondies.

Cependant nombre de témoignages nous sont parvenus par écrit. Il faut préciser ici que nous les avons sollicités la plupart du temps grâce au Bulletin de l'Association "A la Mémoire du Général Delestraint", dont nous assurons le Secrétariat. Un "pavé" dans ce périodique faisait régulièrement et utilement "appel à témoin".

J'ai eu, en effet, la grande chance de pouvoir interroger, interwiewer encore certains grands témoins contemporains vivants de cette époque,en tête desquels j'aime citer le Commandant Jean-François PERRETTE, auteur, je l'ai dit, de l'excellent et du seul livre sur le Général DELESTRAINT. Tous ont rencontré le Général. Ils ont servi sous ses ordres en tant que militaires, ou bien certains ont été ses collaborateurs plus ou moins proches, ses subordonnés dans la Résistance dans l'Ain, au Vercors, à l'Armée Secrète. Ils ont été ses compagnons de captivité à Fresnes, ou de déportation au Struthof, à Dachau.

Les Lectures représentent la source initiale de la rivière de notre travail, la plus abondante, à laquelle nous nous sommes référé. La littérature de la Résistance est ample. La Résistance en France est un sujet qui passionne le grand public. Dès après guerre, les Mémoires ont commencé à être publiés. Nous l'avons dit plus haut, nous regrettons vivement que les principaux membres de l'A.S., disparus prématurément, n'aient pas écrit les leurs. Après une période assez creuse dans les années 60, des ouvrages de mieux en mieux documentés ont paru, et ces dernières années à l'occasion du procès Barbie, puis en approchant du cinquantenaire de ces évènements, nous assistons à un regain d'interêt. La lecture de toute cette importante bibliothèque est capitale par la relation des faits, souvent contradictoire, d'ailleurs.

Cependant il reste évident que des ouvrages de base gardent une valeur de référence, même si apparaissent des inexactitudes au cours des années; nous voulons parler de l'"Histoire de la Résistance en France" d'Henri NOGUERES et collaborateurs, de l'"Histoire de la Résistance" ou du "Jean Moulin" d'Henri MICHEL, des "Souvenirs" du Colonel PASSY, de certains ouvrages plus récents, tels le "Jean Moulin" de Daniel CORDIER , ou le nouveau livre de René HOSTACHE: "Le Général de Gaulle, Jean Moulin et le C.N.R.".

Dans un autre domaine, celui de la "Gestapo", deux ouvrages constituent la base essentielle de notre documentation. Nous voulons parler du fameux livre de Jacques DELARUE et de celui, un peu moins connu, de Christian BERNADAC.

Quant à tout ce qui touche l'histoire de Vichy, depuis qu'une édition française du travail de PAXTON est parue, on peut dire qu'une référence de poids s'ajoute à l'oeuvre d'Henri AMOUROUX et depuis quelques années à celle de Marc FERRO.
Cependant certains ouvrages moins connus ou méconnus nous ont apporté des matériaux particulièrement utiles pour la réalisation de notre projet: bien entendu, celui du Commandant J.F. PERRETTE: "Le Général Delestraint" dont nous avons déjà fait mention, celui de CLOSON découvert fortuitement, mais aussi, celui du docteur SUIRE, compagnon du Général au Struthof et à Dachau. Cet ouvrage intitulé "Il fut un Temps" ne figure pas même dans certaines grandes bibliothèques.
Son intérêt sur la vie du Général en déportation est majeur. Le livre est devenu extrêmement rare, même chez les bouquinistes. Nous avons pu en obtenir un exemplaire, grâce à l'auteur.

Enfin, certains livres spécialisés nous ont largement aidé; ainsi la traduction de l'ouvrage du pilote britannique Hugh VERITY contribue à situer les voyages en Lysander à destination de Londres ou retour. Certains sujets, tel celui du Vercors, ont été aussi l'objet de nombreuses parutions de différents auteurs.

Ajoutons à cela les plaquettes, les brochures, et aussi les périodiques dans lesquels sont retrouvées des informations souvent importantes, telle la plaquette sur André LASSAGNE, les Bulletins des Anciens des Chars, avec un article sur le Général DELESTRAINT, ou tel numéro du "Pionnier du Vercors", consacré au travail du Général LE RAY qui y évoque largement le souvenir du Général.

Il faut maintenant parler de mes propres souvenirs. Certains ont été notés depuis longtemps avant même d'entamer ma carrière médicale proprement dite. Dès cette période je n'ai plus eu le loisir de m'occuper de mon passé. A une exception près. Lorsqu'en 1972 le Commandant PERRETTE m'a demandé mon témoignage pour son livre, j'ai consacré plusieurs jours à retranscrire mes principaux souvenirs. Je dis les principaux, car je pensais bien attendre le temps libre de la retraite professionnelle pour développer un peu, ne serait- ce que pour mes enfants, l'histoire que j'ai vécu à Bourg-en-Bresse et à Lyon aux cotés du Général.

Ce n'est qu'en 1983, que j'ai découvert à quel point certaine littérature de la Résistance pouvait méconnaître le Général DELESTRAINT, et en 1987, après ma retraite hospitalière, j'ai accepté la proposition de Mr Marcel RUBY de le présenter à la Commission d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale de Lyon.. Mon véritable travail de recherche n'a commencé qu'ultérieurement, surtout depuis la cessation de toute activité professionnelle.

J'avance des dates. Il m'est donné d'en avoir la mémoire, particulièrement celles que j'ai vécues et d'autant plus celles concernant cette période, dates que je me suis d'ailleurs continuellement remémorées tout au long de ma vie. J'ai pu ainsi contester auprès de tel auteur la véracité de la chronologie de certains faits qu'il relatait dans son ouvrage.

En un mot, au cours de ces pages, lorsque j'ai une certitude quant au mois ou au jour de l'évènement survenu, je puis l'affirmer; s'il demeure le moindre doute, je le signale:
Ainsi, il est pour nous absolument établi que le Général est parti de Lyon pour Paris, le Samedi 5 Juin, au train de 13h30. (l'heure m'a été précisée d'ailleurs depuis par "La Vie du Rail"). Nous pouvons ainsi affirmer avoir rencontré Jean MOULIN le Samedi matin 12 Juin, 1 place des Capucins, autour de 9 heures. Par contre, j'avance que j'étais avec le Général lorsque nous avons rencontré Jean MOULIN, fait dont je suis certain, mais je le situe par recoupement au Jeudi 22 Avril, selon toute probabilité, mais sans une certitude absolue.

Il est temps de parler d'une découverte remontant à 1943, dont nous allons nous servir. Il s'agit d'un document, précieux à tous les proches du Général Delestraint, et gardé avec un soin privilégié par sa famille.

Un papier banal, quadrillé, de dimension réduite, d'environ 12 cms X 8cms, sur lequel a été écrit un texte de la main du Général DELESTRAINT, fut retrouvé dans des circonstances que nous avons cherché à élucider; il nous faudra aussi découvrir l'époque à laquelle ces lignes ont été tracées.

En voici l'énoncé:(1)
I. Me désapproprier de moi-même
Vivre intensément
pour Dieu, à qui je confie ma famille,
tous ceux qui me sont le plus chers.
pour ma patrie,
pour mes frères.


II. Vivre libre et joyeux, patient,
en dépit de la botte allemande
et de l'étouffement français.


III. Etre exact." (2)


Sans doute, ces lignes définissent la personnalité du Général, et celui qui l'a connu retrouve dans cette lecture, au delà de ses principales options, ses convictions profondes, sa foi.

Deux versions pour présenter et expliquer ce billet et le texte écrit:
Celle que le Commandant PERRETTE expose dans son livre "Le Général Delestraint". Sous la photographie du document reproduit dans les pages iconographiques, l'auteur affirme qu'il s'agit du "Testament Spirituel du Général Delestraint rédigé à la prison de Fresnes". Il en développe l'explication: "Le Général Delestraint a griffonné lui-même son admirable testament spirituel sur un misérable fragment de papier; captif libre, au cours de son patient calvaire. Il a été providentiellement épargné"(3).

1
Se reporter à l' Annexe INT/1.
2
L'analyse de ce texte est reportée en Annexe INT/2.
3
Perrette, Jean-François. Le Général Delestraint. Paris Presses de la Cité 1972. 180 pages. p. 172.


Ainsi, selon le Commandant PERRETTE, le Général a pu écrire ces lignes dans la cellule de Fresnes, entre Juillet et Août 1943, pour le passer discrètement à son épouse, lors d'une des visites que celle-ci put lui rendre à cette prison. Ce texte correspondrait alors, en effet, à un testament spirituel. Mais il semble étonnant que le Général ait écrit un tel texte au cours de sa captivité, les termes correspondant mal à sa condition de prisonnier. De plus il apparaît peu probable que le Général ait pu transmettre aux siens, à ses amis, à ses frères d'armes ou de résistance ce qui pourrait être ressenti comme un programme posthume, une véritable recette, le chemin qu'il estime avoir suivi lui-même et qu'il conseille aux autres de suivre. Attitude qui correspond mal à la personne de Charles DELESTRAINT, peu enclin à se glorifier d'un mode de vie passé, voire présent.
Cela ne lui ressemble pas. Nous verrons que des termes tels que"botte allemande, étouffement français" étaient peu compatibles avec les possibilités d'un homme aux mains de la Gestapo.

La seconde version est celle de Madame Bibiane TOURTEL- DELESTRAINT, fille cadette du Général. Encore non mariée, elle vivait avec sa mère, qui avait décidé, après l'arrestation de son mari, de quitter Bourg-en-Bresse pour habiter Paris. Ainsi, toutes deux pouvaient parfois se rendre à Fresnes et rendre visite à leur cher prisonnier, qui réclama, lors d'une de ces courtes entrevues, son livre de messe.
Elles recherchèrent ce Missel dans les affaires rapportées récemment de Bourg, le retrouvèrent et découvrirent à l'intérieur, en guise de marque-page, le fameux papier écrit de la main du Général. Si elles remirent le Missel au Général, lors de leur prochaine visite, elles conservèrent précieusement le billet et ne parlèrent du texte qu'après la guerre. Cette découverte se situerait au cours de l'été 1943.
Madame TOURTEL-DELESTRAINT apporte son témoignage direct, précis, irréfutable, Elle a vécu ces évènements qui l'ont marquée profondément. Son souvenir est formel.

Ainsi, le texte de ce papier ne correspond pas à un Testament spirituel. Il s'agit, à l'évidence d'un programme, d'une ligne de vie que Charles DELESTRAINT se propose, s'impose de suivre dès le moment où il s'engage à prendre la responsabilité de l'organisation et du commandement de l'Armée Secrète; mais ces lignes portent néanmoins l'empreinte de toute une vie, de toute sa vie.

Il apparaît bien que ces lignes furent écrites par le Général avant son arrestation, et probablement bien avant. En se référant à une conversation au cours de laquelle le Général affirma qu'il consacrait dorénavant sa vie à la "Cause", que désormais il ne s'appartenait plus lui-même, conversation que l'on peut situer en Septembre ou Octobre 1942, il est probable que le billet fut rédigé à l'époque où le Général DELESTRAINT prit la décision d'accepter le Commandement de l'Armée Secrète, ou peu de temps après.

Enfin, s'il fallait confirmer cette théorie il conviendrait de faire remarquer que ces lignes ont été écrites à l'encre, ce qu'un détenu de Fresnes n'aurait pu réaliser. Tout au plus, aurait-il pu les griffonner au crayon, voire à la mine de crayon.

Il nous a semblé que chaque ligne, chaque mot apporte sa profonde signification. Ce texte pourrait réfléchir l'image de cette vie exceptionnelle.

Il nous a paru possible d'utiliser ces lignes en tant que canevas du travail que nous présentons, en essayant d'adapter certaines parties, certains chapitres, à une phrase, à un mot relevés sur le papier retrouvé.
Cependant ce cadre reste dans une certaine mesure virtuel, car s'il nous sert pour bien comprendre la personnalité de Charles DELESTRAINT, chacune de ses phrases, chacun de ses mots ne peut s'appliquer à chaque partie, à chaque chapitre de notre travail.

Il convient donc ici d'en préciser la présentation.

Dans un premier temps, il nous a paru nécessaire de situer la Résistance française en cet été 1942, son évolution depuis Juin 1940, sans omettre la Résistance extérieure; en ce qui concerne la Résistance intérieure, on se doit de bien séparer, étant données leurs fondamentales différences, celle de la Zone Non Occupée de celle de la Zone Occupée. Le rôle de Jean MOULIN, son voyage à Londres, l'ouverture qu'il a su donner au Général de GAULLE sur l'importance de la Résistance française en France métropolitaine sont pour notre argumentation une base essentielle.
La délégation qui est conférée à Jean MOULIN par le Général de GAULLE ne peut se dispenser de la création de l'Armée Secrète; ni bien entendu de la désignation de son chef. Les circonstances qui amèneront celle du Général DELESTRAINT devront être étudiées en détail, d'autant plus qu'elles sont controversées.

Au cours de la deuxième partie, nous présentons alors Charles DELESTRAINT, ses origines, sa vie familiale, sa carrière militaire interrompue par sa captivité au cours de la guerre 14-18, mais vite reprise par l'Ecole supérieure de guerre et surtout l'option qu'il prend en 1923: l'arme blindée. Nous avons essayé d'insister sur cet engagement total, d'abord par l'étude, puis par la conception qui se dégage de son travail, de ses réflexions, de la prise de commandement d'un Régiment à Vannes. Aussi lorsqu'il arrive à Metz pour commander une brigade de chars, la ligne qu'il s'est tracée est absolument parallèle à celle du Colonel de GAULLE, le théoricien. Leur travail en commun est fructueux.
Nous avons présenté la Campagne de France du Général DELESTRAINT sans cependant développer les détails techniques des combats.

La troisième partie est consacrée à la vie de Résistance du Général DELESTRAINT; il nous a paru capital d'insister sur la période 1940-1942, très mal connue, tellement mal connue que certains ont pu déformer du tout au tout les convictions du Général au cours de ces deux années. A moi, qui suis un témoin de cette période, il m'est donné de rétablir la vérité en évitant de glisser vers la polémique.

Le Résistant choisi par son ancien subordonné, Charles de GAULLE, pour commander l'Armée Secrète est le principal sujet de ces pages. Là, sont exposés les efforts d'organisation du Général et de ses collaborateurs, mais nous avons dû insister sur les difficultés, les embûches rencontrées qui ont marqué ces mois de commandement, car elles sont essentielles pour la compréhension du comportement du Général, et de Jean MOULIN, pour comprendre aussi l'importance qu'a revêtu leur voyage à Londres, la crise aiguë de la Résistance française en Zone Sud au cours de ce printemps 1943.

Nous avons réservé la quatrième partie de notre travail aux arrestations, et particulièrement à celle du Général DELESTRAINT. Cependant dans un premier chapitre, il nous a paru indispensable de nous étendre sur la description de ce que nous avons appelé "l'outil de la répression", particulièrement allemande, mais nous n'oublions pas la police française et le rôle des ministres et fonctionnaires de Vichy. Les arrestations de Mars par cette police française ont eu une répercussion considérable puisqu'elles ont permis aux Allemands de tout connaître, ou presque tout, de l'Armée Secrète, et celà à cause d'incompétences, d'imprudences, et de la trahison que constituait la politique vichyste. Il fallait s'étendre sur cette période, bien que le Général et Jean MOULIN aient été alors à Londres.
Enfin, cette partie se continue et se termine par la narration des évènements de Mai et de Juin 1943 qui ont amené l'arrestation du Général, et de ce drame en lui-même. Notre opinion y est clairement exposée quant aux responsabilités, ainsi que l'explication qui y est proposée.

La cinquième et dernière partie de ce travail s'intitule; "Le Détenu". Elle se divise en trois grands chapitres:
-La période de détention à Paris, interrogatoires, Neuilly/Seine, Fresnes, tribunal militaire allemand de Paris.
-La déportation : Natzweiler, Dachau
-L'assassinat.
Nous terminons par un bref aperçu des circonstances qui ont amené la connaissance en France de ce drame, des manifestations, assez rares, en souvenir du Général DELESTRAINT,, puis le risque de l'oubli jusqu'en 1985, enfin les grandes réalisations en faveur de la remémoration du Général, telle que l'entrée au Panthéon.

Cinquante années se sont écoulées depuis ces faits, depuis cette période tragique de l'ocupation. Ceux qui ont pris, dans la Résistance, de si grandes responsabilités n'étaient pas prédisposés à ces situations.
Un Jean MOULIN était destiné à poursuivre une belle carrière préfectorale, voire politique, sans grand bouleversement. Sans la guerre.

Un Charles DELESTRAINT, déjà touché par le Cadre de Réserve, aurait continué sa nouvelle activité à la direction des "Eaux minérales de St-Amand", respecté et estimé par tous, mais gardant sans doute la nostalgie de sa vie militaire.

Un Joseph GASTALDO avait devant lui un avenir certain dans l'Armée en tant qu'officier breveté, de même qu'un Henri FRENAY.

Un André LASSAGNE était promis aux plus hautes fonctions universitaires.
La guerre de 39-40, la défaite suivie de l'occupation par les Allemands des deux tiers du territoire a transformé les mentalités, a bouleversé des vies, mais aussi a révélé des natures d'exception.

J'ai eu la double chance de survivre à cette époque, après avoir connu Jean MOULIN, Joseph GASTALDO, André LASSAGNE, Jean-François PERRETTE, et tant d'autres, et surtout, avoir vécu quelques neuf mois avec Charles DELESTRAINT, au cours d'une époque atroce sans aucun doute, mais, disons-le, indubitablement exaltante.

Ce faisant, j'espère aussi avoir apporté à l'Histoire une page modeste sans doute, mais authentique, afin de mettre en lumière la personne du Général DELESTRAINT.
Retour au sommaire de la 1ère partie
1 PARTIE

L'ARMEE SECRETE DE LA RESISTANCE ET SON CHEF

I LA RESISTANCE en FRANCE de 1940 à 1942.

Les Causes qui meurent sont celles pour lesquelles on ne sait plus mourir.

A- L' ABSENCE de TOUT ESPRIT de RESISTANCE de VICHY

La défaite de leur pays, dès la demande de l'Armistice, avait laissé les Français terrassés, aussi bien écrasés militairement par l'Allemand qu'abattus moralement. La plupart d'entre eux étaient frappés de stupeur, de découragement, d'inertie devant la ruine à laquelle ils étaient très loin de s'attendre.
La Torpeur qui atteignait le plus grand nombre devant le désastre, devant les difficultés secondaires à celui-ci, en rapport avec le ravitaillement, avec l'emploi, avec l'habillement, le chauffage, du fait du pillage organisé de l'occupant, explique le désir profond de recherche de protection manifesté par tant de Français auprès du vieux soldat, au visage serein, placide, ouvrant ses ailes protectrices, paternelles, au peuple en déroute.

Dès ce premier abattement passé, par un réflexe humain spontané, bien des Français cherchèrent à identifier les responsables. Ils en vinrent vite, la propagande gouvernementale aidant, à condamner alors les dirigeants d'avant guerre qui les avaient amenés au désastre, donc les hommes politiques de quelque bord fussent-ils. D'ailleurs cette attitude n'entraina pas pour autant leur union. Henri Michel explique que dès que les Français "commencèrent à se ressaisir, ce fut, non pour s'unir et faire front contre le malheur, mais pour ajouter de nouvelles divisions et dissensions à celles, nombreuses et durables, que leur avait légué le passé" (1).
1
Michel, Henri. Jean Moulin, l'Unificateur. Paris Hachette. 1971. 252 pages. Préface: page 10.


Curieusement beaucoup n'englobaient pas dans leur blâme les chefs militaires d'hier. Très peu ont été alors stigmatisés par la presse, par l'opinion. Déjà, quand Paul Reynaud, le 25 Mai, a attaqué à l'Assemblée le Haut Commandement pour son inertie des dernières années, le Maréchal a cru devoir défendre les généraux, pourtant responsables, en affirmant l'entité de l'Armée: "l'Armée est une parce que fondée sur la discipline. Attaquer ses cadres... c'est la diminuer aux yeux du pays"(2).
Ainsi, sous prétexte que l'Armée les couvrait ils étaient intouchables. Quelques grands dignitaires de l'Armée, aveuglés par les honneurs de l'Après-Grande-Guerre, étaient pourtant responsables de l'impréparation d'un conflit dont les prodromes étaient évidents. Ils en avaient pourtant été largement avertis par un Service de Renseignements cohérent et efficace (3).
Mais après le désastre, il leur avait suffi de faire allégeance envers le souverain du moment, pour être blanchis, alors que les rares chefs qui voulaient continuer la lutte étaient, eux, stigmatisés et rejetés, indignes de la grande famille "Armée".

Et l'on vit, dès l'été 40, nombre de manifestations militaires au cours desquelles certains généraux d'armée, pourtant responsables de l'inertie des années 30, et certains amiraux figés dans leur anglophobie séculaire, étaient comblés d'honneur. Mieux, certains accédaient aux plus hautes fonctions gouvernementales de Vichy, dans la mesure où ils approuvaient la solution de l'armistice, voire, bientôt, celle de la collaboration avec l'ennemi; celui-ci occupait Paris et la plus grande partie du territoire; il pillait le pays; il ne fallait pas en parler... Tous les officiers généraux ne partageaient pas cependant cette opinion du confort immunitaire de leurs collègues responsables mais bien installés dans "l'ordre nouveau". Certains étaient sévères dans leurs jugements, qu'ils ne pouvaient malheureusement exprimer qu'en milieu privé.

Devant le peuple abasourdi, Pétain est bien incapable du moindre sursaut, pourvu qu'on l'honore: "Sa légende l'auréole mais, comme toute légende, en simplifiant elle dénature"(4). Convaincu par son entourage qui veut profiter du désastre pour régler ses comptes, refusant de moins en moins à s'engager dans toute aventure incompatible avec son âge et son tempérament, il s'installe dans ce confort de chef à moindre frais, hors de tout esprit de Résistance.

Le rejet de cette notion de la part du premier gouvernement vichyste est aussi explicable par la hantise viscérale, inhibante, de voir le chaos s'installer en France, dans le cas où l'on continuerait la lutte en Afrique du Nord, ou dans quelque réduit. Elle est exprimée par le Maréchal, dès le 13 Juin, en conseil :

2
Laure, Général. Pétain. Paris Berger-Lavrault. 1941. 437 pages page 430.
3
Paillole, Paul. Services spéciaux. Paris. Robert Laffont.1975. 567pages.( p.68 et suivantes)
4
Amouroux, Henri. La grande Histoire des Français sous l'occupation. T.1. Paris. Robert Laffont.1977. 543 p. (p.43)


"Priver la France de ses défenseurs naturels dans une période de désarroi général, c'est la livrer à l'ennemi c'est tuer l'âme de la France. Le renouveau français, il faut l'attendre bien plus de l'âme de notre pays, que nous préserverons en restant sur place, plutôt que d'une reconquête de notre territoire par des canons alliés, dans des conditions et dans un délai difficile à prévoir" (5).

Ainsi, malgré la défaite des armes françaises, le Maréchal Pétain, chef historique, entouré de son aréopage de militaires de hauts grades, souvent responsables de l'incurie de l'Armée, voit en elle, ou en ce qu'il en reste, la sauvegarde de la Nation, devant les troubles intérieurs. "Mais, écrit Paxton, ce n'était pas seulement des officiers qui redoutaient une répétition de 1871". "Eviterons-nous la révolution ?, écrivait le Père Teilhard de Chardin le 18 Juin, Tout est possible après un tel choc" et de conclure. "Il fallut attendre Juin 1941 pour que Vichy cessât vraiment de croire à une étrange collusion soviéto-nazie.." (6).

D'autres raisons pourraient être évoquées pour expliquer cette réserve chez le Maréchal et les généraux qui l'entouraient. Comme tout militaire de carrière, il était pétri de l'histoire de l'Empire: "une autre expérience historique demeurait présente à l'esprit de Pétain, celle de la Prusse vaincue en 1806, et dont la régénération fut précisément l'oeuvre de la défaite..."(7).

Seulement quelques jours après Mers-el-Kébir, HITLER croit pouvoir profiter de l'action de Vichy pour demander le 15 Juillet l'octroi de bases en Afrique du Nord. La lettre de refus de Pétain est considérée ultérieurement comme le premier acte de "Résistance" de Vichy aux exigences allemandes.. (8a) tout au plus opposition passagère aux prétentions du vainqueur.

En fait, en cet été 1940, l'absence de toute résistance de Vichy face au Reich victorieux trouve une explication naturelle en la conviction de tous les membres du gouvernement de la défaite imminente de la Grande-Bretagne, et "Otto ABETZ qui vient d'être nommé représentant de la Wilhemstrasse auprès des forces d'occupation en France, croit que Vichy est prêt à un renversement des alliances après Mers el-Kébir"(8b)."Devant l'empire britannique expirant," des cerveaux fertiles de Vichy, tirant des conclusions géopolitiques hardies, de la vague d'anglophobie qui déferla après Mers-el-Kébir, virent même la possibilité d'étendre les possessions coloniales aux dépens de la Grande-Bretagne" (9b).

5
Ferro, Marc. Pétain. Paris Fayard. 1987. 787 pages. p.76.
6
Paxton, Robert.O. La France de Vichy. Paris. Editions du Seuil.(Traduction de Vichy France, Old Guard and New Order: 1940-1944)- 366 pages. Prologue page 25.
7
Ferro, Marc. Pétain. Ibidem.
8a,8b
Paxton, Robert.O. La France de Vichy. Op.Cit. p.69 et suiv.
9
Paxton, Robert Ibid. p.64.


La réaction de certains ministres de Vichy devant le refus des Britanniques à toute capitulation éventuelle est intéressante. Pour beaucoup d'entre eux, la défaite de l'Angleterre est très attendue, imminente (10). Elle serait la démonstration de la qualité et de la lucidité de la politique d'armistice et de collaboration naissante. Elle mettrait la France vaincue dans une situation plus favorable aux yeux du vainqueur, au moins l'espèrent-ils. Yves BOUTHILLIER exprime la surprise de certains ministres de Vichy, lorsqu'ils constatent la poursuite de la lutte des Anglais, surprise au moins aussi désagréable que celle des Allemands, étant donné que la politique de collaboration naissante s'appuyait sur la victoire aussi probable que rapide de Hitler. Yves BOUTHILLIER en arrive à présenter cette volonté de poursuivre le conflit, comme "le fanatisme implacable anglais" ou de "l'insondable orgueil gaulliste" qui étaient à l'origine de la poursuite de la guerre (11).

Enfin, si l'âge du Maréchal le rend peu enclin à tenter l'aventure d'une résistance à l'occupant, sa nature même ne l'incite guère à tout esprit offensif. JOFFRE soutint que, déjà à Verdun, "il avait une tendance trop marquée et sans doute fonction de son tempérament à n'envisager la défensive que comme la seule attitude à observer.". Ainsi le 23 Juin 1916, "il envisageait l'évacuation de la rive droite de la Meuse" (12).

Encore sous le coup des évènements de Juin, de nombreux Français en suivant les consignes du vieux Maréchal et de sa propagande en arrivèrent à renoncer à toute idée de résistance devant l'occupation, et du même coup à condamner l'attitude du Général de Gaulle et de la France Libre embryonnaire.
D'autant plus que le drame de Mers-el-Kébir, déformé dès la début par l'Amiral Gensoul - nouvelle dépêche d'Ems- (13) apporte le prétexte à Vichy, par son représentant à Wiesbaden, de demander au vainqueur d'aller plus loin que l'armistice sur le chemin de la paix (14).

Le pli est pris. L'esprit de résistance sera absent de Vichy. Il faudra attendre Novembre 1942, pour que quelques-uns le découvrent. Les "Services Secrets" de Vichy, avec les Rivet, les Paillole constitueront dès le début, il est vrai, une réelle et efficace exception.

10
Déjà Weygand pendant la campagne de France avait déclaré à de Gaulle: "Lorsque j'aurai été battu ici l'Angleterre n'attendra pas 8 jours pour négocier avec le Reich": De Gaulle, Charles Mémoires de Guerre Paris Plon.Tome I. 1954. 680 pages. p.45.
11
Bouthillier Yves. Le Drame de Vichy. T.1.Paris.Plon 1950. 320p
12
Maréchal JOFFRE. Mémoires. T.2.Paris Plon.1932.465 pages.p.213
13
Bell, P.M.H. "Prologue à Mers-el-Kébir"in Revue d'Histoire de la deuxième Guerre mondiale N 33 (Janvier 1959).
14
Robert O.PAXTON. La France de Vichy Op.Cit..p.67-68.


En un mot, l''absence de Résistance de Vichy est patent. Pour le nouveau gouvernement, tout se passe comme si l'essentiel est de changer de régime politique, sans réaliser que l'ennemi occupe les deux tiers de la France. Paxton met l'accent sur cette politique immédiatement appliquée: "En outre, écrit-il, de grands changements seraient apportés à la vie publique française au plus haut de rebond contre le régime vaincu, en présence d'une armée d'occupation, pendant qu'on attendait de négocier la paix avec un Hitler victorieux. Quelle occasion pour les zélateurs éhontés du nouveau régime" (14-a).

Par contre, Henri Amouroux minimise l'incidence de Montoire sur le peuple français: "Que Pétain ait rencontré Hitler ne choque vraisemblablement pas les Français tant sont nombreux et importants les problèmes à régler. L'émotion nait à l'instant où Laval et la presse parisienne inventent un Montoire à orientation presqu'uniquement politique, créant ainsi une dynamique de la collaboration qui ne répond ni aux faits ni aux voeux de l'opinion" (14-b).

Au reste, le message retentissant prononcé par le Maréchal, dans lequel il prend partie "J'entre dans la voie de la collaboration [..] dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen"(14-c) conforta les premiers Résistants de l'extérieur et de l'intérieur, dans leur détermination à s'opposer aussi bien à Vichy qu'à l'allemand.

14-a
Paxton, Robert. O. La France de Vichy. Paris.Seuil 1973. Traduction française de "Vichy- France Old Guard and New Order. 40-44." 366 pages. Préface p.41.
14-b
Amouroux, Henri. La Grande Histoire des Français sous l'Occupation. Tome 2: Quarante Millions de Pétainistes. Paris Robert Laffont. 1977. 543 pages. p.514.
14-c
Allocution radiodiffusée du Maréchal PETAIN, du 30.10.1940.
Paxton, Robert. O. Op.Cit. p.82.

Retour au sommaire de la 1ère partie
B LA RESISTANCE EXTERIEURE

"Quoiqu'il arrive, la flamme de la Résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas." lance le Général de Gaulle, le 18 Juin 1940, dans son appel au micro de la B.B.C, à tous ceux à travers le monde qui veulent continuer la lutte. Ainsi l'esprit spontané de la Résistance à l'envahisseur s'est exprimé sur les ondes, dès le lendemain de la demande de cessation de combats. Et certains viennent bien de tous les coins du globe. Oh! bien peu, mais se joignent à lui certains militaires des trois armes, ou civils, évadés de France (15) ou se trouvant dans un des territoires de l'Empire, ou recrutés parmi les troupes françaises du Corps expéditionnaire de Norvège en transit en Grande Bretagne. Ou encore, ce fils de Français vivant en Argentine depuis toujours, ne sachant pas un mot de notre langue, mais à 18 ans, il juge intolérable de savoir que Paris est aux mains des Allemands, il s'embarque sur le premier bateau anglais qui part de Buenos-Aires, pour s'enrôler "chez de Gaulle"; A Londres, il est mis dans une chambrée de F.F.L. bretons, et bientôt il parle leur dialecte, croyant avoir appris le français...(15) Il s'est rattrapé depuis.

Ainsi naissent les Forces Françaises Libres. Aucune ressource, sauf des expédients imprévus et vite épuisés, alimentent les caisses avant l'accord financier franco-anglais du 7 Août, tel ce diamant offert par un Syrien, ou ce cargo, chargé de bois précieux, d'amiante, de manganèse, d'aluminium, se rendant de Marseille à Alger et détourné vers Gibraltar par Jean Simon et Pierre Messmer, aidé du Commandant du navire, Humbert Vuillemin et de quelques autres. Le fret vendu aux Anglais a permis à la France Libre de subsister pendant les trois premiers mois (16).

Dans la logique des choses, le refus de l'armistice et de la mentalité collective des Français Libres qui en est issue, possède une expression militaire, puisque le langage des armes est celui qui doit se faire entendre en un tel moment, puisque celui qui parle "en connaissance de cause" est un théoricien de la guerre moderne, puisqu'aucun chef militaire aucun homme politique ne s'est levé en un tel moment.

Ainsi la Résistance française sera d'abord extérieure, surtout militaire et liée à la Grande-Bretagne, seul pays libre, déterminé à poursuivre la lutte contre l'Allemand , à résister.

15
Il s'agit d'un futur héros de la 2 D.B., actuellement membre de notre association "A la mémoire du Général Delestraint".
16
Accoce, Pierre. Les Français à Londres. 1940-1941. Paris Balland. 1989. 328 pages. pages 67 à 81. Le général d'armée Jean Simon est l'actuel Grand Chancelier de l'Ordre de la Libération.


Les regards de nombreux français se tournent alors, interrogateurs, vers Londres et la France Libre, mais très peu d'entre eux, en cet été 1940, surtout après Mers el-Kébir, se rangent sous sa bannière. La Résistance extérieure est minime mais elle existe.
Si Mers-el-Kébir est mal ressenti, les "trois glorieuses d'Afrique" marquent le ralliement de la plus grande partie de l'Afrique Equatoriale Française et du Cameroun à la France Libre: le Tchad le 26, Douala le 27, Brazzaville le 28 Août 1940.
"Leurs populations, leurs ressources et leur position stratégique de porte-avions africain vers le Moyen Orient"(17) confortent grandement la Résistance extérieure.

A cette France Libre toute nouvelle, le Général de Gaulle a fatalement prévu une structure militaire, dont un 2 bureau confié au Commandant DEWAVRIN (Passy) a rapidement vu son domaine s'élargir à toutes informations, en privilégiant bien entendu tout écho provenant de la France métropolitaine. "Il lui faudrait orienter l'opinion, recueillir des informations de caractère non seulement militaire mais aussi politique et économique, préparer la prise du pouvoir à la Libération" (18). Ainsi le lien avec la France ne sera pas seulement celui des britanniques, déjà effectif avec l'I.S., pour le renseignement et le S.O.E.(19-a) pour la subversion, ni plus tard avec l'O.S.S. américain.
Après avoir porté le nom de Bureau Central de Renseignements et d'Action Militaire (B.C.R.A.M.), l'organisme de Passy s'appelera définitivement B.C.R.A., organisme purement français, dont la vocation deviendra rapidement la liaison avec la Résistance intérieure.

Ainsi, la Résistance extérieure est fatalement une émanation militaire, bien que le B.C.R.A. se dise démilitarisé (19-b), mais le chef de la France Libre, dans sa solitude, ne pouvait-il initialement créer autre chose qu'une force militaire ? Par contre, dit Serreulles: "dès Août 1940 de Gaulle vit très clairement que pour s'imposer, il lui faudrait:
- disposer de territoires outre-mer,
- disposer d'une force armée,
- disposer d'un soutien de la population en France métro-politaine"(19-c).

17
Michel, Henri. Histoite de la Résistance en France Paris P.U.F 1 édition:1950. 10 éd.Mise à jour.1987. 127 pages. page 8.
18
Michel, Henri. Ibidem. page 13.
19-a
I.S: Intelligence Service; S.O.E.:Special Opérations Executive.
19-b
Lacouture, Jean. De Gaulle. T.1: Le Rebelle. Paris Seuil. 1984 838 pages. p.573.
19-c
Bouchinet-Serreulles, Claude. Op.Cit. p.7.


Retour au sommaire de la 1ère partie
C. LA RESISTANCE INTERIEURE

Le 24 Octobre 1940 se produit un évènement qui en contrebalançant l'effet néfaste du drame de Mers-el-Kébir modifie le point de vue de Français encore indécis. L'entrevue du Maréchal PETAIN et d'Adolf HITLER à Montoire choque nombre de Français.

Certes la célèbre photo de la poignée de mains passe difficilement (elle ne sera publiée que 10 jours plus tard)(20). mais l'exploitation de la rencontre de Montoire en vue d'une politique de collaboration permet de déterminer un choix: bien que la grande partie des Français restent neutres, indécis, certains croient à la suprématie définitive de l'Allemagne et à son régime, estiment que la collaboration est la seule solution pour la France. Cependant, d'autres n'acceptent pas et choisissent en résistant le camp de la démocratie, de l'opposition à la dictature et à l'oppression, le camp de la Grande Bretagne. Elle est seule à supporter le poids de la guerre. C'est aussi le camp de de GAULLE, même si certains dirigeants de Mouvements, surtout de zone sud, formuleront des réserves sinon des protestations quant à l'emprise de celui-ci sur la Résistance métropolitaine.

Par contre, les militants de base, au plus profond des campagnes et des villes de France, opteront toujours pour l'Unité de la Résistance, extérieure et intérieure. Ils écouteront toujours "les Français parlent aux Français" de la B.B.C., prépareront sans cesse les coups de mains, les maquis, le débarquement, en murmurant ou en criant "Vive de Gaulle".

De son coté, le général de GAULLE veut que la France Libre soit considérée comme une alliée du Royaume Uni et non comme sa dépendance. De plus en plus il s'incarne dans le destin de la France bien au delà de la seule étiquette militaire. Il comprend tout l'interêt qu'il tirera d'une rapide prise de contact avec la Résistance intérieure, suivie de liens plus étroits evec elle. Mais en 1940 et 1941, en dehors de certains réseaux, les deux Résistances françaises n'ont pas les moyens de mener ensemble leur mission.

20
Amouroux, Henri. La Grande Histoire des Français sous l'Occupation. Tome2. (Quarante millions de Pétainistes). Paris R.Laffont. 1977. 549 pages, page 513.

Retour au sommaire de la 1ère partie
1 La Morphologie de la Résistance intérieure.

Les premiers actes de Résistance ont été aussi nombreux que spontanés, individuels, mais ils avaient le mérite d'une expression, d'une révolte: ainsi le refus du préfet d'Eure-et- Loir de signer le protocole allemand reconnaissant la culpabilité des Sénégalais dans le massacre des femmes et des enfants de St Georges/Eure le 17 Juin 1940, allant jusqu'à la tentative de suicide. Ainsi le message d'adieux de ce général de Chars de Combat à ses compagnons de lutte, le 8 Juillet suivant dans lequel il les adjure de ne pas baisser les bras: "Si nous nous comportons en Français, et non avec une mentalité de chiens battus ou d'esclaves, si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour du calvaire présent." Prises de position précoces de ces deux hommes appelés à se rejoindre dans le combat clandestin.

Les formes de Résistance, dès 1940 , sont très diverses:
Retour au sommaire de la 1ère partie
Les Réseaux souvent d'une implantation diffuse concernent surtout l' évasion, le renseignement; parfois restreints, parfois développés, ils sont souvent en rapport avec le S.O.E, l'I.S.
Les autres formes peuvent aller de la propagande élémentaire au graffiti, du tract rédigé sommairement, ou de l'interminable discussion du café du Commerce -d'ailleurs bientôt abandonnée dès la sérieuse divergence-, à la simple écoute de l'émission de la B.B.C "les Français parlent aux Français". Mais la rédaction ou distribution du journal clandestin, la mise sur pied du réseau clandestin, ou la participation au Mouvement de Résistance réalisent de façon objective le désir d'aider celui qui poursuit le combat, le Français Libre, l'Anglais, l'allié.
Cependant, pour éditer une feuille clandestine, pour apporter ce concours à l'aviateur britannique dans son évasion, pour se lancer dans le renseignement, il apparait indispensable de s'organiser, de trouver le papier, la rotative, de constituer une filière d'évasion, de former un réseau de renseignement, de pouvoir joindre l'agent du B.C.R.A., du S.O.E..., enfin de se préparer au combat.
Retour au sommaire de la 1ère partie
a-La Presse

Un des premiers réflexes du Résistant est de faire connaître aux Français ce que la Presse de Vichy ne lui dit pas, ce que l'on apprend par les émissions de la B.B.C., de transmettre les informations des différents fronts, de l'Est, de Lybie, de l'Extrème-Orient, des bombardements sur l'Allemagne, informations de la Résistance, soutenir l'espoir du public, en lui parlant de la libération et de l'éviction inéluctable du gouvernement de Vichy. Les journaux clandestions sont très nombreux, plusieurs milliers. Ils sont quelquefois à l'origine de certains mouvements qui parfois créent leur feuille. Difficultés nombreuses pour se procurer le papier, l'encre dont la consommation est énorme. Il faut souvent changer de rotatives, parfois même de locaux(21).

21
Michel, Henri. Op.Cit. Chapitre VII. pages 61 à 70.


Retour au sommaire de la 1ère partie
b- L'évasion.

Les filières d'évasion se créent spontanément, dès Juin 40 en Zone occupée, principalement à Paris pour faciliter le départ vers la zone non occupée des blessés français prisonniers et campés, sinon "parqués à la Croix de Berny", en leur apportant des vêtements civils, le matériel nécessaire, les guides et renseignements adéquats en vue de traverser la nouvelle ligne de démarcation(22).

Dans le Nord principalement, les réseaux d'évasion s'organisent -nouveau lever de rideau après les mêmes scènes vécues lors de la guerre 14-18- ; tout est déjà en place. L'esprit de Résistance reste intact. Dès l'occupation allemande, bien des Français de Picardie, d'Artois recueillent des soldats britanniques blessés, les soignent avant de les évacuer vers la Zone Sud, grâce à une chaine d'évasion rapidement organisée. Les faubourgs de Lille, La Madeleine et Marquette deviennent vite des centres d'évacuation. Maurice Dechaumont en est un des premiers artisans. Citons cette filière bientôt reprise par le Médecin belge Albert GUERISSE dit Pat O'Leary, spécialisé dans l'évasion des aviateurs alliés. Grâce à lui, plus de 600 militaires anglais, américains ou français libres peuvent retourner en Grande-Bretagne, jusqu'à son arrestation en Mars 43(23). A partir de 1942, l'évasion par l'Espagne sera plus organisée, mais toujours dangereuse étant donnés les risques accrus dès que les Allemands occupent la Zone Sud, et certains faux passeurs âpres au gain.
Retour au sommaire de la 1ère partie
c- Le renseignement.

Le Renseignement demande dès le début d'entrer en liaison avec la Grande- Bretagne ou la France Libre, c'est à dire d'être en rapport avec les groupes britanniques d'I.S. ou de S.O.E opérant en France, ou avec le S.R.de la France Libre du Commandant Passy, avant qu'il ne devint le B.C.R.A. La liaison initiale avec Londres doit être maintenue par Radio-émetteur. L'exemple le plus frappant est celui du Réseau de Renseignement le mieux structuré, le plus efficace, malgrè les trahisons qui l'ont décimé, celui organisé en Zone Nord par Gilbert RENAULT, alias Rémy. Il a su raconter l'odyssée de son réseau, la Confrérie Notre Dame, avec autant d'émotion que de vérité et d'humour, dans ses livres parus dès l'après-guerre(24).

22
Noguères, Henri et coll. Histoire de la Résistance en France Paris. R.Laffont. Tome I. 1967. 573 pages. p.44. Témoignage recueilli par les auteurs.
23
Mac-0rlan, Pierre. L'Histoire de Pat O'Leary Paris Amiot-Dumont. Coll. Visages de l'Aventure. 145 pages.
24
Rémy. Mémoires d'un Agent de la France Libre. Monte Carlo. Raoul Solar.1947. 516 pages. et du même auteur: Le Livre du Courage et de la Peur. Paris Raoul Solar. 1947: 2 Tomes: 218 p. et 160 pages.
Retour au sommaire de la 1ère partie
d- Le sabotage.

Très rapidement, en Zone occupée, la volonté de résister à l'Allemand se concrétise par des actes isolés de sabotage. Dès Août 1940, des câbles sont coupés à Rennes, à Nantes, à Royan.. Un jeune homme de dix-neuf ans est exécuté par les Allemands, début Septembre pour sabotage à La Rochelle.. Les destructions de matériel servant à l'effort de guerre allemand seront constants jusqu'à la Libération et connaîtront une croissance considérable. Les ouvriers des usines travaillant pour l'armement allemand ont vite appris à saboter le matériel dans la mesure où ce préjudice peut passer inaperçu aux yeux des vérificateurs.
Bien entendu, le sabotage des voies ferrées aura le privilège d'être très rapidement considéré comme l'une des armes stratégiques de la Résistance. Il parviendra à être structuré, planifié, en fonction du réseau ferré français et deson emploi par les Allemands à des fins militaires.
Retour au sommaire de la 1ère partie
e- Les armes à la main.

Chaque mouvement, chaque Résistant, dès le début, a envisagé de s'opposer à l'occupant en un combat les armes à la main.
Mais devant l'Allemand en zone occupée, tout acte direct, chacun le sait, est réprimé par un réflexe de brutalité immédiate et définitive. Toute action de rébellion armée ne peut être, au début de l'occupation, qu'isolée et équivaut à un suicide. Les Français en sont conscients dans leur immense majorité. Il convient donc de limiter la résistance armée à sa préparation. Le plus souvent à titre individuel. On camoufle des armes, on les entretient, on attend.

En zone non occupée, certains militaires, dans l'espoir d'une reprise éventuelle du combat, ont camouflé des armes. Certaines de celles-ci seront cependant remises aux Allemands, fin 1942, sur ordre des généraux BRIDOUX et DELMOTTE. D'autres, bien peu, seront transférées à des maquis à partir de 1943.

D'autres officiers, tellement rares, comme le Général DELESTRAINT, entretiennent leurs anciens subordonnés dans un esprit de Résistance en vue de la reprise de la lutte.

Dès l'invasion de l'U.R.S.S. par l'armée allemande, le Parti Communiste Français se rallie aux quelques petits groupes qui refusaient de limiter leur action à la propagande du parti. Le Comité directeur décida alors d'avoir recours à l'"Action Immédiate", quelles que fussent les représailles encourues. Le premier attentat contre un officier allemand eut lieu en Août 1941.

Mais les mouvements envisageront, surtout à partir de 1942, de créer des groupes paramilitaires structurés; ils constitueront l'Armée Secrète par leur fusion. Ils seront appelées à recevoir une formation valable, en vue d'un combat adapté aux circonstances, à la guérilla. Cette forme de résistance, cette instruction sera progressivement prise en mains par le B.C.R.A.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 Les Mouvements de Résistance de la Zone Sud.

De l'esprit de poursuite de la guerre, d'aide aux alliés, d'opposition à la politique de Vichy, tant en ce qui concerne le défaitisme du Maréchal ou l'engagement dans la collaboration, que le remplacement rapide des valeurs démocratiques par des données totalitaires et racistes, naissent des réseaux, des mouvements de vocations diverses. Dans la zone sud, libre de l'occupation allemande jusqu'en Novembre 1942, l'organisation de ces groupes trouve s'avère moins difficile et bénéficie davantage d'aides, de complicités. Certains fonctionnaires y participent. Bien peu au début, leur nombre est appelé à s'accroître. Les trois principaux mouvements méritent que l'on s'y arrête:
Retour au sommaire de la 1ère partie
a- Combat.

Parmi la poignée de résistants de la première heure, il convient de faire une mention particulière à l'un d'eux..
Dès Juillet 1940, à Marseille le Capitaine Henri FRENAY, prisonnier évadé précocement, contacte ses premiers compagnons: le docteur RECORDIER, le lieutenant CHEVANCE d'un dévouement à toute épreuve. Il jette sur le papier le schéma initial de la structure du premier Mouvement de Résistance, appelé à devenir "Combat", parfaitement structuré.
Le capitaine Henri FRENAY a des dons d'organisation exceptionnels, et il le sait. Il est méticuleux. Aucun détail de structure, d'élaboration n'est laissé au hasard. Il a même le souci de constituer des archives. Il prend avec lui des hommes décidés, CHEVANCE, BOURDET, de BENOUVILLE, anciens militaires ou déçus de l'Action Française. Tous anti- allemands. Peu d'entre eux respectent encore PETAIN.
"Le spectacle de la résignation, de l'acceptation des Français de Zone Sud le consterne. Il pense qu'il faut faire quelque chose pour réveiller la conscience nationale. La formation d'officier d'Etat-Major, son goût de l'organisation font que, dès ses premiers pas, il dessine avec une précision remarquable ce que sera le Mouvement qu'il entend créer." dira ALBAN- VISTEL(25).

Le Mouvement "Combat" est issu de la fusion du Mouvement de Libération Nationale d'Henri FRENAY et Berthie ALBRECHT (au départ bulletin d'informations devenu Vérités) avec le Mouvement des Démocrates Chrétiens: "Libertés", dirigé par François de MENTHON et P.H.TEITGEN. "Combat" aura la vocation de formation des cadres de la Résistance(26). Les trois secteurs principaux du Mouvement "Combat" sont: le R.O.P. (Recrutement, Organisation, Propagande) le Renseignement, le Choc.

25
Alban-Vistel. La Nuit sans Ombre. Paris-Fayard. 1970. 641 pages. p. 53 à 59.
26
Michel, Henri. Histoire de la Résistance en France. Op.Cit. pages 17 à 19.


Le Choc, groupe d'action, constitue l'embryon des formations paramilitaires de ce mouvement; ceux-ci seront formés à partir de Juin 1942, et appelés "l'Armée Secrète" de Combat. Il convient d'ajouter dans le cadre de l'"Action Immédiate", les "groupes francs", organisés par Renouvin.

Un autre secteur fort intéressant -il retint d'ailleurs l'attention de Jean MOULIN- est nommé N.A.P.: Noyautage des Administrations Publiques, dirigé par Claude BOURDET.
D'abord issu du N.A.P., la Résistance-fer dont le but est de s'occuper du sabotage des voies férrées sera autonome.

Nous aborderons plus loin les rapports de "Combat" avec la Z.Nord.

"Combat", précise Henri MICHEL, recrute d'abord et surtout parmi "les cadres techniques, officiers, ingénieurs, industriels, fonctionnaires, intellectuels".

- Dès l'origine la direction du Mouvement ne se réfère pas à de GAULLE, d'autant plus que bien des adhérents, même des responsables, gardent pour le Maréchal un respect insensiblement attenué au fur et à mesure que s'estompera l'illusion du double jeu du chef de l'Etat. Une certaine nostalgie n'en demeure pas moins chez quelques-uns. Progressivement, le ralliement à de Gaulle se fait, grâce d'abord aux contacts que crée Jean MOULIN, grâce au désir profond de la base, mais aussi après le premier voyage à Londres d'Henri FRENAY, en Septembre 1942. L' adhésion de celui-ci ne sera jamais totale, d'autant plus qu'il garde l'amer souvenir de n'avoir pas pu obtenir, lors de ce séjour londonien, le commandement de l'Armée Secrète.
Retour au sommaire de la 1ère partie
b- Libération. (Sud)

Créé à Clermont-Ferrand par Emmanuel d'ASTIER de la VIGERIE, CORNIGLION- MOLINIER (arrêté, puis évadé vers la France-Libre), CAVAILLES, (fusillé en 42 par les Allemands en Bretagne), Lucie et Raymond AUBRAC, qui marqueront toute la Résistance française par leur dynamisme et leur dévouement, le mouvement "Libération" se structure sur deux idées directrices: l'anti-fascisme, mais en s'étayant sur le syndicalisme.(27)

"Libération" prend contact plus rapidement avec de GAULLE, par Yves MORANDAT dès Janvier 1942, par Jean MOULIN, enfin par d'ASTIER lui-même, qui, en sous-marin, rejoint l'Angleterre dès Mars 1942.
L'option politique, socialiste, de "Libération" n'est pas exclusive; on y voit trois tendances non communistes, celle de la C.G.T. alors confédéré avec Robert LACOSTE et FORGUES, celle de la C.F.T.C. avec Marcel POINBOEUF, celle de la S.F.I.O. avec Pierre VIENOT et A. LAURENT. Raymond et Lucie AUBRAC ont su en élargir les options.

27
Michel, Henri. Ibidem. p.19-20.


ALBAN-VISTEL a bien exprimé les différences de tendance des mouvements , telles qu'aurait pu les constater Jean MOULIN à son arrivée début 42. Par exemple: " tandis que "Combat se montrera lent à définir son orientation, que "Franc-Tireur" exprimera une vague idéologie de gauche à la fois laïque et jacobine, "Libération" affirme d'emblée sa volonté de rénovation des structures sociales et économiques dans le sens d'un socialisme dont les lignes de force restent à définir"(28).

Mais, bientôt installés à Lyon, les responsables de "Libération" avaient le souci de ne pas limiter leur action à affiner l'idéologie du mouvement. Devant la réalité de l'occupation des deux tiers de la France par l'Allemand, diffuser des informations, tant politiques de la France, que militaires du conflit, par la presse clandestine constituait leur vocation.

La préparation à la Résistance armée sans être leur motivation initiale, apparaissait aux dirigeants de "Libération" comme un objectif indispensable voire fondamental, au fur et à mesure que les mois passaient. Surtout lorsqu'au début du printemps 1942, Jean Moulin expliqua l'importance de l'intégration des groupes armés de la Résistance dans le concert des forces alliées. D'autant plus, que dans le même temps commençaient à se structurer les formations paramilitaires de "Combat".

Aussi, l' exécutif du mouvement prit de l'importance en se composant de trois branches principales:
1-Le journal, avec Rochon puis surtout Louis-Martin CHAUFFIER.
2-L'action politique avec Bordier.
3-L'organisation des groupes paramilitaires, confiée à Raymond AUBRAC. L'esprit positif de ce dernier, son passé d'officier de réserve l'amènent à entreprendre et à mener à bien cette tâche, en respectant l'esprit de "Libération", c'est-à-dire en s'appuyant sur la base sans renoncer à la connotation révolutionnaire.

En Juillet 1942, au retour du 1 voyage de d'ASTIER, un Comité directeur fut institué, avec: Délégué général: d'ASTIER; responsable militaire: AUBRAC; responsable politique: Brunschwig.
La présentation de "Libération" ne serait pas complète, si n'était pas cité le nom d'André LASSAGNE, professeur d'Italien au Lycée du Parc de Lyon. Issu de ce mouvement, il sera une des grandes figures de la Résistance. Il saura, tel GASTALDO pour "Combat", servir la Cause en servant le Général DELESTRAINT, sans aucune restriction.

Des contacts ont été pris par CAVAILLES, au cours de l'été 1941 avec "Libération- Nord" de la Zone occupée, dont nombre de membres sont socialistes. Mais étant données les conditions de la vie clandestine très différentes d'une zone à l'autre, la fusion n'a jamais pu se réaliser.

28
Alban-Vistel. La Nuit sans Ombre. Paris. Fayard. 1970. 641 pages. Pages 76 à 78.


Quelques mois plus tard, Emmanuel d'ASTIER et Henri FRENAY se rencontrent pour la première fois, à Lyon. L'idée d'une fusion est à écarter; les vocations, les milieux sociaux des dirigeants, du recrutement sont souvent peu compatibles, apparait-il à d'ASTIER. Et pourtant, dans bien des quartiers, dans bien des campagnes, les militants de base des mouvements se connaissent, sont souvent prêts à la fusion s'ils ne l'ont pas déjà réalisée. Celle des groupes paramilitaires deviendra bientôt effective, et sera applaudie par cette base lorsque Jean MOULIN la prêchera.
Retour au sommaire de la 1ère partie
c- Franc-Tireur

Mouvement originellement lyonnais, "France Liberté" voit le jour dès le 20 Novembre 1940, 145 rue Vendôme. C'est là qu' autour d'une table se réunissent Elie PEJU et J.J.SOUDEILLE, qui ont quitté le parti communiste en 1930, CLAVIER qui a renoncé de suivre le Pétainiste VALOIS, Antoine AVININ de "La Jeune République". Tracts, organisation de manifestations d'étudiants comme celle, monstre, du film "Le juif Suss" à la Scala le 5 Mai 1941. C'est aussi l'occasion de rencontrer d'autres opposants à Vichy (29).
Ce même mois est présenté au groupe un alsacien replié à Lyon, Jean-Pierre LEVY, dont le dynamisme, le dévouement font l'unanimité. On ne se contente plus d'éditer des tracts, on édite le journal "Franc-Tireur" fin 1941; c'est un tel succès que le mouvement prend alors le nom de son journal (30).

Dès Mars 42 celui-ci sera pris en mains par Georges ALTMANN/Chabot du "Progrès". Des noms bientôt célèbres, et qui seront souvent cités viendront s'ajouter à ceux du premier groupe: Henri Deschamps de Miribel, professeur courageux de La Martinière, PETIT/Claudius, Albert BAYET, Yves FARGE.
Si tous les membres du comité directeur de "Franc-Tireur" sont "très politisés", hormis J.P.LEVY, "ils sont unanimes à tenir en méfiance le Rouge et le Noir et gardent à l'endroit du communisme officiel une solide rancoeur", constate ALBAN-VISTEL(31-a). Il est même étonnant de constater que si certains communistes se sont introduits dans les équipes dirigeantes des deux premiers mouvements, jamais aucun militant de ce parti n'entrera à "Franc-Tireur" au moins dans l'équipe dirigeante. La base sera, elle aussi, très comparable à celles de "Libération" et de "Combat".(31-b)
"Franc-Tireur" s'implante, en dehors de la région lyonnaise, à Clermont-Ferrand, Toulon, Montpellier, Limoges, Toulouse...

Si, lors de la fusion des groupes paramilitaires des trois grands mouvements, ceux de "Franc- Tireur" sont presque inexistants, ils se sont bien rattrapés en créant des maquis dès la fin 1942, et surtout début 1943 lorsque sera institué le S.T.O., en Vercors, dans l'Ain et dans le Sud-Ouest.

29
Alban-Vistel. Ibidem. p. 98 à 105
30
Michel, Henri. Ibidem . p.20.
31-a
Alban-Vistel. Ibidem.
31-b
Veillon, D., Le Franc-Tireur. Paris Flammarion, 1977, 367pages
Retour au sommaire de la 1ère partie
d- France d'abord.

Les trois grands mouvements de la Zone Sud seront appelés à absorber les petites formations de Résistance, lorsque sera constitué le Comité de Coordination en Novembre 1942. Cependant, quelques exceptions seront prévues par Jean MOULIN. "France d'abord" en sera une, du fait des missions importantes que cette formation rend à l'ensemble de la Résistance, par ses services spécialisés.

Créé à Lyon, par André BOYER, (32)fin 1941, il a été repris par Georges COTTON et le Colonel SCHWARTZFELD. Il sortit de milieux intellectuels et militaires et en dehors de Lyon, "rayonna sur l'Ardèche, le Gard et la Drôme", rapporte Henri MICHEL (33).

"France d'abord" prend en mains le logement, les emplois pour les Résistants, la confection des faux papiers, le service technique des plans, de la photogravure, les microfilms, service du journal, service réparations radio, police, P.T.T etc. D'ailleurs ce sera "France-d'abord" qui mettra à la disposition de HARDY les relevés de cartes, les plans de chemin de fer, les notices sur l'utilisation des explosifs(34-a). Ajoutons à cette énumération un service de renseignements nommé Dupleix, et des corps francs qui sous le nom de "Templiers" opéreront des coups de main sur les chemins de fer.

On comprend que Jean MOULIN, dans sa manne provenant de Grande Bretagne, ait tenu à en faire profiter ce groupement, à l'inverse de certains autres de la zone non occupée, parfois pas moins développés, mais relevant davantage de l'association clandestine. Le Général de GAULLE leur demanda, au cours d'un discours radiodiffusé, de rejoindre les trois grands grands mouvements de cette zone(34-b). Aucun subside n'aidera d'ailleurs ces petits groupements en dehors, répétons-le, de "France-d'abord".

32
Noguères, Henri. Histoire de la Résistance en France.T.2 Paris Robert Laffont. 1969. 7O2 pages. p. 464.
33
Michel, Henri Op.Cit. p.20.
34-a
Déposition de Georges Cotton du 9.06.1948. Second procès Hardy
34-b
Passy, Souvenirs, Tome 2. Op.Cit. p.133.
Retour au sommaire de la 1ère partie
3 Les Mouvements de Résistance de la Zone Nord.

Les conditions d'implantation de la Résistance en Zone Occupée sont radicalement différentes de celles de la zone Sud. L'échec de la fusion de Libération-Sud avec Libération-Nord en est une cause. Christian PINEAU a bien compris les difficultés inhérentes à ces conditions, lorsqu'il s'est rendu lui-même en Zone non occupée pour maintenir le regroupement des syndicalistes, et il croit voir chez les chefs des deux plus grands mouvements de cette zone un sentiment de supériorité par rapport à ceux de Z.N. Il l'explique par l'illusion entretenue par certains -dont Henri FRENAY- du "double jeu de nombreux membres du gouvernement de Vichy". Il en conclut que la coordination réelle des mouvements des deux zones semble difficile(35).

Autre tentative: en décembre 1940, Henri FRENAY rencontre à Vichy le capitaine Robert GUEDON, qu'il a connu à l'Ecole de guerre. Ce dernier a monté un service de renseignements en Normandie, véritable réseau qu'il appelle "l'Organisation Nationale de la Résistance", l'O.N.R.
Frenay arrive à le convaincre d'être le chef pour la Zone occupée de l'extension de son mouvement, dénommé encore "Mouvement de Libération Nationale". Cette filiale est à créer de toutes pièces. Guédon arrivera à un certain résultat à Paris, en Normandie et en Bretagne, en Champagne, dans les Ardennes, dans le Pas de Calais, etc. Ce seront les "groupes Robert". C'est par lui que sont recrutés François MORIN, Jacques LECOMTE-BOINET, Jacques DHONT, Henry INGRAND et bien d'autres(36). Christian PINEAU présenté à lui, le juge efficace, mais imprudent.

Au reste, ses groupes de Normandie qui se structurent déjà en dizaines et trentaines, sont décimés déjà en Novembre 41 par la Gestapo. Mais, le plus vaste coup de filet qui atteint la filiale se produit entre le 2 et le 6 Février 1942, par la trahison de DEVILLERS. LECOMTE-BOINET a pu échapper à ces larges rafles et cherche à réorganiser la succursale de Combat en Zone Nord, dont il se sent toujours le responsable.
Dans ce but, il va rencontrer Henri FRENAY à Lyon. Celui-ci renonce à reconstituer ce qui vient d'être détruit à Paris, et conseille à son représentant de ne pas y repartir. Il y a de quoi faire pour développer "Combat" en Zone Sud. Si INGRAND accepte (après avoir été arrêté à Paris et relaché) de rester en Zone Sud, LECOMTE-BOINET, déçu, refuse, retourne en Zone Occupée, où il va créer son mouvement sur les ruines de "Combat-Z.N"(37).

35
Pineau Christian. La Simple Vérité. Paris Phalanx. 1983. 589 pages. p.104.
36
Noguères, Henri. Histoire de la Résistance en France. Op.Cit. pages 443 à 445.
37
Noguères, Henri. Ibidem. page 479.
Retour au sommaire de la 1ère partie
a- Ceux de la Résistance. (C.D.L.R.)

Ainsi, sur ces ruines de "Combat-Z.N." s'édifie le C.D.L.R. Pas tout de suite: après avoir essayé à nouveau, mais vainement, de réssusciter Combat-Z.N., auprès de BOURDET en l'absence de FRENAY, LECOMTE-BOINET a la chance de voir arriver à lui quelques éléments de valeur, dont le jeune Pierre ARRIGHI, plein de dynamisme et d'initiatives heureuses. Ce sera le responsable militaire et le Secrétaire général du C.D.L.R.
Ce nouveau mouvement, créé officiellement en Octobre, a pu conserver non seulement les positions anciennes de Champagne, mais y faire de nouvelles adhésions. Il en sera de même à Paris, avec l'aide des anciens camarades de Sciences-Po. de Pierre ARRIGHI. Un groupe est créé dans le Nord(38). "Il disposait, dès la fin de 1942, de groupes militaires et d'un réseau de renseignements...des groupes francs à Poissy, à Aubervilliers et dans le 7 Arrondissement", précise Henri MICHEL.(39)
Retour au sommaire de la 1ère partie
b-Ceux de la Libération.C.D.L.L.)

Ancien pilote de chasse de la Grande Guerre, Maurice RIPOCHE fait distribuer un ordre du jour en Août 1940, véritable appel aux armes, auprès des officiers aviateurs. Le Mouvement se crée ainsi, avec l'aide d'abord du Service de Renseignements de l'Air de Vichy, ensuite du S.R. Guerre. Le mouvement s'occupera de la fabrication de faux papiers et d'évasions, puis des groupes para-militaires et des questions intéressant la S.N.C.F.(40).

Arrêté en Mars 1943, RIPOCHE sera exécuté à Cologne en Juillet 1944. Ses successeurs seront tour à tour appréhendés : COQUOIN, MEDERIC qui se suicidera, le colonel GINAS (41). Pendant une période, ce mouvement essayera d'avoir un prolongement en Zone Sud.

C.D.L.L. apportera son aide au Général DELESTRAINT lors de ses séjours parisiens.

38
Noguères, Henri. Ibidem p.479-480.
39
Michel, Henri. Op. Cit. p.26.
40
Beuchon, Pierre. in Ceux De La Libération . Souvenirs de Guerre. (Août 40 à fin Juillet 43). Plaquette remise par l'auteur.
41
Michel, Henri. Ibidem. p.27.
Retour au sommaire de la 1ère partie
c- Libération-Nord.

Christian PINEAU a réuni des responsables syndicaux qui affirment leur opposition à la politique du gouvernement du Maréchal. Tous leurs collègues d'avant guerre ne partagent pas leur point de vue. Louis BERTIN et BELIN sont devenus Vichystes. La réunion, rue de Verneuil chez Christian PINEAU a lieu le 15 Novembre 1940.(42) Le manifeste du Syndicalisme français sera diffusé.

Quinze jours plus tard, le 1 décembre, "tombe" le premier numéro du journal clandestin "Libération". Il paraitra chaque semaine, le dimanche, jusqu'à la Libération. Christian PINEAU en a assuré la rédaction tant qu'il a été présent. Il tape lui-même ses articles à la machine au Ministère du Ravitaillement. Jean TEXCIER prendra la suite.(43)

Le mouvement "Libération Nord" recrute donc dans les milieux syndicalistes et socialistes. Christian PINEAU et Robert LACOSTE ont le mérite de le structurer, de réunir en un comité directeur des Résistants qui sauront maintenir l'organisation après les arrestations de Mai 43. Ce comité réunira outre PINEAU et TEXCIER, RIBIERE, Louis VALLON de la S.F.I.O., G.TESSIER de la C.F.T.C., NEUMEYER et SAILLANT de la C.G.T. , les trois derniers ayant signé le manifeste.

Libération-Nord reste indépendant et veut garder son caractère propre en refusant de fusionner avec les "groupes Robert", ou avec l'O.C.M. (44)

Par contre,"la Voix du Nord" s'intègre à lui. Ce mouvement s'est constitué à peu près en même temps qu'a paru le journal clandestin du même nom. Fondée par Natalis DUMEZ, l'abbé LEMIRE et Jules NOUTOUR, cette organisation s'occupera d'évasion, de faux papiers, de sabotage, de noyautage de la police; leur groupe "La Madeleine" est rattaché au réseau de Pat O'Leary(45).

42
Pineau, Christian. Op.Cit. p. 88-89.
43
Pineau, Christian. Ibidem page 89.
44
Michel, Henri. Op.Cit. page 29.
45
Noguères, Henri. Op.Cit. Tome I. page 401.


Mais "Libération-Nord" ne se contente pas d'une idéologie politique ou syndicale. Christian PINEAU est entré en contact avec la France Libre par l'intermédiaire de Rémy. Il peut en Février 1942 se rendre à Londres où il rencontre le Général de GAULLE et lui confirmer l'importance de la Résistance en France, des forces syndicalistes, voire politiques. Le mouvement désormais relié à Londres recevra une aide financière et matérielle.

"Libération-Nord" peut ainsi diffuser dans l'ensemble de la Zone occupée, et avoir dans chaque région des groupes paramilitaires dont l'ensemble est fort bien commandé par le Colonel ZARAPOFF.

Ainsi, sur le plan militaire l'organisation se structure assez remarquablement. Les contacts londoniens ont permis un développement, pour certains inattendu. Même dans les régions les responsables militaires sont des officiers de haut grade: le général Audibert est responsable de la région Ouest; le général Lugand, puis le général FAUCHER commande le sud de la Loire; le général CHALLE le Centre; le général BRUNCHER le Nord (46-a).

Lorsqu'en Avril 1943, le général DELESTRAINT rencontrera les responsables militaires de la zone nord, il appréciera les formations du Colonel ZARAPOFF.

Ce mouvement doit son développement tant au niveau politique que militaire à la détermination de certains hommes et particulièrement de Christian PINEAU qui n'a pas hésité à se rendre très précocement à Londres. Les contacts privilégiés qu'il a pu avoir avec de GAULLE et le B.C.R.A. ont permis au mouvement d'avoir des liaisons radios et aériennes, un apport de matériel plus rapide. Mais grâce à son dynamisme, Christian PINEAU a voulu contacter les autres organisations des deux zones. De son fait, le travail de coordination en zone Nord a été très avancé à l'arrivée en France de la mission Arquebuse-Brumaire. Malheureusement pour la Résistance en général et pour Libération-Nord en particulier, il tombera dans une souricière à Lyon, le 3 Mai 1943 (46-b).

46-a
Michel, Henri. Ibidem. p.29
46-b
Pineau, Christian. Ibidem. p.12 à 15.
Retour au sommaire de la 1ère partie
d- L'Organisation Civile et Militaire. (O.C.M.)

Un premier groupe, dit de la rue Logelbach, dès Septembre 1940, réunit des hommes décidés tels que LEFAUCHIRON, SOUCHERE, GUERRY et surtout un industriel d'une forte personnalité, Jacques ARTHUYS. Il comporte aussi des militaires, les colonels TOUNY et HEURTEAUX qui contactent des amicales régimentaires (47).

La rencontre de ce groupe avec celui de la Confédération des Travailleurs Intellectuels depuis Août 1940 et autour de Maxime BLOCQ-MASCART, SAINTE-LAGUë est à l'origine de la constitution de l'Organisation Civile et Militaire.

Des personnalités parisiennes y adhèrent, tels Jacques-Henri SIMON, avocat au Conseil d'Etat, de même que des industriels, des commerçants, des universitaires, des fonctionnaires, quelques militaires. Des éléments de "droite", ayant eu avant guerre peut-être des affinités avec l'Action Française, les Croix de Feu ou le groupement Valois, mais qui se sont toujours opposés à Vichy, et n'ont jamais adhéré à quelque sorte de totalitarisme que ce soit. Certaines personnalités de "gauche" y figurent, tel l'avocat REBEYROL. Leur dénominateur commun est un patriotisme exigeant, avec désir "de libérer la France d'abord, lui donner ensuite des institutions qui garantiront sa grandeur retrouvée" (48).

La diffusion de l'Organisation est rapide dans toute l'étendue de la Zone Occupée. Il s'implante à de hauts niveaux dans de nombreux ministères parisiens, P.T.T., Travaux publics, Agriculture, Travail, Intérieur, dans le haut personnel administratif, à la Cour des Comptes, au Centre d'Information Interprofessionnelle (49).

Au cours du dernier trimestre 1941 des changements se produisent; en Septembre- Octobre, le général RIEDENGER remplace à la tête des groupes paramilitaires le Colonel HEURTEAUX, appréhendé par la Gestapo. Le 21 décembre, ce sera le tour de Jacques ARTHUYS. L'O.C.M. sera commandé dorénavant par le Colonel TOUNY/Langlois, qui a structuré auparavant le 2 bureau du mouvement, même en prenant contact avec les Services Spéciaux de Vichy. L'organisation prend alors une extension accrue tant sur le plan militaire que civil: troupes de combat, équipes de sabotage, publications, faux papiers, renseignements (Réseau Centurie) (48). Le groupe "Maintenir" le rejoint (50); les groupes de province se multiplient dans le Pas-de-Calais, les Vosges, l'Aisne (51).

47
Noguères, Henri. Ibidem p.152 et 228.
48
Calmette, Arthur. L'O.C.M. Paris P.U.F. 1961. 228 pages. p.33 à 45.
49
Michel, Henri. Ibidem p.30.
50
Noguères, Henri. Ibidem T.2. p.235.
51
Calmette, Arthur. Ibidem p.117.
Retour au sommaire de la 1ère partie
e- Francs-Tireurs et Partisans (F.T.P.F.). Le Front National.

Les groupes armés du Parti communiste avaient pris le nom d' Organisation Spéciale. Ensuite, ils devinrent l'organisation armée du Front National, pour s'en tenir finalement, en 1942, à la dénomination de "Francs-Tireurs et Partisans Français". Obéissant aux ordres du Comité Militaire du Parti Communiste, les F.T.P.F. sont, en fait, la formation militaire du Front National (52).

Au reste, de direction communiste le Front National se veut rassembleur, souhaite unir sous sa bannière le plus grand nombre de Français décidés à lutter contre l'Allemand. D'ailleurs, son action s'étend sur les deux zones, bien que son extension est moins sensible en Z.S. L'intention du Parti Communiste ést de "coiffer toute la Résistance française déjà existante" (52). Mais si individuellement des Résistants connus adhérèrent à ce "Front", tels que Yves FARGE, Georges BIDAULT et bien d'autres, les mouvements de Résistance des deux zones protestent devant des débauchages qui se multiplient (53).
Les Francs-Tireurs et Partisans sur l'ordre du Comité militaire du P.C. emploient la méthode du harcèlement de l'Allemand, sans se soucier des représailles sur la population, prévoyant que de cette même population excédée et concernée surgiront des masses nouvelles de combattants volontaires.

Mais le Général de GAULLE, au cours d'une allocution radiodiffusée le 23 Octobre 1941, demande à ceux qui emploient cette tactique de harcèlement d'attendre le jour J. afin d' éviter d'exposer les combattants actuellement désarmés. "Au contraire, précise-t'il, dès que nous serons en mesure de passer à l'attaque, les ordres voulus seront donnés" (54-a Dès ce moment, la question de l'attentisme est posée. Elle fera l'objet de nombreuses prises de position.

D'ores et déjà, le Général de GAULLE se présente aux combattants des Mouvements de Résistance comme leur chef. Cette allocution arrive à un tournant de l'action du Général, qui dès à présent a l'intention de prendre en mains la Résistance française intérieure, comme il est le chef de la Résistance extérieure.

52
Noguères, Henri. Ibidem Tome 2. p.159.
53
Michel, Henri. Op. Cit. p.31.
54-a
De Gaulle, Général. Mémoires de Guerre. T.I. Paris Plon. 1954 680 pages. Page 228.

Ainsi, le général de Gaulle pensait-il s'appuyer sur la Résistance intérieure, sur l'opinion publique en France ? C'est l'avis de Jean Lacouture qui étaye son opinion sur l'affirmation de Nicholas Wahl, professeur à l'université de New York.(54-b).
Henri Frenay (54-c) et d'autres le contestent: ils pensent que de Gaulle n'a pris conscience de la Résistance en France qu'après la rencontre avec Jean Moulin, ou pire, après le débarquement du 8 Novembre.
Il est vrai qu' il ignorait presque tout d'elle avant l'arrivée de Jean Moulin (54-d). Même après, bien des choses lui échappaient comme l'a remarqué Christian Pineau en Mars 42. Il désire s'informer des conditions sociales et syndicales qui sont à la base de certains mouvements de Résistance, bien que sa formation militaire ne l'y ait pas préparé (54-e). Mais Il veut connaître cette France profonde que lui font découvrir Moulin, Brossolette, Pineau... Ce ne sont pas les reproches qui apportent une évolution, mais les informations apportées. Le problème se posera pour le Général Delestraint. Grâce à Christian Pineau, de Gaulle rédigera son manifeste politique. De Gaulle a compris qu'en France métropolitaine, "prenant position contre l'Armistice donc contre le régime de Vichy qui en est issu, la Résistance prend une couleur politique en même temps qu'une orientation patriotique, elle insiste sur la nécessaire restauration des libertés républicaines" (54-f).

-La comparaison des mouvements de Résistance entre Zone Nord et Zone Sud est différemment interprétée: Henri Michel constate qu'en Zone occupée l'exercice de la Résistance est certes plus périlleux. Mais trouvant une quasi unanimité elle y rencontre plus de complicité. Etant plus précoce elle est plus étoffée (54-g). Par contre, Passy estime que les difficultés que rencontre la Résistance en Zone occupée entrainent un développement bien moins important et surtout un retard par rapport à la Zone Sud (54-h). Lacouture insiste surtout sur les difficultés de la Zone occupée, et le manque d'archives constituées (54-i).

54-b
Lacouture, Jean. Op.Cit. p.412.
54-c
Frenay, Henri Op.Cit. p.232 à 235.
54-d
Lacouture, Jean. Ibidem p. 569-570.
54-e
Pineau, Christian. Op.Cit. p.157 à 160.
54-f
Michel, Henri. Histoire de la Résistance en France. Paris PUF. 1987. 127 pages. p.16.
54-g
Michel, Henri. Ibidem p.23.
54-h
Passy, Colonel Op.Cit. p. 136.
54-i
Lacouture, Jean. Ibidem,572-573.
Retour au sommaire de la 1ère partie
D. JEAN MOULIN.

1 -Jean Moulin, chargé de mission, arrive en France.

Go..Go..Go..

A ces injonctions, trois Français jaillissent du bimoteur Armstrong Withley de la R.A.F. qui, depuis l'Angleterre, les amène au dessus des Alpilles. En cette nuit du 1 Janvier 1942, à trois heures trente, sont ainsi parachutés, "blind", ce qui signifie dans le jargon de la R.A.F.: sans équipe de réception, trois hommes en mission (55), trois Français Libres:

- Jean MOULIN, appelé Rex par le B.C.R.A., saute le premier. Il s'agit du délégué du général de GAULLE pour la Zone Sud, non occupée, représentant du Comité National Français de Londres.
Il se reçoit mal, dans un marais, loin du point fixé, loin de ses deux compagnons qu'il ne rejoindra qu'un peu plus tard.

- Raymond FASSIN, alias Capitaine Barsac, pseudo: SIF, officier de la France Libre, du B.C.R.A. Il a terminé sa longue formation en Angleterre. Il est parfaitement prêt à l'action. Sa mission: organiser en Zone Sud, le S.O.A.M. (Service des Opérations Aériennes et Maritimes). Il doit, de plus, devenir l'officier de liaison du B.C.R.A. auprès du Mouvement "Combat" de la Zone Sud.
Officier intelligent et dynamique, il rendra des services exceptionnels à la Résistance intérieure.
L'atterrissage s'est bien effectué. Il a eu le temps d'enterrer son parachute avant de rejoindre ses deux compagnons.


- Hervé MONJARET, provient aussi de la France Libre, du B.C.R.A. alias Jacques-André Le Goff, pseudo SIF W. En fait ce W explique la fonction de MONJARET. C'est le diminutif de Wireless Telegraphy soit Service Radio. Ainsi MONJARET est un "Radio" rattaché à Sif. Ayant bien atterri, il va rejoindre Jean MOULIN et FASSIN, pour s'en séparer quelque temps (55). L'appareil émetteur s'est brisé au cours de l'atterrissage.
Malgrè cela, les trois compagnons, après quelques péripéties, peuvent commencer leur mission.
Celle de Jean MOULIN aboutira à l'unification des Mouvements de Résistance, et en corollaire à la formation de l'Armée Secrète de la France, après qu'aura été appelé à l'organiser et à la commander le Général DELESTRAINT (général Vidal).

55
Monjaret, Hervé. Témoignage paru in Miroir de l'Histoire N 172 Avril 1964. p.426.


La date de son parachutage dans les Alpilles, il existe une divergence d'après les auteurs: Monjaret dans son récit, Serreulles dans sa conférence comme Henri CALEF et Jean Lacouture dans leurs ouvrages, s'accordent pour la nuit du 31 Décembre au 1 Janvier. Par contre, Daniel Cordier, Passy et Laure Moulin penchent pour la nuit du 1 au 2 Janvier.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 Jean Moulin et la Résistance intérieure..

Il n'est pas question, ici, de revenir sur la vie politique de Jean MOULIN, avant guerre. Est bien connue aussi son inflexible attitude, lorsque, préfet d'Eure-et-Loir, le 17 Juin 1940, quelques heures après l'entrée de la Wehrmacht à Chartres, il eut à refuser de signer le protocole allemand accusant les troupes sénégalaises, qui avaient défendu Chartres, de viols et de meurtres de femmes et d'enfants. On sait aussi que des violences de la part de certains Allemands ont été exercées sur sa personne pour le faire céder. Qu'incarcéré, il a tenté de se suicider au cours de la nuit suivante en se tranchant la gorge avec un débris de verre.
Ramené à la vie, Jean MOULIN veut reprendre son poste de Préfet d'Eure-et-Loir, pour défendre ses administrés face aux empiètements allemands de toutes sortes. Il intervient auprès des autorités d'occupation à de multiples reprises. Face à eux, il en arrive à défendre le gouvernement, malgrè son sentiment que "l'armistice est un instrument de soumission à l'ennemi" (57).

C'est le 2 Novembre 1940 que le préfet Jean MOULIN est révoqué par le gouvernement de Vichy, sur une dénonciation comme administrateur favorable au Front populaire et à la République. Son départ souleva des regrets unanimes.
Jean MOULIN met tout de suite à profit cette mise en congé. Après avoir longuement réfléchi aux circonstances du moment et mesuré les risques que comporte pour la France la soumission à l'Allemagne nazie, il tient à faire le lien entre la France Libre du Général de GAULLE et les mouvements de Résistance en France métropolitaine. Dans ce but, il tient à se rendre à Londres dans un avenir indéterminé mais d'ici là, à établir le bilan de la Résistance en France afin d'en faire le rapport au Général quand il pourra le joindre (58).
D'abord, profiter d'être en Zone occupée pour se rendre à Paris. Il réalise ce projet très rapidement, puisqu'il y arrive le 16 Novembre, ayant terminé ses fonctions de préfet le 15. Il veut règler quelques affaires pour "prendre la température" de la Zone occupée, retrouver ses amis, tel Pierre MEUNIER, l'ancien secrétaire de Pierre COT. Il lui demande de prendre contact avec les réseaux, les petits groupes de Résistants qui peuvent déjà exister. Il insiste auprès de MEUNIER pour qu'un rapport soit établi dans ce sens. Il va partir en Zone non accupée où il menera une enquête sur les groupes clandestins existants. Mais d'ores et déjà, il exprime le voeu qu'une liaison ultérieure soit établie entre les mouvements de Résistance des deux zones (59).

57
Cordier, Daniel. Jean Moulin, l'inconnu du Panthéon. .Ed.J.C.Latès. Tome 1..1989 880 pages. Préface p.20.
58
Cordier, Daniel Ibidem. p.22.
59
Moulin, Laure. Jean Moulin. Paris Presses de la Cité. 1982. 380 pages. p.175.


Il prend contact avec plusieurs de ses anciens collègues du ministère qui semblent favorables, sinon dévoués à la cause de la Résistance.

Est-ce par l'un d'eux que son intention de se rendre en Grande Bretagne est connue ? Quoiqu'il en soit, dès le 9 décembre une note signée du Ministre de l'Intérieur le 12, enjoint la police de surveiller l'ancien préfet et de l'interdire de quitter le territoire. Jean MOULIN arrive en décembre en zone non occupée, où, officiellement, il résidera dans le midi, dans sa famille, jusqu'en Septembre 1941, époque à laquelle il partira pour Londres.

Il rencontre des amis sûrs: Louis DANIELOU, qui va rejoindre la France Libre, le Commandant MANHES à Cagnes/Mer. Il l'envoie en mission à Paris auprès de Pierre MEUNIER, toujours dans l'espoir d'avoir des informations sur les groupes de Résistants de la Zone Nord. Il rencontre aussi son ancienne secrétaire, Madame Antoinette SACHS, dont il sera question à plusieurs occasions(60).
Il décide de passer dans la clandestinité. Sous le nom de Joseph Mercier, il parcourt le midi à la recherche de groupes de Résistance, de renseignements à transmettre au Chef de la France Libre lorsqu'il le verra, concernant la vie clandestine de certains Français décidés à poursuivre la lutte.

Mais Jean MOULIN tient d'abord à parler à des responsables de la Résistance de la Zone non occupée.
Lors d'un nouveau séjour à Paris en Avril 1941, Jean MOULIN y reprend son enquête pendant 10 jours. A l'exception de "Ceux de la Libération", s'il a peu de contacts avec les représentants des organisations de la Zone occupée, il peut cependant s'en faire une opinion. Il rencontre Frédéric MANHES, Pierre MEUNIER, et l'ami de celui-ci, CHAMBEIRON.

De retour en Zone sud, il répond à une convocation près la cour de Riom, afin d'apporter son témoignage au dossier de Pierre COT. Il en profite pour rencontrer à Vichy le Colonel GROUSSARD. Par MANHES à Cagnes, il obtient des informations sur l'O.C.M. de la zone occupée (61).

Par le pasteur BROWN et le docteur RECORDIER de Marseille, il entre en contact avec Henri FRENAY, chez ce praticien. Henri FRENAY situe cette rencontre en Juillet 1941, qui dure plusieurs heures. Il fait l'historique du mouvement qu'il dirige, explique sa structure, brosse à Jean MOULIN les différents postes du "Mouvement de Libération Nationale", insiste sur le financement difficile. Jean MOULIN l'interroge sur l'extension du mouvement, sur les autres organisations clandestines de cette zone. Il apprend ainsi l'existence de "Libération", de "Libertés"

60
Moulin, Laure. Ibidem. Le nom de la Secrétaire de Jean Moulin est écrit par Madame Laure Moulin: Saxe, alors qu'il semble bien qu'il s'écrive: Sachs.
61
Calef, Henri. Op. Cit. p. 197 à 199.


Il ne manque pas d'avoir une entrevue avec le fondateur de ce dernier mouvement, François de MENTHON. S'il prend contact avec des responsables de "Libération", il lit les premiers numéros du journal de ce mouvement, le premier paru en Juillet 1941 (62).

Par MANHES, MOULIN a pu obtenir un passeport au nom de Joseph Mercier et, par Pierre COT qui est réfugié aux U.S.A. un soi-disant ordre de mission pour s'y rendre, sous prétexte de "reprendre ses cours à l'Université de Columbia". Mais il lui manque un visa de sortie que seule une autorité préfectorale est habilitée à lui délivrer. Il se rend donc à la Sous-préfecture de Grasse, à un jour et à une heure sans affluence. Il insiste tellement pour obtenir ce visa pour les U.S.A., insolite en une telle période auprès du fonctionnaire, que celui-ci ébranlé, après avoir refusé, quitte la pièce pour demander l'avis de son supérieur. MOULIN en profite pour trouver le tampon adéquat sur le bureau et l'appliquer sur son passeport. Lorsque le préposé revient pour confirmer le refus de son chef, il se lamente avant de sortir (63).
Retour au sommaire de la 1ère partie
3 -Le premier Voyage à Londres de Jean MOULIN.

Les formalités se terminent. A Marseille, Jean MOULIN, sous le nom de Joseph Mercier, se présente le 29 Août au consulat espagnol pour le visa de transit, et à celui du Portugal, puisque Lisbonne est la première étape. C'est le Mardi 9 septembre qu'il passe à Cerbères en Espagne après un contrôle sévère.
Au cours de son séjour à Lisbonne, en Octobre, Jean MOULIN commence le rapport qu'il termine sans doute à Londres. Il le destine d'abord au général de GAULLE en priorité, ou, si les évènements en décident autrement, aux autorités britanniques. Ce rapport est intitulé:
"Rapport sur les activités, les plans et les besoins des groupes formés en France, en vue de l'éventuelle libération du pays". par Jean MOULIN, Octobre 1941 (64).
Sa lecture fait apprécier l'argumentation précise, l'insistance sur les points essentiels.
Certes, Jean MOULIN se réfère surtout aux trois Mouvements qu'il a pu contacter - uniquement en zone non occupée- : Liberté de François de MENTHON, le M.L.N. de Henri FRENAY et Libération [Sud]
D'abord le but essentiel: La libération de la France. Le titre pris par chacun de ces trois mouvements en est la preuve. Et "comme corollaire, adhésion à la cause britannique et à la cause du général de GAULLE."

62
Cordier, Daniel. Op. Cit. p. 30-31.
63
Moulin, Laure. Op. Cit. p. 187.
64
Texte intégral du rapport: Annexe 1/1. (Laure Moulin, p.199..) (ou Calef p.400)


Au reste, ce texte insiste largement sur les "activités militaires". Dans ce domaine, il devient capital en ce qui concerne la place qui sera réservée à la future Armée Secrète, dans les discussions entre de Gaulle et Jean MOULIN, quelques jours plus tard. En effet, en dehors des activités de propagande qu'il est loin de minimiser -il insiste sur l'importance de la presse clandestine- il s'étend sur les activités militaires, en les qualifiant de "problème principal". Ces activités incluent aussi le Renseignement, donc la liaison radio avec Londres, la réception des armes et leurs dépôts.

Il a cette phrase qui peut paraître banale lorsque l'on connaît la participation importante des Français à la Libération de leur pays, mais qui en 1941 comporte une réelle lucidité:
"Les Mouvements croient que si la France peut compter sur l'aide infiniment puissante et appréciable de la Grande-Bretagne, il incombe aux Français d'essayer, par dessus tout, de se sauver eux-mêmes, ou tout le moins, d'apporter leur contribution à leur sauvetage final."

Il sait que de nombreux Français qui auraient désiré, en Juin-Juillet 1940, rejoindre les Forces Françaises Libres n'en ont pas eu la possibilité. Ils attendent l'occasion de "secouer le joug". "Il serait fou et criminel" de ne pas avoir affaire à ces troupes de volontaires, pouvant constituer une "armée organisée de "parachutistes" sur place". Voilà donc l'essentiel du programme à proposer au général de GAULLE. Etant donné que dans ce rapport Jean MOULIN a laissé entendre que les trois mouvements contactés par lui, s'ils ont eu quelques difficultés à trouver un terrain d'entente lors de leur première rencontre, l'ont adopté. Il y est précisé une formule commune le 5 Septembre qui prévoit l'indépendance des mouvements dans la Presse, mais une seule organisation dans le domaine militaire.
Ce programme arrive à point et s'accorde avec le désir du Général de GAULLE de s'appuyer plus complètement sur la Résistance intérieure qu'il voudrait mieux connaître.

A Londres fin Septembre, un responsable du S.O.E., le capitaine PIQUET-WICKS a remarqué sur les listes d'attente de personnes désirant se rendre en Grande-Bretagne ce double nom Joseph Mercier-Jean Moulin transmis par le consulat de Lisbonne. Il a percé la personnalité de ce candidat, et l'a signalé au S.R. de l'Etat-Major particulier du général de GAULLE. Le 20 Octobre, une note de ce Service de Renseignements demande au capitaine PIQUET-WICKS pourquoi ce haut fonctionnaire français n'est pas encore arrivé. Cette démarche détermine l'ordre de faire venir le plus tôt possible Jean MOULIN en Grande- Bretagne.

Le 21 Octobre ou 22 Octobre, un avion venant de Gibraltar le dépose à Bournemouth. Il passe quelques jours au camp d'internement du Patriotic School, où les services anglais, supputant l'importance du personnage lui proposent d'abord de travailler pour eux. Mais, interrogé par PIQUET-WICKS, il confirme son désir d'être présenté au général de GAULLE, et que le rapport qu'il a terminé lui est destiné. D'ailleurs le Vendredi 24 au soir arrive le commandant Passy qui vient prendre contact et l'emmène à son hôtel, l'hôtel de Vere Gardens.

Le Samedi 25, un officier du B.C.R.A. le conduit 4 Carlton Gardens. C'est le Commandant Passy qui l'introduit dans le bureau du général de GAULLE. Charles de GAULLE qui vient justement de ressentir davantage le poids de la Résistance intérieure, à l'occasion du massacre de Chateaubriant.

La date de la première rencontre entre Moulin et de Gaulle comporte aussi quelques variations selon les rapporteurs: Henri Calef s'en tient au Vendredi 24 Octobre(64-a). le Samedi 25 pour Cordier (64-b). Les détails que donne Piquet-Wicks et qui sont rapportés par Laure Moulin (64-c) sont précis:, ce serait le 24 que Piquet-Wicks aurait eu un entretien avec lui, qu'il l'aurait ensuite accompagné à l'hotel de Vere et lui aurait dit qu'un officier du B.C.R.A. viendrait le chercher le lendemain matin, donc le Samedi 25. En fait c'est Passy qui l'introduit auprès de de Gaulle.

Bien que personne n'ait eu d'informations précises sur ce qui a été dit au cours des deux heures de ce premier entretien, on peut affirmer avec Claude BOUCHINET- SERREULLES, que "l'étincelle jaillit entre les deux hommes Chacun a pris la mesure de l'autre"(65). Sans doute Jean MOULIN aura développé les points essentiels de son rapport: les activités, les projets et les besoins des mouvements de Résistance, en insistant sur l'unicité absolue que devra présenter l'organisation militaire (66-a). Le général aura d'autant plus apporté son accord qu'il y voit pour l'avenir de la France, un atout supplémentaire, face aux difficultés qu'il rencontre à cette époque vis à vis des alliés.

Les rencontres entre de GAULLE et Jean MOULIN se poursuivent au cours de la semaine du 27 Octobre au 2 Novembre, et au delà. L'ancien préfet, en tant qu'administrateur et gestionnaire, insiste sur les besoins importants de la Résistance métropolitaine française, besoins financiers particulièrement, comme en communications radios. On évoque déjà l'armement ultérieur.
Le général et Jean MOULIN estiment que dans un premier temps, il convient de procéder à la coordination des mouvements et des actions disperséess et que celle-ci ne peut se réaliser qu'en étant suscitée par le haut, c'est à dire par le Comité National Français (C.N.F.) institué le 19 Septembre 1941. Dans la mesure où les mouvements acceptent d'être aidés militairement et financièrement, ce sera le représentant du C.N.F., donc de de Gaulle, qui présidera les destinées du Comité de Coordination.

64-a
Calef, Henri Op.Cit. p. 207.
64-b
Cordier, Daniel. Op.Cit. p. 36.
64-c
Moulin, Laure. Op.Cit. p 214.
65
Bouchinet-Serreulles, Claude: De Gaulle et la Résistance Intérieure. in Revue de la France Libre. N 269. 1 trimestre 1990. p.7.
66-a
Cordier, Daniel. Op.Cit. p. 50-51.


Lorsque le principe de la coordination sera accepté par tous, viendra rapidement le moment d'en venir à la fusion des groupes paramilitaires de ces organismes en une Armée Secrète dont le chef dépendra directement du Comité National Français.
Il apparait donc utile de commencer ce regroupement en un comité de coordination des mouvements, d'abord par la zone non occupée, puisqu'elle seule possède des mouvements contactés à ce jour et que les risques y sont nettement moins importants. Il en sera de même pour la fusion des groupes paramilitaires. Après ce rodage qui aura valeur d' expérience, ce sera très rapidement le tour de la zone nord. Cette progression semble avoir été exprimée à cette époque par le Général de GAULLE.

Le rôle de l'organisation militaire de la Résistance intérieure semble considérable, en tant que "parachutistes déjà en place", encadrés, ayant une mission définie, pratiquant une "guérilla".
- Malgrè la formation d'officier breveté qu'est de Gaulle, technicien en stratégie de chars de combat, il insiste sur le fait que :"la seule forme de guerre à en attendre [était] donc la guérilla"(66-b).

D'autre part, loin de former des bandes ne répondant qu'à un parti, ce qui constitue un risque évident avec le Parti Communiste, l'organisation armée de la Résistance aurait aussi la mission au moment de la victoire de "maintenir l'ordre et assurer la transition entre les deux régimes" (67).
Si les mouvements se chargent du recrutement de ces forces armées métropolitaines et de leurs encadrements subalternes, le général de GAULLE en revendique l'organisation et le commandement, au sein du Comité National Français; A Londres, le général de GAULLE a l'avantage de transcender la situation et d'être à même d'intégrer cette armée de l'Intérieur dans l'ensemble des forces alliées. C'est donc lui qui organise et commande au sommet, tout en déléguant ses pouvoirs, à bon escient, à un commandant en chef sur place, de son choix.

Le lundi 3 Novembre, le chef de la France Libre demande à Jean MOULIN de devenir son représentant personnel en France. Il sera "le seul à être investi d'un tel titre, chargé d'un tel honneur". La lettre autographe que de GAULLE lui fait porter quelques jours plus tard est ainsi rédigée:
"Je désigne Jean Moulin comme mon représentant et comme délégué du Comité National Français pour la zone non directement occupée de la métropole. Il a pour mission de réaliser dans cette zone l'unité d'action de tous les éléments qui résistent à l'ennemi et à ses collaborateurs. Il me rendra compte directement de l'exécution de sa mission" (68-a).

66-b
De Gaulle, Général. Mémoires de Guerre. Tome I. L'Appel. Paris Plon. 1954. 680 pages. p.235.
67
Rapport de Jean Moulin: Annexe 1/1.
68-a
Calef, Henri. Op. Cit. p.210-211.


Le 4 Novembre 1941, le général de GAULLE et Jean MOULIN se mettent d'accord sur l'importance qu'il y aura à séparer dans chaque mouvement l'organisation proprement politique de l'organisation militaire. Et cette notion apparait évidente, du moment où Jean MOULIN avait constaté à la suite de son enquête, que les motivations des mouvements pouvaient diverger sur certains points, tout en gardant des options communes, notamment sur l'action anti-allemande.
Les militants de base d'une organisation ou d'une autre n'entrent souvent pas dans les subtilités politiques, mais il n'est pas possible de courir le risque de voir apparaître des discordes dans les groupes paramilitaires, où seul l'esprit de lutte en vue de la libération du pays et du renversement du gouvernement collaborationniste doit intervenir.
Maintenir une frontière entre le politique et le militaire semble donc logique, principalement en ce qui concerne les groupes paramilitaires appelés à la fusion.
Jean MOULIN, homme de formation politique, se fait un défenseur convaincu de cette notion. DELESTRAINT l'intégrera d'autant plus qu'il est pétri de la notion du but à atteindre.

-D'après Daniel Cordier (68-b), Jean Moulin fait découvrir à de GAULLE au cours des discussions les deux dangers que les mouvements pourraient faire courir à la France Libre: soit qu' un grand mouvement résultant d'une fusion pourrait revendiquer une légitimité en Métropole en occultant la France Libre, soit que des bandes soient levées par un pouvoir féodal, le Parti Communiste par exemple. Dans l'un ou l'autre cas, "le Général ne puisse plus contrôler ni l'une ni l'autre de ces forces paramilitaires". Aucun autre auteur n'a apporté cette information.

-Cordier fait allusion aussi aux communistes, dont Jean Moulin, à son arrivée à Londres, a signalé le "volte-face" depuis le 22 Juin.(68-c):
"Il a toujours été convenu que l'Armée Secrète doit être en prise directe avec Londres dont elle reçoit et exécute les ordres." écrira Jean MOULIN dans son rapport du 7 Mai 1943.
Il est aussi convenu que les Forces Françaises Libres, par l'intermédiaire du B.C.R.A. apportera toute l'aide possible et principalement assurera les liaisons entre Londres et les organisations, par l'envoi d'officiers, de radios.

Le général de GAULLE fixe les objectifs de l'action militaire; Daniel CORDIER les rapporte ainsi:
"1 - Opérations d'ensemble en cas de débarquement venu d'Angleterre."
"2 - Opérations locales réalisées en conjonction avec des éléments venus d'Angleterre."
"3 - Opérations locales réalisées avec des éléments pris sur place. (matériel et moniteurs envoyés de Londres)."
"4 - Utilisation des forces militaires pour prise de possession des pouvoirs civils."

68-b
Cordier, Daniel. Ibidem. p. 52.
68-c
Cordier, Daniel. Ibidem p. 33.


"Toutes ces opérations, ajoute-t'il de sa main, se déclenchent sur l'ordre personnel du Général de Gaulle" (69).

Certains ultérieurement ont été étonnés, sinon choqués, que le Général s'attribue le commandement suprême des forces de la Résistance. Un chef s'impose. MOULIN, après avoir "jaugé" de Gaulle pendant ces nombreuses semaines, estime que c'est lui le chef de toutes les Résistances. Ces forces doivent être unies, et devenir un atout valable aux yeux des alliés.
"C'est vous, mon Général, qui devez les prendre en main", lui dira son délégué avant de le quitter (70).

-D'après Lacouture, le Général de Gaulle aurait apprécié en Jean Moulin trois qualités pour lui dominantes: le préfet qui incarne "l'Etat", son opposition aux Allemands dès le 17 Juin 1940, son réflexe de joindre la France Libre (70-a). "Mais aussi, ajoute de Gaulle dans ses Mémoires en se souvenant de ces journées d'échange avec son délégué plein de jugement, voyant choses et gens comme ils étaient, c'est à pas comptés qu'il marcherait sur une route minée par les pièges des adversaires et encombrée des obstacles élevés par les amis" (70-b). Ces derniers mots pourraient fort bien être appliqués au Général Delestraint.

Quelques considérations:
- De Gaulle désirait très vite s'appuyer sur la Résistance intérieure. Il en était conscient dès le début, mais ne savait ni ne pouvait en connaître toute l'importance, malgrè les informations apportées parfois par Rémy. Passy lui remet des rapports donnant des informations souvent indirectes.
Avec Jean Lacouture, on peut parler de la naissance du "gaullisme intérieur" en 1940; De Gaulle en est conscient. Mais les contacts avec la France résistante sont rares. Il est avide de toutes informations directes (70-c). En ce qui concerne la Zone Nord il savait peu de choses jusqu'en Mars 1942, lors de l'arrivée à Londres de Christian Pineau.
Il est vrai que déjà la venue de Jean Moulin lui a fait comprendre à quel point la Résistance représentait une force morale du pays avant d'en devenir une militaire, en vue de la libération du territoire, mais Jean Moulin n'avait alors que des données concernant la Zone Sud.

69
Ordre de mission de Charles de Gaulle du 4.11.41. rapporté par Cordier, Daniel. Op.Cit. p.53.
70
Moulin, Laure. Op.Cit. p.215.
70-a
Lacouture, Jean. Op. Cit. p.581.
70-b
De Gaulle, Général. Ibidem p. 233.
70-c
Lacouture, Jean Op.Cit. p.412-413.


Il a su cependant apporter au Chef de la France Libre une vue potentielle de la Résistance dans les deux zones. Et cela a été un des plus grands mérites de Jean Moulin. Non pas des considérations numériques, simplement le filon de la mine à exploiter sans en connaître exactement l'importance mais en en devinant les essentielles possibilités. Force capitale pour de Gaulle comme pour les alliés. Union indispensable pour la France Libre, comme pour la Résistance intérieure elle- même. Certes, il apparait bien que de Gaulle ait pris plus grande conscience de la réalité de l'opinion publique résistante en France occupée, comme en France non occupée, grâce à Jean Moulin, puis à Christian Pineau

Quant à Moulin, il apparait qu'il ait jugé, prévu en homme d'Etat. Après les journées passées avec de Gaulle, il en a souspesé les qualités exceptionnelles de chef et d'homme du destin, il a mesuré la largeur de son optique prête à s'accroître à de nouvelles dimensions. "C'est un très grand bonhomme, grand de toutes façons." confie-t'il à sa soeur lors du retour en France, en Janvier 1942 (70- d). La coopération fructueuse peut commencer. Elle sera interrompue bien trop tôt.
Sa confiance sera tout aussi complète et réciproque avec Delestraint.

Le retour de Jean MOULIN pour la France, en compagnie de Raymond FASSIN et d'Hervé MONJARET, est prévu dès la fin Novembre; un très important retard prolonge son séjour à Londres. Il en profite pour avoir de nouveaux entretiens avec le Général de GAULLE, avec le Commandant Passy et d'autres officiers de la France Libre.. D'autant plus qu'au cours de ce séjour, se produit l'évènement considérable du 7 décembre 1941: Pearl Harbor.

70-d
Moulin, Laure. Op.Cit. p.216.
Retour au sommaire de la 1ère partie
II- L'ARMEE SECRETE VOIT LE JOUR.

A- QUE SERA l'ARMEE SECRETE ?

1 - Les Groupes Paramilitaires à l'arrivée de Jean MOULIN.

Lorsque Jean MOULIN (qui prend le nom de Max pour toute la Résistance intérieure, en conservant celui de Rex pour le B.C.R.A) reprend contact avec la France métropolitaine, il est alors "le représentant personnel du Général de GAULLE et délégué du Comité National Français" pour la Zone non occupée. Installé presqu'immédiatement à Lyon, il va contacter les chefs des mouvements de Résistance et les décider à s'unir en se soumettant à l'autorité du Comité de Londres d'abord en un Comité de Coordination. Il pense aussi, dès le début à l'Armée Secrète.

Où en sont les mouvements de Résistance en ce qui concerne leurs formations paramilitaires, fin 1941-début 1942 ? A en croire certains témoignages, ils sont peu développés; les mouvements ont pour objectifs, à cette époque, la Propagande, le Recrutement, voire le Renseignement. Mais ils pensent à la branche militaire. Ils cherchent à s'organiser, à prendre contact avec Londres. Ils ont besoin d'argent, étant donné le peu de ressources dont ils disposent. L'armement récupéré est extrêment parcimonieux.
Le rapport, en date du 15 Janvier 1942, de Pierre FORMAN, premier officier de la France Libre envoyé en mission en Zone non occupée trois mois plus tôt, montre les chefs des organisations, à cette époque, plus soucieux de donner à leur mouvement une spécificité propre, souvent politique, que de penser à l'unité d'action. Cependant, au cours du séjour londonien de Jean MOULIN, la fusion entre "Liberté", -de Menthon et Teitgen-, et le "M.L.N." -de Frenay- s'est réalisée, sous le nom de "Combat".
Il s'est produit aussi une tentative d'unification de la Résistance, sous la houlette du Général de La LAURENCIE, ancien Ambassadeur du Maréchal pour la zone occupée. Celui-ci s'est présenté aux Services Secrets Américains en Suisse comme le chef de la Résistance française des deux zones. Il finança Henri Frenay en Juillet 1941, eut quelques entrevues avec lui et avec d'Astier. Ce dernier donna quelques conditions à l'union des mouvements sous l'égide de La Laurencie et des Américains, dont un accord avec les Gaullistes. Finalement d'Astier par son journal "Libération" précisa que seul le Général de Gaulle est appelé à être le chef de la Résistance française (107).

107
Cordier, Daniel. Jean Moulin. Op.Cit. p.58 à 62.


Cependant, le Mouvement de Libération Nationale fait exception en ce qui concerne les groupes militaires. La structure du mouvement leur a laissé une large place. FRENAY a pensé depuis longtemps à la partie militaire de son organisation; nous avons vu qu'il l'a appelé "Choc" dès le début. "Organisation d'attente, armée en puissance" Les autres sections du mouvement, même si elles sont antérieures aux groupes armés, sont destinées à servir la lutte contre l'ennemi, fatalement armée un jour ou l'autre. Déjà existent les "Groupes Francs", créés en Septembre 1941, par Jacques RENOUVIN, avant même la fusion du M.L.N. et de Liberté.

Depuis que "Combat" voit le jour, bien des adhérents savent qu'ils sont appelés à être intégrés dans les groupes armés. Formés en sizaines, en trentaines, ils ne peuvent s'entrainer faute d'armes et d'instructeurs compétents. Dans le Mouvement, comme dans toute la Résistance à cette époque, peu d'officiers et de sous-officiers y adhérent (108).

FRENAY, en militaire de carrière, reprend pour la zone sud les régions militaires instituées par Vichy, désigne pour "Combat" des responsables militaires régionaux, départementaux, parmi des officiers recrutés sur place, qu'ils soient d'active ou de réserve. Ainsi à la tête de la Région R1 (région de Lyon), ce sera le Capitaine BILLON; pour R2 (Marseille) le général SCHMITT.. FRENAY commande l'ensemble et prend d'abord comme chef d'Etat-Major Henri AUBRY, lieutenant de réserve.

Ainsi, à partir du printemps 1942, naissent réellement les groupes paramilitaires de "Combat". Ils avaient l'avantage d'avoir été préalablement planifiés. Quelques mois seulement avant Septembre 1942 -date de la décision de fusion avec ceux des autres mouvements- ils prendront le nom d'Armée Secrète de "Combat"(109). A la proposition de Jean MOULIN, il rechigne à la séparation du militaire et du politique..

Les autres Mouvements, nous l'avons vu, sont loin de posséder une structure aussi poussée que celle de "Combat", pour leurs groupes armés.
Ce n'est qu'au printemps 1942 que "Libération" s'en préoccupe, donc après l'arrivée de Jean MOULIN. Aubrac, responsable militaire, essaye de former alors "des sizaines professionnelles formées dans les milieux ouvriers sur le lieu de travail"(110). Le principe de distinction entre politique et militaire ne soulèvera aucune restriction de la part des dirigeants de "Libération", malgrè le manque d'officiers et sous-officiers dans l'encadrement des toutes premières équipes à l'été 42, alors de type révolutionnaire.
A cette époque "Franc-Tireur" n'en possède pas encore. Son tour viendra, mais Jean- Pierre LEVY s'y emploie et apportera son entier accord aux propositions de Max.

108
Granet, Marie et Michel, Henri. Histoire d'un Mouvement de Résistance"Combat". Paris PUF. 1957. 327 pages. p.159 à 161.
109
Granet, Marie et Michel, Henri. Ibidem p.163.
110
Michel, Henri. Jean Moulin l'Unificateur. Paris Hachette. 1971. 248 pages. p.86.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 - Le rôle de Jean Moulin dans la constitution de l'A.S.

Dès son arrivée en France, Jean MOULIN prend contact avec les différents mouvements et leurs chefs. S'il retrouve Henri FRENAY, qu'il a quitté à Marseille quelques mois plus tôt, il fait la connaissance vers le 15 Janvier d'Emmanuel d'ASTIER de la VIGERIE, qui est à la tête de "Libération " puis de Jean-Pierre "LEVY", chef de "Franc- Tireur", qu'il ne découvre que fin Février. A tous, individuellement, il demande d'abord de reconnaître en le Général de GAULLE le chef incontesté de l'ensemble de la Résistance française. En retour, ils recevront la possibilité de liaisons radio, des subsides, des armes parachutées.
La réponse à cette demande d'obédience est assez rapide; elle se fait par l'intermédiaire de leurs journaux respectifs: les 20 Janvier et 15 Février, "Libération" accepte de voir dans le chef de la France Libre le Symbole de l'unité et de la volonté française. "Franc-Tireur", reconnait immédiatement de GAULLE, en tant qye chef. Il faut attendre son journal de Mars pour être certain de l'accord de "Combat". Le grand virage vers le Gaullisme est en train de s'amorcer (111).

Max leur apporte un aperçu des entretiens de Londres: la valeur de la Résistance française ne sera reconnue aux yeux des Alliés que si elle est unifiée, et non dispersée. Elle sera d'autant plus efficace qu'elle possèdera une force armée unique répondant aux ordres d'un chef: de GAULLE. donc condition absolue:

-Le ralliement à de GAULLE.
Le ralliement à de Gaulle, apparaît intéressant, selon les différents mouvements de Zone Sud. Les documents versés par D.Cordier font valoir les réserves d'Henri Frenay qui tient pendant un temps à garder sa spécificité, à n'accepter ni ordres ni subsides de la Grande Bretagne (111-b), puis la question de savoir si "nous allions devenir gaullistes, c'est à dire accepter les moyens financiers, les moyens de liaison, les directives" (111-c).

Les objectifs de ces mouvements vont certainement devoir s'infléchir. Il n'est plus question uniquement selon leurs options, de propagande, de simple parti proanglais, de seule politique antivichyste; mais en vue certes d'une libération de date encore hypothétique ou du rétablissement de la démocratie, l'heure est venue de se préparer à la lutte armée. Dans ce but, il convient que les mouvements s'unissent. qu'ils acceptent que leurs forces paramilitaires, une fois développées, fusionnent, pour former une véritable armée qui aura son rôle à jouer dans la libération du territoire.

111-a
Cordier, Daniel. Op. Cit. p.66.
111-b
Cordier, Daniel. Op. Cit. p. 65.
111-c
Noguères, Henri. Histoire de la Résistance. T.2 Op. Cit.p. 69


Au reste, Jean MOULIN sait bien que "presque partout les militants de base réclament la fusion, ainsi que les cadres des échelons inférieurs."

Trois conditions sont présentées par Max en vue de cette fusion:
1- Parvenir à la séparation des activités politiques et militaires,
2- Constituer des cadres centraux, régionaux, locaux dans chaque mouvement,
3- Avoir des éléments assez éduqués pour constituer un organisme cohérent (112-a).

La Séparation du Politique, donc de la Propagande, et du Militaire représente un des piliers de l'instauration de l'Armée Secrète de la France Combattante. Initialement cette notion trouve son origine au cours des conférences londoniennes entre de Gaulle et Moulin. Tous deux y tiennent beaucoup. Le Général Delestraint s'y est rallié avec conviction. Bien des mémorialistes font état des divergences nées à ce sujet entre la direction de "Combat" d'une part et le B.C.R.A. d'autre part. Henri Frenay, dans son livre exprime son opposition, après un essai infructueux.(112-b). Alban-Vistel partage la même opinion que son chef (112-c), alors que Passy développe les motifs qu'avaient Jean Moulin, et plus tard le Général Delestraint, de maintenir la séparation de l'action politique de propagande, de celle de l'action militaire, pour des raisons de "bon sens et de "sécurité de tous"(112-d).
Nous avons eu à interwiewer à ce sujet Bob Fornier, qui, ancien membre de "Combat", fut chef départemental de l'A.S., de l'Ain, avant Romans-Petit. Il a pu mesurer, à cette époque, l'opinion des militants de base; ceux-ci dans leur ensemble comprenaient fort bien qu'en s'engageant à quelqu'échelon que ce fut à l'A.S., il convenait de renoncer aux autres actions.

Les directives du chef de la France Libre sont difficiles à accepter pour "Combat", même si elles sont assorties de subsides, de promesses de liaisons radio. Lorsqu'en Mars 42, deux mois après la question posée, le plus grand mouvement de la Zone Sud, "Combat", accepte de se ranger sous le commandement de de GAULLE, il s'agit là d'un véritable succès de Jean MOULIN.

La fusion ne sera effective qu'en Septembre, six mois plus tard. Les atermoiements de l'un, le départ pour Londres et les U.S.A. de l'autre, dès le 17 Avril 42, n'ont pas facilité les choses (113).

112-a
Passy, Colonel. Souvenirs. T.2. Op. Cit. p. 123.
112-b
Frenay, Henri. La Nuit finira. Op. Cit. p. 145 à 147.
112-c
Alban-Vistel. La Nuit sans ombre. Op. Cit. p. 288.
1112-d
Passy. Souvenirs. T.2. Op. Cit. p.1O5-106.
113
Cordier, Daniel. Ibidem p.72.


Mais d'autres facteurs interviennent au cours de ce premier semestre 1942: les évènements de la guerre d'une part, l'évolution de la position de Charles de GAULLE qui ne se situe plus uniquement comme un chef de guerre. Sa présence politique, sociale ne peut dorénavant être contournée, sans oublier le rôle de son délégué en France non occupée, Jean MOULIN, dont la personnalité s'est imposée à tous. Au cours de cette période son oeuvre ne s'est pas limitée à remplir sa mission; il a compris que des services annexes seraient indispensables au fonctionnement aussi bien de la Délégation que de la future Armée Secrète.
Retour au sommaire de la 1ère partie
3 - La France Combattante.

1942 est l'année où tous les Résistants de l'intérieur comme de l'extérieur parviennent à l'Unité. Elle "s'affirma avec tant de force, dit Jacques SOUSTELLE, qu'il fallut lui donner un nom. Ce nom, ce fut "la France Combattante" (114). Que ce soient le lieutenant Marcel ROUSSELOT du groupe "Lorraine" basé en Angleterre, Hélène FORNIER prise en train de distribuer des tracts, le communiste de l'Action Immédiate, le militant de base d'un Mouvement de Resistance Z.N. ou Z.S., FASSIN officier du B.C.R.A.parachuté, le lieutenant ANDRE laissé pour mort à Bir-Hakeim, le Radio assurant la liaison avec Londres, tous servent dorénavant sous le nom de "Français Combattants".

La déclaration de son chef, le Général de GAULLE, le 24 Juin 1942, tient davantage de la proclamation de la France au monde entier, en précisant que les buts de la lutte concernent "à la fois la restauration de la complète intégrité du territoire, de l'Empire, du patrimoine français, et celle de la souveraineté complète de la nation sur elle-même". Et le Chef de la France Combattante développe pour la première fois, les grandes lignes du châtiment des spoliateurs extérieurs et intérieurs des droits des Français, programme de restauration des droits politiques et sociaux. "La France et le monde luttent et souffrent pour la Liberté, la Justice, le Droit des gens à disposer d'eux-mêmes" (115).

Ces paroles ne seront pas assez mises en relief, à la fin de la guerre; et pourtant elles sont reprises par Jean MOULIN, le 27 Mai 1943, lors de la première réunion du C.N.R., lorsque son président rappelle "les buts de la France Combattante tels que les avait définis son chef ":

114
Soustelle, Jacques. Envers et contre tout. Paris Robert Laffont. Tome I. 1947. 470 pages. p.320.
115
Voir Annexe 1/2. ( Soustelle I. ibidem .321 à 333)


1- faire la guerre;

2- rendre la parole au peuple français;

3- rétablir les libertés républicaines dans un Etat d'où la justice sociale ne serait pas exclue et qui aura le sens de la grandeur;

4- travailler avec les Alliés à l'établissement d'une collaboration internationale réelle, sur le plan économique et spirituel, dans un monde où la France aura retrouvé son prestige" (116).

D'ailleurs cette France Combattante est accueillie avec enthousiasme par "le Résistant de base", comme par "des personnalités militaires d'une certaine envergure [qui] ne donneront leur adhésion que dans une formation unique, en prise directe avec les chefs de la France Combattante" (117).

A travers les directives reçues de Londres, Jean MOULIN ne veut pas précipiter les choses au printemps 1942. Il veut que sa première condition -la notion de séparation du militaire et du politique- soit acceptée. mais il estime qu'il est inutile de réaliser effectivement cete fusion, tant que les cadres supérieurs régionaux et locaux dans chaque organisation ne seront pas désignés: seconde condition.

Il faudra aussi procéder à la désignation du Commandant en chef, une fois que les Mouvements auront accepté les principes de structure de l'Armée Secrète. Ce sera en Avril que les discussions sur la fusion des groupes reprendront entre les chefs des mouvements ou leurs représentants (118). Elles seront âpres.

Au cours des trois premiers trimestres de 1942,, Jean Moulin se révèle donc être un homme d'Etat dont l'autorité s'affirmera tout au long des 18 mois durant lesquels il remplira sa mission, mais aussi un organisateur. Ainsi, il sait créer de toutes pièces les services annexes essentiels, mais aussi utiliser dans les mouvements de la Zone Sud ceux déjà existants et fonctionnels.

116
Michel, Henri. Jean Moulin, l'Unificateur. Op. Cit.p. 194.
117
Michel, Henri. Ibidem p.87.
118
Passy, Colonel. T.2. Op. Cit. p.122
Retour au sommaire de la 1ère partie
4 - Les Services annexes.

Bien que l'Armée Secrète ne soit pas intervenue dans la création et l'organisation des services de la délégation, il est justifié de les présenter puisque l'A.S.,dépendant directement de celle-ci et des services, aura constamment à en user.

La mission de Jean MOULIN ne peut être complète que s'il constitue une structure administrative, s'il prévoit, en tant que haut fonctionnaire pragmatique, les transmissions, l'information, l'étude des organismes à créer ou à supprimer dès la libération, le noyautage administratif, le Secrétariat.
Retour au sommaire de la 1ère partie
a- Le Bureau d'Information et de Propagande (B.I.P.),
Il est créé en Avril 1942, d'après l'idée de MORANDAT, "en dehors des mouvements mais en accord avec eux" précise Rex dans son télégramme du 28 Avril au B.C.R.A. Ce service est destiné à échanger les informations entre les Résistances extérieure et intérieure (119). Georges BIDAULT en dirige les destinées.
Retour au sommaire de la 1ère partie
b- Le Comité Général d'Etudes (C.G.E.)
est cité par Max dans son courrier de fin Juin. Il est issu de la réflexion d'André PHILIP d'une part, de François de MENTHON, P.H.TEITGEN, d'autre part. Il s'agit d'enquêter "sur les organismes officiels et officieux à supprimer ou à créer le moment venu".
Retour au sommaire de la 1ère partie
c- Le Noyautage des Administrations Publiques (N.A.P.),
dont l'idée et la réalisation reviennent à certains membres de "Combat", PLAISANTIN, Claude BOURDET, Marcel PECK. Ce service, bénéficiant de l'appui total de la délégation, aura une efficacité irremplaçable dans ses sections N.A.P-P.T.T., N.A.P-Police, N.A.P-Fer dont il sera largement question au cours de ce travail. Claude BOURDET le présente à Jean MOULIN en Septembre 1942. Ce dernier, très convaincu, encourage BOURDET dans son action et laisse à "Combat" le soin de le développer, d'abord à travers les régions de Zone Sud.

119
Michel, Henri. Jean Moulin, l'Unificateur. Op. Cit. p. 114.
Retour au sommaire de la 1ère partie
d- Le Service des Opérations Aériennes et Maritimes (S.O.A.M.)
est l'un des deux liens entre les résistances intérieure et extérieure. Il s'agit de l'organisation, aussi bien de prises en charge de personnalités par sous-marins (opérations d'ailleurs de plus en plus rares), que d'atterrissages clandestins de"Lysander" sur des terrains repérés à l'avance et acceptés par la R.A.F, qui recueillent la préférence tant du coté des britanniques que des résistants.

Le S.O.A.M. aura aussi pour tâche de repérer les terrains, de préparer les parachutages, mission essentielle pour l'Armée Secrète.
C'est pourquoi le service est créé par Max dès Septembre, après la fusion des éléments paramilitaires. Il est dirigé par FASSIN (Sif) pour la Zone Sud; il aura pour adjoint MONJARET, primitivement son Radio (Sif.W), mais devenu, en plus de ses fonctions auprès de FASSIN, l'agent de liaison auprès de Franc-Tireur sous le surnom de Frit., (alors que Fassin assure aussi la liaison auprès de Combat.) Mais au S.O.A.M. Sif dispose d'un autre adjoint qui se révèlera particulièrement efficace, Paul RIVIERE(Sif bis)(120-a).

Le S.O.A.M. deviendra en Avril 1943 le C.O.P.A. (Centre d'Opérations de Parachutage et d'Atterrissage).
Retour au sommaire de la 1ère partie
e- La Centrale Radio, appelée W.T.(Wireless Transmission) est créée aussi en Septembre 42. Ci-dessus, il a été précisé que chaque officier de liaison venant de Londres est muni d'un opérateur radio, ainsi FASSIN (Sif) est accompagné de MONJARET (Sif.W). Cette disposition s'avère insuffisante. Devant les difficultés de transmission et les arrestations trop fréquentes d'opérateurs,le service centralisé est institué. CHEVEIGNE en sera le principal élément. Daniel CORDIER, initialement envoyé en France comme Radio destiné à BIDAULT, sous le nom de Bip.W, sera retenu par Max en tant que secrétaire particulier.

En un mot les Services créés ou retenus par Jean Moulin qui intéressent au premier chef l'A.S. Certains de ces services ont été l'oeuvre de "Combat", il faut s'en souvenir. Nombre d' auteurs en ont vu toute l'importance. De même que Noguères(120-b) que les biographes de Jean Moulin s'y sont penchés. Laure Moulin,(120-c) Henri Michel, Henri Calef, Daniel Cordier.

120-a
Calef, Henri. Jean Moulin, une Vie Op.Cit. p. 229.
120-b
Noguères: Op.Cit. p.462.
120-c
Moulin, Laure. Jean Moulin. Op. Cit. p.245 à 254.


Des témoins, tels que Closon (120-d) et Passy ont exprimé tout l'intérêt qu'ils comportaient. Il s'agit, en fait, de l'embryon d'une administration, en considérant cependant l'aspect révolutionnaire que pouvait présenter alors la Résistance, qu'il fallait cependant structurer pour éviter le chaos.

En ce début d'Août 1942, dans les projets immédiats de Jean MOULIN, figure au premier plan la désignation d'un chef de l'Armée Secrète.
Retour au sommaire de la 1ère partie
En guise de conclusion de ce chapitre, viennent à l'esprit quelques réflexions méritant d'être émises ici.

1 L'action de Jean Moulin a été déterminante.

On n'insistera jamais assez sur l'effet de catalyse qu'il a déterminé en parlant de la fusion des équipes armées. Pour que chaque mouvement en accepte le principe, il n'hésite pas à se montrer convaincant. Même vis à vis de Franc-Tireur qui ne possède pas encore de groupes paramilitaires. Il insiste sur la dimension planétaire de la guerre, sur la nécessité d'intégrer la Résistance française à ce grand ensemble des Alliés. Se contenter d'un mouvement cloisonné, ne voulant recevoir ni subsides ni instructions de Londres correspond à une sclérose lente, mortelle. On comprend ce que ce langage eut de stimulant sur les trois grands mouvements de Zone sud, on comprend que certains chefs virent dans ce projet d'amalgame la perte d'une partie de leur souveraineté. La tentation était grande pour le chef de l'organisation déjà structurée de la conserver pour lui, pourvu qu'il l'entretint et l'alimentât en effectifs afin d' en garder le "leadership". Quant aux autres, tenant à ne pas être à la remorque du plus grand mouvement, ils voient d'un coup l'urgence de se munir de formations paramilitaires, jusque là peu ou pas du tout développées. Les obstacles rencontrés par Jean Moulin et le Général Delestraint de Novembre 1942 à Juin 1943, les principaux problèmes sur lesquels ils butèrent eurent là leur origine.

120-d
Closon, Francis. Le Temps des Passions. Genève Famot. 1976. 326 pages. p. 106 à 128.


2 Jean Moulin gène.

Celui qui a connu Jean Moulin, et j'en suis, peut témoigner de son autorité. Qu'aurait- il été en temps de paix, comme homme d'Etat ? On ne peut en préjuger. Mais, en ces années de guerre, d'occupation, convaincu que la salut de la France passe par le ralliement au Général de Gaulle, il cherche à imposer ses conceptions, celles du Chef de la France Libre dont il est le délégué. Cette position intransigeante lui attire rapidement des réactions hostiles. Il est fort possible que si d'Astier part à Londres en Avril 1942, c'est peut-être parce qu'il a compris que là est le pouvoir, mais que trouvant Moulin génant, trop autoritaire et persuasif, il cherche à faire nommer Morandat à sa place (129). En Juin 1943, Frenay prendra le même chemin dans le même but.

3 L'opinion de Pierre Forman sur les Mouvements de Z.S.

Ce rapport est intéressant dans la mesure où son auteur est le premier envoyé de la France Libre en zone non occupée (130). Trop sévère, méconnaissant le rôle des agents "à temps partiel", il voit cependant un danger dans les objectifs politiques des mouvements, la lutte restant la seule valeur. Ainsi, ce témoignage, aussi simple soit- il et passé inaperçu, permet d'apporter une pierre à l'argument de Jean Moulin, lorsqu'il estimait que ce risque aurait existé en ce qui concerne l'Armée Secrète, que la séparation du militaire des autres options de la Résistance était nécessaire.
Le Général de Gaulle et Jean Moulin ne désiraient pas que la France s'engageât dans la même voie que la Résistance yougoslave où plusieurs mouvements d'option politique différente, en arriveraient à s'affronter. Les alliés et particulièrement les britanniques n'étaient pas disposés, d'ailleurs, à aider des factions révolutionnaires qui seraient amenées dans leur lutte idéologique à oublier le but de la lutte commune.

4 Le Capitaine Fassin.

La figure de cet officier a été presque totalement oubliée.
Le capitaine Fassin, parachuté en même temps que Jean Moulin représente l'officier de la France Libre du B.C.R.A. typique, convaincu, très formé avant de partir pour la France, luttant pour la cause jusqu'à la mort. Le Général DELESTRAINT avait pour le Capitaine FASSIN, dont nous reparlerons, une très grande confiance. Son enthousiasme déterminé lui plaisait.

129
Cordier, Daniel. Ibidem. p. 72.


C'était un excellent officier de la France Libre comprenant les difficultés des Résistants en France.. J'ai eu le privilège de le rencontrer une fois. Son énergie m'a marqué. Des officiers de cette valeur, formés en Angleterre, tels que lui, étaient rares et immanquablement plus exposés, puisqu'ils étaient d'autant plus sollicités pour des missions dangereuses. C'est d'ailleurs pourquoi le capitaine FASSIN repartit rapidement après son retour en Angleterre, fut pris et exécuté..

130
Cordier, Daniel. Ibidem. p. 58.
Rapport du Capitaine Fassin au B.C.R.A. en date du 28 Juin 1943.
Retour au sommaire de la 1ère partie
B- GESTATION ET NAISSANCE DIFFICILES DE L'A.S.

L'idée initiale de la fusion des groupes paramilitaires des organisations de Résistance de la Zone non occupée a été déjà évoquée par Jean MOULIN, à son retour en France, dès les premiers jours de Janvier 1942, devant Henri FRENAY. Le général CHEVANCE-Bertin, qui était présent, en apporte le témoignage: "L'exposé dura une partie de la nuit. Les directives de MOULIN étaient des directives extrêmement précises notamment dans le domaine de l'Armée Secrète"(131). Après les représentants de "Combat", ceux de "Libération" et de "Franc-Tireur" seront informés, nous l'avons dit. Les mois suivants meublés par la réflexion des dirigeants n'exclue pas leurs rencontres.
Retour au sommaire de la 1ère partie
1 Des positions souvent opposées.

C'est à partir d'Avril 1942 que les discussions sur la fusion reprennent, à raison d'une réunion par semaine. Max, en tant que délégué du Comité Français préside et arbitre, car l'opposition entre Henri FRENAY et Emmanuel d'ASTIER est constante, jusqu'au départ de celui-ci pour Londres, et dès son retour début Juillet. Entre temps, les différences de point de vue se précisent entre les Mouvements. En Mai, Max est bien loin de la mise au point de l'A.S. Jusqu'en Août, par ces discussions, Jean MOULIN est excédé d'avoir à repartir à zéro, d'entendre des arguments "qui n'étaient fonction que des intérêts personnels de tel ou de tel chef de mouvement" (132).
Lorsque les difficultés entre "Combat" et "Libération" s'atténuent apparait alors une collusion des chefs de ces deux mouvements contre Max. Jean-Pierre LEVY de "Franc- Tireur" essaye d'arrondir les angles et de faire avancer les choses en rappelant le but à atteindre, en atténuant les querelles partisanes. De ce fait, il apporte souvent son appui au délégué du Comité français.
On voit même certains responsables "de la deuxième vague" s'impatienter devant cette "mentalité d'anciens combattants". Pascal COPEAU de "Libération", en Juillet-Août, réagit violemment contre "cet' esprit de chapelle". Il se fait souvent l'intermédiaire entre MOULIN hors de lui, et FRENAY en colère. Il comprend le rôle difficile de Max, et en arrive à vouloir contrer les "chefs historiques" de la Résistance.(133)

131
Noguères, Henri. Tome 2. Op. Cit. p.306.
132
Passy. Tome 2. Op.Cit. p.122.
133
Noguères, Henri. Tome 2. Ibidem. p.547 à 549.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 - Risque de point mort.

Si, fin Juillet, FRENAY est favorable à la fusion, Libération et Franc-Tireur sont réticents, craignent que Combat ait l'intention de les absorber comme il a absorbé "Liberté".
Ce ne sera que dans son courrier N 9 au chef du B.C.R.A. (134), datant du mois d'Août, que Jean MOULIN admet qu'il faut précipiter les choses. Certes les deux dernières conditions "sont loin d'être atteintes", mais devant la concurrence, et "les querelles de boutique" que se font les mouvements avant d'en arriver à la fusion, alors que la base et les cadres inférieurs la réclament, il convient de la réaliser rapidement.
La désignation des cadres supérieurs se fera d'après les zones d'influence de tel ou tel mouvement.
Fin Août, dans son courrier N 10, Jean MOULIN entrevoit certains cas: l'Action Immédiate, l'intégration pure et simple à l'A.S. de groupes particuliers, tels ceux de "Libération".
Retour au sommaire de la 1ère partie
3 Une mise en place effective.

Les prises de position allant à l'encontre de celles de chefs de mouvements notées ci- dessus ont certainement aidé à aplanir quelques difficultés. D'autres raisons interviennent.
Bir-Hakeim a démontré la participation réelle de la France dans le conflit. La résistance de la 1 Brigade Française Libre contre les assauts de ROMMEL a retenti dans tout le pays. L'action incite à l'action.
Le fameux discours de LAVAL du 22 Juin, très amoindri par celui de de GAULLE le lendemain, prouve cependant que les positions se durcissent. Il n'est plus temps d'atermoyer.
Le rôle des officiers de liaison du B.C.R.A. auprès des mouvements de Zone Sud est loin d'être négligeable. Ce sont des hommes intelligents, tel FASSIN (Sif) auprès de "Combat", MONJARET (Frit) auprès de "Franc-Tireur", et depuis Juin, Paul SCHMIDT (Kim) auprès de "Libération". En contact constant avec les dirigeants, ils savent expliquer les objectifs de la nouvelle France Combattante.
Un allié de poids intervient; Henri FRENAY est fondamentalement partisan de la fusion. Il pense d'ailleurs qu'il en sera désigné comme le chef.
La base des trois organisations, on le sait, est très favorable à la fusion
Il faut en sortir. La fréquence des réunions se fait plus rapide. La crise aigüe du début du mois d'Août dont parle Max dans son rapport N 9 (134) semble être la dernière en ce qui concerne la fusion, et être suivie d'une période constructive. Henri FRENAY se fait le ferme partisan du projet. Les Chefs se mettent enfin d'accord sur la structure. Sur ce schéma, précise Jean MOULIN, porteront les entretiens que les trois chefs de Mouvements et lui-même auront le mois prochain à Londres avec les chefs du B.C.R.A. et le Général de GAULLE. Tout au moins l'envisage-t'il.

134
Passy. Op. Cit. T.2. p.122.
Retour au sommaire de la 1ère partie
4 - Le Nom : Armée Secrète..

C'est à la fin du printemps ou au début de l'été 1942, que le nom d'Armée Secrète est donné aux groupes paramilitaires de "Combat", appelés jusque là "Choc". La structure de ceux-ci, très sérieuse, apportée par Henri FRENAY, s'impose lors de la fusion début Septembre, faute d'autres propositions valables. Max donne son accord pour que cette appellation désigne désormais les forces clandestines militaires fusionnées. Le nom d'ARMEE SECRETE est donc conservé.. Lorsque le Général DELESTRAINT en prendra le commandement, la dénomination de ces forces sera chose faite.

Au cours des mois suivants, se créeront de multiples confusions, plus ou moins entretenues, entre l'ancienne Armée Secrète de "Combat", et la nouvelle articulée désormais à la France Combattante. Cette homonymie concrétisera la dualité de commandement.
Retour au sommaire de la 1ère partie
5 La structure de l'A.S. adoptée.

"La structure de l'Armée Secrète unifiée sera modelée sur celle de l'A.S. de "Combat"(135). Jean MOULIN a accepté la proposition d'Henri FRENAY. Elle est logique puisque ce dernier a organisé les formations paramilitaires du mouvement bien avant et sont beaucoup plus étoffées que les autres. Nous avons vu que d'abord dénommées: "Choc", elles sont réunies sous le nom d' "Armée Secrète" depuis Juin.

Le Chef en était Henri FRENAY lui-même. Il avait pris comme chef d'Etat-Major jusqu'à la fin 1941 Henri AUBRY, dont le pseudo était alors Avricourt. Celui-ci devint par la suite Chef Régional à Marseille puis inspecteur général, toujours de "l'A.S. Combat".

C'est MORIN-Forestier qui devint chef d'Etat-Major de "l'A.S.Combat" à partir de Juillet 1942. "FRENAY vient de [lui] confier la réorganisation -ou mieux l'organisation-". Il estime que l'"A.S. Combat" est basée depuis six mois sur des "individualités plus que sur quelque chose de logique.(136) Il restera chef d'Etat-Major de l'A.S. fusionnée de la Zone Sud.

135
Granet, Marie et Michel, Henri. "Histoire d'un Mouvement de Résistance "Combat". Paris. Puf. 1957. 323 pages. p. 163.
136
Noguères, Henri. Tome 2. Op. cit.p.520-521.
Retour au sommaire de la 1ère partie
6 L'essentiel de la Structure initiale de l'A.S.

Pour plus de commodité et tout comme le fit "Combat" pour son organisation, il est convenu que le découpage en six régions de la Zone Sud, adopté initialement par le ministère de la guerre de Vichy, sera conservé.

Ainsi, les capitales régionales seront ainsi classées:

R1: LYON. (Rhône, Loire, Jura, Hte-Loire, Ain, Saône-et Loire Isère, Drôme, Hte-Savoie, Ardèche.)
R2: MARSEILLE. (Bouches-du-Rhône, Var, Alpes Marit., Vaucluse Htes-Alpes, Basses-Alpes.)
R3: MONTPELLIER. (Hérault, Aude, Pyrénées orientales, Aveyron Lozère, Gard.)
R4: TOULOUSE.(Hte-Garonne, Tarn-et-Garonne, Tarn, Lot-et-Gar. Tarn-et-Garonne, Htes-Pyrénées, Ariège.)
R5: LIMOGES-BRIVE. (Hte-Vienne, Dordogne, Cantal, Cantal, Lot Corrèze.)
R6: CLERMONT-FERRAND. (Puy-de-Dome, Creuse, Allier, Indre.)

MORIN-Forestier dans sa recherche de logique, trouve anormal que la capitale de R5 ait été fixée jusque là à Brive, simplement parce que le chef de cette région, Edmond MICHELET, y habite, alors que les moyens de communication rendent le chef-lieu de la Haute-Vienne beaucoup plus accessible.

La Sizaine, qui est commandée par un responsable: le chef de sizaine, constitue la cellule de base de l'Armée Secrète.
La Trentaine est formée de cinq sizaines.

Fondamentalement il s'agit de groupes locaux, commandés par des chefs locaux, eux- mêmes sous l'autorité de chefs cantonaux, départementaux, régionaux.

En général, les adhérents de Combat, et à partir de Septembre des trois mouvements sont volontaires pour entrer dans la structure de l'A.S.

Il s'agit d'une organisation d'attente, d'une armée en puissance, de réserve, dont, à cette époque, on n'en connait ni la valeur ni "l'efficacité de son action".(137)

Bien qu'en Juillet MORIN ait tenté de vouloir le déplacer à Marseille, le futur Etat- Major restera fixé à Lyon, qui indéniablement conserve le plus d'avantages; au reste, la délégation y est aussi installée.

137
Granet, Marie et Michel, Henri. Op. Cit. p. 158 à 163.
Retour au sommaire de la 1ère partie
7 - L'Encadrement.

L'Armée Secrète étant le résultat de la fusion des formations paramilitaires des trois Mouvements de la Zone non occupée, les cadres prévus seront jusqu'à nouvel avis ceux des groupes déjà existants, donc surtout ceux de "Combat". D'ailleurs, même dans ce mouvement structuré, les officiers sont si rares qu'ils occupent des postes élevés, tel Henri AUBRY, lieutenant de réserve. Nous verrons que le Général DELESTRAINT proposera certains de ses anciens officiers dont il est sûr, ce qui sera rejeté par Henri FRENAY, en tant que Commissaire militaire.

Par ailleurs, la France Libre ne peut disposer que de bien peu d' officiers pouvant être parachutés en France métropolitaine. Ils sont ordinairement réservés aux liaisons, aux services centraux. Au reste ils remplissent souvent deux charges à la fois.
Le général DELESTRAINT demandera souvent à Londres qu'on lui envoie, pour son état- major, des officiers d'active de la France Libre, tel le Colonel Saint-Jacques. Lors de son arrestation, en Juin 43, il n'aura pas obtenu satisfaction.

Enfin,les officiers provenant de l'Armée de l'Armistice dans leur grande majorité ne sont pas gaullistes à cette époque. Après le 27 Novembre, beaucoup rejoindront l'O.R.A, en gardant une certaine défiance vis à vis de la France Combattante. Défiance partagée. Cependant des contacts avec l'O.R.A. ne pourront débuter qu'en Janvier 1943; ils seront d'ailleurs infructueux; puisque gangrénés par la rivalité De GAULLE-GIRAUD, ils seront parallèles à l'état d'esprit opposant les deux courants militaires français.

Quoiqu'il en soit, la pénurie de cadres aura toujours un caractère chronique.
Retour au sommaire de la 1ère partie
8 L'Armement.

Il est dérisoire. Constitué de très rares dépôts d'armes camouflés, puisque les principaux ne sont connus que de certains membres de l'Armée de l'Armistice qui se gardent bien de les livrer encore à la Résistance. Il comprend, il est vrai, des armes individuelles de poing en nombre fort réduit. Max a promis qu'il agirait de tout son pouvoir auprès du B.C.R.A. pour que des parachutages puissent contribuer à l'armement de la future Armée Secrète, dans un avenir non déterminé.

Retour au sommaire de la 1ère partie
III- LE CHOIX

A- EN FRANCE

1 On recherche un chef pour diriger l'Armée Secrète.

Au cours d'une des dernières rencontres du mois de Juillet 1942, réunissant autour de Max les chefs ou responsables des trois mouvements de Zone Sud, est abordée la question de la désignation d'un chef commandant la future Armée Secrète.
Jean MOULIN a déjà en tête le "profil" de celui qui tiendra ce poste de confiance, mais il veut d'abord laisser discuter les chefs de ce problème.
Selon Henri FRENAY (Charvet), tout de suite, d'ASTIER de la VIGERIE (Bernard) englobe cette désignation dans son accord de la fusion des groupes militaires. Autrement dit, il accepte de laisser ses équipes s'amalgamer à celles de "Combat", à condition que le chef de l'A.S. ne soit membre d'aucun des mouvements (138).
Cependant, Charvet insiste en posant sa candidature et en développant les avantages que présenterait sa propre désignation: son expérience de la clandestinité, sa formation militaire, sa connaissance parfaite de ses propres groupes de "Combat", de loin les plus fournis. La structure de "Combat" est acceptée (138).

Son argumentation ne manque pas de poids, comme le fait remarquer Henri NOGUERES(139), mais ceux à qui FRENAY s'est heurté au cours de précédentes réunions opposent un refus formel à sa désignation. D'ASTIER, J.P. LEVY soumettent toute candidature à une condition prélable: être choisi hors de tout mouvement.
Max refuse aussi, non pas qu'il se soit laissé influencer par J.P.LEVY ou Pascal COPEAU, mais séparer le militaire du politique ou de la propagande devient impossible si le chef de l'A.S. est aussi chef d'un grand mouvement. Et puis, il sait bien ce que désire de GAULLE, arguments qu'il a compris et fait siens.

138
Frenay, Henri. La Nuit finira. Op. Cit. p.205.
139
Noguères, Henri. Op. Cit. Tome 2. p.613.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 Le Candidat doit remplir certaines conditions.

Fort de ce qui vient d'être exprimé au cours de cette réunion, Max peut présenter les qualités du futur chef de l' Armée Secrète, telles qu'elles apparaissent dorénavant:

-a Etre hostile à l'occupant, à la collaboration.
-b Etre hostile au gouvernement de Vichy, et ne lui avoir donné aucun gage.
-c Etre indépendant de tout mouvement de Résistance.
-d Etre un officier d'un grade élevé, afin de pouvoir se présenter comme un interlocuteur valable auprès de l'Etat-Major allié.
-e Avoir un passé militaire sinon prestigieux, tout au moins très honorable.(140)
Retour au sommaire de la 1ère partie
3 Les Candidats potentiels

La candidature de Raymond AUBRAC qu'aurait présenté d'ASTIER au nom de "Libération" n'est pas retenue pour la même raison qui a fait repousser celle de FRENAY, et le fait qu'AUBRAC n'est qu'officier de réserve (141).

Henri FRENAY parle du Général COCHET, véritable résistant de la première heure, mais qui lui a déjà refusé de prendre toute responsabilité importante. Il n'en est pas moins un résistant actif (142).

Max demande alors à Gervais, étant donné son passé militaire récent, de rechercher le candidat souhaité et de le trouver le plus rapidement possible. Gervais rencontre ses amis de "Combat" au cours d'une réunion et leur fait part de sa déception partagée d'ailleurs par ceux- ci. Mais très honnêtement il leur fait part de la mission dont il est chargé. Il faut l'aider à trouver cet homme rare.Il est entendu que dès qu'une candidature sera retenue, elle ne sera confirmée qu'au cours d'une réunion générale à Londres.

Alors entre en scène un homme d'une personnalité hors du commun, dont l'histoire dorénavant sera le plus souvent intriquée à celle du général DELESTRAINT. C'est en effet grâce à lui que Henri FRENAY apprit qu'à Bourg-en-Bresse vivait un général du cadre de réserve, véritablement gaulliste.
Il s'agit de Joseph GASTALDO.

140
Frenay, Henri. Op. Cit. p. 206-207.
141
Martin, Yves. La Formation des Maquis de l'Ain. Bourg-en-Bresse. A.M.A.H-J. 1987. 241 pages. p.24.
142
Frenay, Henri. Ibidem p. 207.
Retour au sommaire de la 1ère partie
4 Le Capitaine Joseph GASTALDO.

Officier de Cavalerie breveté, le capitaine GASTALDO, après avoir été cité plusieurs fois au cours de la guerre 39-40 pour ses actions dans les groupes francs, est affecté à l'Etat-Major de la Division d'Infanterie tchécoslovaque intégrée à la 7 armée française. Il se bat aux cotés des Tchèques et participe aux opérations de retraite de cette division de la Loire à la Dordogne. Celle-ci s'embarque à Sète pour l'Angleterre le 29 Juin, et l'accès des bateaux est interdit à GASTALDO. Il veut camoufler tous les fusils mitrailleurs laissés par les tchèques. Le général M. le lui refuse formellement. Il peut cependant "reprendre aux Allemands quelques armes et du matériel qui [seront] utilisés par des éléments de Résistance à partir de 1943"(143).
Il parvient à faire passer en Afrique du Nord quelques éléments tchécoslovaques qui étaient restés en France.
En Septembre 40, il reçoit le commandement de l'Escadron blindé du 3 Dragons à Castres, commandé par le Colonel A. Il entretient ses hommes dans la préparation à la reprise de la lutte Relevé du commandement de l''Escadron blindé par le Colonel A. comme seul officier gaulliste du 3 Dragons, il est dénoncé à certains généraux et au Ministère de la Guerre, puis rayé du tableau d'avancement.
En Février 1942, le Capitaine GASTALDO est affecté au 2 Bureau de la 7 Division Militaire de Bourg-en-Bresse. C'est à cette époque qu'il prend contact avec son ancien camarade de l'Ecole de Guerre, Henri FRENAY. Celui-ci lui demande "de continuer [son] action de Résistance dans les milieux militaires".
Il crée alors un service de Recherches et de Renseignement sur l'Armée d'Occupation et sur l'Allemagne, après avoir recruté quelques officiers et sous-officiers à cet effet, et grâce aux prisonniers évadés d'Allemagne qui passant par Bourg fournissent de précieux
renseignements. De fausses cartes d'identité sont envoyées à certains candidats à l'évasion. De sa propre intiative, il constitue un groupe de choc personnel, récupère et camoufle des armes et des munitions. En Mai il prend contact avec les représentants burgiens de Libération et de Franc-Tireur, et signale à FRENAY le désir de la base de voir les trois mouvements coordonner leur action (143). Son rôle sera toujours essentiel tant lors du choix du chef de l'A.S., que par son actio et son dévouement pour le général.
Retour au sommaire de la 1ère partie
5 Rencontre de DELESTRAINT et de GASTALDO.

Cet homme à l'énergie farouche, avide d'action contre l'occupant nazi, entend parler par Madame APPLETON d'un général du cadre de Réserve, demeurant avec sa famille à Bourg-en-Bresse, ancien supérieur de de GAULLE, farouchement antiallemand et opposé à la politique de collaboration du gouvernement du Maréchal, cet homme apprend rapidement l'identité de cet officier général, le Général DELESTRAINT, et son adresse, 41 Boulevard Voltaire. En Avril 1942, il décide de lui rendre visite.

143
A.N. 72.AJ/1910. Documents relatifs au Colonel Gastaldo.


De ce jour, qu'il est impossible de situer avec précision, naissent entre ces deux officiers une compréhension parfaite, une coincidence totale dans les objectifs de la lutte qu'ils ont entreprise chacun de leur coté, une amitié profonde faite de confiance mutuelle et de désir d'action; tout cela malgrè la différence de générations et de grades. Ce synchronisme de pensée et d'idéal, concrétisé par la Cause gaulliste, se structurera au fur et à mesure des rencontres ultérieures. Elle ne se démentira jamais.
Retour au sommaire de la 1ère partie
6 DELESTRAINT contacté, accepte.

Aussi, lorsque, fin Juillet, le Chef de R1, de la branche non militaire de "Combat" (R.O.P.), Marcel PECK (Battesti) rencontre le Capitaine GASTALDO (Galibier) et lui fait part du désir de Gervais de trouver un chef à l'Armée Secrète, remplissant les conditions imposées. GASTALDO affirme qu'il connait le candidat potentiel recherché. Très vite, le 2 ou 3 Août, il présente au Général, Battesti. Celui-ci au cours de la conversation comprend que Charles DELESTRAINT répond à toutes les exigences transmises par FRENAY. Le Général lui parle de GAULLE son ancien subordonné pour lequel il a gardé estime et confiance; il parle aussi des possibilités que peuvent donner à la Résistance les anciens des "Chars", qu'il a formés.

Battesti tout en pensant encore que DELESTRAINT entrera dans le cadre de "Combat", fait envoyer à Londres par Sif un message radio chiffré le 3 Août. Il demande confirmation, croyant que le Général sera à la disposition de "Combat", comme de de GAULLE (144).

Claude BOURDET (Lorrain) en est informé aussitôt, par Battesti qui vient le voir spécialement. Il apparait fort probable que ce soit lui-même qui rende visite à DELESTRAINT, à son domicile de Bourg-en-Bresse, le 4 ou le 5 Août..(145)
Charles DELESTRAINT, quand on lui demande s'il serait disposé à accepter cette responsabilité, précise tout de suite que se mettre sous les ordres de son ancien subordonné ne constitue aucun obstacle. Il estime de GAULLE à sa juste valeur, il se sent tant concerné par la cause qui est la sienne, qu'il est prêt à accepter, mais demande quelques jours de réflexion, pour considérer les responsabilités qui lui incomberont et les dangers encourus non pas par lui mais par sa famille.
Lorrain lui propose de rencontrer le délégué de de GAULLE, Max. Il accepte volontiers. Marcel PECK viendra dans quelques jours chercher la réponse. Elle sera positive sans nul doute. Cependant le Général désire une confirmation écrite du Général de GAULLE. Lorrain rend compte de cette visite à Max.

144
Message Radio adressé à Londres le 3 Août 1942. Texte de Sif.
Photocopie d'un document remis aimablement par Paul Rivière. (Voir Annexe 1/3)
145
Bourdet, Claude. L'Aventure Incertaine. Paris Stock. p.145. Claude Bourdet situe à tort cette visite à la fin d'Août 42.


A Lyon, ce n'est que plus tard qu'Henri FRENAY revoit au cours d'une nouvelle réunion, MOULIN, d'ASTIER et J.P.LEVY. Il semble qu'il soit accompagné de son second, Claude BOURDET (Lorrain), qui le remplacera à la tête de "Combat", lors de son séjour à Londres. Celui-ci leur fait part de l'excellente impression qu'il a retirée de la visite de Bourg- en-Bresse.(146)
Max tient à faire connaissance du Général, à juger par lui-même. Il propose un rendez- vous au Général à Lyon. Marcel PECK transmettra en allant à Bourg chercher la confirmation définitive.

Henri FRENAY quitte Lyon au cours de la seconde quinzaine d'Août en vue de son départ pour l'Angleterre, départ qui sera d'ailleurs retardé jusqu'au 17 Septembre, comme nous le verrons.

Cependant, il ne fait aucun doute qu'avant son départ, pendant la période d'attente, il se soit rendu à Bourg-en-Bresse pour connaître le Général et se faire une opinion sur lui.

Quand donc se déroule cette visite ? Très certainement après le 15 Août, après celle de Claude BOURDET, mais sans pouvoir en préciser la date exacte. Quoiqu'il en soit, Charles DELESTRAINT fait une forte impression sur Henri FRENAY. qui se présente, lui explique pourquoi il a quitté l'armée, son cheminement progressif depuis le refus de la défaite jusqu'à l'opposition à Vichy, et enfin le ralliement à de GAULLE.
De GAULLE, parlons-en. DELESTRAINT l'a très bien connu, il a jugé sa valeur à Metz avant guerre puis pendant la campagne de France. Il a pour lui beaucoup d'admiration. (146)
Le Général lui présente sa propre action sur les anciens "Chars" et propose de transmettre à Londres une prospection sur les officiers sympathisants de cet arme.(Voir note 144)
Henri FRENAY, lorsqu'il rapporte la conversation qu'il a eue avec le Général insiste sur l'estime que celui-ci porte à son ancien subordonné et sur sa décisionl de se mettre sous ses ordres.

Il a été question des dangers que représente la prise en charge de cette reponsabilité. Le Général les connait et les assume.

FRENAY lui parle de la Résistance en Zone non occupée, de "Combat" dont le Général a bien sûr entendu parler ne serait-ce que par GASTALDO, il lui parle, comme de son enfant, de ses goupes paramilitaires qu'il a créés, qui fusionnés avec les formations des autres organisations deviennent l'Armée Secrète de la Résistance, dont on lui demande, à lui DELESTRAINT, d'en prendre le commandement Cette armée secrète sera sous les ordres de de GAULLE, par l'intermédiaire de son délégué en Z.S., Max. DELESTRAINT est impatient de le connaître..

Peck vient chercher la réponse. Elle est positive. Le Général demande qu'un message B.B.C. confirme l'accord de de GAULLE. Son texte ? :"Charles à Charles, d'accord".

146
Frenay, Henri Op. Cit. p.207-208.
Retour au sommaire de la 1ère partie
7 La rencontre de la place des Terreaux.

Le rendez-vous a lieu entre le Mercredi 26 et le Vendredi 28 Août à Lyon, place des Terreaux. Première rencontre entre ces deux hommes, certes très différents de par leur génération, de par leur formation. Rencontre qui marquera néanmoins le départ d'une entente profonde, constructive, dans un but commun, et sous l'égide d'un homme pour lequel ils ressentent la même totale confiance, pour une Cause qui justifie de consacrer dorénavant leur vie, voire de la sacrifier.
Leur foi dans la victoire et dans le rôle de la France, leur détermination aussi ferme, réfléchie, dans l'accomplissement de leur mission, cimentent dès ce jour l'élément de base de leur estime réciproque, jamais démentie au cours des dix prochains mois.

Aucune relation officielle de cette entrevue ne nous est restée. Bien entendu, aucune archive de cet évènement n'a été constituée en France. Cependant, deux télégrammes concernant DELESTRAINT sont adressés à Londres par Jean MOULIN, le 28 Août.

Le premier apporte des informations essentielles sur le contenu de leur conversation: (147)

-C'est entre Max et DELESTRAINT que le pseudonyme de "Vidal" a été décidé.

-Il a toute confiance en le Général de GAULLE.

-Il accepte de prendre le Commandement de l'A.S., mais il y met deux conditions:
1-connaître mieux les mouvements.
2-accord formel de de GAULLE.

-Il a exposé à Max son action depuis 1940 auprès des Anciens des Chars, dans l'esprit de la Résistance.

-Il a parlé d'un noyautage possible de l'Armée de l'Armistice et possède déjà certaines idées sur l'organisation de l'A.S. en Z.S.

Le second télégramme semble faire suite à une réflexion plus approfondie. Ce qui explique, sans doute, que les deux télégrammes ont été envoyés le même jour, le 28 Août. Max insiste sur l' importance que représente de GAULLE aux yeux du peuple français bien au delà que tel ou tel mouvement peut le faire. De ce fait, Max souhaite que par la désignation de Vidal et ses attributions fixées par de GAULLE lui-même, soit précisé le titre de ce général: chef des groupes paramilitaires "des Forces Françaises Combattantes" de la Zone non occupée. Une lettre suit d'ailleurs afin de donner plus de détails sur l'entrevue avec Vidal (148).

147
Cordier, Daniel. Jean Moulin l'Inconnu du Panthéon. Paris J.C. Lattès. Tome I. 1989. 857 pages. page 88 et sa note 6 page 762. Voir Annexe 1/4.
148
Cordier, Daniel. Ibidem. p. 88-89. et sa note 7 page 762. Voir Annexes 1/4 et 1/5.


Manifestemment, entre les deux télégrammes, la réflexion de Max l'a amené à prévoir la possibilité de l'emprise de tel ou tel mouvement sur l'A.S, et que pour éviter ce risque, il convient rapidement de préciser que Vidal commande "les organisations militaires et paramilitaires" dans le cadre de la France Combattante. D'ailleurs Max n'emploie pas ici le terme d'Armée Secrète, encore trop récemment employé pour désigner uniquement les anciens groupes "Choc" de "Combat".

Cependant, Max ayant le souci d'éviter toute équivoque, les précédentes informations sur le Général DELESTRAINT sont confirmées et même complétées par le courrier qu'il envoie le 13 Septembre 1942 à Londres, en apportant de nouveaux détails sur la conversation qu'ils ont tenue place des Terreaux (149-a):

1-L'Armée d'Armistice, sujet de réflexion du Général depuis fort longtemps: comment agir efficacement sur elle ?
-Par le noyautage, et il pense à l'action de certains officiers tels que le capitaine GASTALDO.
-Par la propagande, et il sait de quoi il parle dans les milieux "chars".
-Par la reprise du matériel camouflé ou non.

2-L'Armée de la Résistance (Max n'emploie toujours pas le terme d'"Armée Secrète"). Vidal a déjà élaboré quelques projets qui sont sensiblement les mêmes que ceux de l'E.M. de Londres. Malgrè sa formation de militaire de carrière, il admet que l'action de cette armée ait un caractère insurrectionnel et révolutionnaire.

3-Une instruction donnée par Max à Vidal comporte une certaine importance. Du reste elle sera renouvelée ultérieurement. Il lui demande de renoncer à avoir des contacts avec les mouvements, donc de renoncer à l'enquête à laquelle il désirait se livrer.(150)

4-Au reste, d'ASTIER (Bernard) craint que le Général soit l'homme de "Combat", puisqu'il a été déterminé par certains membres de cet organisme. Mais comme il n'a pas d'autre candidat, il s'en rapporte à la décision de de GAULLE (149-b).

149-a
Cordier, Daniel. Op. Cit. p. 88-89.
149-b
Cordier, Daniel. Ibidem p.89.
150
Place des Terreaux, Vidal a demandé à Max de pouvoir avoir des contacts avec les mouvements, enquêter personnellement sur l'état des groupes paramilitaires de l'A.S. en se rendant sur place. Max lui a demandé d'y renoncer, pour plusieurs raisons. Par sécurité, d'abord. Puis il lui faut éviter de passer aux yeux des autres mouvements de Zone Sud, pour une "créature" de "Combat" puisque l'A.S. à cette époque est composée, en très grande partie de ceux de ce mouvement. Cependant, il lui sera reproché de ne pas avoir de contacts avec les groupes:
Granet, Marie et Michel, Henri. Op.Cit. p.164, note 2.


Ces relations révèlent l'accord sans réserve de Max a la désignation éventuelle de Vidal au commandement de l'Armée Secrète.

Ainsi, Daniel CORDIER a pu écrire: "Cette rencontre marqua le début d'une collaboration étroite entre MOULIN et DELESTRAINT. Elle était faite de confiance d'estime et se transforma en amitié agissante. Elle ne se démentira jamais jusqu'à la disparition des deux hommes"(151)
Retour au sommaire de la 1ère partie
8 "Charles à Charles, d'accord" .

Le Général me parla de cette rencontre, de la personnalité ferme et rassurante de Max, délégué pour la Zone non occupée du chef de la France Combattante. Il lui donne sa confiance, comme il fait confiance à de GAULLE. Il l'exprime à plusieurs reprises. Vidal avait jugé l'homme, il avait certes accepté, mais admis et compris la fiabilité du délégué de de GAULLE. Il allait travailler en pleine harmonie avec lui..

Cette confiance en son ancien subordonné se concrétise tout de suite par la transmission à Londres de la condition que DELESTRAINT avait formulé à Battesti : avoir la confirmation de l'accord du Chef de la France Libre, par un message B.B.C. Battesti a pu contacter FASSIN (Sif) qui assure la liaison entre "Combat" et Londres. Le message radio est transmis le 22 Août avant même le premier télégramme de Max. Nous en avons le texte intégral (152-a).
Au lieu d'écrire LE LESTRAIN ou de LESTRAIN, comme il l'a fait le 3 Août, ce qui représente un risque, même pour un message chiffré, il écrit DELE. Ce pseudonyme encore trop explicite ne sera plus employé.
Mais, le même jour, Sif envoie un 2 message radio, dans lequel il précise que DELE demande quelles suites seront données à sa proposition de prospection des possibilités de recrutement des anciens officiers d'active "Chars" dont il est sûr (152-b). Il renouvelle aussi sa demande de message B.B.C.

Sif rechiffrera ce texte pour l'envoyer une nouvelle fois le 28 Août.

Le message "Charles à Charles, d'accord" passera à la B.B.C. les tout derniers jours d'Août. Il permettra à Charles DELESTRAINT d'avoir la certitude de l'accord de Charles de GAULLE.

151
Cordier, Daniel. Ibid. p.89.
152-a
Texte du 1 Message radio adressé à Londres le 22 Août 1942, par le radio dont le pseudo est "Crab". Voir Annexe 1/6.
152-b
Texte du 2 Message radio adressé à Londres le 22 Août. Voir Annexe 1/6.
Retour au sommaire de la 1ère partie
B- CONFERENCE A LONDRES

1 La préparation de la conférence.

Il est donc convenu que Jean MOULIN et les chefs des trois mouvements de la zone non occupée, Henri FRENAY, Emmanuel d'ASTIER de la VIGERIE, et Jean-Pierre LEVY se retrouveront en Septembre à Londres, pour décider définitivement avec les officiers de l'Etat-Major du Général de GAULLE, et avec ceux du B.C.R.A., de la constitution de l'Armée Secrète de la France Combattante et de la désignation définitive de son chef.
Mais un autre sujet doit être préalablement abordé, et il est de taille: il s'agit de la mise sur pied du Comité de Coordination des mouvements de Résistance de cette même zone Sud.

Le chef du B.C.R.A. affirmera plus tard avoir "décelé de nombreux signes précurseurs" de l'opération qui se préparait en Afrique du Nord. Il estime pour cette raison comme pour bien d'autres qu'il faut activer la préparation de la rencontre londonienne.
Dans cette perspective, le Colonel PASSY, début Août, a adressé à Rex,* ce qu'il appelle des directives, mais qui paraissent être plutôt une synthèse de données issues des rapports de Rex et de l'élaboration du B.C.R.A. Ainsi sont reprises certaines décisions prises lors des discussions qu'a eues Jean MOULIN à Lyon avec les chefs des mouvements, ne serait-ce que le maintien du découpage de la Z.N.O. en 6 régions administratives ou militaires. Par contre, certaines de ces "directives" ne seront pas appliquées et resteront virtuelles, Jean MOULIN désirant garder un certain contrôle devant les "réticences" et les "querelles" des chefs de mouvements (156).

Jean MOULIN désire, de son coté, voir entériner officiellement par le Comité français les décisions prises entre les chefs des trois mouvements et lui-même, avoir l'accord de de GAULLE. Cette rencontre au sommet permettrait d'aplanir certains obstacles existant sur la route qui mène à l'appartenance totale de toute la Résistance française à la France Combattante. Il demanda à Londres d'entreprendre l'organisation du voyage d'eux quatre.

* Rappelons que Rex est le pseudo employé par le B.C.R.A. pour désigner Jean Moulin
156
Passy, Colonel. Souvenirs. Tome 2. Monte-Carlo Raoul Solar. 1948. 376 pages. p.125 à 127.
(Voir Annexe 1/7)


Les départs sont prévus pour Septembre. Il est entendu que Jean MOULIN et J.P. LEVY doivent être emmenés par voie aérienne à la lune de ce mois. Quant à E. d'ASTIER et Henri FRENAY ils partiront par mer depuis la côte méditerranéenne.

Max, Gervais, Bernard, Jean-Pierre se retrouvent une dernière fois à Collonges-au- Mont-d'Or pour se mettre d'accord sur les questions qui devront être traitées et développées à Londres: La création du Comité de Coordination des Mouvements, dont le B.C.R.A a déjà poussé l'organisation, l'Armée Secrète, sa mission, sa structure, son commandement, enfin les finances.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 Lyon-Londres en Septembre 1942.

Jean MOULIN et Jean-Pierre LEVY attendent huit jours près de Mâcon, vainement, le Lysander censé atterrir sur le terrain "Epinard". A la fin de ce mois de Septembre, une nouvelle opération pour les amener à Londres à temps a lieu par voie maritime près d'Anthéor. Le sous-marin s'est trompé de baie (157).
Ainsi le délégué du Général de GAULLE et le chef de "Franc-Tireur" ne pourront pas assister aux réunions essentielles de Londres.

Henri FRENAY et Emmanuel d'ASTIER auront plus de chance, bien que l'équipe de protection soit initialement bien peu expérimentée: ils sont pris en charge le 17 Septembre par un rafiot polonais. Celui-ci, après plusieurs journées consacrées à d'autres transbordements, les embarque au large où un croiseur britannique les emmène à Gibraltar.
De là, quelques jours plus tard un hydravion les conduit en Angleterre, où ils arrivent le 26 Septembre. Ils furent installés par le B.C.R.A dans des hôtels à proximité de ses bureaux.

Le général de GAULLE rentre d'un périple qui l'a emmené en Syrie et au Liban, puis en Afrique équatoriale. Il reçoit longuement FRENAY, appelé ici "Charvet", puis d'ASTIER. Il les écoute lorsqu'ils accablent Jean MOULIN, en employant quant à d'ASTIER des termes qui frisent l'insulte. Le Général est inflexible. Jean MOULIN restera son délégué.

C'est à cette époque qu'au cours du dîner au Savoy auquel de GAULLE invita Emmanuel d'ASTIER et Henri FRENAY, que ce dernier obtint la répartie célèbre du Général à sa question:
- "Que se passerait-il si nous n'étions pas d'accord ?
- Et bien, la France choisira entre vous et moi" (158).

157
Noguères, Henri. Op.cit. T. 2. p.589-590. Témoignages de J.P. Lévy et de Morandat.
158
Episode rapporté aussi bien par H.Frenay:"La Nuit finira" p.257, que par J.Soustelle:"Envers et contre Tout" T.1. p.395, que par Passy, T.2. p.248.
Retour au sommaire de la 1ère partie
3 Conférences françaises à Londres.

Lors de rencontres préliminaires avec André PHILIP, FRENAY et d'ASTIER unissent leurs voix à nouveau pour réclamer le rappel de Jean MOULIN, malgrè l'absence de celui-ci, et la suppression du poste de Délégué du Comité National en France non occupée. Ce ne sera d'ailleurs qu'à cette occasion que les positions des deux chefs de mouvements se rejoindront, au cours des conférences.

Les réunions se tiennent soit au B.C.R.A, 10, Duke Street, soit à Hill Street au Commissariat à l'Intérieur . C'est là que commencent les conférences, sous la présidence d'André PHILIP, le chef de ce "ministère". Lorsqu'il quittera Londres pour les U.S.A. quelques jours plus tard, ce sera Jacques SOUSTELLE qui présidera.
Seront présents, selon les sujets traités, certains membres de l'Etat-Major du Général de GAULLE, dont le lieutenant-colonel BILLOTTE, chef d'Etat-Major, et quelques représentants du B.C.R.A.. dont le Chef, le Colonel PASSY, ainsi que Pierre BROSSOLETTE et Louis VALLON.
Les réunions de travail sont fréquentes et prolongées. Elles aboutissent à l'élaboration de deux institutions pour la zone non occupée: l'une est civile: le Comité de Coordination, l'autre est militaire: l'Armée Secrète.
Retour au sommaire de la 1ère partie
a- La Création du Comité de Coordination.

Le document signé le 2 Octobre fait état de la reconnaissance par les mouvements de Zone Sud de l'autorité politique et militaire du Général de GAULLE. Leur action doit être coordonnée.
Ce texte stipule que les trois mouvements de cette zone sont représentés par leurs chefs ou leurs suppléants,dans un Comité de Coordination présidé par le représentant du Comité National avec voix prépondérante. Celui-ci sera assisté du chef de l'Armée Secrète, présent aux réunions.
Le comité coordonne l'ensemble des activités des mouvements de Résistance et répartit entre eux les tâches. Deux plans distincts:
1-le plan politique où le Comité de Coordination présente des suggestions au C.N.F. et reçoit des directives de lui,
2-le plan militaire où le Général de Gaulle, dans le cadre des décisions de l'E.M. interallié, donne ses ordres au Comité de Coordination.
Dans ce contexte,le Comité de Coordination transmet ses décisions aux mouvements de Résistance et à l'Armée Secrète par leurs chefs respectifs.
Les mouvements gardent leur spécificité dans la propagande. Ceux-ci doivent "désigner et faire approuver par le Comité un représentant régional, et ces chefs de région [doivent] à leur tour s'entendre dès maintenant pour dresser la liste des préfets, chefs de police, directeurs de stations de radiodiffusion, journalistes à mettre en place au moment de la libération" (159).

159
Soustelle, Jacques. Envers et contre Tout. Paris R. Laffont. 1947. Tome 1 470 pages. p. 396: Directives du 2/10/42
Retour au sommaire de la 1ère partie
b- L'Armée Secrète en Zone non occupée.

En dehors des questions purement politiques abordées à l'occasion des problèmes que pose "la relève", est entérinée la fusion des groupes paramilitaires déjà décidée par les mouvements lors des discussions de Lyon en Juillet et Août sous la présidence de Max. Chaque mouvement "verserait ses groupes paramilitaires à l'Armée Secrète, armée dont certains cadres supérieurs pourraient être recrutés en dehors des mouvements eux-mêmes, une fraction de l'Etat-Major étant fournie par les Forces Françaises Combattantes. De plus, le chef de l'Armée Secrète de la Zone non occupée serait désigné par le Général de GAULLE" (160-a).

Mais les trois réunions tenues les 7, 8 et 9 Octobre sont essentielles quant aux décisions concernant l'Armée Secrète.
Y participent Henri FRENAY, Emmanuel d'ASTIER, le Colonel Passy, le Lt-Colonel BILLOTTE, le Lt-Colonel PAGES, les Commandants BROSSOLETTE et Saint-Jacques.
Retour au sommaire de la 1ère partie
c- Les plans de destruction exposés.

Le Lt-Colonel BILLOTTE présente les plans de destruction déjà prévus par le 3 Bureau de l'E.M. particulier du Général de GAULLE, en liaison avec le B.C.R.A.. Ces plans ont déjà reçus l'approbation de l'Etat-Major interallié. Ils comportent alors:

1-Avant le jour J. du débarquement:
-Neutralisation d'usines travaillant pour les Allemands. Repérage des dépôts de munitions et de carburants, ainsi que de P.C. ennemis,
-Recherche de terrains susceptibles de servir aux parachutages et aux atterrissages des avions et des planeurs,
-Mise en oeuvre d'un plan de sabotage industriel.

2-Au jour J.:
La réalisation des plans prévus, c'est-à-dire:
-les destructions ferroviaires, (Plan Vert),(160-b)
-les destructions de dépôts ennemis,
-la neutralisation partielle du réseau routier,
-la destruction des moyens de communication ennemis(plan violet),
-la destruction des P.C. et des centrales ennemis, etc...

160-a
Note du B.C.R.A. du 2 Octobre 1942 signée par les participants aux réunions précédentes:
Passy, Colonel. Op. Cit. T.2. p.271.
160-b
A cette occasion furent donc cités entre autres le plan vert concernant la destruction des voies férrées et le plan violet. Il apparait évident que la dénomination de "plan vert" désigne bien les travaux de 1941-42 effectués à Londres par les officiers du B.C.R.A. et notamment le Commandant St-Jacques et le Capitaine Mamy, et non pas le plan de René Hardy.


3-Après le Jour J.:
liberté d'action pour les guérillas auquelles seraient envoyés en temps utile des moyens de transmission afin que nous puissions les alimenter en armes, explosifs et munitions, et par la suite, coordonner leur action conformément aux désiderata de l'Etat-Major interallié (161).
Retour au sommaire de la 1ère partie
d- Armes et matériel.

En plus des deux instructeurs de sabotage qui se trouvent déjà en Zone Sud, trois nouveaux sont promis par le B.C.R.A.; ils doivent donner des informations sur les nouveaux explosifs.
Encore faudrait-il que l'Armée Secrète puisse recevoir matériel et armes. Or sur le minimum de cent tonnes par mois que réclament FRENAY et d'ASTIER, vingt cinq sont promises par les britanniques, dont l'armement reste prioritaire pour eux. D'autre part,il s'agit de les acheminer. Le même problème se pose pour les explosifs.
Retour au sommaire de la 1ère partie
e- Renseignements.

Les autres questions sont abordées au cours de ces journées de discussion. Gervais ne veut pas couper les ponts avec les services américains en Suisse dont il touche de l'argent contre des renseignements. Il est convenu qu' un Réseau "Gallia" centraliserait toutes les informations que pourraient obtenir les S.R. des mouvements ou celui de l'Armée Secrète, avant qu'aucune transmission ne soit effectuée vers la Suisse (162).
Retour au sommaire de la 1ère partie
f- Transmissions.

Les transmissions seront renforcées par l'envoi et la mise en service d'au moins 16 batteries de 3 postes, dont 2 batteries pour la délégation, une batterie pour l'Armée Secrète et une pour le S.R. de l'Armée Secrète. Chaque mouvement en recevra une.
Retour au sommaire de la 1ère partie
g- Finances.

Quant aux finances, à cette époque uniquement pour la Zone Sud, tout doit passer par le délégué, c'est-à-dire Max; il doit recevoir vingt millions par mois, dont le Colonel Passy donne la répartition en ce dernier trimestre 1942:
1-six à sept millions : masse de sécurité à répartir entre les régions chez des personnes sûres, 2-un million cinq cent mille francs, soit cinq cent mille francs par mouvement: masse extraordinaire pour faire face aux dépenses imprévues,
3-cinq millions pour le financement des mouvements, de l'Armée Secrète, et les services techniques,
4-six à sept millions pour la soudure, en cas de liaisons irrégulières (163).

161
Passy, Colonel. Ibidem p.272-273.
162
Noguères, Henri. Op. Cit. Tome 2. p.616.
163
Passy, Colonel. Op. Cit. p. 274 à 282.
Retour au sommaire de la 1ère partie
4 Le Général DELESTRAINT, Chef de l'Armée Secrète

a- La nomination officielle.

Au cours de la réunion du Vendredi 9 Octobre, on en vient à la désignation du chef de l'Armée Secrète. Cette assemblée est alors présidée par le Lt-Colonel BILLOTTE. Y assistent Passy, BROSSOLETTE, Saint-Jacques, d'ASTIER (Bernard)et FRENAY (Charvet) et le Lt-Colonel PAGES.

Charvet pose immédiatement sa candidature au poste de Commandant "à titre provisoire" de l'A.S. Il se heurte immédiatement au même refus de la part de Bernard qu'il a déjà essuyé fin Juillet à Lyon. (ou plus précisément à Collonges-au-Mont-d'Or).
Au reste, c'est lui-même, Charvet, qui, à cet instant, propose l'autre candidat, le Général DELESTRAINT. Cette proposition est retenue à l'unanimité comme devant être présentée à l'approbation du Général de GAULLE, d'autant plus que cette désignation a la faveur de la recommandation de Jean MOULIN, et que le Général DELESTRAINT, ancien supérieur du Chef de la France Libre, en est très apprécié (164).
Charvet voudrait alors ajouter ce que l'on pourrait appeler un amendement: la nomination aurait un titre provisoire. Ce qui est accepté, en considérant que le terme provisoire peut permettre sa substitution éventuelle par une personnalité plus compétente le cas échéant, précise-t'il.
Le pseudonyme "Général Vidal" est désormais acquis.

Le Général de GAULLE nomme officiellement le Général DELESTRAINT chef de l'Armée Secrète.
Retour au sommaire de la 1ère partie
b- La lettre.

Le 22 Octobre il écrira cette lettre personnelle dont les termes expriment l'estime que les deux hommes se portaient mutuellement (165) :

"Mon Général,

"On m'a parlé de vous...J'en étais sûr !
"Il n'y a rien à quoi nous attachions plus d'importance qu’à ce dont nous vous
"demandons d'assurer l'organisation et le commandement.
"Personne n'est plus qualifié que vous pour entreprendre cela. Et c'est le
"moment!
"Je vous embrasse, mon Général.
"Nous referons l'armée française."

Charles de Gaulle.

164
Soustelle, Jacques. Op. Cit. Tome 1. p. 398.
165
Voir en Annexe 1/8, la reproduction de la lettre autographe du général de Gaulle au Général Delestraint en date du 22.10.42.


Le Général de GAULLE demande à Charvet de faire porter au Général DELESTRAINT la missive qu'il lui confie.
Il lui demande aussi de remettre à Jean MOULIN les vingt millions, ainsi qu'une lettre qui renferme les principales informations: la constitution du Comité de Coordination qu'il présidera en tant que représentant du Comité national. Les petits mouvements devant rejoindre les grands et "verser leurs groupes d'action dans les unités de l'armée secrète en cours de constitution" (166).

Le report du voyage de retour d'Henri FRENAY et Emmanuel d'ASTIER à plusieurs reprises, est en relation directe avec les évènements d'Afrique du Nord, avec les prémices de l'"Opération Torch", ainsi que de ses incidences, et de l'occupation de la Zone Sud par les Allemands, le 11 Novembre.
Enfin, dans la nuit du 17 au 18 Novembre, un Lysander dépose les chefs des deux principaux mouvements de cette zone sur le terrain "Courgette" à Courlaoux, près de Lons-le- Saunier (167). C'est le lendemain à Lyon-Saint-Clair, que Charvet remet à Max la lettre que lui a adréssée de GAULLE, ainsi que les vingt millions. Il semble qu'il lui ait aussi demandé de faire parvenir la lettre destinée au Général DELESTRAINT. Quoiqu'il en soit celui-ci en prend possession le Jeudi 19 Novembre. Nous aurons à en reparler.

Nous avons vu que cette conférence, par ses préparatifs mêmes et au cours des séances a été l'origine de la collusion de Charvet et de Bernard contre Jean Moulin. Malgrè son absence, elle s'est manifestée dès leur arrivée à Londres, à l'occasion des entrevues qu'ils eurent aussi bien avec le chef de la France Libre, (d'ailleurs séparément), qu' avec André Philip. Bernard, particulièrement acerbe devant de Gaulle, avait même traité Jean Moulin de "petit fonctionnaire appointé". Il est vrai que cette complicité fut bien relative et de courte durée.
Il parait juste de préciser qu'après guerre le même Emmanuel d'Astier devant Francis Crémieux a reconnu que :
-"Moulin avait une vue plus internationale que nous..."
"Cette période n'a produit que deux grands hommes d'Etat...qui sont de Gaulle et Moulin" (168).
Et d'Astier écrivit lui-même:
-"Un héros de notre temps. L'homme qui allait devenir l'arbitre véritable de la situation sur les lieux, qui nous était apparu comme un personnage assez sensationnel, Jean Moulin.."(169)

166
De Gaulle, Charles. Mémoires de Guerre. T.2. L'Unité. Paris Plon. 1956. 712 pages. p.376. Le texte: Annexe 1/9
167
Verity, Hugh. Nous atterrissions de Nuit. Paris France-Empire. 1988. 386 pages. p.89
168
Crémieux, Francis. "Entretiens avec Emmanuel d'Astier. Paris, Pierre Belfond. 1966. p.108 à 110.
169
D'Astier de la Vigerie, Emmanuel. Les Grands. Paris Gallimard. 1961. p.1961.


Parmi les résultats positifs de cette conférence, trois d’entre eux peuvent être soulignés:

- La création effective de l’Armée Secrète.

-L’articulation de l’Armée Secrète avec l’Etat-Major interallié. Cet argument, sur lequel nous reviendrons souvent, permet de comprendre la position intransigeante de Jean Loulin et du Général Delestraint, quant à la prééminence de la délégation et du commandement de l’A.S. sur le caractère d’indépendance de certains mouvements de Résistance.

-De Gaulle reste arbitre.
Au sujet de la nomination de Delestraint, à Londres, devant la candidature d’Henri Frenay, Jacques Soustelle présente un argument peu connu:Après avoir relaté l’opposition formelle de "Bernard" au choix de Charvet, il écrit que de toutes façons de Gaulle n’aurait jamais accepté que Frenay fut à la tête de l’A.S. de la France Combattante (170). Ce dernier déjà chef d’un grand mouvement, n’aurait pu prendre le commandement de l’A.S. sans que de Gaulle ne renonçât à son rôle d’arbitre -rôle auquel il tenait dans son dessein de s’appuyer sur la Résistance intérieure pour asseoir son autorité auprès des Alliés-. Cet arbritage, au reste, s’étend à Jean Moulin, son délégué en France.

Qui est Charles DELESTRAINT à qui de GAULLE confie l'organisation et le commandement de l'Armée Secrète ?

170
Soustelle, Jacques. Envers et Contre Tout. Paris Robert Laffont. Tome I : De Londres à Alger: 1947. 470 pages. p. 398.
Retour au sommaire de la 1ère partie
COMMENTAIRES

1 La prise de contact du Général Delestraint.

a Le rôle de Joseph Gastaldo, alors capitaine, a été essentiel puisqu'il a pu donner immédiatement à Marcel Peck la réponse à son problème.

b Au cours des évènements qui ont suivi cette prise de contact, l'action de Marcel Peck a été plus importante que ne le relate Henri Frenay, puisque c'est lui qui a fait le lien entre Delestraint, Claude Bourdet et Frenay; c'est lui qui a contacté Sif pour qu'un premier message-radio de demande de renseignements sur Delestraint soit adressé à Londres. Son nom de code était Werther.

c Claude Bourdet,(Lorrain) nous le savons par son livre "L'Aventure incertaine" conteste la version qu'Henri Frenay développe dans son ouvrage "La Nuit finira". En fait, c'est bien Bourdet qui, avant Frenay, voit Delestraint, mais après avoir reçu de Battesti l'information provenant de Galibier. Peck a déjà été présenté au Général. Bourdet donne à l'appui de sa version beaucoup de détails, ainsi que son argument majeur: Bourdet n'aurait eu aucune raison de se rendre à Bourg après Frenay. Celui-ci a bien pu s'y rendre ultérieurement ne serait-ce que pour connaître celui qui recevra le commandement de l'A.S., formée surtout de ses propres groupes de Combat. Au reste, il est possible que le second message du 22 fasse allusion à ce que Frenay ait pu entendre de Delestraint. Et puis, la chronologie des faits présentée par Lorrain concorde avec ce que nous savons des démarches de Peck, dont Frenay parle bien peu alors qu'il a eu un rôle essentiel.

Seule erreur de Claude Bourdet, les dates. On peut avoir la mémoire de la chronologie des évènements sans avoir celle des dates. Grâce à celles des messages-radio et celles des télégrammes, concluons qu'après la première visite au Général de Peck, ce dernier envoya le message-radio du 3 Août, pour obtenir des informations sur Delestraint. Nous ne connaissons pas la réponse, mais elle fut favorable. La visite à Bourg de Claude Bourdet se fit rapide: le 4 ou le 5 Août. Celle d'Henri Frenay n'est pas précise.

d- Par contre, la rencontre de Max et Delestraint -nommé désormais Vidal- peut être située entre le 26 et le 28 Août, après la visite à Bourg de Bourdet qui eut le temps ensuite de rencontrer Max, et après la nouvelle visite de Peck à Delestraint. Elle eut lieu donc entre les messages-radio du 22 Août, et les télégrammes de Moulin du 28 Août, ceux-ci envoyés vraisemblablement très rapidement après la rencontre.
Retour au sommaire de la 1ère partie
2 Des erreurs, des mots déplacés, voire des calomnies.

Henri Frenay, dans son livre "La Nuit finira" a intitulé un chapitre "Je recrute Delestraint". Bien que le verbe soit sans doute mal choisi, on peut l'accepter. Cependant l'erreur historique consiste dans le fait que ce n'est pas Frenay qui l'a "recruté", mais sur la demande expresse de Jean Moulin, Frenay a transmis la consigne à certains chefs de "Combat". Marcel Peck en a parlé au militaire de carrière qu'était Gastaldo, et celui-ci a immédiatement pensé au Général Delestraint, pour qui il avait déjà une estime privilégiée. C'est d'ailleurs, nous l'avons vu, Claude Bourdet qui s'est chargé de le visiter officiellement, alors que le contact officieux avait été la mission de Marcel Peck.

Mais cette erreur n'aurait pas revétu une grande importance, si une aggravation d'expression n'était intervenue par le témoignage que Frenay a transmis à Henri Noguères et cité par ce dernier (153):
On y lit: "C'est moi, nous a confirmé Frenay, qui ai "inventé Delestraint", chose que l'on oublie trop souvent. Je suis allé le chercher à Bourg-en-Bresse où il coulait des jours paisibles." Tous ceux qui ont été les compagnons de Charles Delestraint, en tant que militaires, résistants à l'A.S. ou déportés, se sont rebellés à la lecture de cette phrase. On n'"inventait" pas Delestraint. Il s'agirait d'un prête-nom, d'un homme de paille, qu'on n'employerait pas d'autres verbes. Nous avons rencontré Henri Noguères et lui avons demandé comment ce témoignage avait pu être émis, en parlant d'un personnage hautement respectable et surtout post-mortem, par un homme tel qu'Henri Frenay. alors que l'intéressé n'était plus là pour réagir. Henri Noguères lui-même a été surpris du contenu péjoratif de ce mot. Lui ayant manifesté son étonnement, Frenay l'a confirmé.
Et puis, dans la même phrase, Henri Frenay emploie une expression au moins autant dévalorisante: "Je suis allé le chercher à Bourg-en-Bresse où il coulait des jours paisibles." Nous jugerons dans les chapitres suivants, quelle activité le Général a déployée entre 1940 et 1942. Il s'agit là d'une contre-vérité sérieuse. Charles Delestraint était très loin de l'image qu'on nous en donne là: homme à rester dans ses pantoufles. Phrases historiquement fausses émises par quelqu'un qui a négligé de faire une enquête avant d'apporter un témoignage.

Mais au delà de ces mots, de ces phrases assez déplacés pour irriter profondément les anciens compagnons du Général, on relève dans "la Nuit finira", un dialogue entre Frenay et Marcel Peck, frisant la calomnie si elle ne la constitue pas et visant le Général:
Frenay:
- " Mais c'est un militaire. Il doit vénérer Pétain.
M.Peck:
- " Tu te trompes, depuis le discours de Laval: "Je souhaite la victoire allemande", il a compris."

153
Noguères, Henri. Op.Cit. Tome 2 p.615


Cette allusion à un prétendu Pétainisme n'est pas sérieuse aux yeux de celui qui connait les prises de position du Général dès Juin 1940 en faveur de de Gaulle et son action critique envers le gouvernement du Maréchal, sans équivoque, ceci à tel point que le Général fut dénoncé auprès de Pétain et qu'il reçut, comme nous le verrons, une lettre de mise en garde du Cabinet militaire de celui-ci, en Février 1942.
Le fameux discours de Laval datant du 22 Juin 1942, soit moins de deux mois avant ce dialogue, l'on pourrait sourire de cette phrase si le livre de Frenay n'avait pas une certaine portée historique.

Il est vrai qu'un autre haut responsable de "Combat", le Général S., a cru devoir renchérir en apportant un témoignage à Marie Granet et Henri Michel, témoignage qui "ne tient pas la route":
"Bien qu'ayant eu depuis l'armistice une attitude irréprochable, le Général Delestraint venait seulement de se convaincre, en Octobre 1942, qu'on ne pouvait avoir aucune confiance en Pétain" (154).
Dans le cas, absolument irréaliste, où Delestraint aurait eu confiance en Pétain jusqu'en Octobre 42, comment Jean Moulin aurait'il pu retenir sa candidature à ce poste deux mois plus tôt ? Ce même haut responsable affirme par ailleurs que le Général Delestraint était très hésitant et qu'il est venu à Bourg uniquement pour le convaincre (155). Ce qui encore est bien peu compatible avec la nature de Delestraint, tellement impregné de la mission qui lui était confiée.

Ceux qui ont vraiment connu le Général DELESTRAINT , surtout au cours de ces premières années de guerre, ne peuvent considérer ces accusations, même si elles n'apparaissent que sous forme d'allusions, que comme des calomnies. L'aversion qu'avait le Général pour le régime de Vichy et pour ses dirigeants ne permet pas d'admettre que l'Histoire entérine de telles contre-vérités.

154 A.N. 72 AJ/36: Témoignage du général S. auprès de Marie Granet

Retour à... :