ARTICLES DU COMMANDANT J.F. PERRETTE
Parus dans deux numéros de "CHARS & BLINDES"
de l'U.N.A.R.B.C.C. 1988
Un héros méconnu de la Résistance:
LE GENERAL DELESTRAINT

Né à Blache-Saint-Waast dans le Pas de Calais le 12 mars 1879, Charles-Georges DELESTRAINT est mort assassiné le 19 avril 1943...
Couronnant la criminelle frénésie dont ils ont terni l'extraordinaire épopée des armées allemandes et les exploits de leurs soldats, les Nazis, dont les dernières convulsions d'agonie de leur sinistre régime, ont délibérément éxécuté cet homme exemplaire...
Mais dans l'euphorie de leur libération, pour laquelle il avait donné sa vie, les Français ne l'ont pas su; et depuis bientôt un demi-siècle, se faisant l'inconscient complice de ses bourreaux, la nation continue d'ignorer ce héros qu'on est parvenu à faire disparaître sans linceul, ni trace... NACHT UND NEBEL..., dans la Nuit et le Brouillard de l'oubli.
En notre temps de sondages, si vous demandez aux mille premiers passants qui fut Charles DELESTRAINT, vous n'avez aucune chance d'obtenir une réponse... Aucun ne connaîtra celui qui, dans la plus totale discrétion, mérite pourtant de prendre place parmi les plus grands des français.
L'Arme Blindée dont il est une des plus illustres figures se doit d'honorer particulièrement sa noble mémoire.
Lorsqu'on célèbre les mérites posthumes d'un chef militaire on rappelle ses brillants "états de service", on évoque ses retentissantes victoires, on cite ses promotions flatteuses.
Le Général DELESTRAINT ne fait pas l'objet d'un tableau d'honneur aussi conventionnel...
Militaire irréprochable, ses conceptions lucides, franchement soutenues, quant aux erreurs du Commandement concernant le devenir des blindés, lui ont valu la retraite comme Général de Brigade dès que l'heure en eut sonné, en 1938...
Vaillant soldat, stratège lucide, on le rappelle au Commandement d'un dérisoire Groupement Cuirassé consitué de deux Divisions Cuirassées déjà usées et disloquées en dépit de ses avertissements et de ses protestations, lorsqu'il était bien trop tard...
Nature consciencieuse, franche et fidèle, sa foi patriotique lui imposa la désobéissance et la "trahison officielle" de la lutte poursuivie dans l'Ombre...
Chef supérieuremnt doué pour le commandement, il acheva son étonnant destin dans la dégradante servitude des bagnes hitlériens...
Mais, tout au long d'une vie marquée de déceptions et de déprimantes épreuves, il ne cessa de s'imposer à tous et en toutes circonstances comme un HOMME au sens le plus noble du terme.
Son indiscutable autorité, il ne la détint jamais de galons ou d'étoiles aux éclats superficiels. Mieux que d'une délégation de pouvoirs, elle s'imposait par cet impondérable ensemble de vertus dont les fées favorisent les êtres d'exception.
Plutôt frêle et petit, il compensait en dressant sa taille, la tête haute, le regard droit, les lèvres marquées aux coins d'un pli volontaire qui exprimait la confiance en soi.
Mais cette apparente sévérité ne parvenait pas à masquer la chaleur du contact dès qu'il était établi; et cette confiance personnelle n'était que le reflet de celle, collective, qu'il communiquait à tous ceux qui eurent le priviliège de servir sous ses ordres ou de coopérer avec lui.
Partout où le commandement se révélait déficient; chaque fois que la détresse pouvait engendrer le désespoir et le désordre, il apparaissait comme un "patron"...
Croyant profondémént en Dieu et intensément à la Patrie, il avait une haute conscience, sans limites, du devoir.
Classé 12ème à l'entrée de Saint-Cyr, il en sortit le 1er octobre 1900. En même temps qu'il recevait son affectation au 16ème Bataillon de Chasseurs de son choix, le jeune sous-lieutenant prononçait ses voeux pieux du tertiaire franciscain.
Dès le début d'août 14, le Capitaine DELESTRAINT, fraîchement breveté de l' Ecole de Guerre, s'illustra à la tête d'une Compagnie du 58ème B.C.P. au cours de la retraite; mais dès le 30 août, encerclé avec les débris de sa Compagnie par des ennemis trois fois plus nombreux, à CHESNOY-AUBONCOURT, il dut se résigner à la captivité.
Il en revint en décembre 18, ayant raté sa guerre, distancé par une génération de jeunes combattants riches de titres, qui n'allaient pas manquer de faire reléguer ce revenant dans des affectations médiocres offrant un avenir modeste.
Ce n'est qu'en 1923, alors qu'il atteignait sa 46ème année, qu'en obtenant son détachement au Centre d'Etudes des Chars de Combat, Charles DELESTRAINT, récemment promu Chef de Bataillon, entr'ouvrit la porte de son brillant destin.
Le Général ESTIENNE, le "père des chars", cet autre français mal connu, découvrit en lui un élève enthousiaste qui, avec un certain Commandant Charles de GAULLE, allait devenir un de ses plus fidèles disciples.
Après avoir dirigé en second l' Ecole des Chars de Combat de VERSAILLES auprès du Colonel FRERE, Charles DELESTRAINT devint à VANNES le Chef de Corps apprécié et regretté du 505ème R.C.C. doté d'antiques F.T., avant de se voir donner, avec les étoiles, en 1935, le commandement de la 3ème Brigade de Chars à METZ.
Le Colonel de GAULLE vint l'y rejoindre à la tête du 507ème R.C.C. équipé de D1. Là les deux hommes apprirent à se meix connaître; et, à l'occasion de rencontres quotidiennes naquit une communauté de pensées, face à la démoralisation pacifiste intérieure et à la menace grandissante du réarmement mécanisé allemand aux portes de leur Lorraine; elle dura deux longues années jusqu'en 1938, quand, ayant juste atteint ses 60 ans, le Général DELESTRAINT fut mis à la retraite.
...Pas pour longtemps...
Rappelé dès 1939 pour assurer le commandement -bien fictif !- des Chars de la 8ème Armée, il est bientôt adjoint au Général KELLER qui, au Grand Quartier, était chargé du commandement des Chars; avec la mission tardive d'accélérer la fabrication des engins, et la dotation et l'organisation des Unités de combat... Il était bien temps!
Il se dépensa sans compter à sa nouvelle tâche. Mais rien ne sert de courir... Et on ne courut même pas! Esquissées sur le papier, les deux premières Divisions Cuirassées ne virent le jour qu'au début de janvier 1940 (notes 53 & 54 I/FT du Commandant en Chef des Forces Terrestres), bientôt suivie par une 3ème... mais sans aller plus loin... faute de chars lourds (iul n'y avait de quoi équiper que 6 bataillons de chars B; faute de tracteurs Lorraine pour les Chasseurs Portés; faute d'armement approprié aux chars légers modernes (ils étaient armés de canons de 37 Modèle 16!) faute de... presque toutes les dotations prévues... dont les postes de radio des chars...
L'activité débordante du Général DELESTRAINT n'avait pu parvenir à combler ces criminelles lacunes le 10 mai 1940 quand éclata la vraie guerre. A part le rassemblement composite d'une 4ème DCR, enfin confiée au Colonel de GAULLE; et quelques fonds de dépôts et d'usines, râclés parmi des prototypes ou récupérés des engins d'instruction.
Si pourtant le Commandement avait écouté ses insistantes abjurations pour un emploi massif des forces blindées dont nous disposions dans la première semaine de l'offensive allemande, sans doute aurait-on pu arrêter et même menacer la téméraire et audacieuse stratégie ennemie. Mais l'obsession de lui opposer la digue d'un front continu, fit obstinément éparpiller nos chars...
Et c'est seulement quand tout fut irrémédiablement perdu, qu'en fin mai, on se décide de lui confier, pour un impossible miracle, un Groupement constitué des débris des 2ème et 4ème Divisions Cuirassées! Refusant d'admettre la défaite qui apparaissant déjà fatale, je le vois redressant encore sa taille, venant en pleine bataille tenter de nous redonner confiance... dans des combats qu'il savait désespérément inégaux!
La débâcle définitivement consommée, promu divisionnaire, fait exceptionnel dans ce désastre, ressentant douloureusement l'armistice, il vint se fixer avec sa famille à BOURG-EN-BRESSE où, dans un climat d'abdication générale, de résignation, il devait puiser dans les malheurs de la France, et au prix consenti de ses propres souffrances, l'éblouissante revanche personnelle qui l'a fait entrer dans l'histoire.
Jean-françois PERRETTE

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